Angiostrongylose oculaire chez un cavalier king charles - Le Point Vétérinaire expert canin n° 384 du 01/04/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 384 du 01/04/2018

OPHTALMOLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Mario Cervone*, Laurent Bouhanna**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de Château-Gombert,
283, chemin de Château-Gombert,
13013 Marseille
MarioCervone@live.it
**Clinique vétérinaire du Docteur-Kupfer,
17, boulevard des Filles-du-Calvaire,
75003 Paris
l.bouhanna@noos.fr

L’angiostrongylose oculaire est rare et survient lors de migration aberrante du parasite dont l’exérèse chirurgicale doit alors être pratiquée. Un foyer vasculaire pulmonaire primitif doit être recherché.

Un chien mâle castré cavalier king charles, originaire du nord de la France et âgé de deux ans, est présenté pour l’exploration d’un blépharospasme et d’un sévère larmoiement évoluant depuis quelques jours. Il est à jour de ses vaccins et correctement vermifugé et traité contre les parasites externes. Il est nourri avec des croquettes de grande surface et n’est jamais sorti du territoire français métropolitain. Les propriétaires ne rapportent pas d’antécédents pathologiques.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique

L’examen clinique général met en évidence un réflexe laryngo-trachéal positif, induisant une toux faible et productive. L’auscultation des champs pulmonaires révèle une augmentation discrète des bruits broncho-alvéolaires expiratoires. L’examen cardio-vasculaire est normal.

L’examen ophtalmologique à distance révèle un blépharospasme sévère de l’œil gauche, accompagné d’un épiphora, d’une procidence de la membrane nictitante, d’une photophobie, d’un myosis très marqué et d’une hyperhémie conjonctivale. La réponse de clignement à la menace est présente, le “dazzle reflex” et les réflexes photomoteurs directs et consensuels le sont également.

L’examen des culs-de-sac et de la muqueuse conjonctivaux ne révèle pas d’anomalie. En revanche, l’examen biomicroscopique à la lampe à fente met en évidence un nématode (d’environ 2 cm de longueur), vivant librement dans la chambre antérieure de l’œil gauche et qui bouge en réponse aux stimuli lumineux (photo 1).

Une rubéose de l’iris et un œdème cornéen sont notés en regard de la cornée de l’œil gauche, associés à un effet Tyndall positif en regard de la chambre antérieure, l’examen de l’œil droit étant normal. Le fond d’œil est normal.

La pression intraoculaire est sensiblement identique entre l’œil droit et l’œil gauche (14 mmHg et 16 mmHg, respectivement). Les tests de Schirmer et à la fluorescéine ainsi que l’examen du segment postérieur et du fond d’œil ne mettent pas d’anomalies en évidence.

La découverte d’un ver long intraoculaire conduit à envisager les nématodes à possible localisation oculaire, dont quatre ont été décrits comme pouvant migrer dans la chambre intérieur de l’œil : Angiostrongylus vasorum, Onchocerca lupi, Dirofilaria immitis et, plus rarement, Toxocara canis [5, 6, 9].

2. Examens complémentaires

La numération et la formule sanguines et le frottis sanguin se révèlent normaux.

La technique de Knott modifiée ne retrouve pas de microfilaires dans la circulation sanguine périphérique. Le test antigénique pour la recherche d’antigène de D. immitis (Snap 4DX®, Idexx Laboratoires) est négatif.

Deux clichés radiographiques thoraciques, de face et de profil, montrent une opacification pulmonaire diffuse modérée de type broncho-alvéolaire, plus marquée en regard des lobes pulmonaires caudaux, en région antéro-diaphragmatique.

L’examen des selles par flottation à basse densité (solution saline, densité : 1,2) ainsi que par flottation avec une solution à haute densité (solution de zinc, densité : 1,3) est négatif. En revanche, la méthode de Baermann est positive pour la présence de nombreux éléments parasitaires, dont l’aspect est évocateur de larves L1 (primaire stade larvaire) de strongles pulmonaires. À l’examen microscopique, les larves sont vivantes et très mobiles (aucune micrométrie n’étant disponible, la mesure des larves n’a pas été réalisée) (photo 2a). L’examen morphologique de leur extrémité caudale montre une partie terminale homogène, pourvue d’une épine dorsale et de deux entailles, dorsale et ventrale respectivement (photo 2b). En raison de leurs caractéristiques morphologiques, ces éléments parasitaires sont compatibles avec des larves L1 d’A. vasorum [7].

3. Extraction microchirurgicale

Un protocole anesthésique associant de l’acépromazine en prémédication, du propofol en induction, puis de l’isofluorane en maintenance est mis en place. Après fixation du globe oculaire à l’aide de quatre fils suturés aux quatre muscles droits de l’œil, l’extraction du parasite est réalisée avec une pince à capsulorhexis à travers une incision cornéenne de 2 mm, pratiquée à 1 mm du limbe (photo 3). La chambre antérieure est ensuite rincée avec une solution de Ringer lactate et d’adrénaline, afin de prévenir les microsaignements de l’uvée. Puis la cornée est suturée et une injection sous-conjonctivale de 0,2 ml d’acétate de méthylprednisolone est pratiquée, pour limiter l’inflammation postchirurgicale. Le parasite est ensuite gardé dans une solution alcoolique et soumis à des analyses morphologiques.

4. Traitement oculaire

Un traitement local avec la combinaison framycétinedexaméthasone (Fradexam®, une goutte, trois fois par jour, pendant 1 mois) et atropine 1 % collyre (VT Atropine ®, une goutte, une fois par jour, pendant 8 jours), associé à de la céphalexine par voie orale (Therios®, 15 mg/kg, deux fois par jour) est prescrit en attendant la reconnaissance d’espèce du parasite intraoculaire.

5. Examen morphologique du ver intra-oculaire

Le nématode mesure 16 mm de longueur et 0,2 mm de diamètre. L’extrémité céphalique apparaît dépourvue de capsule buccale et entourée de papilles (photo 4a). La jonction œsophago-intestinale est bien visible (photo 4b). L’extrémité caudale est arrondie (photo 4c). Des tubules de l’utérus, s’étant hernié de la cuticule à la suite de l’extraction microchirurgicale, sont aussi notés (photo 4d). Vu ces caractéristiques morphologiques, le parasite est compatible avec une femelle adulte d’ A. vasorum.

6. Confirmation du diagnostic

Sur la base des examens complémentaires et des caractéristiques morphologiques des éléments parasitaires, pulmonaires et oculaires, une infestation pulmonaire par A. vasorum est diagnostiquée, compliquée d’une uvéite d’origine parasitaire. Cette dernière est consécutive à la migration aberrante d’une femelle adulte d’ A. vasorum dans la chambre antérieure de l’œil gauche.

Un examen de biologie moléculaire par polymerase chain reaction (PCR) (amplification de la sous-unité 18S rADN d’ A. vasorum(1)) réalisé sur le parasite adulte et les larves montre une identité de 100 % avec les séquences nucléotidiques d’ A. vasorum déposées sur genBank.

7. Traitement médical et suivi

Un traitement anthelminthique à base de fenbendazole par voie orale (Panacur®, 25 mg/kg, une fois par jour) est prescrit pendant 21 jours, associé à une corticothérapie à base de prednisolone à dose anti-inflammatoire (Dermipred ®, 0,2 mg/kg, une fois par jour).

Huit jours après la chirurgie oculaire, le chien est en très bon état général, et les examens clinique et ophtalmologique ne révèlent pas d’anomalies. Une analyse de selles par la méthode de Baermann est réalisée 1 mois après la fin du traitement, ne mettant pas en évidence d’éléments parasitaires.

DISCUSSION

1. Présentation d’ Angiostrongylus vasorum

Cycle biologique

Angiostrongylus vasorum est un nématode hématophage, un parasite des artères pulmonaires et du cœur droit des chiens et d’autres carnivores sauvages [3]. Il est fréquemment rencontré dans le sud-ouest de la France, en Angleterre et au Danemark, son aire de répartition s’étant étendue à d’autres régions de l’Europe et à l’Amérique du Nord ces dernières années. Son cycle biologique nécessite la présence d’un hôte intermédiaire (cycle dit “dixène”), ainsi qu’une phase de développement dans le milieu extérieur (cycle dit “diphasique”). Les hôtes intermédiaires sont représentés par des gastéropodes (Limax maximus principalement). Occasionnellement, les grenouilles appartenant à l’espèce Rana temporaria peuvent représenter des hôtes parateìniques du parasite. Plus rarement, les chiens s’infestent par ingestion directe de larves L3 libres dans l’environnement [3]. L’infestation peut rester asymptomatique, ce qui rend les animaux réservoirs du parasite. Cependant, la forme respiratoire chronique est la plus fréquente, avec une période prépatente allant de quelques semaines à plusieurs mois.

Signes cliniques

Les chiens de chasse ou ceux qui vivent dans les zones rurales sont à risque d’infection. Le tableau clinique, très variable et le plus souvent caractérisé par des signes chroniques, est le reflet du cycle évolutif du parasite [3]. Ainsi, une douleur abdominale ou lombaire est la conséquence de la migration larvaire aÌ travers la cavité abdominale. Les signes respiratoires (toux, dyspneìe, intoleìrance aÌ l’effort, hypertension pulmonaire), qui prédominent le tableau clinique et dont la sévérité est variable, apparaissent une fois la localisation pulmonaire atteinte. Parfois, ils peuvent s’accompagner d’heìmoptysie ou d’épistaxis, secondaires aux lésions pulmonaires engendrées par l’action mécanique du parasite, aÌ un trouble de la coagulation ou aÌ une thrombo-embolie pulmonaire. Les syncopes caractérisent aussi le tableau clinique et s’expliquent par une obstruction de l’artère pulmonaire par des vers adultes, ce qui réduit soudainement le débit cardiaque, ou par une migration aberrante des larves vers le myocarde (entraînant probablement des arythmies, mais ce phénomène n’est pas spécifié dans les publications scientifiques). Enfin, les signes nerveux, rarement observables, sont imputables aÌ une hypoxie cérébrale liée aÌ la défaillance cardiaque chronique, aÌ la présence de larves emboliseìes dans le cerveau ou aÌ celle d’une hémorragie sous-durale.

2. Angiostrongylose oculaire

Une localisation rare

Des cas isolés de migration aberrante d’ A. vasorum au sein de l’organisme ont été décrits dans les articles scientifiques vétérinaires, avec la découverte de vers adultes dans le sac péricardique, le ventricule gauche, l’artère fémorale et la vessie de chiens infestés [5]. De la même manière, des larves L1 ont été retrouvées dans le tissu cérébral, les muscles, les reins, le foie, le pancréas l’estomac et la rate. La localisation oculaire, en regard du segment postérieur ou dans la chambre intérieure de l’œil, comme dans le cas décrit, a été rarement rapportée en médecine vétérinaire, avec des descriptions de cas isolés dans les régions endémiques, telles que la France, le Danemark et le Royaume-Uni, mais aussi le Canada [5, 8].

Mécanismes de migration

Le mécanisme exact de la migration de ce nématode dans la chambre antérieure de l’œil reste non élucidé. Toutefois, des hypothèses ont été avancées, supposant une pénétration à travers la cornée, à partir du tissu souscutané adjacent à l’œil (voie hypodermique craniale), un passage via le foramen optique (voie intracrânienne) ou une migration à travers la cornée, via la formation d’un sac fibrineux, dans la chambre antérieure (voie transcornéenne), comme déjà décrit pour D. immitis [5].

Signes cliniques oculaires

Les signes cliniques de l’angiostrongylose oculaire sont secondaires à l’action mécanique du parasite dans la chambre antérieure de l’œil (uvéite, épiphora, blépharospasme), ainsi qu’à la réponse immunitaire induite par sa localisation ectopique, comme décrit chez l’homme [5]. Enfin, l’hyphéma et les hémorragies sclérales et iriennes peuvent aussi être secondaires à des troubles de la coagulation systémique, rapportés dans 35 % des cas d’infestation par A. vasorum. En effet, l’inflammation endothéliale des petites artères favorise le développement d’une coagulation intravasculaire disséminée, ainsi que l’induction d’une thrombopénie à médiation immune [4]. Enfin, un déficit en facteur de Willebrand a aussi été décrit, tout comme une diminution des facteurs V et VIII en cours d’infestation par A. vasorum [2]. Enfin, une uvéite secondaire à la lyse du parasite dans la chambre antérieure de l’œil est aussi possible.

3. Confirmation du diagnostic

Lavage broncho-alvéolaire

Devant la présence de signes respiratoires chroniques, le clinicien peut être amené à réaliser une bronchoscopie avec un lavage broncho-alvéolaire (LBA). Ces examens complémentaires sont parfois très utiles dans l’approche diagnostique d’une angiostrongylose, pouvant révéler la présence de lésions hémorragiques au sein de l’arbre respiratoire, ainsi que celle de larves L1 et de nombreux éosinophiles à l’examen cytologique du LBA. Toutefois, lors de dyspnée, la réalisation de ces examens est controversée.

Analyse des selles

En présence d’une migration ectopique d’ A. vasorum, un foyer vasculaire pulmonaire primitif doit être systématiquement recherché. Comme décrit dans le cas décrit, l’examen complémentaire de choix reste l’analyse des selles par la méthode de Baermann, ce qui a permis de diagnostiquer une atteinte pulmonaire primaire, et ainsi de traiter la maladie dans son ensemble [3]. L’analyse de Baermann doit être réalisée sur des selles prélevées pendant 3 jours consécutifs, afin d’améliorer la sensibilité de la technique, en raison d’une élimination intermittente des larves dans les fèces, et recueillies rapidement pour prévenir des faux positifs liés à la contamination par des larves de nématodes à vie libre. Quant à la reconnaissance d’espèce du parasite, l’examen morphologique des larves demeure incontournable. D’autres nématodes, tels que Crenosoma vulpis, Oslerus osleri et Filaroides hirthi, mais aussi des larves de Strongyloides stercoralis peuvent infester l’arbre respiratoire des chiens, demandant un diagnostic différentiel attentif et fondé sur l’examen morphologique de l’extrémité caudale des larves L1 retrouvées dans le culot de sédimentation de l’appareil Baermann [7]. Dans le cas décrit, la présence de certaines caractéristiques morphologiques spécifiques à A. vasorum (extrémité caudale homogène, pourvue d’une épine dorsale et de deux entailles, dorsale et ventrale respectivement) a permis de réaliser la diagnose d’espèce.

Analyses sanguines

Les anomalies biologiques pouvant être retrouvées en cas d’angiostrongylose sont nombreuses et peu spécifiques : anémie, éosinophilie sanguine, thrombopénie, diminution de la fructosamine sérique, hypercalcémie et augmentation des β-globulines.

Des tests intracliniques pour la détection d’antigènes (AngioDetect®, Idexx laboratoires), ainsi que des tests sérologiques pour la recherche d’anticorps (Elisa et Western blot) ont été récemment développés [3]. Ils ont démontré une bonne sensibilité (respectivement 84,6 % et 94,9 %) et une bonne spécificité (100 % et 94 %, respectivement) dans la reconnaissance d’animaux ayant eu un contact avec le parasite. Toutefois, leur intérêt dans le diagnostic de l’angiostrongylose est discutable dans des régions à forte prévalence, en raison de la possible persistance des antigènes du parasite et des anticorps produits par l’hôte, induisant donc des faux positifs (en zone d’endémie, il est possible qu’un chien tousse en raison d’une tumeur pulmonaire ou d’une bronchite chronique surinfectée, et qu’il présente néanmoins un résultat positif). Enfin, la PCR sur selles représente une solution alternative intéressante pour la détection des larves d’ A. vasorum, mais sa sensibilité est réduite par la présence d’inhibiteurs des polymérases présents dans les matières fécales [3].

4. Traitement de l’angiostrongylose

Le protocole thérapeutique de l’angiostrongylose prévoit l’utilisation de plusieurs molécules anthelminthiques. Le fenbendazole par voie orale, à la dose de 25 mg/kg/j pendant 15 à 21 jours, est le traitement le plus couramment utilisé. Il peut être remplacé par de la milbémycine oxime par voie orale, une fois par semaine pendant 4 semaines [1]. Enfin, un protocole prévoyant l’utilisation de l’association imidaclopride-moxidectine spot-on a aussi été proposé [10]. Dans le cas de ce chien, une corticothérapie à dose anti-inflammatoire a aussi été prescrite afin de diminuer la composante inflammatoire pulmonaire et de prévenir un choc dû à la lyse massive des parasites après le traitement antiparasitaire.

Lors d’angiostrongylose oculaire, le traitement systémique devrait être entrepris après l’extraction du ver de la chambre antérieure afin de prévenir le risque d’uvéite à médiation immune induite par la lyse possible du parasite et la libération de protéines parasitaires dans la chambre antérieure.

Enfin, les animaux infestés représentent un facteur de contamination environnemental (péril fécal). C’est pourquoi des mesures de prévention dans les zones à forte prévalence, visant principalement à éviter le contact entre hôtes définitifs et hôtes intermédiaires, sont souhaitables.

Conclusion

L’infestation à A. vasorum représente une entité clinique polymorphe. Les manifestations respiratoires restent l’expression clinique la plus fréquente, mais des migrations aberrantes du parasite peuvent compliquer le tableau clinique et emmener le clinicien sur de fausses pistes thérapeutiques. Lors de localisation intraoculaire, une exérèse chirurgicale du parasite est indiquée, accompagnée de la recherche d’un foyer vasculaire pulmonaire primitif.

  • (1) Département de maladies parasitaires, Faculté de médecine vétérinaire de Bari, Italie.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Angiostrongylus vasorum est un nématode hématophage, fréquemment retrouvé dans le sud-ouest de la France.

→ La localisation oculaire d’ Angiostrongylus vasorum a été rarement rapportée en médecine vétérinaire, avec des descriptions de cas isolés dans des régions endémiques.

→ Les signes cliniques de l’angiostrongylose oculaire sont secondaires à l’action mécanique du parasite dans la chambre antérieure de l’œil, ainsi qu’à la réponse immunitaire induite par sa localisation ectopique.

→ Le constat d’une migration aberrante d’ Angiostrongylus vasorum doit systématiquement amener le clinicien à rechercher un foyer vasculaire pulmonaire. L’examen complémentaire de choix reste l’analyse des selles par la méthode de Baermann.

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