L’examen cytologique des liquides d’effusion cavitaire - Le Point Vétérinaire expert canin n° 382 du 01/01/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 382 du 01/01/2018

CYTOLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Eve Ramery

Fonctions : Vetcyt
168, allée des Grands-Prés
59710 Mérignies

L’analyse cytologique d’un liquide d’épanchement permet souvent d’obtenir un diagnostic et un pronostic.

Il existe trois grandes cavités : thoracique (pleurale), abdominale (péritonéale) et péricardique. À l’état physiologique, elles contiennent une faible quantité de liquide qui assure le rôle de lubrifiant entre les différents organes internes. Une effusion n’est pas une maladie en soi, mais plutôt le reflet d’un processus pathologique sous-jacent qui altère la production et/ou l’élimination du fluide. L’accumulation d’une source ectopique de liquide peut également être en cause (par exemple : uroabdomen, hémorragie). L’examen cytologique d’un liquide d’effusion est un moyen rapide, facile, peu coûteux et relativement sûr d’obtenir des informations utiles en ce qui concerne le diagnostic et le pronostic.

MODE DE PRÉLÈVEMENT ET PRÉCAUTIONS À PRENDRE

Quel que soit le type d’effusion, il est conseillé de prélever l’épanchement sur tube EDTA (acide éthylène diamine tétra-acétique) pour le comptage cellulaire, la quantification, l’évaluation des protéines et l’évaluation cytologique, et sur tube sec pour pouvoir réaliser au besoin une culture bactériologique et des examens biochimiques complémentaires. Concernant les tubes secs, il convient d’utiliser un tube sans additif, ni séparateur ni activateur de la coagulation.

Que l’option choisie soit l’examen direct au cabinet ou l’envoi à l’extérieur vers un laboratoire de référence, il est vivement conseillé de réaliser un à plusieurs étalements extemporanés, de manière à avoir la meilleure préservation possible des détails cytomorphologiques des cellules. Dans tous les cas, il convient d’effectuer un à plusieurs étalements directs en utilisant la même technique que pour le frottis (figure 1). Le bout de la lame ne doit pas être atteint (une marge de 0,5 cm est recommandée), sinon l’observation des cellules d’intérêt est compromise.

De plus, lorsque le liquide est transparent et limpide, il est probable qu’il soit pauvre en cellules. Dans ce cas, il convient de centrifuger une partie du liquide et de faire de nouveaux étalements à partir du culot, afin de pouvoir observer une fraction significative de cellules. Un autre élément essentiel consiste à sécher rapidement les lames à l’air (au besoin en utilisant un sèche-cheveux). En effet, si la lame sèche lentement, les cellules ont tendance à se condenser sur elles-mêmes et les détails ne sont plus observables (par exemple, les segmentations nucléaires des neutrophiles ne sont plus visibles, ce qui les rend indiscernables des lymphocytes).

Une vidéo disponible en ligne décrit les techniques de prélèvement proprement dites (abdominocentèse, thoracocentèse, péricardiocentèse)(1).

MÉCANISMES RELATIFS AUX DIFFÉRENTS ÉPANCHEMENTS

1. Critères généraux

D’un ouvrage à l’autre, les critères pour classer les effusions en transsudat, transsudat modifié et exsudat sont variables [2-4]. Cette classification repose essentiellement sur la densité des liquides en protéines et en leucocytes (tableau 1).

De manière générale, les macrophages prédominent lors de transsudat, les neutrophiles lors d’exsudat, et lors de transsudat modifié, la population cellulaire peut être très variable. Dans tous les cas d’effusion, des cellules mésothéliales réactionnelles peuvent être observées. Elles sont importantes à reconnaître dans la mesure où elles peuvent présenter des atypies marquées et ne doivent pas être confondues avec un processus néoplasique [2, 4].

La mécanistique qui sous-tend cette classification repose sur la loi de Starling (figure 2).

2. Transsudats

Un transsudat apparaît lors d’augmentation de la pression hydrostatique veineuse (par exemple, une hypertension portale), de diminution de la pression oncotique sanguine (par exemple, lorsque l’albumine est basse) et/ou de diminution du drainage lymphatique (par exemple, lors de lymphangite intestinale).

3. Exsudats

Les exsudats résultent d’une augmentation de la perméabilité des vaisseaux à la suite de leur altération (le P de la loi de Starling), le plus souvent secondairement à une inflammation. Ils s’accompagnent donc généralement d’une abondante population leucocytaire neutrophilique.

Les causes d’exsudat se divisent en causes septiques et non septiques.

Parmi les causes septiques, les origines bactériennes sont les plus fréquentes, mais des infections virales (par exemple la péritonite infectieuse féline), fongiques (par exemple, Histoplasma, Candida), à protozoaires (par exemple, leishmanies, toxoplasmes), ou encore parasitaires (par exemple, mésocestodes) peuvent également être impliquées.

Les causes d’exsudat non septiques incluent les origines néoplasiques, la présence d’un corps étranger, les péritonites biliaires et secondaires à une pancréatite ou à une stéatite (inflammation du tissu adipeux blanc). Un exsudat non septique peut également survenir à la suite d’une nécrose, lors de la torsion d’un organe ou d’une lésion vasculaire notamment.

4. Transsudats modifiés

Les transsudats modifiés apparaissent lorsqu’une augmentation de pression hydrostatique survient dans des capillaires qui ont physiologiquement une perméabilité aux protéines plus élevée. C’est le cas notamment des capillaires sinusoïdes hépatiques et des capillaires pulmonaires. D’un point de vue mécanistique, les transsudats modifiés sont donc ceux qui résultent d’une hypertension pulmonaire ou portale post-hépatique. En pratique, l’appellation “transsudat modifié” est souvent utilisée comme un "fourre-tout" dans lequel sont retrouvés tous les liquides qui ne sont pas purement un transsudat ou un exsudat, riches en protéines et modérément cellulaires. C’est pourquoi cette appellation est de plus en plus contestée [1, 2].

RECONNAÎTRE ET INTERPRÉTER LES DIFFÉRENTS TYPES CELLULAIRES

Dans une situation physiologique, le liquide cavitaire est peu abondant. Il contient essentiellement des cellules mésothéliales et des macrophages. D’occasionnels lymphocytes et de rares neutrophiles (moins de 5 %) sont également présents.

1. Cellules mésothéliales

Les cellules mésothéliales recouvrent les cavités. Ce sont des cellules spécialisées qui ont un rôle actif dans l’homéostasie des différentes cavités. Elles sont de grande taille, ont un noyau rond central et un cytoplasme moyennement abondant. À l’état quiescent, elles apparaissent cohésives, d’arrangement pavimenteux. Leur cytoplasme est pâle. Elles sont parfois observées dans cet état lors de ponction accidentelle de la plèvre, du péritoine ou du péricarde (photo 1a). Lors d’effusion chronique ou d’inflammation, les cellules mésothéliales perdent leur cohésion et se retrouvent libres ou en petits amas dans le liquide d’épanchement. Leur cytoplasme est alors intensément basophile. Elles présentent fréquemment une frange cytoplasmique magenta qui aide à leur identification. Un nucléole proéminent peut être observé, de même que d’occasionnelles figures de mitoses et de multinucléations. L’anisocytose et l’anisocaryose peuvent être modérées à marquées, en particulier lors d’effusion. Il est alors question de cellules mésothéliales réactionnelles (photo 1b). Le mésothéliome est la tumeur maligne des cellules mésothéliales (photo 1c). Relativement rare, cette tumeur peut se révéler particulièrement difficile à différencier d’une réactivité mésothéliale ou d’un épanchement carcinomateux. Un examen anatomopathologique et/ou des immunomarquages peuvent être nécessaires pour différencier ces trois entités.

2. Macrophages

Les macrophages sont de grandes cellules mononucléées à noyau central à périphérique de forme variable : rond, ovale, en haricot. Le cytoplasme est souvent abondant et vacuolisé, avec un aspect parfois “mousseux”. Il s’agit d’une cellule phagocytaire et, lors de processus pathologique, les éléments qu’il contient peuvent contribuer au diagnostic : pigments biliaires franchement verts lors de péritonite biliaire, hématies, hémosidérine et hématoïdine lors d’hémorragie vraie, leucocytes et notamment neutrophiles lors d’inflammation chronique (photos 2a et 2b). Lorsqu’ils sont activés, les macrophages s’organisent souvent de manière pseudo-cohésive : il s’agit de formations épithélioïdes.

3. Lymphocytes

Les lymphocytes sont de petites cellules rondes mononucléées. Elles se reconnaissent surtout à leur rapport nucléocytoplasmique élevé. Dans ce cas, le noyau occupe presque l’entièreté de la cellule, le cytoplasme se réduisant le plus souvent à une fine frange. En règle générale, les lymphocytes sont en proportion minoritaire. Lorsque la population lymphocytaire prédomine, il peut s’agir :

– d’un chylothorax ou d’un chyloabdomen. Dans ce cas, la population lymphoïde est mixte avec une nette prédominance de petits lymphocytes ;

– du reflet d’une insuffisance cardiaque. Là encore, les petits lymphocytes prédominent. C’est particulièrement fréquent chez le chat lors d’insuffisance cardiaque gauche décompensée (photo 3a). Plus rarement, des effusions abdominales à prédominance lymphoïde sont rencontrées chez le chien à la suite d’une insuffisance cardiaque droite. Le mécanisme n’est pas encore élucidé [2] ;

– d’un lymphome. Lorsque plus de la moitié de ces cellules dépassent un neutrophile de diamètre, un lymphome doit être suspecté (photo 3b). Lors de lymphome, le noyau peut prendre une forme atypique, irrégulière, avec des aspects cérébriformes ou encore de fleur. Des lymphomes à petites cellules peuvent également survenir. Dans ce cas, c’est le monomorphisme des cellules qui éveille le doute et une investigation complémentaire est nécessaire pour confirmation : test de clonalité (PARR : PCR for analysis of antigen receptor rearrangements) ou immunophénotypage.

4. Granulocytes neutrophiles

Les neutrophiles se reconnaissent à leur noyau segmenté et à leur cytoplasme dépourvu de granules visibles. Leur prédominance indique un processus inflammatoire, quelle que soit la densité cellulaire. Lorsqu’ils apparaissent dégénérés, une infection bactérienne est à suspecter et une culture bactérienne est conseillée, même si les éléments bactériens ne sont pas identifiés sur les lames. En effet, ce sont les endotoxines bactériennes qui sont à l’origine de cet aspect caractéristique des noyaux : bords mal définis, chromatine décondensée. À la cytologie, le diagnostic de certitude d’une infection bactérienne repose sur l’observation de bactéries à l’intérieur du cytoplasme des neutrophiles (photo 4). En effet, l’observation de bactéries extracellulaires, en particulier si les neutrophiles ne sont pas dégénérés, peut simplement résulter d’une contamination. La cytologie est particulièrement intéressante pour diagnostiquer les infections bactériennes impliquant des bactéries filamenteuses car ces dernières requièrent des conditions de culture particulières et donnent fréquemment des résultats faussement négatifs à la culture. L’observation d’une population bactérienne hétérogène et de débris amorphes, sans cellules inflammatoires associées, indique une aspiration accidentelle de contenu digestif. Si des cellules inflammatoires, le plus souvent dégénérées, sont associées, une rupture d’organe digestif doit être suspectée.

5. Granulocytes éosinophiles

Les éosinophiles présentent également un noyau segmenté. Leur cytoplasme est rempli de granules éosinophiles, globuleuses et de taille variable chez le chien, plus fines, ovoïdes et régulières chez le chat (photo 5). Ils sont très rarement observés en situation physiologique (moins de 2 % des cellules nucléées). Un épanchement à prédominance éosinophilique est rencontré lors de processus pathologique tel qu’une verminose cardiaque, une hypersensibilité, un néoplasme (mastocytome, lymphome occulte) et un syndrome éosinophilique idiopathique chez le chat.

6. Mastocytes

Les mastocytes se retrouvent très rarement dans un liquide d’effusion. Ils se reconnaissent à leurs granules mauves caractéristiques qui obscurcissent le noyau. Lorsqu’ils sont présents en proportion significative, un mastocytome viscéral doit être suspecté. Cette forme est plus fréquente chez le chat que chez le chien.

7. Cellules épithéliales tumorales

Les cellules épithéliales ne sont normalement pas retrouvées dans les liquides d’épanchement. Leur présence signe une effusion carcinomateuse. Le pronostic associé étant sombre, il est essentiel de ne pas les confondre avec de la réactivité mésothéliale ou macrophagique. En cas de doute, il est indispensable de mettre en œuvre d’autres examens pour préciser le diagnostic (par exemple, rechercher une masse primitive). L’élément clé pour reconnaître l’origine épithéliale est la présence d’amas cellulaires étroitement cohésifs, souvent tridimensionnels (photo 6a). Dans certains cas, des formations acineuses et tubulaires sont observées, permettant de reconnaître une origine glandulaire (adénocarcinome) (photo 6b). Les critères de malignité sont souvent marqués et incluent l’anisocytose (différence de taille des cellules), l’anisocaryose (différence de taille des noyaux), le polymorphisme, les multinucléations, les micronoyaux.

8. Autres cellules néoplasiques

Des cellules métastatiques de mélanome peuvent être observées dans un liquide d’effusion. En dehors du sarcome histiocytaire, les cellules sarcomateuses n’essaiment qu’exceptionnellement dans les liquides d’effusion.

AUTRES TYPES D’EXAMEN

Dans certains cas particuliers, d’autres examens de laboratoire du liquide d’effusion permettent de préciser le diagnostic (tableau 2) [1, 2].

Conclusion

La classification traditionnelle des liquides d’effusion en fonction de leur taux de protéines et du nombre de cellules nucléées peut être pratique, mais elle apporte une information limitée quant à l’étiologie sous-jacente. Le recours à la cytologie et à d’autres examens de laboratoire permet, dans de nombreux cas, de préciser le diagnostic et le pronostic, donc d’apporter une réponse thérapeutique plus ciblée.

Références

  • 1. Dempsey SM, Ewing PJ. A review of the pathophysiology, classification, and analysis of canine and feline cavitary effusions. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2011;47 (1):1-11.
  • 2. Raskin RE, Meyer D. Canine and feline cytology: a color atlas and interpretation guide. 3rd ed. Saunders Elsevier. 2016.
  • 3. Stockham SL, Scott MA. Fundamentals of veterinary clinical pathology. 2nd ed. Blackwell Publishing. 2008.
  • 4. Valenciano AC, Cowell RL. Cowell and Tyler’s diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 4th ed. Mosby Elsevier. 2014.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les transsudats se rencontrent le plus souvent lors d’une augmentation de la pression hydrostatique.

→ Il existe de nombreuses causes d’exsudat suppuratif, y compris non infectieuses. Pour autant, un aspect “dégénéré” des neutrophiles doit conduire à une recherche d’infection bactérienne.

→ Les effusions à prédominance lymphoïde se rencontrent lors de chylothorax/chyloabdomen, d’insuffisance cardiaque et de lymphome.

→ L’identification de cellules carcinomateuses repose notamment sur l’observation de cellules intimement cohésives, en amas tridimensionnels.

→ Une attention particulière doit être portée à ne pas confondre des cellules mésothéliales réactionnelles avec des cellules néoplasiques.

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