Prise en charge chirurgicale d’une fente palatine traumatique chez un chat - Le Point Vétérinaire expert canin n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 385 du 01/05/2018

CHIRURGIE

Cas clinique

Auteur(s) : David Maleca*, Fabien Collard**

Fonctions :
*Clinique Vetalya
10 B, Vieille-Route-de-Salindres,
30340 Saint-Privat-de-Vieux
d.maleca@gmail.com

Une fente palatine cicatrise souvent spontanément. Cependant, il est parfois nécessaire de réaliser une suture lorsqu’un défaut est large ou qu’il persiste pour limiter les complications secondaires à la communication oro-nasale.

La fente palatine est une affection occasionnellement rencontrée chez les chats à la suite d’une défenestration (chats parachutistes) ou d’un accident de la voie publique. Une chatte européenne stérilisée de 4 ans est admise pour une dyspnée sévère et de multiples plaies faciales après une défenestration du quatrième étage. Aucun antécédent médical n’est rapporté.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique d’admission

Le chat est hypovigilant. Une dyspnée restrictive sévère est présente. Les muqueuses sont rose pâle et le temps de recoloration capillaire est inférieur à 2 secondes. Le pouls fémoral est frappé et concordant avec le choc précordial. L’auscultation cardio-pulmonaire montre une atténuation des bruits respiratoires et cardiaques. La fréquence respiratoire est de 160 battements par minute (bpm). L’animal est hypotherme à 36,3 °C et la palpation abdominale ne révèle pas d’anomalies.

De multiples plaies superficielles sont présentes sur la face et une fente palatine large (plus de 3 mm) s’étend sur la totalité du palais dur jusqu’à environ 2,5 mm du palais mou proximal.

2. Examens complémentaires et prise en charge initiale

Une échographie thoracique montre un pneumothorax bilatéral et une thoracocentèse est réalisée. Une radiographie thoracique révèle la persistance d’un léger pneumothorax bilatéral et des images compatibles avec des contusions pulmonaires minimes.

La numération et formule sanguines, la créatininémie, la glycémie et la protidémie sont dans les valeurs usuelles. Le chat est placé sous fluidothérapie (NaCl 0,9 %) avec un bolus à 5 ml/kg. Une analgésie (morphine 0,2 mg/kg, par voie intraveineuse [IV], toutes les 4 heures), un traitement antifibrinolytique (acide tranexamique, Exacyl®, 10 mg/kg, IV, toutes les 8 heures) et une antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique, 20 mg/kg IV, trois fois par jour) sont mis en place, ainsi qu’une oxygénothérapie en cage à saturation en oxygène.

3. Évolution

La vigilance, la fréquence cardiaque et la température du chat se normalisent en 12 heures. La dyspnée régresse aussi en 12 heures. Le sevrage de l’oxygénothérapie est bien toléré 24 heures après l’admission et des radiographies de contrôle montrent une résolution presque totale du pneumothorax 48 heures après la présentation.

La persistance d’une communication oro-nasale importante sans comblement motive la réalisation d’une chirurgie après stabilisation de l’animal, 72 heures après l’admission (photo 1).

4. Intervention chirurgicale

La fente palatine est suturée au moyen d’un lambeau palatin muco-périosté bipédiculé unique, d’avancement médial. Après une induction anesthésique et une intubation oro-trachéale, le chat est placé en décubitus dorsal et une désinfection chirurgicale de la bouche est réalisée. Les marges de la fente sont incisées pour les raviver. Une bande de muqueuse d’environ 1 mm est retirée sur la marge de la fente palatine du côté droit (photo 2). Sur le côté gauche, une incision longitudinale parallèle à la fente est pratiquée immédiatement médialement aux dents. L’incision commence caudalement à la molaire et se termine caudalement à la canine. La muqueuse est incisée sur toute son épaisseur, ainsi que le périoste. Le lambeau ainsi délimité est élevé avec son périoste. Une attention particulière est portée à la préservation de l’artère et de la veine palatines en regard de leur foramen de sortie (photo 3). De même, l’élévation du lambeau est réalisée en prenant garde de ne pas léser ces vaisseaux. Une fracture comminutive de l’os palatin est visualisée au niveau de la marge osseuse gauche de la fente (photo 4). Le lambeau est déplacé médialement et les marges de la fente sont suturées par des points simples au fil tressé résorbable 4/0 (Safil®, acide polyglycolique) (photo 5).

5. Évolution postopératoire

L’analgésie postopératoire est réalisée pendant 24 heures (buprénorphine à 20 µg/kg, IV, quatre fois par jour) et l’antibioprophylaxie est continuée. De la nourriture est proposée 12 heures après l’intervention chirurgicale, mais la chatte refuse de s’alimenter en hospitalisation. Elle est rendue à ses propriétaires 24 heures plus tard avec une antibiothérapie prophylactique pendant 2 jours (amoxicilline-acide clavulanique, 16 mg/kg per os[PO], deux fois par jour) et un traitement anti-inflammatoire pendant 3 jours (méloxicam, 0,05 mg/kg PO, une fois par jour). Elle se réalimente normalement lors de son retour au domicile, avec un aliment humide. Il est demandé aux propriétaires de compacter la nourriture.

Un contrôle 3 semaines après l’acte chirurgical montre une cicatrisation complète de la fente et de la zone laissée ouverte par le déplacement du lambeau.

DISCUSSION

1. Épidémiologie et étiopathogénie

Chez le chat, la fente palatine traumatique est une complication peu courante lors de défenestration, avec une fréquence moyenne de 5 % environ [4]. La communication oro-nasale induite peut entraîner des rhinites chroniques ou des complications respiratoires allant parfois jusqu’à la pneumonie par aspiration [3]. Généralement, un caillot sanguin se forme, obstruant la fente. Un tissu de granulation se met alors en place aboutissant à une guérison spontanée en 2 à 4 semaines [3]. Cependant, une communication oro-nasale peut persister si le tissu de granulation ne comble pas la fente et que les marges s’épithélialisent indépendamment. La fermeture chirurgicale permet de limiter ce risque [3].

2. Choix de la prise en charge

À notre connaissance, aucun consensus n’a été établi sur les conditions justifiant une prise en charge chirurgicale. La nécessité d’une fermeture chirurgicale est donc laissée à l’appréciation du clinicien, qui doit juger de la possibilité d’une fermeture spontanée. Ainsi, les fentes larges non comblées par un caillot sanguin dans les 24 à 48 heures semblent être des indications à une intervention chirurgicale. En raison de la rapidité de cicatrisation de la muqueuse orale, il est probable que, dans ce délai, les marges commencent à s’épithélialiser. Lorsque la fente est comblée par un caillot, une prise en charge non chirurgicale paraît envisageable.

Les chats présentant une fente palatine sont souvent polytraumatisés, en état de choc avec notamment des contusions pulmonaires et/ou un pneumothorax, ce qui rend ces animaux critiques [4]. Une anesthésie peut être risquée dans ce cas de figure et il est donc indispensable d’évaluer la balance bénéfice/risque avant de les opérer. Le temps nécessaire à la stabilisation permet ainsi de suivre l’évolution de la fente et facilite la prise de décision, une fois qu’une anesthésie est envisageable.

3. Prise en charge chirurgicale

Types de techniques

Plusieurs techniques pour le traitement chirurgical des fentes palatines congénitales et traumatiques ont été décrites. La plus adaptée aux fentes traumatiques est celle des lambeaux muco-périostés bipédiculés d’avancement médial [3]. Laquelle consiste à réaliser deux lambeaux, comme dans le cas clinique décrit, et à les suturer médialement. Cette technique, consistant à élever de l’os palatin les deux lambeaux de part et d’autre de la fente, permet de s’affranchir des tensions du périoste inélastique et de les suturer au centre de la fente après débridement des marges. Les incisions de relâchement réalisées parallèlement aux dents mettent ainsi à nu une partie de l’os palatin qui cicatrise par seconde intention. Si le palais mou est aussi atteint, l’élasticité de ce tissu permet d’effectuer deux sutures simples : l’une pour la muqueuse du naso-pharynx, puis l’autre pour la muqueuse de l’oropharynx [3].

Précautions

Comme pour tous lambeaux ou plasties, respecter la vascularisation, et limiter les traumatismes tissulaires iatrogènes et les tensions est crucial pour la réussite de cette chirurgie [2]. La majorité de la vascularisation du lambeau est assurée par l’artère et la veine palatines majeures [3]. Il convient donc de réaliser une dissection méticuleuse des lambeaux en veillant à ne pas léser ces vaisseaux, particulièrement au niveau de leur foramen de sortie de l’os palatin.

Limites des lambeaux

Ce type de lambeaux présente plusieurs limites. Les deux incisions de relâchement doivent cicatriser par seconde intention. De plus, la suture se trouve en tension au milieu de la fente. L’os palatin n’offre pas d’appui au tissu mou et la suture est d’autant plus sollicitée mécaniquement. De plus, aucun apport vasculaire ne provient des tissus sousjacents, ce qui peut limiter la cicatrisation [3].

C’est pourquoi des modifications de la chirurgie classiquement décrite ont été apportées. Dans notre cas, un unique lambeau a été réalisé, ce qui a permis de gagner en temps d’anesthésie chez un chat stabilisé, mais toujours ASA 3 ([American Society of Anesthesiologists], c’est-à-dire « un animal atteint d’une affection systémique grave qui limite son activité, mais sans entraîner d’incapacité »). Selon l’appréciation du chirurgien, l’élasticité gagnée par le lambeau unique était suffisante pour assurer un recouvrement adéquat avec des tensions minimes. Afin de décaler la suture pour qu’elle soit apposée sur l’os palatin, et non dans la fente, une fine bande de muqueuse a été retirée de la marge controlatérale au lambeau. Cette technique permettant de décaler la suture limite les tensions qui lui sont appliquées en l’appuyant contre l’os palatin. De plus, la cicatrisation peut potentiellement être accélérée par l’apport vasculaire sous-jacent. L’unique incision de relâchement permet de découvrir une seule zone d’os, mais plus large que lors de doubles lambeaux. L’intérêt de cette variante paraît limité en ce qui concerne la cicatrisation, mais elle semble intéressante pour le confort de l’animal. Une moitié du palais est laissée intacte, ce qui peut engendrer une moindre douleur et faciliter la reprise de l’alimentation.

Cependant, l’élévation du lambeau a entraîné une importante dévascularisation de la fracture comminutive, augmentant le risque de retard de cicatrisation, d’ostéomyélite et de formation de séquestres osseux. Une technique d’imagerie tomographique aurait permis de visualiser la fracture et le lambeau aurait été prélevé de l’autre côté de la fente si l’os y était moins atteint.

Suture

Un fil résorbable tressé d’acide polyglycolique a été utilisé, lequel est généralement préféré lors de chirurgie de la cavité buccale, bien qu’il n’existe pas de recommandations particulières quant au choix du fil [1]. La zone rendant le retrait difficile, un fil résorbable à moyen terme est intéressant. De plus, il est moins rigide, donc moins irritant (il incite probablement moins le chat à frotter les points de suture avec sa langue et diminue le risque de déhiscence).

4. Gestion postopératoire

Il est déconseillé de réalimenter l’animal par voie orale dans les heures suivant la chirurgie. Une alimentation humide doit être proposée dans les 8 à 24 heures [3]. Dans le cas décrit, un aliment humide de consistance maximale a été conseillé, afin de limiter les contraintes mécaniques lors du repas, tout en évitant que du contenu ne s’insinue sous le lambeau ou dans les interstices des plaies, et entraîne des complications. La mise en place d’une sonde d’oesophagostomie, naso-gastrique ou nasooesophagienne ne présente pas d’intérêt si le chat s’alimente et qu’une nourriture humide lui est apportée [3]. Cependant, cette option est à prendre en considération en cas d’anorexie afin de limiter le risque d’apparition d’une lipidose hépatique.

5. Décision d’antibiothérapie

L’antibiothérapie prophylactique mise en place pour ce cas est discutable. Elle a été choisie à l’admission pour éviter qu’un phénomène infectieux n’accentue le délabrement tissulaire et pour limiter le risque de rhinite. Cependant, son intérêt n’est pas démontré et certains auteurs recommandent l’administration de chlorhexidine diluée en solution ou en gel directement dans la gueule pendant 1 à 2 semaines [3].

Conclusion

Le cas présenté évoque une variante simplifiée de la méthode classiquement décrite pour la fermeture des fentes palatines traumatiques. Elle a permis de diminuer le temps anesthésique, ainsi que le délabrement tissulaire iatrogène. Chez cet animal, d’excellents résultats ont été obtenus, avec une reprise rapide de l’alimentation ainsi qu’une cicatrisation de la fente et de l’ouverture de relâchement.

Références

  • 1. Fossum TW. Surgery of the oral cavity and oropharynx. Small animal surgery. 4th ed. Elsevier Mosby, St. Louis, Mo. 2013:386-416.
  • 2. Hunt GB. Chapter 78 : Local or subdermal flaps. Vet. Surg. Small Anim. 2-Vol. Set. Elsevier Health Sciences. 2013:1243-1255.
  • 3. Reiter AM, Holt DE. Chapter 100 : Palate. Vet. Surg. Small Anim. 2-Vol. Set. Elsevier Health Sciences. 2013:1707-1717.
  • 4. Vnuk D. Feline high-rise syndrome : 119 cases (1998-2001). J. Feline Med. Surg. 2004;6:305-312.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La fente palatine est une affection associée à un traumatisme facial chez le chat.

→ Cette maladie nécessite rarement une prise en charge chirurgicale.

→ La réalisation de lambeaux muco-périostés est requise pour limiter les tensions.

→ Une chirurgie simplifiée, avec un lambeau unique, est réalisable.

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