La protéine C-réactive chez le chien : intérêt, utilisation, interprétation - Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Mélanie Garcia*, Morgane Canonne**, Ghita Benchekroun***

Fonctions :
*Centre Micen Vet,
58, rue Auguste-Perret, 94000 Créteil
**Service de médecine interne,
Centre hospitalier universitaire d’Alfort
(CHUVA–ENVA), 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort

Le dosage de la protéine C-réactive se révèle utile pour suivre la réponse au traitement lors de certaines affections. Son utilisation en tant qu’outil diagnostic est restreinte.

La protéine C-réactive (CRP) a fait l’objet de multiples études quant à son utilisation dans le diagnostic et le suivi de diverses affections chez le chien. Pour un individu donné, le suivi longitudinal de cette protéine inflammatoire peut permettre de préciser le pronostic ou encore de moduler le traitement antibiotique ou immunomodulateur [13, 22, 27].

1 Généralités

La CRP est une des premières protéines de la phase aiguë (PPA) de l’inflammation à avoir été décrite et investiguée chez le chien. Dans cette espèce, la CRP et la protéine sérum amyloïde A (SAA) sont des PPA majeures. La supériorité diagnostique de la CRP sur la SAA chez le chien est controversée et une bonne corrélation positive entre les deux a été identifiée [25]. Une étude publiée en 2003 évaluant les PPA chez les chiens présentant une leishmaniose a montré une faible sensibilité et un moindre intérêt diagnostique de la SAA par rapport à la CRP [14]. Cependant, des travaux plus récents incluant des chiens atteints de différentes affections (traumatismes, chirurgie, pneumonies par fausse déglutition, polyarthrites, pyomètres, etc.) ont conclu à une supériorité de la SAA dans le diagnostic de l’inflammation comparativement à la CRP [5]. Ces deux PPA sont actuellement considérées comme de très bons marqueurs de l’inflammation dans l’espèce canine (figure 1) [5]. Chez le chat, la SAA est un marqueur majeur de l’inflammation(1).

La synthèse hépatique de la CRP augmente rapidement lors d’inflammation (délai de 6 heures environ après une intervention chirurgicale, par exemple) sous l’influence des cytokines produites par les neutrophiles et macrophages, avec un pic observé environ 24 à 48 heures après l’événement déclenchant [6, 7].

La CRP joue un rôle fondamental dans la protection face aux infections, dans l’élimination des tissus endommagés, la prévention de l’auto-immunisation et la régulation de la réponse immunitaire(2) [19].

La CRP canine est très similaire à la CRP humaine sur le plan moléculaire, à l’exception des sous-unités 2 et 5 qui sont glycosylées chez le chien, ce qui explique les limites de l’utilisation des kits rapides de dosage humains dans le dosage de la CRP canine [3]. De manière générale, son dosage se fait par immunohistologie (technique Elisa) en utilisant des anticorps spécifiquement dirigés contre la CRP canine.

2 Applications cliniques du dosage de la CRP

Applications générales

La CRP est un marqueur inflammatoire dont le dosage est désormais souvent utilisé chez le chien. Elle peut être utilisée en complément de la numération leucocytaire dans différentes maladies telles que la pancréatite, la méningite répondant aux glucocorticoïdes (en anglais, steroid responsive meningitis-arteritis[SRMA]) ou la maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) [11]. La valeur pronostique de ce marqueur inflammatoire reste néanmoins faible [11]. Cependant, lors de pancréatite ou de syndrome de réponse inflammatoire systémique (en anglais, systemic inflammatory response syndrome [SIRS]), l’absence de diminution de la concentration sérique de la CRP 2 à 3 jours après le début du traitement médical est corrélée à une diminution de la survie [11, 12].

La CRP est utilisée dans l’évaluation de la réponse au traitement dans de nombreuses maladies. De manière plus précise, il existe des applications de l’utilisation de la CRP dans différentes spécialités médicales.

Applications particulières

GASTROENTÉROLOGIE

L’augmentation de la concentration de la CRP lors d’entéropathie chronique est modérée [17]. Cependant, il a été récemment observé qu’elle est plus marquée chez les chiens atteints d’entéropathie exsudative en comparaison à ceux qui présentent une intolérance alimentaire [8].

La production de CRP est hépatique et stimulée par les cytokines lors d’inflammation. Chez l’homme, CRP est élevée lors de tumeur du foie ou de stéatose hépatique. Chez le chien, 39 % des animaux avec une hépatopathie présentent une augmentation de la CRP. Cependant, cette hausse ne permet pas d’identifier la cause primaire puisqu’elle est retrouvée dans les affections inflammatoires et non inflammatoires (shunt porto-systémique [SPS], hépatite chronique ou tumeur hépatique) [7]. De manière intéressante, les chiens présentant un SPS avec une encéphalose hépatique ont une concentration sérique de CRP supérieure à celle des chiens avec un SPS sans encéphalose [9].

MALADIES DYSIMMUNITAIRES

Dans de nombreuses affections à médiation immunitaire, la CRP constitue un bon biomarqueur de l’évolution de la maladie. Lors d’une anémie hémolytique à médiation immune (AHMI), son dosage permet l’identification des chiens en rémission avec une spécificité de 100 % et une sensibilité de 65 %, qui peut être augmentée jusqu’à 88 % lorsque le dosage de la CRP est combiné à celui de la tyrosine kinase 1 (TK-1) [10]. Lors d’évolution favorable de l’AHMI, la concentration de la CRP diminue plus précocement que la numération leucocytaire [18].

Chez les chiens atteints d’une SRMA, la diminution de la CRP est corrélée à celle de la pléocytose du liquide cérébro-spinal (LCS) (augmentation de la cellularité mononucléée dans le LCS, avec un comptage cellulaire supérieur à 5 cellules/ìl lors d’obtention de l’échantillon par voie atlanto-occipitale et à 8 cellules/µl lors d’un prélèvement lombaire). Le dosage de la CRP peut ainsi être utilisé comme une solution alternative à la ponction de LCS dans le suivi des chiens atteints (figure 2 et photo 1) [2]. Il est aussi rapporté dans les articles publiés que les animaux avec des symptômes évocateurs d’une récidive clinique présentent une augmentation de la CRP plus précoce que la réapparition d’une leucocytose sanguine ou d’une pléocytose dans le LCS [13].

Lors de polyarthrite dysimmunitaire, la sensibilité de la CRP comme marqueur de la réponse au traitement immunomodulateur est controversée [10, 22]. Dans l’étude la plus récente, sa sensibilité dans l’évaluation de la réponse au traitement a été estimée à 13 % en utilisant l’examen cytologique du liquide synovial comme gold standard [10]. D’après ces résultats, il n’est pas recommandé de remplacer l’évaluation du liquide synovial par le dosage de la CRP pour apprécier la réponse au traitement. Les diminutions de doses des traitements immunomodulateurs dans ce contexte devraient donc idéalement se décider sur la base de l’examen cytologique du liquide synovial.

AFFECTIONS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

La CRP ne semble pas intéressante dans l’évaluation d’autres affections neurologiques que la SRMA. L’étude de Bathen-Noethen et coll. a mis en évidence que les chiens atteints de SRMA présentent une augmentation de la concentration de la CRP dans le LCS et dans le sérum, ce qui n’est pas le cas des animaux atteints d’autres affections inflammatoires du système nerveux central, telles qu’une méningo-encéphalite ou un processus tumoral [2]. L’utilisation de la CRP a été évaluée dans la détermination d’une origine neurologique de troubles mictionnels. Cependant, elle ne s’est pas avérée utile dans ce contexte [1].

MALADIES INFECTIEUSES

Une augmentation de la concentration sérique de la CRP a été identifiée dans de multiples maladies infectieuses chez le chien : leishmaniose, leptospirose, ehrlichiose, parvovirose, spirocercose. Lors d’ehrlichiose ou de leishmaniose, le dosage de la CRP aide à déterminer le statut clinique de l’animal [15, 21]. Lors de leishmaniose, il reflète une rémission clinique plus précocement que les marqueurs classiquement utilisés dans le suivi de cette affection (hyperprotéinémie, hyperglobulinémie, sérologie) [15].

PNEUMOLOGIE

Dans les cas d’atteinte pulmonaire, la CRP a été identifiée comme un outil diagnostique des pneumopathies bactériennes chez le chien et comme un outil de suivi thérapeutique [26, 27]. Lors de bronchopneumopathie, une CRP supérieure à 100 mg/l permet de conclure à une origine bactérienne avec 100 % de spécificité, selon une étude de 2014 (photo 2) [26]. De plus, une étude récente a évalué l’utilisation de la CRP dans la modulation de la durée du traitement antibiotique dans ce contexte. L’arrêt de l’antibiothérapie une semaine après la normalisation de la CRP permettrait de réduire la durée du traitement sans récidive ultérieure [27]. Cependant, ce protocole n’a été évalué que chez 8 chiens et des études plus larges sont nécessaires avant de valider cette conduite à tenir.

ONCOLOGIE

La concentration sérique de la CRP est augmentée lors de processus néoplasiques (mastocytome, sarcome, lymphome multicentrique, etc.) chez le chien [4, 21]. Une diminution de la CRP est observée chez ceux qui sont en rémission complète d’un lymphome multicentrique. En revanche, lors de rémission partielle, aucune modification significative n’est observée [21].

URO-NÉPHROLOGIE

L’augmentation des concentrations sérique et urinaire de la CRP a été identifiée lors de néphropathie d’origine indéterminée et de leishmaniose [16, 23]. La valeur de la CRP est positivement corrélée avec la concentration sérique de créatinine et le degré de protéinurie [23]. Cependant, les études à ce sujet restent limitées.

Le caractère pronostique de la CRP n’est pas encore bien déterminé. En cas de parvovirose, elle peut être un facteur pronostique de mortalité avec une sensibilité de 91 % et une spécificité de 61 % sur la base d’un seuil de 92,4 mg/l [12]. Lors de pancréatite, il n’y a pas de différence significative dans les mesures de la CRP sérique à l’admission chez les chiens qui survivent et chez ceux qui meurent. Néanmoins, une différence significative entre ces deux groupes est constatée les troisième et quatrième jours de l’hospitalisation. Un seuil de 65 mg/l permettrait, à ce stade de l’hospitalisation, de préciser le pronostic de survie des chiens atteints de pancréatite [24].

Ces chiffres ne permettent pas d’établir un seuil décisionnel car il existe des variations analytiques entre les différentes méthodes de mesure de la concentration de la CRP, mais ils peuvent être utilisés comme un élément d’orientation concernant le pronostic (tableau).

3 Limites de l’utilisation de la protéine C-réactive

Malgré une très bonne sensibilité, la CRP demeure un marqueur peu spécifique qui permet exclusivement l’identification d’un processus inflammatoire même chez des animaux asymptomatiques.

Dans certaines affections (par exemple, 32 % des chiens atteints d’un lymphome multicentrique), la concentration de CRP reste dans les intervalles de référence, ce qui limite son utilisation dans l’évaluation de l’évolution de la maladie à moyen et à long terme [21]. Certains auteurs ont proposé d’utiliser une cinétique pour chaque animal, afin de pouvoir suivre la réponse au traitement quelle que soit la valeur initiale [17].

L’effet des différents traitements sur la CRP semble peu marqué. Toutefois, certains auteurs ont émis l’hypothèse d’une éventuelle augmentation à la suite des traitements de chimiothérapie (radicaux libres libérés des cellules tumorales lysées et réaction inflammatoire secondaire).

Néanmoins, cette hypothèse n’a pas été étudiée ni en médecine vétérinaire ni en médecine humaine [21].

Conclusion

Le dosage de la CRP demeure un outil de suivi très utile. Cependant, son intérêt dans les démarches diagnostique et pronostique doit encore faire l’objet d’études complémentaires à plus large échelle. La combinaison du dosage de la CRP avec celui d’autres marqueurs de l’inflammation pourrait permettre de renforcer son intérêt diagnostique.

  • (1) Voir l’article “La protéine sérique amyloïde A : un marqueur de la réaction inflammatoire aiguë chez le chat” de C. Trumel et coll., dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Phase aiguë de l’inflammation et protéines de l’inflammation” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

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