Etape 10 : Anomalies des plaquettes - Le Point Vétérinaire n° 383 du 01/03/2018
Le Point Vétérinaire n° 383 du 01/03/2018

En 10 Etapes

Auteur(s) : Laetitia Piane*, Catherine Trumel**

Fonctions :
*Équipe de biologie médicale-histologie,
CREFRE, université de Toulouse,
Inserm-UPS-ENVT,
31400 Toulouse

Lors d’une baisse ou d’une augmentation de la numération plaquettaire, la démarche diagnostique suit des étapes précises. En premier lieu, il convient de vérifier les résultats chiffrés obtenus par l’automate.

Les anomalies des plaquettes sont caractérisées par une baisse (thrombopénie) ou une augmentation (thrombocytose) de la numération plaquettaire. Face à une thrombopénie ou à une thrombocytose, une démarche diagnostique clinique et biologique rigoureuse doit être mise en place pour tenter d’établir l’origine de la maladie, après avoir vérifié les résultats chiffrés donnés par l’automate.

VÉRIFIER LES RÉSULTATS CHIFFRÉS DONNÉS PAR L’AUTOMATE

Dans un premier temps, il convient de vérifier les résultats chiffrés donnés par l’automate en analysant les courbes et les nuages de points(1) ainsi que le frottis sanguin et en réalisant un comptage plaquettaire manuel(2), en l’absence d’agrégats plaquettaires, pour confirmer une éventuelle thombopénie ou thrombocytose. L’examen du frottis permet, par exemple, de s’assurer de l’absence d’agrégats plaquettaires, de macroplaquettes ou de volume plaquettaire moyen (VPM) élevé lors de thrombopénie, ou encore de celle d’hématies de petite taille ou fragmentées ou d’hyperlipémie lors de thrombocytose (photos 1 et 2).

THROMBOPÉNIE

1. Diagnostic différentiel

Une thrombopénie se définit comme une numération plaquettaire inférieure à l’intervalle de référence de l’espèce. Les causes en sont nombreuses, mais il convient en premier lieu d’exclure un phénomène artéfactuel dû à la présence d’agrégats plaquettaires (tableau 1). Une thrombopénie peut être d’origine périphérique, liée à :

– une diminution du temps de demivie plaquettaire par destruction mécanique, destruction précoce par le système immunitaire ou encore consommation excessive par le système hémostatique ;

– une séquestration dans la rate ou les vaisseaux périphériques ;

– une perte dans le cadre d’une hémorragie aiguë.

Une origine centrale due à une diminution de la production médullaire est aussi possible.

Ces mécanismes peuvent enfin coexister.

Dans certaines races de chiens (cavalier king charles, norfolk terrier, cairn terrier, greyhound, par exemple), les numérations plaquettaires peuvent être inférieures aux intervalles de référence de l’espèce, jusqu’à moins de 20 × 109/l chez certains individus, sans signe clinique associé (photo 3) [1, 2]. Cette thrombopénie raciale est souvent associée à la présence de macroplaquettes (augmentation du VPM). Il est donc accepté que certains animaux appartenant à ces races présentent des numérations plaquettaires basses.

La démarche diagnostique face à une thrombopénie comprend plusieurs étapes (figure).

2. Commémoratifs et examen clinique

Les commémoratifs et l’anamnèse permettent de connaître la race, l’origine de l’animal ainsi que la possible réalisation de voyages, une prise éventuelle de médicaments ou de toxiques. L’examen clinique permet de mettre en évidence une hyperthermie lors de maladie infectieuse ou d’hémopathie, la présence de troubles de l’hémostase (pétéchies, suffusions, epistaxis, etc.), d’une éventuelle dissymétrie testiculaire ou d’une monorchidie lors de sertolinome, ou d’une masse externe ou abdominale. Une adénomégalie, une splénomégalie ou une hépatomégalie peuvent être observées lors de processus néoplasique notamment, des troubles cutanés en cas de maladie dysimmunitaire ou parasitaire.

3. Résultats biochimiques et bilan de coagulation

La réalisation d’un bilan biochimique et d’un bilan de coagulation permet d’orienter la démarche diagnostique lors de thrombopénie.

Par exemple, au cours d’un processus inflammatoire infectieux, la protidémie et la globulinémie peuvent être augmentées (avec un pic le plus souvent polyclonal en β-γ sur le tracé de l’électrophorèse sérique), l’albuminémie et le rapport albumine sur globuline diminués, et la fibrinogénémie et la protéine C réactive (CRP) et la sérum amyloïde A (SAA) éventuellement en hausse.

Lors de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), les temps de coagulation, les produits de dégradation en fibrine (PDF) et les D-dimères sont augmentés, et la fibrinogénémie est diminuée.

En cas d’intoxication aux antivitamines K, les temps de coagulation sont allongés, mais la fibrinogénémie est normale.

La bilirubine peut être augmentée lors de sepsis sévère, d’hémopathie à un stade avancé ou d’anémie hémolytique à médiation immune (AHMI) conjointe.

Lors d’hémopathie lymphoïde, la protidémie est parfois en hausse et associée à un pic monoclonal en β ou en γ sur le tracé d’électrophorèse sérique.

En cas de pertes sanguines, la protidémie et l’albuminémie peuvent être diminuées.

4. Autres anomalies hématologiques

Lors de pertes sanguines, d’AHMI conjointe ou de CIVD, une anémie régénérative peut être observée.

Une neutrophilie associée à la présence de band cells et de neutrophiles toxiques accompagne parfois un processus infectieux ou inflammatoire actif.

Une hyperéosinophilie ou une basophilie sont parfois le signe d’un phénomène néoplasique, mais également celui d’une dirofilariose. Les microfilaires peuvent être observées sur le frottis à faible grossissement.

Des sphérocytes et des agglutinats peuvent être observés lors d’anémie hémolytique à médiation immune.

Lors de maladie vectorielle, il est possible de noter une leucopénie, voire une anémie non régénérative, avec la présence de morulas d’Ehrlichia dans les monocytes en cas d’ehrlichiose, de morulas d’Anaplasma phagocytophilum dans les neutrophiles en cas d’anaplasmose, de piroplasmes dans les hématies ainsi que de lymphocytes réactionnels (lymphocytes à grains, hyperbasophiles ou encore blastiques) et de monocytes activés, ou de macrophages (photos 4a et 4b). Enfin, lors d’hémopathie, une anémie et une leucopénie peuvent être notées, éventuellement associées à la présence de cellules néoplasiques ou anormales circulantes.

Le VPM, mesuré par l’automate et toujours vérifié sur le frottis, permet d’évaluer la réponse médullaire à la thrombopénie. En effet, les jeunes plaquettes sont généralement plus grosses et un VPM élevé est souvent un bon indicateur d’une réponse médullaire correcte à la thrombopénie, donc d’une thrombopénie d’une origine périphérique. En l’absence de cause périphérique identifiée, un myélogramme peut être indispensable afin de différencier les thrombopénies centrales de celles qui sont périphériques. Cet examen permet également parfois d’établir l’origine infectieuse ou néoplasique de la thrombopénie, comme dans le cas d’une leishmaniose. Lorsque aucune cause n’a pu être déterminée, une thrombopénie à médiation immune doit être envisagée : il s’agit, en effet, d’un diagnostic d’exclusion.

THROMBOCYTOSE

1. Diagnostic différentiel

Une thrombocytose se définit comme une augmentation de la numération plaquettaire par rapport à la valeur haute de l’intervalle de référence de l’espèce (photo 5). La grande majorité des cas de thrombocytose sont liés à une affection sous-jacente (thrombocytose secondaire ou réactionnelle) (tableau 2). Exceptionnellement, la thrombocytose est en relation avec une anomalie cancéreuse de la lignée mégacaryocytaire (thrombocytose primaire). En dehors de ces cas d’hémopathies, elle est rarement à l’origine de signes cliniques.

Une thrombocytose transitoire peut s’observer lorsque les plaquettes stockées dans la rate ou les poumons sont libérées dans la circulation générale en raison du stress (adrénaline), de l’exercice, ou après une splénectomie. Un phénomène plus durable se produit dans les quelques heures à quelques jours qui suivent une hémorragie, une inflammation aiguë, ou en rebond après un accès thrombopénique, qu’il soit lié à un mécanisme à médiation immune ou à une chimiothérapie, par exemple.

Une thrombocytose chronique accompagne les anémies ferriprives dues à des pertes chroniques de sang (parasitisme important, notamment trichurose, ulcères digestifs chroniques, etc.), mais également des inflammations ou des infections chroniques, ou encore un stress corticoïde (endogène ou exogène).

La thrombocytose fait partie des syndromes paranéoplasiques et peut ainsi être observée lors d’affections néoplasiques.

Elle peut être induite par certains médicaments (vincristine, azathioprine, doxorubicine, par exemple). Des thrombocytoses ont été observées chez des chats hyperthyroïdiens [3].

2. Commémoratifs et examen clinique

Les commémoratifs permettent de renseigner une possible cause médicamenteuse ou une éventuelle splénectomie récente. L’examen clinique peut mettre en évidence, par exemple, des manifestations de pertes sanguines (pâleur des muqueuses, méléna, hématurie, etc.), des signes compatibles avec un hypercorticisme (polyuro-polydipsie [PUPD], distension abdominale, troubles dermatologiques, etc.), ou des symptômes de maladies inflammatoires (fièvre) ou néoplasique.

3. Résultats biochimiques

La réalisation d’un bilan biochimique permet parfois d’orienter la démarche diagnostique lors de thrombocytose. Par exemple, en cas de pertes sanguines, la protidémie et l’albuminémie peuvent être diminuées. Lors d’inflammation chronique, la protidémie, la globulinémie et la fibrinogénémie sont possiblement augmentées, et l’albuminémie et le rapport albumine sur globuline diminués. Lors de stress corticoïde ou d’hypercorticisme (endogène ou exogène), il est possible que l’activité des phosphatases alcalines (PAL) (± l’activité des alanines aminotransférases [Alat], des γ-glutamyltransférases [γGT], la cholestérolémie et la triglycéridémie) soit augmentée.

4. Autres anomalies hématologiques

En cas de pertes sanguines chroniques, une anémie microcytaire hypochrome peut être mise en évidence, éventuellement associée à une poïkylocytose et à la présence de codocytes et d’annulocytes.

Lors d’inflammation chronique, des rouleaux d’hématies sont parfois notés secondairement à une augmentation des globulines (hyperprotidémie, hyperglobulinémie), associés à une anémie non régénérative modérée.

En cas d’hypercorticisme ou de stress corticoïde, il est possible d’observer une formule de stress (neutrophilie, lymphopénie ± monocytose et éosinopénie), éventuellement avec une courbe d’Arneth déviée à droite.

Lors de splénectomie, une polychromatophilie et une érythroblastose peuvent être remarquées.

Conclusion

Un résultat de numération plaquettaire hors de l’intervalle de référence doit toujours être validé par un examen attentif du frottis sanguin. Ce résultat, s’il est confirmé, est le plus souvent révélateur d’une affection sous-jacente, qui peut être diagnostiquée à l’aide d’une démarche rigoureuse.

  • (1) Voir l’article “Validation et interpretation des resultats d’automate”. Point Vet. 2017;376:12-19.

  • (2) Voir les articles “Validation des resultats du frottis sanguin : lecture de premier niveau” et “Validation des resultats du frottis sanguin : lecture de second niveau”. Point Vet. 2017;378:16:22 et 2017;379:18-23.

Références

  • 1. Gelain ME, Bertazzolo W, Tutino G et coll. A novel point mutation in the β1-tubulin gene in asymptomatic macrothrombocytopenic Norfolk and Cairn Terriers. Vet. Clin. Pathol. 2014;43:317-321.
  • 2. Kelley J, Sharkey LC, Christopherson PW, Rendahl A. Platelet count and plateletcrit in Cavalier King Charles Spaniels and Greyhounds using the Advia 120 and 2120. Vet. Clin. Pathol. 2014;43:43-49.
  • 3. Teske E. Leukocytes. In: Feldman BF, Zinkl JG, Jain NC, eds. Schalm’s veterinary hematology. Lippincott-Williams and Willkins, Philadelphia. 2000:561-631.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Lors de thrombopénie, il convient de vérifier l’absence d’agrégats plaquettaires ou de macroplaquettes sur le frottis sanguin avant de valider les résultats chiffrés.

→ Lors de thrombocytose, il convient de vérifier l’absence d’hématies de petite taille ou fragmentées sur le frottis sanguin, ainsi que celle d’une hyperlipémie avant de valider les résultats chiffrés.

→ Une thrombopénie à macroplaquettes d’origine raciale a été décrite chez le cavalier king charles, le greyhound, le cairn terrier et le norfolk terrier, notamment.

→ Pour établir un diagnostic de thrombopénie à médiation immune, l’ensemble des autres causes de thrombopénie doivent être écartées : il s’agit d’un diagnostic d’exclusion.

→ Le volume plaquettaire moyen (VPM) peut être un bon indicateur de la réponse médullaire lors de thrombopénie. Un VPM élevé évoque une origine périphérique.

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