DERMATOLOGIE CANINE
Analyse d’article
Auteur(s) : Charline Pressanti
Fonctions : Service de dermatologie
INP-ENVT
23, chemin des Capelles
Toulouse
Avec l’émergence des bactéries antibiorésistantes, les antiseptiques ont pris une place essentielle dans les plans thérapeutiques et représentent une solution alternative aux antibiotiques. L’eau de Javel diluée (hypochlorite de sodium [NaClO]) est un antiseptique peu coûteux et facilement accessible. Et les dérivés de l’eau de Javel sont fréquemment utilisés lors d’infection cutanée en dermatologie humaine.
Lors de dermatite atopique chez le chien, des infections cutanées récidivantes sont souvent présentes. Elles sont majoritairement dues à Staphylococcus pseudintermedius (SP). Les traitements locaux par des shampooings antiseptiques sont recommandés et font partie intégrante de la prise en charge de cette affection [5]. L’émergence des SP multirésistants a renforcé l’intérêt des dermatologues vétérinaires pour les antiseptiques [2]. Peu de données sont disponibles sur l’utilisation de l’eau de Javel chez le chien. Une revue a rapporté des concentrations comprises entre 0,06 % et 0,12 % de la solution diluée, en application deux à quatre fois par semaine. Ces dilutions sont souvent fondées sur l’expérience des cliniciens et aucune étude n’a permis de les valider [1, 6].
Quelques études démontrent les propriétés anti-inflammatoires de l’eau de Javel à la dilution de 0,005 %. In vitro, la solution permet une diminution de la synthèse de certaines cytokines comme TNF-á, NF-êB, la chimiokine CCL-2 et la superoxyde dismutase 2 (SOD 2) par le kératinocyte [4].
L’objectif de cette étude était donc d’évaluer in vivo les concentrations minimales efficaces de l’eau de Javel et sa tolérance locale. De plus, il s’agissait d’apprécier ses propriétés anti-inflammatoires in vitro sur des cultures de kératinocytes canins stimulés par des cytokines proinflammatoires. Les effets de la solution sur la barrière cutanée dans un modèle de peau in vitro ont également été recherchés.
Cette étude a montré, in vivo, les propriétés antibactériennes de l’eau de Javel et sa tolérance locale. Une seule application locale de NaClO à 0,05 % limite le nombre de bactéries sur une peau saine. Toutefois, la réduction du comptage n’est pas significatif (p = 0,06). Ce résultat peut s’expliquer par le faible nombre de chiens étudiés. Peu de données sont disponibles sur l’efficacité de l’eau de Javel sur les SP sensibles à la méticilline (SPSM) et les SP résistants à la méticilline (SPRM). Un seul essai recommande une exposition de 15 minutes à une dilution de 0,19 %, suggérant ainsi que les concentrations seraient plus élevées que celles qui sont efficaces sur les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) [6]. Toutefois, les méthodes de dilution in vitro des études étaient différentes, rendant impossible la comparaison des résultats. Ici, une solution à 0,05 % a été directement appliquée sur la peau sans rinçage. Plusieurs colonies de SP ont été recensées après l’application d’eau du robinet et une seule lorsque de l’eau de Javel est utilisée, suggérant un effet assez spécifique de celle-ci sur les staphylocoques, mais une activité moindre sur les autres types de bactéries retrouvées après culture.
La solution a mis quelques minutes à sécher et les animaux ont pu lécher le produit sans qu’aucun signe de toxicité ne soit observé. Lorsque l’eau de Javel est diluée à 0,005 %, sa concentration est proche de celle utilisée en piscine, laquelle n’occasionne pas de toxicité après contact et ingestion.
Dans cette étude d’efficacité, l’eau de Javel n’a pas été rincée comme cela est recommandé habituellement. Malgré cela, les applications ont été parfaitement tolérées localement.
Chez l’homme, la tolérance de l’eau de Javel est bonne, des rougeurs et une sécheresse n’apparaissant que rarement. Toutefois, il a été démontré que cette solution pouvait altérer la barrière cutanée en augmentant la perte insensible en eau [3]. Cette barrière cutanée est déjà souvent déficiente chez l’individu atopique, et des altérations de sa composition lipidique (céramides) sont rapportées chez l’homme et le chien. Dans cette étude, un modèle in vitro de barrière cutanée a permis d’évaluer les dégradations possibles qu’elle subit selon les dilutions appliquées. Les compositions lipidiques étaient inchangées pour une dose à 0,05 % et aucun effet visible (desquamation) n’était perceptible. Des travaux plus poussés sont indispensables pour déterminer ces effets plus précisément, notamment lors d’une utilisation prolongée de la solution avec des temps de contact variables.
Dans cette étude, l’eau de Javel diluée inhibait la synthèse de CCL-2 et de CCL-17 sur des kératinocytes en culture in vitro après stimulation par la cytokine TNF-α. La CCL-17 est une chimiokine impliquée dans la migration des acteurs spécifiques de l’immunité Th-2. Appelée également TARC, elle est un bon marqueur des réponses inflammatoires lors de dermatite atopique.
Cette étude démontre que l’eau de Javel diluée à 0,05 % et à 0,005 % est un antiseptique bien toléré localement qui présente des propriétés anti-inflammatoires potentiellement pertinentes lors de dermatite atopique. D’autres études sont nécessaires pour compléter ces données et évaluer précisément les effets de l’eau de Javel sur le microbiome. Il serait également intéressant de tester son efficacité, non seulement sur les pyodermites superficielles, mais également sur les proliférations bactériennes de surface chez le chien lors de dermatite atopique.
Aucun.
CONTEXTE
L’hypochlorite de sodium (eau de Javel) dilué est un antiseptique peu coûteux et facilement accessible. Peu de données sont disponibles concernant sa tolérance et son efficacité chez le chien.
OBJECTIFS
Déterminer l’action antibactérienne de l’eau de Javel et sa tolérance chez le chien, puis ses effets in vitro sur la barrière cutanée et l’inflammation.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
De l’eau de Javel à 0,05 % et de l’eau du robinet ont été appliquées sur les deux faces latérales du thorax chez 4 chiens atteints de dermatite atopique dont la peau était normale. La solution n’était pas rincée. Des systèmes de plaques de contact permettaient de prélever une zone en surface, et de réaliser des cultures bactériennes et une identification des colonies. La tolérance locale de la solution était évaluée juste après application et au moment des prélèvements. Une note clinique était attribuée en fonction de l’érythème et du squamosis. Les effets anti-inflammatoires sur les kératinocytes ont été évalués par PCR en temps réel. L’intégrité de la barrière cutanée était appréciée par les modifications de sa composition en lipides.
RÉSULTATS
• L’eau de Javel à 0,005 % et à 0,01 % a réduit le pourcentage de survie des kératinocytes de 10 %.
• L’exposition in vitro des kératinocytes à une solution diluée à 0,005 % a réduit significativement l’induction de gènes de l’inflammation comme celui qui code les chimiokines CCL-2 et TARC/CCL-17.
• Aucun changement de la composition lipidique (céramides et lipides non céramides) de la barrière cutanée n’a été constaté avec une concentration de 0,05 %.
• Localement, l’eau de Javel à 0,05 % et l’eau du robinet ont été bien tolérées, et aucune irritation n’a été observée.
• Une réduction marquée du nombre de bactéries a été constatée, comparativement à la zone traitée avec de l’eau. Toutefois, les résultats n’ont pas été significatifs (p = 0,06).