Carcinome bronchioloalvéolaire associé à un syndrome d’Alamartine Ball Cadiot chez un chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 383 du 01/03/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 383 du 01/03/2018

CANCÉROLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Géraldine Hazart*, Thomas Huguet**, Laurence Bailly***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Hutins
7, avenue Napoléon III
74160 Saint-Julien-en-Genevois

Ce cas illustre le rôle essentiel des examens d’imagerie dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique de cette affection. Une fois la cause sous-jacente traitée, le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot rétrocède rapidement.

La découverte d’une masse pulmonaire lors de clichés radiographiques doit motiver la réalisation d’un scanner afin d’obtenir un bilan d’extension de cette masse et de déterminer la possibilité de la traiter chirurgicalement. Cet article illustre la prise en charge d’un carcinome bronchiolo-alvéolaire associé à des ostéoproliférations au niveau des membres, syndrome paranéoplasique communément appelé syndrome d’Alamartine Ball Cadiot (ou Cadiot Ball).

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

Un chien border collie mâle entier de 12 ans est présenté en consultation pour une toux quinteuse ne rétrocédant pas à un traitement antibiotique (doxycycline à 10 mg/kg per os, une fois par jour pendant 1 semaine) instauré précédemment. L’animal n’est pas vacciné, mais est régulièrement vermifugé. La toux évolue depuis environ 1 mois. Les propriétaires rapportent également une boiterie évoluant depuis 48 heures et concernant les deux membres antérieurs, ainsi qu’un gonflement de ceux-ci.

2. Examen clinique

L’animal est maigre et amyotrophié et une hyperthermie (39,4 °C) est relevée à l’examen clinique. Les muqueuses sont roses et le temps de remplissage capillaire est inférieur à 2 secondes. Une toux est facilement déclenchable à la palpation de la trachée. Celle-ci est bruyante et sèche. L’animal présente des difficultés locomotrices et la pression des os longs est douloureuse. Le reste de l’examen clinique est dans les limites de la normale (tableau 1).

3. Hypothèses diagnostiques

Les difficultés locomotrices associées à des douleurs chez un chien âgé peuvent être consécutives à une polyarthralgie (arthrose, polyarthrite infectieuse ou non), un processus tumoral osseux ou articulaire primitif ou métastatique (ostéosarcome, synoviosarcome, myélome multiple), ou un syndrome paranéoplasique.

Une toux chronique chez un vieux chien peut évoquer une broncho-pneumopathie inflammatoire, infectieuse (dont parasitaire) ou non infectieuse (bronchite chronique), un processus tumoral primitif ou secondaire et une flaccidité trachéale.

L’association de la toux chronique et de l’atteinte des quatre membres permet de suspecter une lésion pulmonaire de type néoplasique (tumeur primitive ou métastatique) ou infectieuse (bactérienne ou parasitaire essentiellement) associée à un syndrome paranéoplasique. Une atteinte d’une autre localisation sur l’arbre respiratoire ne peut cependant être exclue.

4. Examens complémentaires

Des clichés radiographiques du thorax, de face et de profil, sont réalisés. Une masse circonscrite peut être observée en regard de la partie craniale du lobe caudal droit (photos 1a et 1b).

Des clichés radiographiques de face des os longs des membres antérieurs sont également réalisés et mettent en évidence la présence de proliférations périostées sans lyse corticale ou médullaire associée (photo 2).

Une échographie thoracique est effectuée afin de réaliser des cytoponctions de la masse pulmonaire. L’analyse cytologique est en faveur d’un processus néoplasique de nature épithéliale associé à une inflammation suppurative modérée. Les critères de malignité présentés par les cellules sont modérés. Pour cette raison, et à cause de l’inflammation présente, l’examen cytologique seul ne permet pas de déterminer si la masse est de nature maligne ou bénigne.

Un examen tomodensitométrique est ensuite réalisé afin d’obtenir un bilan d’extension locorégional et à distance avant d’envisager toute intervention chirurgicale. Cet examen confirme la présence d’une volumineuse masse cavitaire et minéralisée de 6 cm de diamètre dans le lobe caudal droit du poumon (photo 3). Aucune métastase pulmonaire ou lymphatique régionale n’est mise en évidence. Une réaction périostée est observée sur le bassin et les fémurs.

5. Diagnostic

L’hypothèse diagnostique privilégiée est une tumeur primitive localisée à la partie craniale du lobe caudal droit et associée à un syndrome d’Alamartine Ball Cadiot. La nature de cette tumeur reste à déterminer.

6. Traitement

Une décision de traitement chirurgical est prise en accord avec les propriétaires.

L’animal est prémédiqué avec un bolus de morphine à 0,2 mg/kg ainsi qu’avec du diazépam (0,2 mg/kg) par voie intraveineuse (IV).

L’induction est effectuée avec du propofol à 4 mg/kg IV, puis un relais gazeux à l’isoflurane est instauré à l’aide d’un ventilateur. Un patch de fentanyl (Durogésic®(1) 50 µg) préalablement posé ainsi qu’un protocole de morphine (0,2 mg/kg/h), de lidocaïne (20 µg/kg/min) et de kétamine (3 µg/kg/min) assurent l’analgésie dans les phases per- et postopératoires immédiates.

Une antibiothérapie est instaurée à l’aide de céfalexine 20 mg/kg pendant l’acte chirurgical. Un traitement anti-inflammatoire à base de méloxicam est également mis en place (bolus de 0,2 mg/kg par voie sous-cutanée, puis 0,1 mg/kg/j par voie orale) en phase per- puis postopératoire.

Une lobectomie du lobe caudal droit est réalisée par thoracotomie droite dans le sixième espace intercostal. Le lobe atteint est isolé. L’artère, la veine et la bronche du lobe caudal droit sont identifiées. Trois ligatures sont mises en place (deux simples et une transfixante entre les deux simples) sur l’artère et la veine, puis la section est réalisée entre les deux ligatures distales. La bronche est ensuite clampée avec deux clamps de Satinsky, puis sectionnée entre ces clamps. Le lobe est retiré. La bronche est suturée proximalement au clamp à l’aide de points transfixants séparés. Le clamp est retiré et l’extrémité de la bronche est suturée avec un surjet simple. L’étanchéité de la suture bronchique est vérifiée, puis un drain thoracique est mis en place avant la fermeture du thorax plan par plan. La masse étant peu adhérente aux structures adjacentes, une exérèse complète est réalisée (photo 4). L’analyse histologique de la pièce d’exérèse conclut à un carcinome pulmonaire de type bronchiolo-alvéolaire. Les atypies nucléaires sont modérées à marquées et les figures de mitose occasionnelles. Les plans de section examinés ne montrent pas d’embolisation.

7. Suivi et évolution

L’animal est rendu à ses propriétaires 72 heures après l’intervention chirurgicale. Un premier contrôle est réalisé 12 jours plus tard. Les propriétaires rapportent une disparition de la toux et un état général correct. Le chien ne semble plus douloureux à la locomotion.

Un nouveau contrôle est réalisé 1 mois plus tard. Le chien a repris 500 g. Les clichés radiographiques thoraciques ne mettent aucune anomalie en évidence. Les clichés radiographiques des membres révèlent une normalisation des images (photo 5).

Pour cause de déménagement, le suivi ultérieur du chien ne peut être réalisé à la clinique. Les propriétaires sont contactés 6 mois plus tard. L’animal a été euthanasié 5 mois après sa chirurgie en raison d’une nouvelle dégradation de son état général, mais la cause exacte de cette évolution n’est pas connue.

DISCUSSION

1. Étiologie

Le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot ou ostéopathie hypertrophique est un syndrome paranéoplasique fréquemment associé à des tumeurs pulmonaires primitives ou secondaires. D’autres causes peuvent être à l’origine de ce phénomène : affections thoraciques chroniques (infection pulmonaire, affections cardiaques acquise ou congénitale, mégaoesophage) ou néoplasies avec d’autres localisations (rénale, vésicale ou prostatique). Les tumeurs pulmonaires métastatiques semblent cependant être les plus fréquemment observées [7]. Dans notre cas, ce syndrome est associé à une tumeur pulmonaire primitive. Ces tumeurs sont rares chez le chien. Il s’agit le plus souvent d’adénocarcinomes en tumeurs isolées : dans une étude portant sur 74 chiens, Barrett et coll. rapportent 42 % d’adénocarcinomes, 28 % de sarcomes histiocytaires et 26 % de carcinomes bronchiolo-alvéolaires [1]. L’analyse histologique du cas décrit a conclu à un carcinome bronchiolo-alvéolaire du lobe caudal droit. Quatre-vingt-neuf pourcent des tumeurs de ce type dans l’étude précédemment citée se présentent sous forme de masse unique. Le lobe caudal droit est rapporté comme moins fréquemment atteint que les lobes cranial droit, cranial gauche ou caudal gauche (respectivement 11 % versus 32 %, 26 % et 21 %) [1].

2. Symptomatologie

Cliniquement, le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot se traduit le plus souvent par un gonflement des membres, éventuellement associé à une douleur et des difficultés à la locomotion. Ces signes cliniques précèdent fréquemment les signes respiratoires lors de néoplasie pulmonaire, voire sont les seuls exprimés [2-7]. Dans une étude portant sur 30 chiens atteints d’ostéopathie hypertrophique, seuls 9 présentaient des symptômes respiratoires, tous associés à un gonflement des membres apparu précédemment [7]. Dans ce cas, la présentation clinique a d’abord été dominée par de la toux. Son association avec l’oedème des membres au moment de l’admission a rapidement permis l’orientation des hypothèses diagnostiques.

3. Diagnostic et traitement

Le traitement de choix repose sur l’exérèse chirurgicale complète de la masse. La réalisation préalable d’un examen tomodensitométrique permet d’évaluer la possibilité chirurgicale et de réaliser un bilan d’extension locorégionale et à distance via l’examen des nœuds lymphatiques et des autres organes [4-6]. L’intérêt de la réalisation d’un examen cytologique est discutable, puisque le traitement de ce type de masse est identique, quelle que soit son étiologie. Cependant, dans le cas décrit, un prélèvement à l’aiguille fine a été réalisé sous contrôle échographique afin d’essayer d’affiner le pronostic et ainsi d’aider les propriétaires dans leur décision concernant l’option chirurgicale. Cet examen s’est révélé décevant ici, car l’aspect cytologique nécrotique et inflammatoire a rendu impossible la détermination de la nature exacte de la masse.

Lorsque la cause sous-jacente peut être traitée, une réversion des proliférations osseuses est généralement observée, associée à une rapide amélioration clinique de l’animal. Ainsi, les données publiées rapportent une réduction des douleurs osseuses variant de 24 heures à 1 semaine et une régression des signes radiographiques en 2 semaines à 7 mois [2]. Dans ce cas, l’animal est rapidement ambulatoire et ne présente, 48 heures après la chirurgie, aucune boiterie clinique ni douleur à la palpation des os longs.

4. Pronostic

Le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot ne représente pas un facteur pronostique péjoratif lors d’association à une néoplasie pulmonaire et il rétrocède rapidement après correction de l’affection associée [7].

Selon une étude, le meilleur pronostic des tumeurs pulmonaires est observé lorsque la lésion est un adénocarcinome bien différencié unique et d’un diamètre inférieur à 5 cm, les nœuds lymphatiques concernés ne sont pas atteints et aucun épanchement pleural n’est associé. Dans ce cas, la médiane de survie est de 50 % à 1 an [3]. Une autre étude rapporte le meilleur pronostic pour les adénocarcinomes papillaires de stade T1N0M0(1) : 555 jours contre 72 jours pour tous les autres cas confondus (tableau 2) [6]. Dans le cas de ce chien, le pronostic semble donc péjoré par la taille de la masse. Une survie à 8 mois est rapportée pour les tumeurs d’un volume supérieur à 100 cm3. Le même taux de survie est avancé pour les tumeurs concernant un lobe entier, versus une atteinte uniquement périphérique. Dans ce cas, le chien est mort 5 mois après le diagnostic et l’intervention chirurgicale. Nous ne connaissons pas l’évolution de l’animal au cours de ces 5 derniers mois, ni si la décision d’euthanasie est en rapport avec la progression de l’affection.

Conclusion

Le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot est un syndrome paranéoplasique rare, généralement associé à des tumeurs pulmonaires. Le traitement des tumeurs pulmonaires primitives isolées étant chirurgical, le scanner est l’examen de choix pour évaluer l’extension locorégionale et à distance de la tumeur et d’en caractériser les possibilités chirurgicales.

  • (1) Médicament humain.

  • (1) Selon la classification TNM (T : tumeur ; N : nœuds lymphatiques ; M : métastases à distance).

Références

  • 1. Barrett LE, Pollard RE, Zwingerberger A et coll. Radiographic characterization of primary lung tumors in 74 dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2014;55 (5):480-487.
  • 2. Lee JH, Yoon HY, Kim NH et coll. Hypertrophic osteoarthropathy associated with pulmonary adenosquamous carcinoma in a dog. J. Vet. Med. Sci. 2012;74 (5):667-672.
  • 3. McNiel EA, Ogilvie GK, Powers BE et coll. Evaluation of prognostic factors for dogs with primary lung tumors : 67 cases (1985-1992). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1997;211:1422-1427.
  • 4. Nemanic S, London CA, Wisner ER. Comparison of thoracic radiographs and single breath-hold helical CT for detection of pulmonary nodules in dogs with metastatic neoplasia. J. Vet. Intern. Med. 2006;20:508-515.
  • 5. Owen LN. TNM Classification of tumors in domestic animals. World Health Organisation. Geneva, Switzerland. 1980:48-50.
  • 6. Polton GA, Brearley MJ, Powell SM, Burton CA. Impact of primary tumor stage on survival in dogs with solitary lung tumors. J. Small Anim. Pract. 2008;49:66-71.
  • 7. Withers SS, Johnson EG, Culp WTN et coll. Paraneoplastic hypertrophic osteopathy in 30 dogs. Vet. Comp. Oncol. 2013;13 (3):157-165.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le syndrome d’Alamartine Ball Cadiot est un syndrome paranéoplasique fréquemment mais non exclusivement associé à des tumeurs pulmonaires.

→ L’examen tomodensitométrique est l’examen de choix pour réaliser le bilan d’extension locorégionale et à distance d’une néoplasie pulmonaire.

→ Le traitement de choix d’une tumeur pulmonaire primitive et isolée est chirurgical.

→ Le pronostic d’une tumeur pulmonaire dépend de sa nature, de sa taille, de son extension et de son association avec un épanchement pleural.