Anomalie des leucocytes : diminution - Le Point Vétérinaire n° 382 du 01/01/2018
Le Point Vétérinaire n° 382 du 01/01/2018

EN 10 ÉTAPES

Auteur(s) : Laetitia Piane*, Catherine Trumel**

Fonctions :
*Équipe de biologie médicale-histologie,
CREFRE, université de Toulouse,
Inserm-UPS-ENVT,
31400 Toulouse

Lors de leucopénie ou de diminution d’une sous-population de leucocytes, plusieurs étapes sont à suivre de façon systématique pour établir le diagnostic. L’origine infectieuse est la plus courante.

Une leucopénie est caractérisée par une diminution de la numération totale des leucocytes dans le sang par rapport à l’intervalle de référence de l’espèce. Dans cet article, nous envisagerons les leucopénies ainsi que les diminutions de chaque sous-population de leucocytes avec ou sans leucopénie. Certaines pénies (monocytopénie, basopénie) ne présentant pas d’intérêt clinique ne sont pas traitées ici.

VÉRIFIER LES RÉSULTATS ET LA NATURE DE LA LEUCOPÉNIE

Dans un premier temps, il convient de contrôler les résultats chiffrés donnés par l’automate et la nature de la leucopénie en analysant les courbes et les nuages de points (1) ainsi que le frottis sanguin (formule sanguine et morphologie)(2), afin de faire la liste des anomalies vraies. Par exemple, l’absence d’agrégats leucocytaires ou encore celle de band cells lors de neutropénie sont vérifiées (photo 1).

NEUTROPÉNIE

1. Diagnostic différentiel

Une neutropénie se définit comme une diminution du nombre absolu de neutrophiles circulants. Les causes en sont nombreuses. Une neutropénie peut être d’origine périphérique, liée à :

– une augmentation de la consommation (la migration tissulaire excède la production médullaire) lors d’inflammation marquée suppurative ou nécrotique, ou d’infection bactérienne (sepsis, bronchopneumonie, pyomètre, péritonite, etc.) ;

– une destruction (neutropénie à médiation immune) ;

– une augmentation du pool marginé (endotoxémie, réaction anaphylactique). Une origine centrale est aussi possible, liée à une diminution ou à une anomalie de la production médullaire, lors de causes infectieuses (parvovirose, ehrlichiose, virus de la leucose féline [FeLV], etc.), toxiques ou médicamenteuses, dysimmunitaires, tumorales (leucémies, myélodysplasies), congénitales (hématopoïèse cyclique du colley gris) ou idiopathiques (tableaux 1 et 2). Une neutropénie peut également être mixte (centrale et périphérique).

Une étude de 2001 sur la neutropénie chez le chien et le chat montre que celle-ci est observée majoritairement dans les maladies infectieuses non bactériennes (52 % des cas), principalement virales (parvovirus chez le chien, FeLV chez le chat) et bactériennes (11 % des cas). Les neutropénies d’origine médicamenteuse représentent 11 % des cas environ. La cause la moins fréquente de neutropénie (0,4 %) est celle à médiation immune [1].

Une neutropénie n’est donc pas spécifique d’une affection particulière et la dichotomie “périphérique” versus “centrale” n’est pas toujours pertinente. Il convient de s’aider de l’examen clinique et des commémoratifs, des analyses biochimiques, de la morphologie des cellules et des autres anomalies hématologiques pour déterminer la cause de la neutropénie avant de mettre en oeuvre des examens complémentaires plus onéreux et/ou plus invasifs comme le myélogramme (figure).

2. Commémoratifs et examen clinique

Réaliser un interrogatoire précis permet de mettre en évidence l’éventuelle prise de médicaments ou de toxiques. L’examen clinique permet, de plus, d’observer une hyperthermie lors de maladie infectieuse ou d’hémopathie, une éventuelle dissymétrie testiculaire ou une monorchidie en présence d’un sertolinome, une masse externe ou abdominale, une adénomégalie, une splénomégalie ou une hépatomégalie lors d’hémopathie, notamment.

3. Résultats biochimiques

La réalisation d’un bilan biochimique oriente la démarche diagnostique lors de neutropénie.

En cas de processus inflammatoire infectieux, la protidémie et la globulinémie peuvent être augmentées, et l’albuminémie et le rapport albumine/ globuline diminués. Il est possible que le sérum amyloïde A (SAA) et la protéine C réactive (CRP) soient également augmentées.

La bilirubine peut être augmentée lors de sepsis sévère ou d’hémopathie à un stade avancé.

Lors d’hémopathie lymphoïde, la protidémie est parfois en hausse et associée à un pic monoclonal en β ou en γ sur le tracé de l’électrophorèse sérique.

4. Morphologie des neutrophiles

La morphologie des neutrophiles peut aider dans la démarche diagnostique. En effet, en présence de band cells et de neutrophiles toxiques, un processus inflammatoire actif suppuratif ou nécrotique, notamment infectieux, est suspecté. Lorsque le nombre de band cells excède celui de neutrophiles matures, il est possible de parler de degenerative left shift, qui représente un facteur pronostique négatif chez le chien et le chat [2, 3].

Dans de rares cas, des morulas d’Anaplasma phagocytophilum sont observées dans les neutrophiles.

Lors d’hémopathie, la morphologie des neutrophiles peut être également altérée, notamment en cas de syndrome myélodysplasique.

5. Autres anomalies hématologiques

Lors de neutropénie de consommation secondaire à un sepsis, une anémie normocytaire normochrome non régénérative avec la présence de rouleaux peut être notée, si l’affection est subaiguë ou chronique. Une thrombopénie secondaire à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) est également parfois observée. Une lymphopénie, voire une monocytose et une éosinopénie sont fréquentes et traduisent un stress corticoïde. Lors de neutropénie d’origine centrale, les lignées érythroïde et plaquettaire sont généralement aussi atteintes, et une anémie non régénérative et une thrombopénie peuvent être observées, avec la présence de morulas d’Ehrlichia dans les monocytes en cas d’ehrlichiose, de piroplasmes dans les hématies ou d’anomalies morphologiques lors d’hémopathie maligne. Enfin, il est possible d’observer des cellules néoplasiques.

LYMPHOPÉNIE

1. Diagnostic différentiel

Une lymphopénie se définit comme une diminution du nombre absolu de lymphocytes circulants. Il s’agit d’une anomalie hématologique fréquente qui peut être observée lors d’inflammation aiguë (infectieuse ou non), de stress corticoïde, d’augmentation des pertes (lymphangiectasie, chylothorax, entéropathies exsudatives, etc.) ou de diminution de la production médullaire (maladies virales, affections lymphoprolifératives, causes médicamenteuses ou toxiques, etc.).

Une lymphopénie n’est donc pas spécifique d’une affection particulière. Il convient de s’aider de l’examen clinique et des commémoratifs, des analyses biochimiques, de la morphologie des cellules et des autres anomalies hématologiques pour tenter d’en déterminer la cause.

2. Commémoratifs et examen clinique

Tout comme lors d’une neutropénie, un interrogatoire précis permet de mettre en évidence une prise de médicaments ou de toxiques. L’examen clinique permet, de plus, de noter une hyperthermie lors d’une maladie infectieuse ou d’une hémopathie, la présence d’un amaigrissement sévère et de troubles digestifs en cas d’entéropathie exsudative, d’un épanchement thoracique ou abdominal en présence d’un épanchement chyleux ou de transsudat pur, ou encore des signes d’hypercorticisme (polyuro-polydipsie [PUPD], distension abdominale, troubles dermatologiques, etc.).

3. Résultats biochimiques

La réalisation d’un bilan biochimique permet d’orienter la démarche diagnostique lors de lymphopénie. Par exemple, en cas de processus inflammatoire aigu, la protidémie et la globulinémie peuvent être augmentées, et l’albuminémie et le rapport albumine/ globuline diminués. Lors de stress corticoïde (endogène ou exogène), l’activité des phosphatases alcalines (PAL) (+/- l’activité des alanines aminotransférases [Alat], des γ-glutamyl-transférases [γGT], la cholestérolémie et la triglycéridémie) est parfois augmentée. Lors de lymphangiectasie ou d’entéropathie exsudative, la protidémie, l’albuminémie et la cholestérolémie peuvent être diminuées.

4. Morphologie des lymphocytes

Même en présence d’une lymphopénie, la morphologie des lymphocytes doit être observée attentivement car elle peut apporter des informations utiles. Lors de maladie infectieuse, les lymphocytes apparaissent réactionnels et hétérogènes avec un mélange de lymphocytes à grains, de lymphocytes hyperbasophiles et/ ou de lymphocytes blastiques. Lors d’hémopathie maligne lymphoïde, la population de lymphocytes est, au contraire, monomorphe et seule la ponction des organes infiltrés (noeuds lymphatiques, foie, rate, tube digestif, etc.) permet d’établir un diagnostic.

5. Autres anomalies hématologiques

Lors de lymphopénie associée à un stress corticoïde, une neutrophilie, voire une monocytose et une éosinopénie peuvent également être présentes.

En cas d’inflammation active, subaiguë à chronique, des rouleaux d’hématies sont parfois observés secondairement à une augmentation des globulines (hyperprotidémie, hyperglobulinémie) associée à une anémie modérée.

Lors d’inflammation aiguë, il est possible d’observer une leucocytose neutrophilique, voire une monocytose avec la présence de band cells, de neutrophiles toxiques et de monocytes réactionnels. Dans les cas sévères, une neutropénie avec un phénomène de degenerative left shift peut être mise en évidence. Les anomalies associées à un stress corticoïde sont aussi parfois présentes.

ÉOSINOPÉNIE

Une éosinopénie isolée n’a pas de signification clinique, et, chez certains animaux sains, les éosinophiles ne sont pas détectés à l’hémogramme.

Cependant, une éosinopénie peut être observée lors de stress corticoïde ou adrénergique, de processus inflammatoire aigu (exogène ou endogène) ou encore secondairement à une cause médicamenteuse (corticoïdes, immunosuppresseurs, etc.).

APPLICATIONS PRATIQUES

1. Cas n° 1

Commémoratifs et examen clinique

Une chienne croisée berger de 3 ans est présentée pour un abattement, des muqueuses pâles, et la présence de pétéchies et de méléna évoluant depuis 1 mois. L’examen clinique met en évidence une hyperthermie. Le recueil des commémoratifs permet d’exclure la prise de médicaments ou de toxiques.

Résultats chiffrés et frottis sanguin

Les résultats obtenus par un automate mixte, utilisant la cytométrie en flux et la variation d’impédance, mettent en évidence une anémie normocytaire hypochrome, une thrombopénie et une panleucopénie (tableau 3). Le frottis sanguin permet de confirmer la pancytopénie (photo 2).

Autres examens complémentaires

Les résultats de la biochimie plasmatique ne montrent pas d’anomalie. Un snap 4Dx® est réalisé, qui se révèle positif pour l’ehrlichiose, confirmée par une sérologie (positive 1:1280). La réalisation d’un myélogramme met en évidence une moelle pauvre, avec une aplasie généralisée compatible avec une pancytopénie d’origine centrale dans le cadre d’une ehrlichiose de stade 3 (photo 3a et 3b).

2. Cas n° 2

Commémoratifs et examen clinique

Un chat mâle européen de 1 an est présenté pour un abattement intense et des plaies sur l’abdomen. L’examen clinique met en évidence une hypothermie, une tachypnée et une tachycardie.

Résultats chiffrés et frottis sanguin

Les résultats obtenus par un automate mixte, utilisant la cytométrie en flux et la variation d’impédance mettent en évidence une anémie normocytaire normochrome, une thrombopénie et une panleucopénie (tableau 4). Le frottis sanguin permet de confirmer la pancytopénie. Des band cells toxiques sont identifiés (photos 4a et 4b).

Autres examens complémentaires

Les résultats de la biochimie plasmatique révèlent une hyperprotidémie, une hyperglobulinémie, une hypoalbuminémie et une baisse du rapport albumine/globuline. Un test pour le FeLV et le virus de l’immunodéficience féline (FIV) est réalisé, qui se révèle négatif. Le traitement des plaies et la mise en place d’une antibiothérapie avec une réanimation médicale ont permis une guérison de l’animal.

De plus, la réalisation d’un myélogramme a mis en évidence une moelle riche, avec une hyperplasie myéloïde compatible avec une panleucopénie d’origine périphérique dans le cadre d’un sepsis (photos 5a et 5b).

Conclusion

Face à une leucopénie ou à la diminution d’une sous-population de leucocytes avec ou sans leucopénie, il est primordial d’adopter une démarche diagnostique rigoureuse. Tout d’abord, il convient de confirmer les résultats chiffrés donnés par l’automate (analyse des courbes, lecture du frottis sanguin de premier niveau). Ensuite, le praticien doit s’aider des commémoratifs, de l’examen clinique, des résultats de l’analyse biochimique, de la morphologie des leucocytes et des anomalies des autres lignées hématologiques pour déterminer quels examens complémentaires sont les plus adaptés, et ainsi établir un diagnostic en gardant toujours à l’esprit que la cause infectieuse est la plus fréquemment rencontrée.

  • (1) Voir l’etape 3 “Validation et interpretation des resultats d’automate” des memes auteurs. Point Vet. 2017;376:12-19.

  • (2) Voir les etapes 5 “Validation des resultats du frottis sanguin : lecture de premier niveau” et 6 “Validation des resultats du frottis sanguin : lecture de second niveau” des memes auteurs. Point Vet. 2017;378:16-22 et 2017;379:18-23.

Références

  • 1. Brown MR, Rogers KS. Neutropenia in dogs and cats: a retrospective study of 261 cases. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2001;37:131-139.
  • 2. Burton AG, Harris LA, Owens SD, Jandrey KE. The prognostic utility of degenerative left shifts in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:1517-1522.
  • 3. Burton AG, Harris LA, Owens SD, Jandrey KE. Degenerative left shift as a prognostic tool in cats. J. Vet. Intern. Med. 2014;28:912-917.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La première cause à rechercher lors de neutropénie est infectieuse, notamment virale (parvovirus, virus de la leucose féline [FeLV]) ou bactérienne (sepsis, erhlichiose, etc.).

→ Face à une neutropénie, en l’absence de causes périphériques identifiées, un myélogramme doit être réalisé.

→ Un degenerative left shift, c’est-à-dire un pourcentage de band cells supérieur à celui de neutrophiles matures, est un facteur pronostique négatif chez le chien et le chat.

→ Une lymphopénie est une anomalie hématologique fréquente et peu spécifique.

→ Une éosinopénie isolée, une monocytopénie et une basopénie ne présentent pas d’intérêt clinique.

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