Le paracétamol - Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier*, Jennifer Blondeau**, Stéphane Queffélec***

Fonctions :
*CNITV, VetAgro Sup,
1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile

Largement présent dans la pharmacie familiale, et jouissant auprès du grand public d’une réputation d’innocuité, le paracétamol est une source d’intoxication fréquente chez les carnivores domestiques, par automédication inappropriée ou par ingestion accidentelle.

Le toxique

Le paracétamol est un analgésique et un apyrétique de synthèse. Quoique fréquemment confondu avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), dont il partage les indications, il n’a que très peu d’effet anti-inflammatoire et possède des propriétés toxicologiques différentes.

Il peut se présenter sous diverses formes : comprimés effervescents ou à avaler, gélules, poudre pour solution orale, sirop pédiatrique (avec seringue graduée en poids pour un dosage de 15 mg/kg), suppositoires, etc.

Si le nom de la spécialité administrée à l’animal est connue par les propriétaires, la composition exacte doit toujours être vérifiée, car le paracétamol peut être associé à d’autres principes actifs (anti-histaminiques, opiacés, vasoconstricteurs, etc.) potentiellement toxiques.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Les principales espèces concernées sont le chien (ingestion accidentelle) et le chat (automédication). Les nouveaux animaux de compagnie peuvent également être touchés.

Le paracétamol arrive dans le trio de tête des toxiques parmi les appels reçus par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) ces 10 dernières années. Il fait partie des premiers incriminés dans les intoxications avérées chez le chat, à un moindre degré chez le chien.

Doses toxiques

Le chat montre une plus grande sensibilité, avec une dose toxique de 40 à 50 mg/kg, voire une méthémoglobinémie dès 10 mg/kg. Pour le chien, celle-ci serait décrite pour des doses dépassant 200 mg/ kg, mais une atteinte hépatique serait possible dès 100 mg/kg (une publication relate une intoxication à 46 mg/ kg, mais cette dose était ingérée quotidiennement pendant 6 mois). Les doses toxiques pour les nouveaux animaux de compagnie ne sont pas établies.

Pathogénie

Le paracétamol, peu toxique en luimême, peut subir plusieurs types de transformations : une sulfatation ou une glucuronidation (moindre chez le chat que chez le chien), qui aboutissent à des métabolites non toxiques mais saturables, ou encore une oxydation, via le cytochrome P450, en N-acétyl-para-benzoquinone– imine (NAPQI), dont les effets toxiques sont normalement limités par la conjugaison avec le glutathion.

Lorsque la dose de paracétamol augmente, la voie du NAPQI devient proportionnellement plus importante. De plus, la synthèse et le stockage cellulaires du glutathion sont diminués. Le NAPQI est toxique. Il se fixe sur les protéines cellulaires et induit leur dysfonctionnement. Il provoque également des dommages aux membranes cellulaires par peroxydation. La baisse du glutathion augmente également la sensibilité aux lésions oxydatives, avec une détérioration du fonctionnement des mitochondries, une diminution de l’adénosine triphosphate et une nécrose cellulaire.

Tableau clinique

Première phase

La première phase apparaît entre 1 et 4 heures après l’ingestion chez le chat et jusqu’à 12 heures après chez le chien. Elle est dominée par la méthémoglobinémie, qui se traduit par un sang brun chocolat, avec une cyanose des muqueuses, une dyspnée, une tachycardie et une tachypnée. Des troubles digestifs sont possibles : anorexie, salivation, vomissements. Cette phase initiale peut être discrète, voire inexistante, chez le chien. Chez le chat, elle est plus intense, avec une altération de l’état général et une hypothermie. Un oedème essentiellement de la face, éventuellement des membres antérieurs, peut occasionnellement se développer dans les 48 heures chez le chat, plus rarement chez le chien.

Seconde phase

La seconde phase est plus tardive, de 36 heures à 7 jours après l’ingestion. Elle correspond à l’atteinte hépatique (nécrose centro-lobulaire), à laquelle le chien est cette fois plus sensible que le chat. Des troubles neurologiques peuvent lui être associés (encéphalose hépatique). Dans le même temps, une hémolyse consécutive à la méthémoglobinémie est observée. Elle peut entraîner une anémie et un ictère (pré-hépatique et hépatique).

Examens complémentaires

La recherche de paracétamol dans le sang est possible, mais rarement réalisée en pratique. Le diagnostic repose en premier lieu sur les commémoratifs, l’interrogatoire devant être mené avec tact pour ne pas inciter le propriétaire à dissimuler une automédication maladroite.

Lors de la prise de sang, la couleur anormale de ce dernier est visible. Le dépôt d’une goutte de sang sur un papier absorbant blanc permet de mieux différencier la couleur brune d’un simple assombrissement à la suite d’une mauvaise oxygénation. Sur un frottis, des corps de Heinz peuvent être visibles à la périphérie interne des hématies dans les 72 heures suivant l’ingestion.

Plus tardivement, l’analyse sanguine met en évidence une anémie et des signes d’atteinte hépatique : augmentation des concentrations en alanine amino-transférases (Alat) et plus ou moins en phosphatases alcalines (PAL), ainsi que de la bilirubinémie totale. Des troubles de la coagulation surviennent aussi parfois à la suite de la défaillance hépatique.

L’analyse urinaire peut révéler une hémoglobinurie, une hématurie et une bilirubinurie.

Traitement

En cas d’ingestion récente, une décontamination digestive est recommandée, quoique la rapidité d’absorption limite son efficacité : vomitif précoce, charbon végétal activé, sous réserve de ne pas interférer avec les traitements administrés per os(PO).

Traitement spécifique

→ Le traitement spécifique majeur est la N-acétylcystéine, dont l’intérêt est triple. Cette molécule joue un rôle métabolique (en favorisant la voie de la sulfatation et en réagissant avec le NAPQI pour former un métabolite inactif), lutte contre la méthémoglobinémie (réduction en hémoglobine) et agit comme un protecteur hépatique. Elle est à instaurer le plus tôt possible (à tenter dans tous les cas pour le chat et dans les 72 heures pour le chien), selon le protocole suivant :

– dose d’attaque : 140 mg/kg ;

– dose d’entretien : 70 mg/kg toutes les 6 à 8 heures pendant 48 à 72 heures, voire plus selon l’évolution clinique.

Elle peut s’utiliser par voie intraveineuse (IV) lente ou PO. Les formes injectables, appartenant à la pharmacopée humaine d’usage hospitalier, sont toutefois inaccessibles en pratique. Par la voie orale, des spécialités vétérinaires (Equimucin®, avec une autorisation de mise sur le marché [AMM] chez le cheval) ou humaines existent. Ce sont souvent des présentations en sachet de 200 mg, peu adaptées à l’administration aux posologies recommandées et qui peuvent éventuellement contenir du xylitol, un édulcorant toxique pour le chien. Une solution pour instillation endo-trachéo-bronchique (MucomystEndo®) peut aussi être utilisée. Chez le chien et le chat, elle est administrée PO, voire par sondage naso-gastrique selon l’état clinique de l’animal ou le rejet lié à l’amertume du produit.

Les publications mentionnent la possibilité d’utilisation IV, avec un filtre de 0,2 µm, de solutions non prévues pour l’injection. Cela reste de la responsabilité du vétérinaire, selon le rapport bénéfices/risques.

→ De la vitamine C peut être prescrite en complément pour le traitement spécifique de la méthémoglobinémie, par voie IV ou PO, à raison de 30 à 40 mg/kg, renouvelés toutes les 6 à 8 heures sur 36 à 48 heures. D’autres protecteurs hépatiques (silymarine par exemple : 25 à 50 mg/kg) pourraient aussi être bénéfiques.

Traitement de soutien

Un traitement symptomatique et de soutien doit être instauré. Il comprend au minimum une oxygénothérapie et une perfusion (Ringer lactate). D’autres mesures sont à mettre en place selon l’état clinique de l’animal : réchauffage, transfusion si besoin, etc.

Pronostic

Le pronostic dépend de la dose ingérée et de la précocité du traitement. Il est meilleur quand celui-ci est initié dans un délai de 14 heures pour le chat et de 72 heures pour le chien. Chez le chat, la mortalité intervient le plus souvent dans les 24 à 48 heures. Le pronostic est plus favorable si l’animal passe le cap des 3 premiers jours. Chez le chien, la sensibilité à l’atteinte hépatique est plus tardive, la méfiance doit donc être de mise. En cas d’atteinte hépatique sévère ou de coma, le pronostic est particulièrement sombre.

En savoir plus

– Osweiler GD, Hovda LR, Brutlag AG et coll. Blackwell’s five-minute veterinary consult clinical companion : Small animal toxicology. Wiley.Blackwell. 2011 : 865p.

– Peterson ME, Talcott PA. Small animal toxicology. 3rd ed. Saunders Elsevier. 2013 : 911 p.

– Savigny M, McIntire DK. Acetaminophen toxicity in cats. Compendium standards of care : Emergency and critical care medicine. 2005 ; 7(3): 8-11.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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