Compression médullaire chez un chat à douleur dorsale haute - Le Point Vétérinaire n° 388 du 01/09/2018
Le Point Vétérinaire n° 388 du 01/09/2018

NEUROLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Chantal Ragetly

Fonctions : Service de chirurgie
Clinique Évolia
43, avenue du Chemin-Vert
95290 L’Isle-Adam

La caresse qui fait mal, ce n’est pas normal. De fait, la douleur peut être un signe clinique nerveux d’une atteinte grave, c’est même parfois le seul.

Avec un animal présentant une douleur chronique, systématique et reproductible à la palpation de la région thoracique dorsale, il est nécessaire d’envisager des examens complémentaires d’imagerie, même en l’absence de trouble locomoteur. Dans un premier temps, certaines atteintes compressives, comme des tumeurs, s’expriment par ce signe clinique chez le chat.

1 Cas clinique

Anamnèse et commémoratifs

Un chat européen femelle âgé de 6 ans est référé pour douleur à la caresse de la région thoracique, évoluant depuis 1 mois sans réponse à un traitement d’anti-inflammatoires stéroïdiens (prednisolone à 0,5 mg/kg/j pendant 10 jours). Aucun antécédent de coup ou de traumatisme inaugural n’est rapporté. L’animal n’a pas accès à l’extérieur et cohabite sereinement avec un autre congénère.

Examen clinique

L’animal est en bon état général, avec un score de condition corporelle de 5 sur 9, sans amaigrissement rapporté et les fréquences cardiaques et respiratoires ainsi que la température sont normales.

Aucune lésion superficielle n’est visible et aucun prurit n’est objectivé sur le cou.

L’examen orthopédique des membres thoraciques et pelviens s’est révélé sans anomalie notable.

L’examen du système nerveux révèle que l’animal est ambulatoire. Aucun déficit proprioceptif n’est observé et les réflexes posturaux des membres thoraciques et pelviens ainsi que l’évaluation des nerfs crâniens sont tous normaux. Une douleur modérée est mise en évidence à la palpation de la région thoracique craniale (photo 1).

Diagnostic différentiel

Les origines d’une douleur à la palpation thoracique (craniale) sont nombreuses :

- atteinte cutanée localisée causant une hyperesthésie (trauma récent ou séquelle de trauma, hypersensibilité cutanée secondaire à une dermatite allergique, une allergie aux piqûres de puces, une allergie de contact à un s pot-on, etc.) ;

- atteinte sous-cutanée (panniculite, morsure, présence d’un corps étranger, etc.) ;

- atteinte musculaire (contusion musculaire, inflammation musculaire localisée, lésion tumorale, etc.) ;

- atteinte orthopédique (spondylarthrose vertébrale thoracique, lésion de la scapula, fracture, tumeur, etc.) ;

- atteinte neurologique (hernie discale, lésion tumorale vertébrale ou médullaire, méningite ou méningomyélite localisée, lésion traumatique vertébrale de type fracture ou luxation, exostose cartilagineuse multiple, etc.).

Examens complémentaires

Sur la radiographie du rachis thoracique réalisée par le vétérinaire traitant, aucune anomalie n’est observée. Par conséquent, il a été décidé de réaliser un examen tomodensitométrique de la région thoraco-lombaire. Le scanner met en évidence la présence d’une discrète lésion d’ostéolyse et d’ostéoprolifération au niveau de la lame dorsale et de la base du processus épineux de la troisième vertèbre thoracique (T3) (photo 2). Une densification tissulaire envahit dorsalement le canal médullaire en regard de l’espace intervertébral T2-T3 et sur toute la longueur de T3, provoquant une compression de la moelle épinière en regard (photos 3a, 3b et 4). Cette masse fixe le produit de contraste de manière homogène et mesure 7,5 mm de long et 3,3 mm de large. Aucune adénomégalie ou lésion métastatique thoracique et abdominale n’est identifiée au scanner.

Diagnostic

La présence de douleur à la palpation du rachis thoracique cranial (considérée comme un déficit nerveux, même sans signe spécifique supplémentaire) et les images tomodensitométriques sont compatibles avec une compression médullaire induite par une tumeur osseuse affectant la lame dorsale de T3. Peuvent être envisagés : un ostéosarcome ou autre sarcome, moins probablement un myélome, en raison de l’unicité de la lésion, ou un lymphome qui a plutôt une localisation extramédullaire non ostéolytique, ostéosarcome ou hémangiosarcome ayant plus de risque de métastaser qu’un fibrosarcome osseux.

Traitement

Les critères de gravité (compression médullaire) ainsi que l’absence de mise en évidence de métastases distantes sont tels qu’une laminectomie dorsale est proposée et acceptée pour retirer la masse et lever la compression.

CHIRURGIE

Le chat est prémédiqué avec de la morphine (0,1 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) avant d’être induit avec du propofol à effet (4 mg/kg IV en titration). Après intubation, un relais gazeux à l’isoflurane est mis en place. Une injection d’amoxicilline (20 mg/kg IV) est réalisée et une perfusion de NaCl 0,9 % est mise en place. L’abord chirurgical est dorsal, une incision de 8 cm environ est centrée sur T3. Les muscles paravertébraux sont réclinés le long des processus épineux de T2 et de T3 (photo 5). Une laminectomie dorsale de T2 et de T3 est réalisée à la fraise pneumatique afin de retirer les processus épineux et la lame dorsale de T2 et de T3 tout en préservant les facettes articulaires. Une petite masse de 7,5 × 3 × 4 mm environ, non adhérente à la moelle épinière, s’étendant au niveau de la partie cranio-ventrale de la lame dorsale de T3 est identifiée (photo 6). Une fois la laminectomie réalisée, la moelle reprend sa position normale au sein du canal vertébral (photo 7). Cette pièce d’exérèse est envoyée pour analyse histopathologique. Après rinçage du site opératoire, une compresse hémostatique est mise en place sur le site de laminectomie (Pangen®, Urgo) pour limiter les possibles adhérences postopératoires, même si ce matériel est plutôt à visée hémostatique. Puis le site chirurgical est refermé plan par plan de manière classique. Un pansement collé est appliqué. Le réveil de l’animal est sans encombre.

Un traitement à base de corticostéroïdes (dexaméthasone à 0,1 mg/kg toutes les 24 heures) et de morphine (0,1 mg/kg toutes les 6 heures) est continué en phase postopératoire durant 48 heures.

SUIVI IMMÉDIAT

À sa sortie d’hospitalisation, 2 jours après la chirurgie, l’animal est ambulatoire sans déficit proprioceptif. De la prednisolone à la dose de 0,5 mg/kg/j pendant 3 jours, puis 0,25 mg/kg/j pendant 10 jours, est prescrite pour limiter l’inflammation et la douleur postopératoires, ainsi que des activités restreintes pendant 1 mois.

Diagnostic histologique de certitude : ostéosarcome

L’analyse histopathologique de la pièce d’exérèse révèle une néoformation à cellules fusiformes ossifiantes, montrant de discrets critères de malignité, développée au sein du tissu osseux de la lame dorsale et du processus épineux. Compte tenu de l’âge de l’animal, de la mauvaise délimitation et de la croissance apparemment infiltrante de la prolifération tumorale et de la présence de discrètes atypies cytonucléaires, l’hypothèse d’un ostéosarcome bien différencié est retenue en première intention.

Le pathologiste a toutefois tenu à signaler que l’aspect décrit présente quelques similitudes avec des lésions de type dysplasie fibreuse, rarissime et jamais décrite sur une vertèbre de chat. Cela n’a donc pas été retenu. Quoi qu’il en soit, le traitement est identique : une décompression est nécessaire.

Suivi

À 14 jours postopératoires, l’incision chirurgicale est cicatrisée et les fils cutanés sont retirés par le vétérinaire traitant. À ce stade, l’état général est très bon et le chat n’a plus de douleur rachidienne ni de difficulté à se déplacer.

Pronostic et évolution

Le pronostic à long terme est réservé en raison du risque de récidive locale face à un ostéosarcome. Une radiothérapie adjuvante (ciblant un ostéosarcome de faible grade) a été proposée à la propriétaire pour limiter ce risque de récidive locale. Ce traitement (15 séances quotidiennes pour un total de 45 Gy) n’a pas été accepté en raison de la faiblesse du grade, du coût du traitement et de la distance par rapport au centre de radiothérapie. Chez le chat, l’ostéosarcome présente un risque d’essaimage métastatique très modéré (du moins plus faible que chez le chien). Par conséquent, une chimiothérapie adjuvante a également été écartée.

Un an après l’intervention, un contrôle téléphonique révèle que l’animal ne présente aucune douleur ou signe de récidive et la propriétaire considère que la récupération de son animal est excellente.

2 Discussion

Signes cliniques des compressions de la moelle

Lors de compression de la moelle épinière par une masse, les signes cliniques (douleur, ataxie, parésie, etc.) peuvent résulter de la lésion elle-même ou des altérations pathophysiologiques de la moelle qui accompagnent ces masses : œdème, ischémie, nécrose et hémorragie. En présence d’une atteinte des nerfs périphériques, une boiterie du membre concerné, une monoparésie et une atrophie musculaire peuvent également être présentes. Les tumeurs extradurales et intradurales extramédullaires se traduisent par de la douleur alors que les tumeurs intramédullaires sont moins fréquemment douloureuses [1, 3]. Dans le cas présenté, l’animal manifestait uniquement de la douleur à la caresse du dos par la propriétaire, de l’hyperesthésie. Elle peut résulter d’une atteinte méningée, discale ou radiculaire, puisque la moelle - comme le cerveau - ne contient pas de cellules sensitives (c’est pourquoi les lésions intramédullaires sont moins douloureuses). En l’occurrence, il est possible que la masse exerçait une pression sur les méninges, moins probablement sur les racines nerveuses puisque la douleur n’irradiait pas vers la paroi thoracique. Un scanner du rachis a permis de mettre en évidence la masse à l’origine de la compression. Cependant, un myéloscanner ou un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) aurait permis de mieux caractériser cette compression médullaire. Aucune anomalie n’a été vue à la radiographie. En cas de phénomène ostéolytique et/ou ostéoprolifératif plus avancé, des modifications du rachis pourraient cependant être objectivées.

Types de tumeurs du rachis chez le chat

Les tumeurs primitives de la colonne vertébrale, à l’exception du lymphome, sont rares chez le chat et se catégorisent en fonction de leur localisation de l’extérieur vers l’intérieur : extradurale, intradurale extramédullaire et intramédullaire. Les tumeurs extradurales sont les plus fréquentes. Le lymphome extradural, primaire ou secondaire, est fréquent dans cette espèce et touche environ 20 % des chats atteints de lymphome. C’est la tumeur touchant le système nerveux la plus fréquemment rencontrée chez les chats âgés de 2 à 8 ans, alors que les tumeurs primaires de la colonne vertébrale (ostéosarcome, fibrosarcome et sarcome indifférencié) sont les lésions les plus souvent diagnostiquées chez les chats de plus de 8 ans. Une infection par le virus de la leucose féline (FeLV) ou celui de l’immunodéficience féline (FIV) est un facteur de risque pour le développement de lymphome spinal, mais pas pour les autres types de tumeurs de la colonne [3]. Concernant les tumeurs extradurales chez le chat, l’ostéosarcome est la tumeur vertébrale primitive la plus fréquemment rencontrée. La présence d’ostéochondromes simples ou multiples a également été rapportée. Moins fréquemment, d’autres tumeurs malignes ou bénignes des os peuvent être rencontrées (fibrosarcome, chondrosarcome, hémangiosarcome, exostose cartilagineuse multiple, fibrome ou lipome). Les tumeurs intradurales extramédullaires, telles que le méningiome, sont moins courantes [4] et les tumeurs primitives à localisation intramédullaire sont rares (tumeur du neuroectoderme primitive ou d’origine gliale).

Épidémiologie des tumeurs du rachis chez le chat

L’incidence des tumeurs osseuses primaires est de 3,1 à 4,9 pour 100 000 et les ostéosarcomes représentent 70 à 80 % des tumeurs osseuses primaires chez le chat. Le squelette appendiculaire est plus fréquemment touché par les ostéosarcomes que le squelette axial et la plupart des cas rapportés chez le chat touche le crâne ou le bassin. Certains auteurs suggèrent que l’ostéosarcome chez le chat est moins agressif que chez le chien, avec une amputation curative lors d’atteinte appendiculaire [2]. Cependant, une dissémination métastatique peut également être observée dans certains cas, qui demeurent rares [2].

Diagnostic différentiel ostéosarcome versus dysplasie fibreuse

Dans le cas décrit, l’hypothèse d’un ostéosarcome bien différencié a été retenue en première intention, compte tenu de l’âge de l’animal, de la mauvaise délimitation et de la croissance apparemment infiltrante, avec la présence de discrètes atypies cytonucléaires. Toutefois, selon le laboratoire, l’aspect histologique pouvait également rappeler les lésions de type dysplasie fibreuse. Celles-ci sont généralement rencontrées chez les jeunes animaux. Des cas ont été décrits dans les espèces équine, féline et canine et ces lésions semblent toucher majoritairement les os du crâne et de la face. La dysplasie fibreuse de l’os est une lésion rare, non tumorale, radiotransparente. Il s’agit d’une atteinte où l’os et la moelle sont remplacés par une matrice fibreuse avec divers degrés de minéralisation et d’ossification. Les signes cliniques sont secondaires aux lésions osseuses expansives ou à une possible fracture. Dans le cas décrit, la mauvaise délimitation, l’apparition d’atypies cytonucléaires et l’âge de l’animal ne sont pas en faveur de cette hypothèse. Occasionnellement, des transformations malignes ont été décrites chez l’homme, mais aucune chez l’animal.

Traitement de la compression médullaire

Le traitement adéquat d’une masse comprimant la moelle épinière dépend de la localisation de la lésion, de son étendue et de sa nature histologique. L’objectif thérapeutique est d’éliminer ou de réduire les effets néfastes d’une compression médullaire à l’aide d’un traitement médical (corticostéroides) ou chirurgical [1, 3]. Lors d’atteinte axiale, la résection chirurgicale complète de la tumeur est cependant difficile en raison de sa localisation et du risque potentiel d’invasion locale. Par conséquent, le risque de récurrence est très élevé. Réaliser a minima une biopsie permet d’évaluer si une radiothérapie ou une chimiothérapie adjuvantes peuvent être indiquées. Dans ce cas clinique, aucun traitement adjuvant à la résection chirurgicale n’a été réalisé pour plusieurs raisons. En effet, la propriétaire ne souhaitait pas faire subir à son animal d’autres traitements. De plus, les ostéosarcomes chez les chats ont tendance à peu métastaser et l’analyse histopathologique faite sur la pièce d’exérèse dans le cas décrit montrait uniquement de discrets critères de malignité.

Pronostic des ostéosarcomes axiaux

Le pronostic des atteintes de la colonne vertébrale dépend de la localisation et de la nature de la lésion, du degré de résection et d’infiltration, des lésions spinales et des signes cliniques présents. La survie médiane en cas d’ostéosarcome axial chez un chat est de 6 mois, avec un taux de métastases de 5 à 10 % [2]. Dans un cas clinique récent, un chat a survécu au moins 5 ans à la suite du traitement d’un ostéosarcome vertébral à cellules géantes d’une vertèbre lombaire. Cet animal a cependant subi trois opérations successives. Une première intervention a consisté en une hémilaminectomie pour retirer la masse, associée à une radiothérapie postopératoire adjuvante. La récupération a été excellente, avec un retour à une activité normale. Trois ans plus tard, les troubles nerveux et la lésion vertébrale ont récidivé. Une hémilaminectomie étendue a alors été pratiquée, associée à une stabilisation vertébrale par vis et ciment de polyméthylmétacrylate des vertèbres adjacentes. Puis, 4 ans après le début des signes cliniques, une nouvelle récidive a été détectée et une vertébrectomie réalisée, stabilisée par une cage vertébrale en titane. Au bout de 5 ans, le chat était toujours en vie, sans signe de récidive ni présence de métastases abdominales ou thoraciques [5]. Dans ce cas clinique, une excellente récupération est observée sans signe de récidive au bout de 1 an, mais il serait intéressant de suivre l’évolution clinique sur le très long terme.

Conclusion

En présence d’une masse comprimant la moelle épinière, les recommandations sont bien établies : le chirurgien doit procéder rapidement à l’exérèse chirurgicale la plus large permise, afin de limiter le risque de récidive et d’extension. Le diagnostic doit donc être le plus précoce possible. Avant les examens d’imagerie, qui sont déjà les prémisses de la solution, une attention rigoureuse doit être portée à tous les signes cliniques, y compris à ceux qui semblent triviaux. Une douleur sans cause patente en fait partie.

Références

  • 1. Bagley RS. Spinal neoplams in small animals. Vet. Clin. Small Anim. Ex 3. 2010;915-927.
  • 2. Heldmann E, Anderson M, Wagner-Mann C. Féline osteosarcoma: 145 cases (1990-1995). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2000;36:518-521.
  • 3. LeCouteur RA, Withrow SJ. Tumors of the nervous system in Withrow and MacEwen’s Small Animal Clinical Oncology, 4th ed. Saunders. Ex 2. 2007:659-685.
  • 4. Levy M, Mauldin G, Kapatkin A et coll. Non lymphoid vertebral canal tumors in cats: 11 cases (1987-1995). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1997;210 (5):663-664.
  • 5. Nakata K, Miura H, Sakai H et coll. Vertebral replacement for the treatment of vertebral osteosarcoma in a cat. J. Vet. Med. Sci. 2017;79 (6):999-1002.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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