Chyloabdomen consécutif à un lymphangiosarcome mésentérique chez un chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 383 du 01/03/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 383 du 01/03/2018

CANCÉROLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Élisabeth Robin*, Rodolfo Oliveira-Leal**, Mélanie Pastor***, Juan Hernandez ****

Fonctions :
*CHV Frégis, 43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil

Le lymphangiosarcome est une tumeur rare et sa forme mésentérique atypique peut être associée à un chylopéritoine.

Le chyloabdomen reste une cause rare de distension abdominale chez le chien. Lorsque les causes classiques ont été écartées (rupture ou compression des voies lymphatiques, insuffisance cardiaque congestive, pancréatite, etc.), une origine tumorale doit être suspectée. Cette description rapporte un cas de chyloabdomen secondaire à un lymphangiosarcome mésentérique.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chien cairn terrier mâle entier de 5 ans est présenté en consultation pour une distension abdominale d’apparition aiguë et des vomissements depuis 2 jours. Il est correctement vermifugé et vacciné. Aucun antécédent n’est rapporté.

2. Examen clinique

À l’examen clinique, une distension abdominale est présente, associée à un signe du flot positif. Le reste de l’examen est normal et les constantes vitales sont dans les normes.

3. Bilan clinique et hypothèses diagnostiques

Il s’agit d’un cas d’épanchement abdominal chez un chien mâle de 5 ans qui n’a aucun antécédent particulier. Le diagnostic différentiel de l’ascite inclut les causes de transsudat pur (hypoprotéinémie, hypertension portale, etc.), de transsudat modifié (insuffisance cardiaque congestive, torsion d’organe, tumeur), d’exsudat (septique, tumoral, rupture des voies biliaires, etc.), de chyloabdomen, d’hémoabdomen ou d’uroabdomen. Une paracentèse abdominale est réalisée : l’aspect est laiteux, l’obtention d’un ratio cholestérol/triglycérides inférieur à 1 et l’aspect cytologique du prélèvement confirment la nature chyleuse (tableau 1). Un contexte traumatique n’étant pas suspecté, les hypothèses diagnostiques incluent une insuffisance cardiaque congestive, une compression des voies lymphatiques, une lymphangiectasie primaire, une origine tumorale et une pancréatite (tableau 2).

4. Examens complémentaires

Bilan sanguin

Dans un premier temps, un bilan sanguin est réalisé afin de rechercher des arguments compatibles avec une lymphangiectasie intestinale (panhypoprotéinémie, hypocalcémie) ou une pancréatite (tableau 3). Les résultats ne révèlent pas d’anomalies hormis une lymphopénie, secondaire à une perte des lymphocytes dans l’épanchement chyleux, ainsi qu’une hypoprotéinémie modérée.

Examens d’imagerie

Un bilan d’imagerie (radiographie thoracique, échocardiographie, échographie abdominale) est réalisé afin d’explorer la possibilité d’une insuffisance cardiaque congestive, d’une compression des voies lymphatiques, ou d’un processus tumoral. Il ne révèle pas d’anomalie.

5. Traitement médical

Dans un premier temps, un traitement médical associant un régime à faible teneur en lipides, de la rutine (50 mg/ kg toutes les 8 heures) et l’association S-adénosyl- méthionine-silybiline (Zentonil®, 15 à 20 mg/kg/j) est prescrit. Néanmoins, 10 jours plus tard, une récidive de la distension abdominale motive la poursuite de l’exploration. Un lymphangioscanner est planifié mais l’injection de produit de contraste dans le nœud lymphatique poplité n’est pas suivie d’une diffusion du produit de contraste dans le réseau lymphatique. Le bilan d’extension tomodensitométrique conventionnel (avec injection par voie intraveineuse [IV] de produit de contraste) ne permet pas d’identifier la cause de l’ascite (photo 1).

6. Laparotomie exploratrice et histologie

Une laparotomie exploratrice est alors réalisée : 700 ml de liquide chyleux sont drainés. L’inspection permet de voir exsuder du liquide à partir du mésentère, plus particulièrement en région du corps et du lobe droit du pancréas. Des lésions nodulaires millimétriques diffuses sont présentes sur le mésentère (photo 2). Une biopsie d’un nœud lymphatique est réalisée, suivie de la pose d’un drain abdominal. L’analyse histologique révèle une prolifération tumorale vasculaire maligne de type lymphangiosarcome, moins probablement de type hémangiosarcome, au sein du mésentère. Le nœud lymphatique biopsié est réactionnel (photo 3).

7. Traitement et pronostic

Une chimiothérapie est initiée 1 mois après le début des signes avec la prescription d’un inhibiteur de tyrosine kinase (toceranib, Palladia®, 3,25 mg/kg toutes les 48 heures per os [PO]) pour ses effets antiangiogéniques, associée à de la prednisolone (Dermipred®, 1 mg/kg toutes les 24 heures, PO).

8. Évolution

À quatre semaines

Un mois après le diagnostic, la réponse clinique est mitigée, avec une stabilisation de la production de chyle (ponction de 100 à 150 ml de liquide d’épanchement par jour (photo 4). Un changement thérapeutique est initié avec un traitement cytotoxique (doxorubicine, 25 mg/m2 IV toutes les 3 semaines). Le chien est en bon état général 16 semaines après le début des signes. La production de chyle est stable.

À 22 semaines

À 22 semaines, un changement d’aspect macroscopique de l’ascite récoltée est noté. L’analyse cytologique du liquide d’épanchement révèle de nombreux granulocytes neutrophiles dégénérés avec quelques rares coques intracytoplasmiques (exsudat septique). L’analyse bactériologique est positive à Staphylococcus spp., sensible à l’amoxicilline-acide clavulanique.

Un lavage abdominal associé à un changement du drain et une antibiothérapie sont discutés. Après réflexion, le propriétaire ne souhaite pas de procédure invasive et une antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique, Synulox ®, 20 mg/kg toutes les 12 heures, PO) est instaurée. Sept jours plus tard, l’état général du chien se dégrade, et une euthanasie est décidée.

DISCUSSION

1. Un lymphangiosarcome de localisation atypique

Présentation clinique

Le lymphangiosarcome est la forme la moins fréquente des tumeurs malignes d’origine vasculaire. C’est une tumeur rare, avec une vingtaine de cas décrits, chez des chiens âgés de 8 semaines à 13 ans [2, 3, 5, 10]. La forme prédominante consiste en une lésion sous-cutanée, associée à un oedème, en région abdominale, cervicale ou sur les extrémités. Les métastases nodales sont fréquentes au moment du diagnostic. Ce cas est, à notre connaissance, le premier cas de lymphangiosarcome du mésentère associé à un chylopéritoine. Seuls deux cas d’épanchement chyleux consécutifs à un lymphangiosarcome sont décrits : un cas de tumeur médiastinale chez un chien de 10 ans présentant un chylothorax et un chyloabdomen, et un cas de tumeur pulmonaire [3, 5, 10].

Difficultés diagnostiques

La différentiation entre l’origine vasculaire sanguine et lymphatique de la tumeur peut être difficile et est classiquement fondée sur l’absence d’érythrocytes dans les espaces vasculaires. Dans le cas décrit, de très rares hématies sont retrouvées dans les lumières vasculaires. Aucune description n’est faite dans les publications scientifiques d’hémangiosarcome associé à la présence d’un épanchement chyleux ou à une localisation mésentérique primaire. Néanmoins, l’utilisation de marqueurs immuno-histochimiques (prospero-related homeobox gene1, PROX-1 ; factor-VIII related antigen ; vascular endothelial growth factor receptor-3, VEGFR-3) renforce alors le diagnostic [2]. Ces immunomarqueurs n’ont pas pu être utilisés sur les biopsies chirurgicales par manque de disponibilité.

En ce qui concerne la démarche diagnostique, ce cas de lymphangiosarcome, atypique en raison de sa présentation extracutanée, illustre une démarche diagnostique complexe et la nécessité d’une laparotomie exploratrice afin d’aboutir au diagnostic.

Traitement

Pour les deux cas d’épanchement chyleux liés à un lymphangiosarcome dejà décrits, une euthanasie a été décidée dans les 24 heures à 6 jours après l’exploration chirurgicale [3, 5]. Pour les autres formes de lymphangiosarcomes, les durées de vie sont très variées, de 60 à 876 jours en l’absence de traitement, et de 90 à 940 jours pour des animaux traités par chirurgie, chimiothérapie ou les deux associées [2]. Pour le cas décrit, la durée de vie a été de 150 jours, soit 23 semaines, ce qui représente la plus longue durée de vie décrite pour un lymphangiosarcome extracutané.

Pour le traitement des lymphangiosarcomes, il varie en fonction de la forme clinique. Concernant les cas ayant reçu une chimiothérapie, aucun protocole standardisé n’est décrit et plusieurs molécules sont utilisées : doxorubicine, mitoxantrone, association toceranib, chlorambucil et anti-inflammatoire non stéroïdien (anti-COX2).

2. Comment gérer un épanchement chyleux chronique ?

Dans le cas exposé, la gestion de l’épanchement abdominal chronique a soulevé des interrogations. En effet, la perte de lymphe entraîne non seulement une baisse du système immunitaire par déplétion en lymphocytes mais aussi une dénutrition avec hypoalbuminémie [1]. En médecine humaine, les épanchements chyleux survenant en complication de chirurgies abdominales lourdes (chirurgie carcinologique, néphrectomie) sont traités médicalement : paracentèse, diurétique, restriction en sel, alimentation riche en protéines, faible en lipides mais enrichie en triglycérides à chaîne moyenne, voire nutrition parentérale [1, 6].

Gestion médicale

L’intérêt théorique des triglycérides à chaîne moyenne repose sur leur capacité à passer directement dans le réseau veineux sanguin sans emprunter le réseau lymphatique. L’utilisation d’analogues de l’octréotide (somatostatine) permet de diminuer l’absorption des graisses d’origine digestive et le flux lymphatique dans le conduit thoracique faisant baisser le flux splanchnique. Pour la nutrition parentérale, l’étude de Pan et coll. montre la supériorité d’une alimentation adaptée supplémentée en triglycérides à chaïne moyenne par rapport à la nutrition parentérale [6].

La rutine, ou rutosine, est un flavonoïde naturel de la famille des benzopyrones, extrait de certaines plantes comme le ginkgo biloba ou le sophora. Ce neutraceutique a été décrit comme efficace dans le traitement du lymphangio-oedème chez l’homme, notamment après des chirurgies carcinologiques. Le mécanisme d’action n’est pas clairement élucidé mais semble reposer sur un effet vasculoprotecteur et veinotonique, l’augmentation de l’activité phagocytaire des macrophages contenus dans le chyle, et l’augmentation de la protéolyse. En médecine vétérinaire, plusieurs cas de chylothorax félin ont été décrits avec une amélioration clinique, voire une disparition de l’épanchement pleural [9]. Néanmoins, il est difficile de conclure étant donné que des guérisons spontanées sont décrites, et que la gestion médicale des cas n’est pas homogène (ponctions pleurales répétées). Les doses recommandées sont de 50 à 100 mg/kg PO trois fois par jour. Aucun effet secondaire n’est décrit chez les carnivores domestiques. Son utilisation n’est pas évoquée lors de chyloabdomen.

Gestion chirurgicale

Dans le cas décrit, la somatostatine n’a pas été employée en raison du coût, mais un régime faible en graisse associé à la pose d’un drain abdominal a été utilisé [4].

En ce qui concerne la mise en place d’un drainage actif, Han et coll (2016) le recommande en médecine humaine si la production de chyle dépasse 1,5 l/j. En médecine humaine, Yarmohammadi et coll. décrivent l’utilisation d’un port percutané de shunt peritonéo-veineux (shunt de Denver ou Leveen, permettant un retour de l’ascite de la cavité péritonéale à l’oreillette droite) chez les patients cancéreux atteints d’ascite chyleuse [11]. Une bonne tolérance est rapportée, avec une augmentation de l’albuminémie pour des cas réfractaires au traitement médical. Les principales complications observées sont une occlusion du système dans 21 % des cas, une coagulation intravascualire disséminée (CIVD) asymptomatique ou subclinique dans 7 % des cas, une thrombose de la veine cave craniale pour 1 des 39 patients. Un cas clinique rapporte son utilisation chez un chien atteint de lymphangiectasie intestinale, avec une complication de thrombose de la veine cave caudale [7].

3. Que penser de la complication septique observée ?

Aucune complication septique n’est rapportée dans l’étude de Yarmohammadi sur l’utilisation des ports percutanés en médecine humaine [11]. Néanmoins, Tanna et coll. rapporte un cas de péritonite à Streptococcus bovis chez un homme présentant un chyloabdomen chronique [8]. Dans le cas décrit, l’infection du chyle peut être la conséquence d’une infection ascendante du drain abdominal, favorisée par le port prolongé, une chimiothérapie concomitante et l’affaiblissement du système immunitaire du chien par la vidange répétée du chyle.

Conclusion

Bien que les formes cutanées et sous-cutanées soient plus fréquentes, le lymphangiosarcome doit être considéré lors de la prise en charge d’un chyloabdomen. L’obtention du diagnostic de certitude peut nécessiter une exploration chirurgicale et la réalisation de biopsies pour une analyse histologique. Le pronostic est réservé à sombre, et la prise en charge thérapeutique multimodale.

Références

  • 1. Alam SE, Sunny MK, PranMK. Successful management of chylous ascites : a report of 2 cases. Saudi J. kidney Dis. Transpl. 2016;27:386-390.
  • 2. Curran KM, Halsey CH, Worley DR. Lymphangiosarcoma in 12 dogs : a case series (1998-2013). Vet. Comp. Oncol. 2014;14:181-190.
  • 3. Fossum TW, Hay WH, Boothe HW et coll. Chylous ascites in 3 dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1992;200:70-76.
  • 4. Han LP, Zhang HM, Abha HD et coll. Management and prevention of chylous leakage after laparoscopic lymphadenectomy. Eur. Rev. Med. Pharmacol. Sci. 2014;18:2518-2522.
  • 5. Myers NC, Engler SJ, Jakowski RM. Chylothorax and chylous ascites in a dog with mediastinal lymphangiosarcoma. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1996;32:263-269.
  • 6. Pan W, Cai SY, Luo HL et coll. The application of nutrition support in conservative treatment of chylous ascites after abdominal surgery. Ther. Clin. Risk Manag. 2016;12:607-612.
  • 7. Peterson SL. Postcaval thrombosis and delayed shunt migration after pleuro-peritoneal venous shunting for concurrent chylothorax and chylous ascites in a dog. Vet. Surg. 1996;25 (3):228-230.
  • 8. Tannas MS, Akerman S, Ibrahim CB. Spontaneous bacterial peritonitis secondary to Streptococcus bovis in a patient with chronic chylous ascites. Eur. J. Gastroenterol. Hepatol. 2011;23:741-742.
  • 9. Thompson MS, Cohn LA, Jordan RC. Ise of rutin for medical management of idiopathic chylothorax in four cats. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;215: 345-348.
  • 10. Waldrop et coll. Chylothorax in a dog with pulmonary lymphangiosarcoma. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2001;37:81-85.
  • 11. Yarmohammadi H, Brody LA, Erinjeri JP et coll. Therapeutic application of percutaneous peritoneovenous (Denver) shunt in treating chylous ascites in cancer patients. J. Vasc. Interv. Radiol. 2016;27;665-673.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Lors de chyloabdomen, une cause traumatique, une insuffisance cardiaque, une compression des voies lymphatiques, une pancréatite et une origine tumorale doivent être recherchées.

→ Le diagnostic histologique de lymphangiosarcome est fondamental, il doit parfois être assisté par un immuno-marquage.

→ Lors de forme extracutanée, le pronostic est sombre.

REMERCIEMENTS

À C. Dally, laboratoire LAPVSO pour l’examen histologique.

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