Extraction de fragments métalliques du canal vertébral assistée par vidéo-endoscopie - Le Point Vétérinaire expert canin n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 385 du 01/05/2018

TRAUMATOLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Luis Matres-Lorenzo*, Fabrice Bernard**

Fonctions :
*CHV Massilia,
121, avenue de Saint-Julien,
13012 Marseille
**CHV Saint-Martin,
74370 Saint-Martin-Bellevue

Paralysie ou paraplégie post-traumatiques sont réputées irréversibles, mais ce n’est pas toujours vrai. Les avancées de la technologie, comme l’assistance vidéo, permettent même de minimiser les effets collatéraux de certaines corrections.

Chez le chat, les lésions traumatiques représentent 13 % des atteintes de la moelle épinière [8]. Les causes les plus fréquentes sont les accidents de la voie publique et les chutes. Les blessures par arme à feu ne représentent que 2,1 % des cas chez les carnivores domestiques [5, 6]. L’extraction chirurgicale n’est pas systématique, sauf en cas de compression de tissus ou d’organes fragiles, ou de risque de toxicité locale sur certains tissus, comme la moelle épinière. Déjà décrite dans d’autres espèces pour des indications différentes, l’utilisation d’un arthroscope a permis de mieux visualiser les fragments et d’avoir des gestes plus précis pour leur extraction.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Un chat européen mâle castré de 2 ans est admis dans le service des urgences pour l’évaluation d’une paralysie aiguë des membres postérieurs qui est apparue depuis moins de 24 heures et associée à une blessure très vraisemblablement par balle sur le flanc gauche.

2. Examen clinique

L’examen clinique met en évidence une paraplégie des membres postérieurs, une douleur à la palpation de la colonne lombaire et une plaie cutanée circulaire de 9 mm au niveau de la sixième vertèbre lombaire. La palpation abdominale est souple et la vessie très dilatée. Le reste de l’examen clinique est normal.

3. Examen neurologique

L’évaluation neurologique révèle une paraplégie associée à une paralysie de la queue. La proprioception consciente est absente sur les deux membres postérieurs. La perception de la douleur profonde est présente pour le membre pelvien gauche (atteinte neurologique de grade IV), mais absente sur le membre pelvien droit et la queue (atteinte neurologique de grade V) [10]. Les réflexes patellaires et de retrait sont absents pour les deux membres. Le réflexe périnéal est normal. Aucune autre anomalie n’est détectée à l’examen neurologique. La vessie peut être vidangée manuellement facilement. Les résultats de l’examen sont en faveur d’une atteinte neurologique de type motoneurone périphérique au niveau du segment médullaire L4-S1.

4. Diagnostic différentiel

Une paralysie d’apparition brutale associée à une plaie dorsale dans la zone correspondant à la neurolocalisation de la lésion spinale évoque un traumatisme avec atteinte de la moelle épinière. Le diagnostic différentiel inclut un corps étranger perforant, une fracture ou une luxation vertébrale, et une hernie discale concomitante.

Examens complémentaires

Le bilan sanguin complet (hémogramme, profil biochimique et ionogramme) ne présente pas d’anomalie.

Deux radiographies orthogonales de la colonne lombaire sont réalisées sous sédation (médétomidine, 5 µg/kg par voie intraveineuse [IV] et morphine, 0,2 mg/kg par voie intramusculaire [IM]). La seule anomalie objectivée est la présence de plusieurs fragments de densité métallique dans le canal vertébral en regard de la sixième vertèbre lombaire. (photo 1).

Un examen tomodensitométrique a été réalisé sous anesthésie générale. Trois éléments métalliques de 3 à 7 mm de diamètre sont situés dans la lumière du canal vertébral de L6. Des éléments de petite taille de densité osseuse sont également présents dans le canal vertébral (photo 2).

5. Traitement chirurgical

Après le scanner, le chat est placé en décubitus sternal et préparé pour l’intervention chirurgicale. Une mini-hémilaminectomie gauche est réalisée au niveau du pédicule de L6 afin d’agrandir l’orifice créé par la pénétration de la balle. L’extrémité d’un arthroscope de 2,4 mm, avec une lentille à 30°, avec la canule de protection est introduite dans le canal rachidien (photo 3). La magnification (grossissement) et la visualisation à 30° par rapport à l’axe de l’arthroscope permettent d’évaluer avec précision les lésions de la moelle épinière, de visualiser précisément l’emplacement des différents fragments métalliques et osseux, ainsi que d’autres corps étrangers non détectés au scanner (fragments de poils, notamment). Les fragments de plomb sont extraits à l’aide d’instruments d’arthroscopie (pinces à préhension) passés au travers de la mini-hémilaminectomie (photo 4). Une mini-laminectomie dorsale, permettant de retirer la moitié caudale de la lamina de L6, et laissant intacts le processus épineux et les processus articulaires, est effectuée pour aider au retrait du reste des fragments de plomb (photo 5).

Des radiographies postopératoires permettent de confirmer le retrait de tous les morceaux.

Le chat reste hospitalisé 5 jours après l’intervention chirurgicale pour gérer la douleur (morphine, 0,2 mg/kg par voie sous-cutanée [SC], toutes les 4 heures pendant 24 heures, et anti-inflammatoires non stéroïdiens, SC, une fois par jour pendant 4 jours). La vessie est vidangée initialement manuellement deux à quatre fois par jour en raison de la lésion de type motoneurone périphérique, en attendant une éventuelle récupération fonctionnelle. Le relâchement du tonus musculaire du sphincter vésical est facilité grâce à l’administration de diazépam (0,5 mg/kg, deux fois par jour) et de prazosin (0,1 mg/kg, per os[PO]) pendant 10 jours.

6. Suivi

Pour le retour de l’animal sur son lieu de vie, ses propriétaires ont pour instructions de poursuivre la physiothérapie et la vidange manuelle de la vessie deux fois par jour. Lors de la visite de suivi 8 semaines après l’intervention chirurgicale, le chat est ambulatoire et présente une démarche plantigrade avec un pas pelvien exagéré : il jette le membre pelvien en avant. Cette démarche est associée à une dysfonction du nerf sciatique. La vessie doit encore être vidangée manuellement par les propriétaires deux fois par jour. L’examen neurologique montre une paraparésie avec un déficit proprioceptif marqué et une amyotrophie sévère des deux membres postérieurs, associés à une paralysie persistante de la queue. Les réflexes de retrait et patellaires sont toujours absents. La perception de la douleur profonde est de nouveau présente sur le membre postérieur droit. Lors du dernier suivi à 24 mois, les propriétaires rapportent que le chat est capable de monter et de descendre les escaliers, et de sauter sur une chaise. Et il bouge la queue. Les examens biochimique et cytobactériologique urinaires n’ont révélé aucune anomalie (photo 6).

DISCUSSION

Ce cas clinique est, à notre connaissance, la première description de la gestion chirurgicale spécifique d’une atteinte par balle de la moelle épinière chez un chat. En même temps, aucun cas de décompression de la moelle épinière assistée par endoscopie n’a encore été publié chez le chat.

1. Pathogénie

Plusieurs études chez l’homme démontrent les avantages de la décompression de la moelle épinière pour permettre une meilleure récupération fonctionnelle, lorsque des lésions par balle sont situées caudalement à T12 [3]. Les dommages occasionnés par la compression du corps étranger (oedème vasogénique, démyélinisation et dégénération axonale) peuvent être limités grâce à une décompression rapide. La présence de particules de métaux lourds peut conduire à une intoxication chimique directe et à une inflammation secondaire [1]. Dans une étude récente, la moelle épinière d’un lapin a présenté des réactions différentes en fonction des types de métaux et de leur localisation [12]. Des fragments de métaux lourds en position extradurale n’ont pas entraîné de neurotoxicité locale. En revanche, des morceaux de balles de cuivre ou de plomb en position intradurale sont à l’origine d’une zone de destruction neuronale. Dans le cas décrit, le retrait chirurgical de fragments de plomb a été associé à une amélioration clinique.

2. Technique chirurgicale

Afin de retirer les fragments sans induire d’autres dommages aux structures nerveuses, un arthroscope de 2,4 mm avec une lentille à 30° est utilisé. C’est l´intérêt d´un moyen de grossissement. Le microscope peropératoire peut aussi être employé. Des techniques chirurgicales mini-invasives ont été décrites pour la gestion des hernies discales lombaires, lombo-sacrées ou cervicales chez le chien [2, 7, 12].

L’intervention chirurgicale réalisée chez ce chat n’a pas pour objectif d’être une procédure totalement mini-invasive. Cependant, le grossissement et l’éclairage fournis par l’utilisation d’un arthroscope facilitent la localisation et la récupération des morceaux de plomb et d’os tout en minimisant la manipulation et l’ouverture du canal vertébral. L’abord local a été limité à une mini-hémilaminectomie et à une laminectomie dorsale minime, diminuant le risque d’instabilité vertébrale postopératoire, d’autant plus que la vertèbre a déjà été endommagée par la balle. À la différence d’un microscope chirurgical ou de loupes binoculaires, l’angle de visualisation de 30° procuré par l’arthroscope permet la visualisation des fragments sur différents angles (figures 1 et 2). Malgré le pronostic réservé, l’animal a montré une amélioration progressive de la fonction locomotrice de ses membres postérieurs tout au long du suivi de 24 mois. La nociception profonde est présente sur l’un des membres postérieurs lors de la présentation de ce chat. Cela permet d’exclure une section complète de la moelle épinière par le projectile. Les propriétaires sont informés du pronostic réservé concernant la récupération fonctionnelle en raison de la perte de sensibilité profonde de l’autre patte arrière et de la forte probabilité de lésions significatives de la moelle épinière.

Chez ce chat, le retrait des fragments de plomb est effectué à la fois pour décomprimer les tissus nerveux et pour prévenir la toxicité locale sur la moelle épinière. Même si beaucoup de chats et de chiens de chasse ne semblent pas subir ces effets secondaires à la présence de plombs dans le corps, cette toxicité sur les tissus nerveux est démontrée [1, 12].

3. Pronostic

Il existe peu d’informations sur l’évolution à long terme d’une atteinte nerveuse sévère secondaire à une blessure par balle chez le chat. La plupart des cas rapportés dans les publications se sont conclus par une euthanasie immédiatement ou quelques jours après le traumatisme lorsqu’une perte de nociception était constatée au moment du diagnostic [4, 9, 11]. Le cas décrit montre une récupération de la nociception après traitement chirurgical. Comme d’autres auteurs l’ont décrit précédemment, certains chats peuvent avoir un pronostic favorable après une lésion de la moelle épinière si la nociception profonde est présente sur une portion d’un membre ou de la queue [4]. Lors de perte partielle ou totale de la perception douloureuse profonde sur les membres postérieurs, il a été démontré que le délai entre la lésion de la moelle épinière et l’intervention de décompression est déterminant pour le pronostic [9]. Dans le cas présenté, le chat a été opéré immédiatement après présentation.

Conclusion

L’évolution favorable de ce cas semble indiquer que la décompression de la moelle épinière avec retrait des corps étrangers doit être envisagée lors d’atteinte par balle chez le chat, même en présence de déficits neurologiques graves. L’exploration chirurgicale vidéo-assistée du canal rachidien permet d’améliorer la visualisation et de limiter les lésions supplémentaires, le cas échéant, du canal vertébral et de la moelle au cours de l’acte. Ce cas clinique est, à notre connaissance, la première description de la présentation à la fois clinique et neurologique, du bilan radiographique et de scanner et des résultats de la gestion chirurgicale à long terme d’une blessure par balle sévère de la moelle épinière chez un chat. L’utilisation de la vidéo pour assister la décompression spinale n’avait pas encore été rapportée chez le chat. C’est une proposition qui semble prometteuse, mais qui reste à confirmer avec d’autres exemples.

Références

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  • 2. Carozzo C, Cachon T, Gabanou P et coll. Videoassisted surgery for spinal cord decompression. Proceedings from the European College of Veterinary Surgeons 18th Annual Scientific Meeting, 2009 July 2-4, Nantes. 2009:632-624.
  • 3. Fehlings MG. Editorial : Recommendations regarding the use of methylprednisolone in acute spinal cord injury : making sense out of the controversy. Spine. 2001;26:S56-S57.
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  • 8. Marioni K. Feline spinal cord disease : differential diagnosis and their relative incidence. Research Abstracts of the 20th Annual ACVIM Forum, Dallas. 2002:26-767.
  • 9. Olby N, Levine J, Harris T et al. Long-term functional outcome of dogs with severe injuries of the thoracolumbar spinal cord : 87 cases (1996-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222:762-769.
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  • 11. Selcer RR. Management of vertebral column fractures in dogs and cats : 211 cases (1977-1985). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1991;198:1965-1968.
  • 12. Tindel N, Marcillo A, Tay B et coll. The effect of surgically implanted bullet fragments on the spinal cord in a rabbit model. J. Bone Joint Surg. Am. 2001;83(6):884-890.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Un chat paraplégique de 2 ans est traité chirurgicalement par vidéo-assistance pour une blessure par balle de la moelle épinière et bénéficie d’une bonne récupération neurologique.

→ Le pronostic après une lésion de la moelle épinière est favorable si la nociception profonde est présente sur une portion d’un membre ou de la queue.

→ L’intervention doit être rapide et la moins agressive possible.

→ L’utilisation d’un vidéo-endoscope durant la décompression spinale diminue le risque d’instabilité vertébrale postopératoire, et facilite la localisation et la récupération des morceaux de plomb et d’os tout en minimisant la manipulation des tissus nerveux environnants.

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