NÉONATALOGIE
Dossier
Auteur(s) : Aurélie Fournier*, Hanna Mila**, Sylvie Chastant-Maillard***
Fonctions :
*NeoCare, IHAP, reproduction, université
de Toulouse, Inra, ENVT, 23, chemin des Capelles,
BP 87614, 31076 Toulouse Cedex 03
**NeoCare, IHAP, reproduction, université
de Toulouse, Inra, ENVT, 23, chemin des Capelles,
BP 87614, 31076 Toulouse Cedex 03
***UMR Inra/ENVT 1225 IHAP,
université de Toulouse, INP-ENVT, Toulouse
Le colostrum permet un transfert d’immunité de la mère au chaton, et un apport énergétique qui, de manière assez surprenante, est équivalent dans cette espèce à celui du lait.
La survie du nouveau-né dépend très largement de la prise du colostrum, et plus précisément de la qualité du transfert passif de l’immunité colostrale, évaluée par le taux sérique d’immunoglobulines G (Ig G) du chaton à 1 ou 2 jours de vie. En plus des Ig, le colostrum est également essentiel pour le nouveau-né en raison de son apport en énergie et en facteurs de croissance. Chez le chiot, le risque de mortalité néonatale est lié directement à la croissance réalisée au cours des 2 premiers jours de vie [19]. Chez le chaton, un retard précoce de croissance semble le prédisposer au syndrome de dépérissement aboutissant à une mort probable [14].
En raison de la placentation de type endothéliochorial qui limite le passage des Ig de la mère aux fœtus, la concentration circulante en Ig chez le chaton à la naissance est très faible [18]. Avant la prise colostrale, le taux sérique en IgG varie entre 0,03 et 0,21 g/l contre 13 à 16 g/l à l’âge adulte [4, 9, 10, 15, 26]. L’immunité passive s’acquiert donc essentiellement par la prise colostrale : après celleci, à 24 heures de vie, le taux sérique atteint 25 g/l, soit cinq fois plus que le chiot au même âge et un niveau plus élevé que la concentration chez le chat adulte [26]. Globalement, un minimum de 97 % des Ig circulantes chez le nouveau-né, dans l’espèce féline, proviennent du colostrum, contre 85 à 95 % chez le chiot. Le transfert placentaire n’est pourtant pas plus important chez le chiot que chez le chaton : il apporte moins de 0,5 g d’IgG par litre de sang chez les deux nouveau-nés. Néanmoins, la quantité d’Ig colostrales absorbées ensuite est bien supérieure chez le chaton. Les taux sériques à 2 jours de vie (résultat des transferts placentaire et colostral) sont donc très différents dans les deux espèces : de l’ordre de 6 g/l chez le chiot contre 30 g/l chez le chaton [10, 19].
La qualité du transfert de l’immunité passive, évaluée par la concentration sérique en IgG chez le nouveau-né, dépend à la fois de la quantité et de la qualité du colostrum ingéré, mais aussi de la précocité de l’ingestion après la naissance : dès 16 heures après la mise bas, l’absorption est quasi nulle [4] (photo 1). L’absorption digestive d’Ig par le nouveau-né s’appuie sur deux mécanismes : une absorption sélective par l’intermédiaire du récepteur cRn (fragment crystallizable, receptor, neonatal) et une absorption macromoléculaire non sélective liée à l’immaturité du tube digestif (cellules peu différenciées et non totalement associées par des jonctions serrées). Le mécanisme de fermeture de la barrière intestinale est encore mal connu. Le développement des jonctions serrées entre les cellules de l’épithélium digestif, ainsi qu’une diminution de l’expression du FcRn au niveau de l’entérocyte, entraînant la perte de sa capacité à effectuer l’endocytose des macromolécules, causeraient l’arrêt de l’absorption intestinale d’Ig [2, 6].
Le défaut de transfert de l’immunité passive est défini par un taux d’IgG circulantes insuffisant, associé à une augmentation du risque de morbidité et de mortalité [8, 19]. Le seuil définissant un défaut de transfert de l’immunité passive, identifié chez le veau à 10 g/l [22] et chez le chiot à 2,3 g/l [19], n’a jamais été recherché chez le chaton. De plus, plutôt qu’un dosage direct des IgG (peu accessible par le clinicien), l’identification d’un marqueur indirect du transfert, de dosage plus accessible, serait intéressant. Ces biomarqueurs indirects sont, par exemple, les phosphatases alcalines (PAL) et les γ-glutamyl-transpeptidases (γGT), des molécules contenues en grande quantité dans le colostrum et absorbées par voie digestive par le nouveau-né lors de la prise colostrale [3, 5, 20]. L’évaluation indirecte de la prise colostrale peut se faire par le dosage des PAL sériques du chaton au cours de son premier jour de vie. En effet, si la concentration sérique de certains biomarqueurs est significativement augmentée chez les nouveau-nés ayant accès à la mamelle, comparés aux chatons privés de colostrum, seules les PAL présentent un intérêt diagnostique à 24 heures de vie : une concentration en PAL inférieure à 1 500 UI/l permet de diagnostiquer une absence de prise colostrale avec une sensibilité de 96 % et une spécificité de 93 %.
Les IgG ne sont pas les seuls moyens de défense apportés par le colostrum au nouveau-né. Les IgA, les cellules blanches et la lactoferrine participent à l’immunité à la fois systémique et digestive. Les IgA auraient une action locale digestive, puisqu’elles sont consommées par voie orale, mais elles sont également absorbées. Une fois passées dans la circulation générale, elles sont ensuite sécrétées sur les muqueuses, digestive mais aussi respiratoire [23].
Le transfert de l’immunité passive chez le chaton est donc essentiel pour sa protection contre les agents pathogènes au cours des premières semaines de vie. Cependant, le colostrum peut devenir lui-même un facteur de risque de mortalité néonatale par la transmission d’agents pathogènes ou de toxiques de la mère au nouveau-né (encadré). De plus, les anticorps colostraux se révèlent parfois délétères, dans le cas de l’isoérythrolyse néonatale(1).
Le chaton possède de faibles réserves en tissu adipeux brun et présente un rapport surface/poids élevé qui le prédispose à l’hypothermie (photo 2). Ses réserves en glycogène et son métabolisme glycogénique sont également aibles, le prédisposant en plus à une hypoglycémie [21]. Un apport énergétique régulier et suffisant est donc nécessaire à sa survie, et sa croissance ne devient possible que si cet apport excède ses besoins d’entretien. De manière surprenante, la valeur énergétique du colostrum félin est similaire à celle du lait, alors que, chez la chienne, elle lui est de 20 % supérieure [1, 7, 13]. Par conséquent, en termes d’apport énergétique, un chaton nouveau-né peut être adopté par une femelle en lactation. Pour couvrir ses besoins énergétiques, un chaton de 100 g doit ingérer quotidiennement 17 ml de colostrum, sur la base d’un besoin énergétique de 22 kcal/100 g/j pour un colostrum apportant 1 287 kcal/l [1, 16, 21]. Pour atteindre un taux sérique d’IgG de 25 g/l (taux moyen mesuré chez le chaton après la prise colostrale [26]), un chaton de 100 g doit ingérer 3,9 ml de colostrum pendant ses 16 premières heures de vie. Ainsi, un nouveau-né a besoin de quatre à cinq fois moins de colostrum pour atteindre le taux d’IgG sérique moyen que pour couvrir ses besoins énergétiques.
Au-delà des apports énergétique et immunologique, le colostrum pourvoit le chaton en facteurs de croissance ainsi qu’en hormones(2). Ces substances permettraient la maturation de certains organes, en particulier le tractus gastro-intestinal et ses annexes (foie, pancréas). Les études réalisées chez le chiot montrent une croissance de la muqueuse intestinale supérieure de 75 % chez les nouveau-nés nourris avec du colostrum, par rapport à ceux qui reçoivent du lait maternisé [12]. Cependant, ce retard de croissance digestive serait comblé à 120 heures post-partum [24]. Cette maturation favoriserait par la suite l’absorption des nutriments et la croissance [25].
Le colostrum félin est une solution de composition originale cruciale pour la survie du chaton. Il fournit des défenses pour combattre les agents pathogènes, et apporte tous les nutriments nécessaires à un bon développement et à une croissance optimale. Il n’a pas été défini lequel des deux rôles (apport énergétique ou immunitaire) est le plus prépondérant pour la survie du chaton. Ainsi, une suralimentation énergétique précoce pour la survie du chaton serait intéressante à explorer.
(1) Voir l’article “Focus sur l’isoérythrolyse néonatale” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(2) Voir l’article “Colostrum félin : de sa formation à la tétée” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Aucun.
Le colostrum est aussi une voie de transmission potentielle d’agents pathogènes et de toxiques de la mère au chaton.
Transmission de parasites
Les larves de Toxocara cati, quiescentes dans les tissus maternels, sont réactivées lors de la gestation et migrent jusqu’à la mamelle de la chatte. La prévention passe par une bonne hygiène des locaux et un protocole de vermifugation doit être établi dès la mise à la reproduction. La molécule et le moment de vermifugation ont leur importance. Le fenbendazole, par exemple, peut être utilisé à la dose de 50 mg/kg, par voie orale, une fois par jour pendant 3 jours, au moment de la saillie et 15 jours avant la mise bas.
Vecteur du FeLV et du FIV
Le colostrum peut également être le vecteur de deux virus : le virus leucémogène félin (FeLV, pour feline leukemia virus) et le virus de l’immunodépression féline (FIV, pour feline immunodeficiency virus). La contamination par voie colostrale peut être à l’origine du dépérissement du nouveau-né, mais l’infection passe généralement inaperçue et s’exprime seulement à l’âge adulte. Le seul retrait des chatons à la naissance ne suffit pas à prévenir leur infection puisqu’ils peuvent également s’infecter in utero ou lors de la mise bas. La prévention passe donc par un dépistage systématique des géniteurs (polymerase chain reaction [PCR] ou Snap test®) et leur retrait de la reproduction en cas de positivité au test.
Syndrome du lait toxique
Le syndrome du lait toxique est attribué à une infection bactérienne ou toxinique du chaton qui se contamine par l’ingestion du colostrum ou du lait maternel. Ce lait toxique est lié à une infection de la mamelle (mammite) à la faveur d’une remontée bactérienne liée à de mauvaises conditions d’élevage, à des blessures mammaires dues aux nouveau-nés ou à l’environnement, et, plus généralement, à une circulation bactérienne chez la mère (notamment lors d’infection utérine). Enfin, de nombreux médicaments sont susceptibles d’être excrétés dans le lait et absorbés par le nouveau-né, avec des conséquences tragiques.