Dermatite atopique chez un staffordshire bull terrier - Le Point Vétérinaire expert canin n° 386 du 01/06/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 386 du 01/06/2018

DERMATOLOGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Émilie Vidémont-Drevon

Fonctions : Centre hospitalier vétérinaire Saint-Martin
275, route Impériale
74370 Saint-Martin-Bellevue
emiliedrevon@gmail.com

Les dernières recommandations concernant le traitement de la dermatite atopique soulignent la nécessité d’une prise en charge multimodale de cette affection.

Une chienne staffordshire bull terrier stérilisée âgée de 2 ans et demi et pesant 14,7 kg est présentée en consultation pour un prurit évoluant depuis plusieurs mois.

Elle vit seule en appartement et est nourrie avec des croquettes Anallergenic® Royal Canin exclusivement depuis 4 mois. Un traitement antiparasitaire oral lui est administré mensuellement. La chienne ne présente aucun antécédent non dermatologique.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Le prurit est apparu 7 mois avant la consultation. Il a débuté sur l’extrémité des membres antérieurs et sur la face, puis s’est étendu aux pavillons auriculaires. Une aggravation a été notée au printemps, 4 mois avant la consultation. Aucune contagion humaine n’est rapportée. Les traitements antérieurs ont essentiellement consisté en une corticothérapie, sous forme injectable ou orale, en une antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique pendant une dizaine de jours) et en des soins locaux à visée apaisante (shampooing Douxo® Calm et spray Sécuriderm®). Un régime d’élimination (Anallergenic®) a été prescrit et cet aliment est poursuivi au-delà de la durée classique de ce type de régime. Le prurit rétrocède avec la corticothérapie, mais récidive à son arrêt.

2. Examen clinique

Lors de la consultation, la chienne est en bon état général. Un érythème, des excoriations, des croûtes, une lichénification et une hyperpigmentation associés à des dépilations et à un état kératoséborrhéique sont observés sur la tête (babines en particulier), la face interne des pavillons auriculaires et les quatre extrémités des membres (en particulier les membres antérieurs) (photos 1a et 1b). Le prurit est estimé à 8/10 par les propriétaires sur une échelle visuelle analogue.

3. Hypothèses diagnostiques

Les principales hypothèses face à une dermatose prurigineuse, cortico-sensible, apparue chez un jeune staffordshire bull terrier et intéressant la face et la partie ventrale du corps sont :

– une ectoparasitose : démodécie, gale sarcoptique ;

– une prolifération bactérienne de surface ;

– une prolifération de Malassezia ;

– une dermatite atopique (pouvant favoriser les deux hypothèses précédentes).

Une hypersensibilité alimentaire est écartée en raison de l’absence de réponse à un régime d’éviction correct et bien conduit. Une dermatite par allergie aux piqûres de puces est également peu probable du fait de la localisation des lésions et de l’absence de réponse à un traitement antiparasitaire oral mensuel.

4. Examens complémentaires

L’examen du produit de raclages cutanés ne révèle pas d’ectoparasites. L’examen cytologique de rubans de Cellophane® adhésive (scotch test) met en évidence une prolifération bactérienne et fongique de surface marquée sur l’ensemble des zones corporelles affectées (photo 2).

5. Diagnostic

Une prolifération bactérienne et à Malassezia de surface, primaire ou secondaire à une dermatite atopique, est diagnostiquée.

6. Traitement

De la céfalexine à la dose de 30 mg/kg/j en deux prises per os (PO) (Therios® Quadri 300 mg) et du kétoconazole (hors autorisation de mise sur le marché [AMM]), 8,5 mg/ kg/j en une prise PO avec le repas (Fungiconazol®) sont prescrits pendant 20 jours.

Ils sont associés à des shampooings à base de chlorhexidine à 3 % et de climbazole (Douxo® Pyo shampooing) réalisés deux fois par semaine, suivis de l’application d’un réhydratant cutané (Ermidra®).

7. Suivi après 20 jours

Le traitement a été bien toléré par la chienne. Après 20 jours, le prurit a diminué d’environ 40 % et est estimé à 5/10 sur une échelle visuelle analogique par les propriétaires. Les lésions ont également régressé, l’intensité de l’érythème, de la lichénification et de l’état kératoséborrhéique a diminué et les croûtes ont disparu (photos 3a et 3b). L’examen cytologique de rubans de Cellophane ® adhésive (scotch test) ne met plus en évidence de micro-organismes.

La persistance du prurit après élimination des complications infectieuses, associée aux éléments anamnestiques et cliniques, oriente le diagnostic vers une dermatite atopique sous-jacente.

Des intradermoréactions (IDR) mettent en évidence une polysensibilisation à un acarien de poussière de maison, Dermatophagoides farinae, ainsi qu’aux pollens de graminées.

L’antibiothérapie est poursuivie 1 semaine afin d’être suffisamment longue pour limiter les récidives de pyodermite le temps que le traitement de fond fasse effet. L’antifongique oral est arrêté et les soins locaux sont poursuivis à la même fréquence pendant 1 mois. De l’oclacitinib est prescrit, à la dose de 0,4 mg/kg deux fois par jour PO pendant 15 jours, puis 0,4 mg/kg une fois par jour PO pendant 15 jours.

8. Suivi après 50 jours

Le prurit a rapidement diminué à la suite de la prescription de l’oclacitinib cinquante jours après le début du traitement, il est estimé à 1/10 par les propriétaires sur une échelle visuelle analogique. L’amélioration clinique se poursuit également. Seules persistent une lichénification et une hyperpigmentation modérées, ainsi que des dépilations. Une repousse du poil est cependant notée.

Une immunothérapie spécifique (désensibilisation) contre Dermatophagoides farinae et les pollens de graminées est mise en place selon un procotole classique (gamme Biogenix®).

La fréquence des shampooings est diminuée à une fois par semaine, le spray hydratant Ermidra® est toujours appliqué deux fois par semaine. Un spot-on contenant des lipides visant à restaurer la barrière cutanée (Allerderm® spot-on) est appliqué une fois par semaine. L’oclacitinib est poursuivi à la dose de 0,4 mg/kj/j en une prise quotidienne PO.

9. Suivi après 80 jours

La désensibilisation est bien tolérée par l’animal.

Quatre-vingts jours après le début du traitement, le prurit est toujours estimé à 1/10 sur une échelle visuelle analogique par les propriétaires. Les lésions ont rétrocédé (photos 4a, 4b et 4c). La dose d’oclacitinib est diminuée à 0,2 mg/kg/j en une prise quotidienne PO pendant 1 mois, puis 0,2 mg/kg PO 1 jour sur 2 pendant 1 mois, puis le médicament est arrêté.

Douxo® Pyo shampooing est remplacé par un shampooing apaisant, Douxo® Calm shampooing, pour ne pas modifier l’écosystème cutané sur le long terme. L’hydratant cutané est appliqué deux fois par semaine, le spot-on contenant des lipides, deux fois par mois.

Le traitement antiparasitaire oral initial est également poursuivi mensuellement, ainsi que l’alimentation hypoallergénique, les propriétaires ne souhaitant pas la modifier.

10. Suivi à long terme

L’amélioration est maintenue à long terme (8 mois après le début de la désensibilisation) grâce à une désensibilisation mensuelle, à un shampooing apaisant hebdomadaire, à l’application d’un spray réhydratant deux fois par semaine, à l’application bimensuelle d’un spot-on contenant des lipides et à un traitement antiparasitaire mensuel.

DISCUSSION

Depuis 2010, des recommandations sont régulièrement établies concernant la prise en charge de la dermatite atopique canine (DAC) par un groupe d’experts international réunis au sein de l’International Committee on Allergic Diseases of Animals (ICADA). Les dernières recommandations ont été établies en 2015 et soulignent la nécessité d’une prise en charge multimodale de la DAC, comme l’illustre ce cas clinique.

1. Contrôle des facteurs aggravants

Les facteurs pouvant être à l’origine d’une aggravation ou d’une poussée inflammatoire de DAC doivent être recherchés et éliminés. Cela consiste essentiellement à traiter les complications infectieuses (bactériennes et fongiques) fréquemment associées à la DAC, mais aussi à renforcer le traitement antiparasitaire externe et à explorer le rôle des allergènes alimentaires.

Une prolifération bactérienne et à Malassezia de surface était présente dans le cas décrit. Un traitement systémique et topique anti-infectieux a été mis en place en raison de l’étendue et de la sévérité des surinfections. Il a permis une diminution des lésions et de l’intensité du prurit.

Il n’existe pas de consensus concernant le traitement des proliférations bactériennes de surface. Une prise en charge topique semble préférable et est suffisante dans de nombreux cas. L’utilisation de soins locaux antifongiques est également à privilégier lors de prolifération à Malassezia étant donné que le kétoconazole PO ne dispose pas d’AMM pour cette indication. Néanmoins, pour le chien du cas décrit (qui avait déjà été présenté à plusieurs vétérinaires), un traitement anti-infectieux oral a été utilisé en complément des soins locaux afin d’accélérer la guérison clinique et d’avancer plus rapidement dans les prises en charge diagnostique et thérapeutique (spécifiques de la dermatite atopique sous-jacente).

L’hypersensibilité alimentaire n’a pas été retenue chez ce chien en raison de l’absence de réponse à un régime d’éviction bien conduit. Seule la réponse à un régime d’éviction suivie de la réapparition des signes cliniques lors d’une provocation alimentaire permet actuellement d’établir un diagnostic d’hypersensibilité alimentaire. Les propriétaires n’ont pas souhaité réaliser de provocation alimentaire, ni modifier le régime alimentaire hypoallergénique de la chienne. Le passage à un aliment de soutien de la fonction cutanée aurait pu être envisagé (encadré).

2. Renforcement de la barrière cutanée

La pathogénie de la DAC repose sur une altération de la barrière cutanée, permettant ainsi une pénétration anormale des allergènes environnementaux. La restauration de cette barrière cutanée défectueuse repose sur l’apport d’acides gras essentiels (AGE) et la réalisation de soins locaux adaptés. L’apport d’AGE dans l’alimentation étant modéré chez le chien de ce cas et ses propriétaires ne souhaitant pas en ajouter lors des repas, ils ont été administrés par voie topique.

Des soins locaux apaisants et soutenant la barrière cutanée ont également été prescrits. Les soins locaux à visée antimicrobienne, prescrits dans un premier temps en raison de la présence de proliférations bactérienne et fongique de surface, n’ont pas été maintenus sur le long terme pour ne pas nuire à la flore bactérienne résidente (en médecine humaine l’utilisation prolongée et répétée des antiseptiques est déconseillée). La prescription d’un réhydratant cutané est également importante pour pallier la sécheresse cutanée (xérose), constamment rencontrée lors de dermatite atopique.

3. Traitement immunomodulateur et désensibilisation

Lorsque les traitements préalablement cités ne sont pas suffisants, le clinicien peut s’orienter vers une prise en charge médicamenteuse (antihistaminiques, glucocorticoïdes, oclacitinib, lokivetmab, ciclosporine essentiellement) éventuellement associée à une désensibilisation. L’efficacité des antihistaminiques est proche de celle du placebo lors de dermatite atopique. Les glucocorticoïdes, l’oclacitinib, le lokivetmab et la ciclosporine ont en revanche prouvé leur efficacité. Le choix de l’une de ces molécules dépend de la sévérité de la DAC, de l’animal et de son propriétaire (non détaillé dans cet article). L’oclacitinib a été prescrit dans le cas décrit pour pallier l’effet différé de la désensibilisation et ainsi contribuer à apporter une amélioration rapide du confort de l’animal et, par conséquent, une satisfaction des propriétaires, augmentant leur observance. L’interruption rapide du prurit permet également de limiter les altérations cutanées (excoriations liées au prurit) qui renforcent le défaut de barrière préexistant et créent des conditions favorables aux surinfections.

4. Désensibilisation

La désensibilisation ou immunothérapie spécifique d’allergènes consiste à injecter, par voie sous-cutanée, les allergènes auxquels l’animal est sensibilisé. Le mécanisme d’action n’est pas complètement connu, mais semble essentiellement lié à une réorientation de la réponse th2 (lymphocytes T helper 2) vers th1 et à l’augmentation des immunoglobulines G (IgG), qui découle de l’induction d’une tolérance immunologique.

Alors que l’efficacité de la désensibilisation dans la gestion des troubles respiratoires d’origine allergique (rhinite, asthme) chez l’homme semble bonne, son intérêt lors de dermatite atopique est plus controversé. Chez le chien, elle est utilisée depuis plusieurs décennies et sa mise en place est recommandée par l’ICADA lors de DAC. Elle présente une excellente tolérance sur le long terme, une facilité d’emploi et répond, souvent, à une attente des propriétaires qui y voient un parallèle avec ce qui est réalisé en médecine humaine. La mise en place d’une désensibilisation nécessite, au préalable, d’identifier les allergènes auxquels l’animal est sensibilisé. Pour cela, le clinicien doit choisir entre la réalisation d’intradermoréactions ou le dosage sanguin des IgE sériques spécifiques d’allergènes(1).

Conclusion

La dermatite atopique est une maladie inflammatoire chronique qui nécessite une prise en charge multimodale adaptée à l’animal et à son propriétaire. La prise en charge de base repose sur le contrôle des facteurs aggravants (tels que les piqûres de puces ou les surinfections bactériennes et fongiques), ainsi que sur le soutien de la barrière cutanée défectueuse par voie topique et/ou nutritionnelle. Lorsque cela ne suffit pas, une prise en charge médicamenteuse (antihistaminiques, glucocorticoïdes, oclacitinib, lokivetmab, ciclosporine essentiellement) éventuellement associée à une désensibilisation doit être considérée.

  • (1) Voir l’article “Désensibilistion chez les chiens” de É. Vidémont-Drevon, dans ce numéro.

Références

  • 1. Olivry T, DeBoer DJ, Favrot C et coll. Treatment of canine atopic dermatitis: 2015 updated guidelines from the International Committee on Allergic Diseases of Animals (ICADA). BMC Vet. Res. 2015;11:210.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La dermatite atopique canine (DAC) est une maladie inflammatoire chronique qui nécessite une prise en charge multimodale adaptée à l’animal et à son propriétaire.

→ Les complications infectieuses (bactériennes et fongiques, fréquemment associées à la DAC) doivent systématiquement être recherchées et traitées.

→ La barrière cutanée défectueuse doit toujours être restaurée lors de DAC.

→ La désensibilisation est une option intéressante lors de DAC.

ENCADRÉ

Intérêt des aliments soutenant la barrière cutanée

Les aliments de soutien de la barrière cutanée renferment différents ingrédients visant à soutenir la peau. Parmi ceux-ci, les acides gras essentiels (AGE) occupent une place importante puisqu’il est clairement admis qu’un apport d’AGE, oméga-6/oméga-3, permet de combler, en partie, les défauts lipidiques de la barrière cutanée du chien atopique [1]. Le rapport optimal oméga-6/oméga-3 et leur dose respective ne sont pas connus. L’apport semble néanmoins supérieur lorsque les AGE sont directement apportés par les croquettes plutôt que par un complément alimentaire.

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