Traitement de l’adénocarcinome mammaire félin - Le Point Vétérinaire expert canin n° 388 du 01/09/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 388 du 01/09/2018

CHIRURGIE ONCOLOGIQUE

Analyse d’article

Auteur(s) : Alexandre Caron

Fonctions : CHV Atlantia
22, rue René-Viviani
44200 Nantes
a.caron@chv-atlantia.com

Le traitement chirurgical joue un rôle clé dans la prise en charge des tumeurs mammaires chez le chat. Il a déjà été prouvé qu’une mastectomie régionale ou locale est insuffisante pour limiter le développement métastatique ou la récidive locale [2]. L’article résumé évalue l’impact d’une chirurgie unilatérale ou bilatérale [1]. Il est le premier à identifier un impact positif indépendant de la chirurgie radicale bilatérale sur la progression de la maladie et la durée de survie [3, 4]. Malgré l’intérêt net identifié dans le traitement des adénocarcinomes mammaires félins, il est intéressant d’évaluer précisément les implications d’un tel acte chirurgical.

COMPLICATIONS DE LA MASTECTOMIE BILATÉRALE

La mastectomie bilatérale en une seule chirurgie a rarement été rapportée dans les études publiées. L’article résumé est le premier à comparer les résultats cliniques faisant suite à cette intervention, les précédentes rapportant le plus souvent des chirurgies différées dans le temps pour le tissu mammaire controlatéral [1-4].

Un taux plus important de complications est alors rapporté (40,6 contre 21,3 %), bien que cela ne soit pas statistiquement significatif. Ces complications sont le plus souvent en lien avec la cicatrisation cutanée. La plus forte tension cutanée exercée sur les marges de la plaie à la suite d’une chirurgie radicale bilatérale est supposée être reliée à ce risque accru de complications de plaie. Les auteurs mentionnent même un cas de mort postopératoire où la tension cutanée excessive aurait pu participer à une difficulté respiratoire.

MASTECTOMIE BILATÉRALE RECOMMANDÉE

Dans l’article résumé, les marges d’excision étaient saines dans 82,1 % des cas [1]. Un des bénéfices d’une chirurgie bilatérale est l’obtention de marges chirurgicales plus propres. Ainsi, dans l’article résumé, des marges complètes sont obtenues dans 24,1 % des cas lors de chirurgie bilatérale, mais seulement dans 9,8 % des cas lors de chirurgie unilatérale [1]. Ces différences sont non significatives, mais tendent vers la recommandation d’une chirurgie bilatérale afin de maximiser les chances d’obtenir des marges chirurgicales propres. Cela est capital puisque l’article résumé retrouve ce qui avait déjà été publié de nombreuses fois précédemment : le risque de progression locale est accru si les marges chirurgicales sont incomplètes [1]. En revanche, les auteurs n’identifient pas de différence dans le taux de récidive uniquement locale selon le traitement chirurgical (sans doute en raison du faible nombre d’exérèses incomplètes). Le risque de développement métastatique doit également être pris en compte pour trouver un intérêt statistique à l’exérèse bilatérale. Quant au délai de survie, chez les chats n’ayant pas de métastases, une exérèse unilatérale multiplie le risque de mort par 4,56, par rapport à une exérèse bilatérale, alors que ce facteur n’a pas d’impact lors de métastases identifiées [1].

RISQUE MÉTASTATIQUE

Le réseau lymphatique du tissu mammaire chez le chat est bien connu [5, 6]. Par ailleurs, il a été identifié que l’invasion lymphatique est un facteur de risque important, avec une diminution nette de la durée de survie chez les chats atteints d’adénocarcinome mammaire [8]. En revanche, aucune connexion entre les tissus mammaires droits et gauches n’a été identifiée dans ces études. Cela ne peut donc a priori pas expliquer le risque de récidive locale dans le tissu mammaire controlatéral.

Enfin, la présence de métastases ganglionnaires ne doit pas mener à une absence de traitement, bien qu’elles représentent un facteur de gravité de la maladie. Près d’un tiers des chats de l’étude résumée présentant des métastases lymphatiques confirmées histologiquement ou cytologiquement n’ont pas démontré de progression de la maladie au cours de la période de suivi [1].

CHIMIOTHÉRAPIE

Une chimiothérapie adjuvante est utilisée dans 50,5 % des cas de l’étude, la plupart recevant un traitement à base de doxorubicine (n = 46 sur 55). L’utilisation d’une chimiothérapie adjuvante est associée à un meilleur pronostic, avec un risque de mort diminué d’environ un tiers [1].

Un article a évalué l’impact d’une chimiothérapie adjuvante dans le traitement de l’adénocarcinome mammaire félin. Aucun impact direct statistiquement significatif n’y a été mentionné, bien qu’une différence existe lorsque la chirurgie consiste en une mastectomie radicale unilatérale. Dans une étude récente chez le chien, certains sous-types tumoraux ont été identifiés comme bénéficiant plus largement de certaines thérapeutiques. Il est possible que cela soit le cas également chez le chat. Cela pourrait être un sujet pour des études futures.

Conclusion

L’article résumé est une preuve supplémentaire de l’intérêt d’une mastectomie bilatérale chez le chat, lors de traitement d’un adénocarcinome mammaire. Elle diminue le risque de progression tumorale et augmente la durée de survie, quel que soit le statut métastatique initial. La pathophysiologie de cet effet bénéfique reste inexpliquée.

En revanche, face au risque de complications non négligeable rapporté dans cet article, il semblerait prudent d’envisager deux interventions chirurgicales unilatérales, espacées de quelques semaines. Une médiane de quatre semaines y est rapportée. En raison d’une cicatrisation plus avancée et d’une élasticité cutanée plus favorable, l’auteur serait toutefois davantage en faveur d’un délai de six semaines.

Il est intéressant de noter que 2 % des chats inclus dans l’étude étaient des mâles [1, 7].

Références

  • 1. Gemignani F, Mayhew PD, Giuffrida MA et coll. Association of surgical approach with complication rate, progression-free survival time, and disease-specific survival time in cats with mammary adenocarcinoma: 107 cases (1991-2014), J. Am. Vet. Med. Assoc. 2018;252:1393-1402.
  • 2. MacEwen EG, Hayes AA, Harvey HJ et coll. Prognostic factors for feline mammary tumors, J. Am. Vet. Med. Assoc. 1984;185:201-204.
  • 3. McNeill CJ, Sorenmo KU, Shofer FS et coll. Evaluation of adjuvant doxorubicin-based chemotherapy for the treatment of feline mammary carcinoma, J. Vet. Intern. Med. 2009;23:123-129.
  • 4. Novosad CA, Bergman PJ, O’Brien MG et coll. Retrospective evaluation of adjunctive doxorubicin for the treatment of feline mammary gland adenocarcinoma: 67 cases. Am. Animal Hosp. Assoc. 2006;42:110-120.
  • 5. Papadopoulou PL, Patsikas MN, Charitanti A et coll. The lymph drainage pattern of the mammary glands in the cat: a lymphographic and computerized tomography lymphographic study. Anat. Histol. Embryol. 2009;38:292-299.
  • 6. Patsikas MN, Papadopoulou PL, Charitanti A et coll. Computed tomography and radiographic indirect lymphography for visualization of mammary lymphatic vessels and the sentinel lymph node in normal cats. Vet. Radiol. Ultrasound. 2010;51:299-304.
  • 7. Skorupski KA, Overley B, Shofer FS et coll. Clinical characteristics of mammary carcinoma in male cats. J. Vet. Intern. Med. 2005;19:52-55.
  • 8. Zappulli V, Rasotto R, Caliari D et coll. Prognostic evaluation of feline mammary carcinomas: a review of the literature. Vet. Pathol. 2015;52:46-60.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Résumé

OBJECTIFS

Comparer les résultats cliniques de chats traités chirurgicalement pour un adénocarcinome mammaire avec et sans traitement adjuvant. Évaluer l’association entre le traitement chirurgical, le délai de récidive et le temps de survie.

MÉTHODE

Étude rétrospective. Les chats diagnostiqués pour un adénocarcinome mammaire et traités avec une mastectomie radicale sont inclus.

RÉSULTATS

• L’étude inclut 107 chats dont 93 % sont stérilisés et 2 % sont des mâles. Aucune métastase n’est identifiée radiographiquement ou lors d’une échographie abdominale. Une lymphadénopathie est identifiée dans 20 % des cas.

• 58 chats ont subi une mastectomie unilatérale, 31 une mastectomie bilatérale en une seule chirurgie et 18 une mastectomie bilatérale en deux chirurgies espacées d’une médiane de 4 semaines. Des complications postopératoires ont été retrouvées chez 29 % des chats : chez 21,3 % de ceux qui ont subi une mastectomie unilatérale, chez 40,6 % de ceux avec mastectomie bilatérale en un temps et chez 35,7 % de ceux avec mastectomie bilatérale en deux temps (pas statistiquement significatif).

• Une progression de la maladie est constatée dans 61 % des cas. Le délai médian de progression est de 375 jours : 542 pour les chats traités bilatéralement, 289 pour ceux traités unilatéralement (statistiquement significatif). Les facteurs de risque détectés sont : une mastectomie unilatérale (risque multiplié par 3), une ulcération tumorale (risque multiplié par 4,35), une métastase lymphatique (risque multiplié par 2,49) et une tumeur de la quatrième glande (risque multiplié par 2,25).

• La durée médiane de survie est de 375 jours : 1 140 pour les chats ayant subi une mastectomie bilatérale, 473 si unilatérale (statistiquement significatif).

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