Crises convulsives et maladie d’Addison chez une chienne - Le Point Vétérinaire expert canin n° 382 du 01/01/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 382 du 01/01/2018

ENDOCRINOLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Nicolas Del Fabbro

Fonctions : Exercice exclusif en Neurologie Vétérinaire
150, chemin du Bois-Seigneur
69210 Lentilly
nicolas.delfabbro@gmail.com

Les crises convulsives peuvent être d’origines différentes et doivent être investiguées avant la mise en place de tout traitement, y compris lors de la présence de signes peu spécifiques.

Une chienne labrador stérilisée de 4 ans est référée pour crises convulsives généralisées tonico-cloniques subintrantes courtes (qui durent moins de 1 minute), sans phases d’auras ou post-ictales, et qui évoluent en s’aggravant depuis 2 ans (photo 1).

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

La chienne n’a jamais quitté le nord de l’Europe, est correctement vaccinée et vermifugée. Elle a commencé par faire jusqu’à une dizaine de crises par jour et a été présentée à plusieurs vétérinaires, qui ont réalisé des numérations et formules sanguines, des bilans biochimiques (comprenant glucose, urée, créatinine, phosphates, calcium total, protéines totales, albumines, globulines, phosphatases alcalines [PAL], alanine aminotransférase [Alat], γGT, bilirubine totale, cholestérol, amylase, lipases) et un scanner de l’encéphale couplé à une ponction de liquide céphalo-rachidien (LCR) sans révéler d’anomalies. La chienne est traitée avec une association de phénobarbital et de bromure de potassium (Crisax®) aux doses respectives de 5,1 mg par kg et 30 mg par kg deux fois par jour, sans effets apparents.

Les propriétaires rapportent des épisodes de diarrhée et de faiblesse réguliers, évoluant depuis longtemps. La chienne leur semble être parfois léthargique et dysorexique.

Face à la récurrence des crises et à l’échec du traitement, l’animal nous est référé pour une exploration de la cause de ces crises et la mise en place d’un éventuel traitement.

2. Examen clinique

La chienne présente un amaigrissement avec une note d’état corporel de 2 sur 5.

La température est dans les normes (38,8 °C). L’auscultation cardio-respiratoire montre une bradycardie à 52 battements par minute.

3. Hypothèses diagnostiques

Il existe différentes étiologies possibles à l’origine de crises convulsives (tableau 1).

Les différents examens complémentaires réalisés par les vétérinaires traitants ont permis d’écarter plusieurs hypothèses, notamment les causes structurelles.

Compte tenu de la présentation clinique, une origine métabolique est retenue en priorité.

4. Examens complémentaires

Le bilan sanguin habituellement recommandé lors d’affections neurologiques est réalisé (numération et formule sanguines ; biochimie comprenant glycémie, protéines totales, albumine, urée, créatinine, PAL, Alat ; ionogramme complet incluant sodium, potassium, chlorures, calcium, phosphores et gaz du sang) (tableau 2).

Ces examens mettent en évidence :

– une hyperkaliémie très importante (8,5 mmol/l) ; cette analyse a été faite dans les 10 min qui ont suivi le prélèvement et le résultat confirmé par une seconde mesure ;

– une hyponatrémie modérée (133 mmol/l).

Le rapport Na/K est de 15,6 et est très évocateur d’un hypocorticisme car inférieur à 24 [1, 13, 14]. D’autres causes peuvent être évoquées, notamment une insuffisance rénale, un épanchement cavitaire (abdominal ou thoracique), une maladie digestive(1), mais sont écartées en raison des différents résultats d’examens complémentaires obtenus [8].

Le dosage montre aussi une hypoglycémie. Cela a motivé l’analyse des fructosamines sériques, qui a confirmé une hypoglycémie chronique.

Le dosage des concentrations sanguines en cortisol avant et après une stimulation de l’axe corticotrope avec de l’hormone adrénocorticotrophine (adrenocorticotropin hormone, ACTH) de synthèse (Synacthène®) montre un effondrement cortisolique confirmant l’hypothèse d’hypocorticisme.

Une échographie abdominale révèle la présence de glandes surrénales de petite taille (2 mm à gauche, 3 mm à droite) (photo 2).

5. Diagnostic définitif

L’ensemble des examens complémentaires a permis de confirmer un hypocorticisme. Les propriétaires refusent le dosage de l’ACTH endogène et de l’aldostérone.

Il est très probable que les crises convulsives chroniques soient provoquées par l’hypocorticisme, qui est à l’origine de crises d’hypoglycémie chroniques et de troubles ioniques sévères.

6. Traitement

Une perfusion de soluté glucosé (glucose 5 %) est instaurée afin de faire diminuer la kaliémie, en parallèle avec une perfusion de NaCl 0,9 %. Une injection de dexaméthasone à la dose de 0,25 mg/kg est réalisée par voie intraveineuse.

La chienne est hospitalisée pendant 3 jours et la kaliémie et la natrémie se normalisent (respectivement 5,8 et 140 mmol/l) au bout de 36 heures.

Tout traitement antiépileptique est arrêté.

Un traitement à base de fludrocortisone (0,0125 mg/kg per os deux fois par jour, Flucortac®, spécialité humaine) et de prednisolone (1 mg/kg/j en deux prises) associé à 0,1 mg/kg/j de sel est mis en place.

Ce traitement a été instauré avant la disponibilité d’un médicament injectable avec autorisation de mise sur le marché vétérinaire (pivalate de désoxycortone à libération prolongée, Zycortal® de Dechra, sorti en novembre 2015) qui, selon le principe de la cascade, aurait dû être privilégié.

7. Suivi

Des examens de suivi après 1 semaine, 1 mois et 3 mois de traitement montrent des analyses sanguines dans les normes, en particulier pour les ionogrammes. La dose de prednisolone quotidienne a été diminuée à 0,25 mg/kg/j. La chienne a ainsi été suivie pendant 1 an sans qu’aucun signe d’hyper- ou d’hypocorticisme n’ait été observé. Elle n’a jamais refait de crises convulsives pendant cette année, malgré l’absence de tout traitement anticonvulsivant, confirmant l’hypothèse de crises convulsives liées à une maladie d’Addison.

DISCUSSION

1. Généralités sur la maladie d’Addison et les crises convulsives

L’hypocorticisme ou maladie d’Addison est à l’origine de déséquilibres électrolytiques et acido-basiques importants, perturbant le fonctionnement cérébral. De plus, comme dans ce cas, des hypoglycémies peuvent être observées et être à l’origine de crises convulsives.

Ce genre de cas, peu décrits en médecine vétérinaire, a été recensé en médecine humaine [6].

Par ailleurs, les hormones stéroïdiennes synthétisées par les glandes surrénales ont un rôle significatif sur le développement cérébral, le nombre de neurones, l’architecture et le nombre de circuits neuronaux, une influence sur la maturation, la neuroprotection, les fonctions cognitives et émotionnelles et l’apparition de crises convulsives [2]. Ainsi, la fonctionnalité de l’axe corticotrope doit être étudiée dans la recherche de causes possibles de crises convulsives chez le chien.

Les manifestations cliniques de la maladie d’Addison sont protéiformes, avec un spectre allant de vagues troubles digestifs, parfois intermittents – comme chez la chienne du cas présenté, qui présentait des épisodes réguliers de diarrhée –, au choc avec hypotension, en passant par des manifestations atypiques, telles que l’hypoglycémie décrite ici ou un mégaœsophage [5]. Le clinicien doit alors rechercher d’autres signes cliniques pouvant être en lien avec cette maladie et, le cas échéant, instaurer un traitement symptomatique adapté. Les étapes de réanimation classiques étant primordiales par rapport aux recherches étiologiques.

Une radiographie thoracique pour identifier un mégaœsophage (et ses éventuelles complications, comme une bronchopneumonie par aspiration), une microcardie, signe d’hypovolémie, etc., et une échographie abdominale complète doivent être proposées systématiquement.

2. Crises convulsives et troubles métaboliques

Dans le cas décrit ici, un diagnostic d’épilepsie idiopathique avait été établi par plusieurs vétérinaires. Cependant, ce diagnostic est, hormis pour certaines races où un test génétique existe, un diagnostic d’exclusion. Ainsi, avant des examens d’imagerie en coupe et des analyses du LCR indispensables pour écarter toute étiologie structurelle des crises convulsives, un bilan biologique exhaustif permettant d’étudier le fonctionnement de tous les organes doit être entrepris par le vétérinaire traitant afin d’investiguer tout trouble métabolique.

Le cerveau est un organe très sensible, aux besoins métaboliques élevés et toute variation de l’homéostasie sanguine, et notamment de la glycémie, peut non seulement altérer son fonctionnement, mais aussi être responsable de crises convulsives.

Le dysfonctionnement de certains organes peut être responsable de crises convulsives, comme :

– une insuffisance hépatique (le cas des shunts porto-systémiques, par exemple, est bien connu) ;

– une urémie due à une insuffisance rénale ;

– une maladie pancréatique (insulinome, par exemple) ;

– une hypothyroïdie [9].

3. Causes d’hypoglycémie chez le chien

Les neurones ne disposant pas de réserves en glucose indispensable à leur fonctionnement et à leur survie, ils sont très sensibles aux hypoglycémies. La première analyse à réaliser le plus vite possible en cas de crises convulsives est une mesure de la glycémie (les appareils portatifs nécessitant très peu de sang permettent de le réaliser dès l’admission en urgence). En cas d’hypoglycémie constatée, il convient, après les mesures de restauration de la glycémie normale classiques, d’en rechercher les causes possibles (tableau 3).

Dans le cas décrit, le chien avait une glycémie diminuée à l’admission, et l’hypoglycémie a été confirmée par le dosage des fructosamines sériques. L’hyponatrémie et l’hyperkaliémie, ainsi que la durée d’évolution des signes cliniques, ont permis ici de s’orienter vers un hypocorticisme.

4. Bilan sanguin à réaliser

Dans notre pratique, nous réalisons un bilan hématologique couplé à un bilan biochimique comprenant les paramètres suivants :

– pour étudier le fonctionnement hépatique et rénal : urée, créatinine, PAL, Alat, protéines totales, albumine, globuline, glycémie, auxquels peuvent être ajoutés les acides biliaires à jeun et postprandiaux, en fonction du contexte anamnesto-clinique ;

– pour étudier le fonctionnement thyroïdien : thyroxine (T4) totale et cholestérol. Une valeur de concentration normale à haute permet d’exclure une hypothyroïdie, une valeur de concentration basse nécessite une mesure de la thyréostimuline (TSH) afin de confirmer une éventuelle hypothyroïdie (une hypothyroxinémie pouvant être la conséquence d’un processus inflammatoire, iatrogénique, etc.) ;

– pour étudier le fonctionnement des surrénales : un cortisol basal. Une cortisolémie basale supérieure à 50 à 55 nmol/l permet d’exclure un hypocorticisme de manière assez sûre. Une valeur inférieure invite à réaliser un test de stimulation à l’ACTH [4, 10, 11] ;

– un ionogramme complet comprenant sodium, potassium, chlorures, calcium (ionisé de préférence), phosphore et gaz du sang pour les déséquilibres électrolytiques et acido-basiques.

D’autres paramètres peuvent être ajoutés en fonction de l’anamnèse.

Une analyse d’urine est également conseillée.

Un dosage d’ACTH endogène a été proposé aux propriétaires pour apporter un argument supplémentaire à une suspicion d’hypocorticisme (élevé par manque de rétrocontrôle négatif). De même, un dosage d’aldostérone pré- et poststimulation avec l’ACTH aurait été utile pour confirmer un hypoaldostéronisme associé à l’hypocorticisme.

5. Effets négatifs du phénobarbital

Les analyses sanguines sont à réaliser avant tout traitement antiépileptique. En effet, le phénobarbital, à l’instar d’autres médicaments, peut être à l’origine d’un euthyroid sick syndrome, c’est-à-dire d’une diminution des concentrations sanguines en hormones thyroïdiennes, sans atteinte des glandes thyroïdes [7]. C’est pour cette raison qu’il n’a pas été jugé utile, ici, de doser la T4.

Il est possible, en cas d’urgence, d’instaurer un traitement avant de réaliser des analyses sanguines et de traiter le chien avec de l’imépitoïne, dans la mesure où elle n’influence pas le métabolisme thyroïdien [3].

De plus, le phénobarbital pourrait être à l’origine de crises addisoniennes [15]. Il est possible que cela ait été le cas chez la chienne dont il est ici question. Dans la mesure où elle n’a plus refait de crises dès la mise en place du traitement d’un hypocorticisme, ce diagnostic a été retenu. Arrêter temporairement le traitement pour observer un éventuel retour des crises aurait pu apporter un argument supplémentaire pour étayer le diagnostic d’hypocorticisme. Nous avons refusé de le faire pour des raisons éthiques.

Conclusion

Il est impératif d’intégrer l’hypocorticisme et, plus généralement, tout trouble métabolique dans le diagnostic différentiel des crises convulsives chez le chien et un bilan sanguin exhaustif, avant la mise en place d’un traitement anticonvulsivant, est indispensable dans la recherche de l’étiologie sous-jacente aux crises observées.

  • (1) Voir l’article “Maladie d’Addison chez une chienne” de G. De Zan et coll. Point Vét. 2016;367:12-17.

Références

  • 1. Adler JA, Drobatz KJ, hess RS et coll. Abnormalities of serum electrolyte concentrations in dogs with hypoadrenocorticism. J. Vet. Intern. Med. 2007;21:1168.
  • 2. Aszalós Z. Neurological and psychiatric aspects of some endocrine diseases. The role of neurosteroids and neuroactive steroids. Orv. Hetil. 2007;148 (41):1929-1937.
  • 3. Bossens K, Daminet S, Duchateau L et coll. The effect of imepitoin, a recently developed antiepileptic drug, on thyroid parameters and fat metabolism in healthy Beagle dogs. Vet. J. 2016;213:48-52.
  • 4. Bovens C, Tennant K, Reeve J, Murphy KF. Basal serum cortisol concentration as a screening test for hypoadrenocorticism in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2014;28 (5):1541-1545. doi: 10.1111/jvim.12415. Epub 2014 Jul 28.
  • 5. Catharine J, Scott-Moncrief R. Hypoadrenocorticism. In: Ettinger SJ, Feldman EC, eds. Textbook of veterinary internal medicine. Ed. 7, Saint Louis, 2010, Elsevier:1850-1857.
  • 6. Choudhary S, Alam A, Dewan V et coll. An unusual presentation of Addison’s disease – A case report. Clin. Pediatr. Endocrinol. 2011;20 (3):57-60.
  • 7. Daminet S, Ferguson DC. Influence of drugs on thyroid function in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2003;17:463-472.
  • 8. De Zan G, Fouriez-Lablée V, Roux F. Maladie d’Addison chez une chienne. Point Vét. 2016;367:12-17.
  • 9. Del Fabbro N, Pouzot-Nevoret C, Escriou C. Hypothyroidism in emergency: about two cases. Poster Congrès EVECCS, Lyon, juin 2015.
  • 10. Gold AJ, Langlois DK, Refsal KR. Evaluation of basal serum or plasma cortisol concentrations for the diagnosis of hypoadrenocorticism in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2016;30 (6):1798-1805. doi: 10.1111/jvim.14589. Epub 2016 Oct 7.
  • 11. Lennon EM, Boyle TE, Hutchins RG et coll. Use of basal serum or plasma cortisol concentrations to rule out a diagnosis of hypoadrenocorticism in dogs: 123 cases (2000-2005). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2007;231 (3):413-416.
  • 12. Podell M. Seizures. In: Platt SR, Olby NJ, eds. BSAVA manual of canine and feline neurology. 4th ed. British Small Animal Veterinary Association, 2014:123.
  • 13. Nielsen L, Bell R, Zoia A et coll. Low ratios of sodium to potassium in the serum of 238 dogs. Vet. Rec. 2008;162:431.
  • 14. Roth L, Tyler RD. Evaluation of low sodium: potassium ratios in dogs. J. Vet. Diagn. Invest. 1999;11:60.
  • 15. Simerdova V, Hajek J, Schanilec P. Addisonian crisis in a dog treated with phenobarbitone. Austr. Vet. J. 2015;93 (4):103-108.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les troubles métaboliques à l’origine de crises convulsives sont fréquents et doivent être intégrés dans le diagnostic différentiel.

→ L’hypocorticisme fait partie des troubles métaboliques à l’origine de crises convulsives.

→ La réalisation d’un bilan sanguin exhaustif est indispensable dans la recherche des causes lors de crises convulsives.

→ Un traitement anticonvulsif n’est pas forcément nécessaire lorsque des causes métaboliques ont été mises en évidence.