DERMATOLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Thomas Brément*, Patrick Bourdeau**, Vincent Bruet***
Fonctions :
*Oniris, unité DPMA,
Atlanpôle la Chantrerie,
44307 Nantes Cedex 03
Afin de vous guider dans le choix de la spécialité pharmaceutique la plus adaptée, tous les éléments à évaluer pour optimiser la prise en charge d’une otite externe sont ici présentés.
Une otite externe est une inflammation du conduit auditif résultant de nombreuses causes possibles [38, 53].
Les otites externes représentent (en France) 4 % des consultations générales (7 % hors consultations vaccinales) et jusqu’à 20 % des motifs de consultation au sein de structures spécialisées, soit l’un des motifs les plus fréquents en médecine canine [19, 21, 30, 37, 45]. À l’unité de dermatologie d’Oniris (DPMA), elles représentent 20 % des motifs de consultation chez le chien et sont au inal diagnostiquées chez environ 40 % des animaux. Un propriétaire sur deux apparaît donc ignorant de la présence d’une otite chez son chien. Il convient en premier lieu de différencier une otite externe d’une otite moyenne potentiellement associée. En effet, en cas de chronicité (otite de plus de 1 mois), une atteinte de l’oreille moyenne n’est pas rare, même si le tympan apparaît intact. Dans ce cas, le traitement local topique est insuffisant et doit être complété par un traitement systémique et/ou une approche chirurgicale.
L’objet de cet article est de guider le choix thérapeutique lors d’otite externe isolée chez le chien, en gardant à l’esprit que des otites peuvent être chroniques tout en restant externes (tableau 1). De plus, la plupart des présentations combinent plusieurs molécules dont les activités ne sont pas nécessairement justifiées (notamment lors d’otacariose isolée, d’otite à composante fongique ou d’otites purement bactériennes). Ici seront traités seulement les critères d’utilisation des “spécialités” disponibles en France.
Les otites externes sont des affections complexes, souvent multifactorielles. Elles peuvent être aiguës, subaiguës, chroniques ou récidivantes. Sans prise en charge rapide, les otites aiguës sont souvent associées à des complications infectieuses et deviennent chroniques.
De ce fait, une approche rigoureuse est nécessaire pour toute affection auriculaire. Le recueil des commémoratifs, de l’anamnèse, et la réalisation d’un examen clinique approfondi (général, dermatologique et otoscopique) sont des étapes indispensables. La réalisation de l’examen otoscopique peut être standardisée avec le recours à une grille de notation (Otis-3) permettant l’évaluation de l’intensité des signes cliniques lors d’otite et le suivi clinique au cours du temps, même par différents observateurs [43]. Associées à la réalisation d’examens complémentaires bien choisis (recherche parasitaire, cytologie, imagerie médicale, etc.), ces étapes permettent d’évaluer les facteurs primaires, secondaires, prédisposants et perpétuants(1), et d’optimiser la gestion de la maladie.
Le traitement des otites externes s’articule autour des grands axes suivants :
– le nettoyage du conduit auditif ;
– la recherche et la gestion de la cause primaire ;
– l’identification des facteurs favorisants et perpétuants ;
– la prise en charge des complications.
Le traitement médical repose principalement sur l’utilisation topique de nettoyants auriculaires (céruminolytiques et/ou antiseptiques) et de principes actifs antibactériens, antifongiques, antiparasitaires et antiinflammatoires [46].
Les principaux parasites retrouvés dans les oreilles sont les Otodectes, occasionnellement les Demodex [52]. Plus rarement, d’autres acariens sont détectés (Cheyletiella, Trombicula, Sarcoptes). Enfin, des myases auriculaires sont parfois décrites (non envisagées ici). Otodectes cynotis peut être mis en évidence par visualisation directe à l’examen otoscopique. Le diagnostic formel d’une otacariose se fait par l’observation microscopique d’un prélèvement de cérumen obtenu par curetage avec identification des parasites [16].
Il existe de nombreuses options thérapeutiques et le choix concerne surtout la voie d’administration. En effet, les traitements antiparasitaires ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) reposent essentiellement sur l’utilisation répétée de formulations topiques sous forme de pommade (perméthrine), de gel (ivermectine) ou de solution (crotamiton) auriculaires ou de spécialités pharmaceutiques topiques contenant des principes actifs à effets systémiques (sélamectine, moxidectine) (tableau 2).
De plus, de nombreuses autres molécules, à ce jour dépourvues d’AMM dans ces indications, ont pu être utilisées telles que le fipronil ou le pyriproxyfène en instillation intra-auriculaire, certaines lactones macrocycliques par voie injectable (ivermectine, moxidectine) et les isoxazolines par voie systémique (sarolaner, afoxolaner, fluralaner, etc.) [7, 8, 14, 18, 55, 56, 59, 60].
En raison de la contagiosité de cette affection, tous les animaux d’espèces sensibles en contact avec l’animal reconnu infesté doivent être traités. Le nombre d’animaux à traiter, le tempérament de l’animal, l’importance des signes cliniques et les capacités d’observance des propriétaires sont autant de critères à prendre en compte pour choisir la voie d’administration adaptée. Ainsi, un traitement topique, éventuellement en alternance avec un nettoyant céruminolytique, peut suffire si le nombre d’animaux à traiter est faible. En revanche, une approche systémique est privilégiée si le nombre d’animaux à traiter est important (moins fastidieux pour un propriétaire), en cas d’atteinte cutanée associée, d’intolérance à un acaricide local (souvent irritant) ou si le tempérament de l’animal ne permet pas d’administrer le traitement directement dans le conduit auditif. L’aspect économique et le spectre des molécules (traitement/prévention d’autres parasitoses externes ou internes) sont également à prendre en compte.
Lors d’otite, l’inflammation est responsable de douleur, de modifications morphologiques du conduit auditif et d’un terrain favorable aux complications infectieuses [39]. La lutte contre l’inflammation est donc essentielle (photo 1). La très grande majorité des spécialités vétérinaires auriculaires contient des antiinflammatoires stéroïdiens plus ou moins puissants (tableau 3) [26, 38]. Le choix de la puissance de l’antiinflammatoire se fait selon l’intensité de l’inflammation, sa chronicité, les modifications morphologiques des parois du conduit auditif et l’estimation de la douleur ressentie par l’animal.
Une inflammation modérée peut rétrocéder à la suite de l’utilisation d’anti-inflammatoires de classe 1 ou 2 (par exemple, triamcinolone, prednisolone), mais des états chroniques ou fortement inflammatoires aigus, éventuellement compliqués de modifications morphologiques, justifient le recours à des anti-inflammatoires puissants (par exemple, acéponate d’hydrocortisone, bétaméthasone, uroate de mométasone). En effet, les glucocorticoïdes permettent de lutter contre l’hyperplasie des conduits auditifs. Ils limitent également la sécrétion glandulaire, donc la quantité de cérumen.
Il est également indispensable de chercher à minimiser les effets secondaires. Pour cela, la voie topique est à privilégier autant que possible. Elle permet une action ciblée et limite les réactions systémiques indésirables. Cependant, même par voie topique, il existe une résorption avec des conséquences plus ou moins importantes selon la durée d’application, notamment sur l’axe cortico-surrénalien et le système immunitaire [23, 35, 50]. Le développement des diesters tels que l’acéponate d’hydrocortisone ou le furoate de mométasone a permis de limiter les effets secondaires associés à l’utilisation des glucocorticoïdes topiques. Les diesters ont une structure chimique qui leur confère une meilleure tolérance locale et systémique et une bonne sécurité d’emploi, y compris pour les propriétaires [12, 41]. Leur pénétration dans la couche cornée de l’épiderme est favorisée et leur mécanisme d’action très spécifique minimise les effets indésirables sur les structures cutanées au site d’application [6, 32, 44, 51, 55]. L’intérêt de l’acéponate d’hydrocortisone dans la prévention des récidives d’otites associées à un état allergique a été démontré à raison d’une application par jour, deux jours consécutifs par semaine [3, 4]. La voie systémique n’est pas à privilégier sauf en cas de difficulté d’observance, de douleur trop importante ou d’impossibilité d’accès au conduit auditif en raison d’une hyperplasie trop marquée ou répondant insuffisamment aux topiques.
Enfin, à l’intérieur d’une même gamme de molécules, le choix doit se fonder sur les autres molécules incluses dans le produit final (par exemple, antibiotiques critiques).
Les otites à composante bactérienne ou mixtes (bactérienne et fongique) représentent respectivement près de 20 % des cas de consultations de dermatologie (données du service DPMA). En consultation générale, une étude très récente révèle que près de 50 % des otites externes sont associées à une infection bactérienne ou mixte chez le chien [48]. Staphylococcus pseudintermedius est la bactérie la plus fréquemment retrouvée, notamment lors d’otite aiguë (entre 30 et 75 % dans certaines études) [34, 62]. A contrario, la population de bacilles augmente avec la chronicité et Pseudomonas aeruginosa est fréquemment rencontrée lors d’atteintes chroniques suppurées [29, 36]. Au sein des cliniques DPMA d’Oniris, les bacilles sont retrouvés dans 42 % des cas d’otites bactériennes suppurées ou non et les cocci dans 94 % des cas (données du service DPMA). Contrairement aux bacilles qui ne sont pas retrouvés dans des oreilles saines, il est délicat de déterminer un nombre seuil de cocci observés par champ au-delà duquel il serait possible de parler de prolifération pathologique. Une étude suggère un seuil de 25 bactéries par champ (à l’immersion) au-delà duquel l’implication des bactéries est caractérisée. Toutefois, des chiffres inférieurs n’excluent pas la possibilité d’un rôle des bactéries [22]. La présence de microorganismes doit donc surtout être reliée à la clinique pour déterminer leur rôle pathogène et estimer la prise en charge thérapeutique.
De nombreuses spécialités auriculaires contenant des antibiotiques sont disponibles sur le marché vétérinaire français. Les principaux sont les aminosides (gentamicine, ramycétine, néomycine), la polymyxine B, les fluoroquinolones (marbofloxacine, orbifloxacine), l’acide usidique et le florfénicol. Leur efficacité testée in vitro varie selon la localisation géographique, la durée d’évolution des lésions, les souches bactériennes et les techniques d’analyse employées par les différents laboratoires (tableau 4) [31, 33].
L’émergence d’antibiorésistances touchant les différentes familles d’antibiotiques remet en question les pratiques thérapeutiques actuelles [31, 33]. La législation rançaise (arrêté du 25 mars 2016) précise les conditions d’utilisation des antibiotiques, que ce soit par voie systémique ou par voie topique. La prescription des antibiotiques d’importance critique est soumise à des conditions précises : la réalisation d’un examen clinique (complété d’examens complémentaires, notamment une cytologie), l’obtention de résultats de laboratoire (culture bactérienne et antibiogramme) indiquant que la souche bactérienne identifiée est sensible à cette molécule, la conservation de la justification d’emploi de l’antibiotique critique pendant 5 ans (photo 2). En médecine vétérinaire, ces antibiotiques incluent les céphalosporines de troisième génération et les fluoroquinolones. L’utilisation de spécialités vétérinaires à base de marbofloxacine et d’orbifloxacine doit donc répondre à ces impératifs. En plus de l’aspect législatif, le choix d’une antibiothérapie se fait également selon le type de bactéries observées à la cytologie et l’historique de l’animal (ancienneté de l’évolution, thérapies déjà entreprises, etc.). Il peut être décidé de mettre en place une antibiothérapie à large spectre raisonnée avec des molécules non critiques ou bien selon les résultats d’un antibiogramme. Cependant, les résultats des antibiogrammes sont à manipuler avec précaution. Obtenus in vitro, ils peuvent contraster avec la réponse thérapeutique observée in vivo. En effet, les concentrations d’antibiotiques appliquées par voie topique sont cent à mille fois supérieures aux concentrations testées in vitro pour évaluer la sensibilité d’une souche bactérienne. Cette différence permet d’estimer que les barrières de résistances bactériennes sont probablement dépassées lors d’un traitement auriculaire. La prise en compte du résultat brut de l’antibiogramme peut donc mener le praticien à sous-estimer l’efficacité d’une autre option thérapeutique.
Pour optimiser le traitement antibactérien, la quantité instillée dans les conduits auditifs ne doit pas être sous-dosée, surtout chez les grands chiens. Ainsi, pour des produits compte-gouttes, tout en étant hors AMM, certains praticiens préfèrent remplir le conduit auditif plutôt que de déposer le nombre de gouttes exact, impossible à contrôler. La durée du traitement ne doit pas non plus être sous-estimée et peut être de plusieurs semaines, ce qui signifie souvent une utilisation hors AMM. Les antibiotiques peuvent être utilisés seuls ou en association synergique avec d’autres antibiotiques, des antifongiques ou des nettoyants antiseptiques. Les principales synergies utilisées sont les associations framycétine-acide fusidique, polymyxine B-miconazole et quinolones-Tris-EDTA [1, 13, 27, 49]. La chlorhexidine, le PCMX et les acides acétique, lactique et hypochlorique, inclus dans certains nettoyants, ont également une action reconnue in vitro contre un large spectre bactérien, tel que les Staphylococcus pseudintermedius et Pseudomonas aeruginosa, et leur utilisation représente un atout supplémentaire [57, 58]. L’interruption d’un traitement antibiotique est décidée après une observation otoscopique et un examen cytologique.
Malassezia pachydermatis fait partie intégrante de la flore fongique du conduit auditif et est fréquemment associée aux otites externes chez le chien [17, 21, 34, 40]. Elle est observée seule dans 40 % des cas d’otites vus au sein des cliniques DPMA d’Oniris et sa prévalence dans les publications varie de 30 à 80 % [17, 21, 34]. À la cytologie, il est délicat de déterminer un nombre seuil de Malassezia observées par champ au-delà duquel il est possible de parler de prolifération pathologique et d’établir un diagnostic d’otite fongique [22, 24]. Leur présence doit être reliée à la clinique pour adapter le traitement. Cela d’autant plus que la cytologie n’est pas nécessairement le meilleur moyen d’évaluer l’abondance réelle de ces levures [11]. D’autres levures sont occasionnellement isolées telles que Candida sp. dans 3 à 25 % des cas d’otites fongiques [5, 17, 19, 21, 34].
L’utilisation d’un antifongique (principalement les azolés, la terbinafine et la nystatine) par voie topique est indiquée en cas d’otite fongique (tableau 5) [15, 19, 42]. Lors d’otite externe chez le chien, la sensibilité in vitro aux antifongiques de souches de Malassezia pachydermatis serait inférieure à celles des souches isolées chez des animaux sains [15, 61]. Pour autant, aucune résistance aux antifongiques, quels qu’ils soient, n’est actuellement démontrée in vitro à l’exception du fluconazole [2, 9, 15, 34, 47]. In vivo, une étude clinique suggère une supériorité du clotrimazole par rapport à la nystatine dans le traitement des otites associées à Malassezia chez le chien, mais cette différence n’est pas significative [28].
Aucune résistance n’a été démontrée pour les levures du genre Candida, en particulier C. albicans. Ainsi, il n’est pas démontré que des différences d’activité mesurées in vitro se traduisent par une efficacité supérieure in vivo, même si, d’une façon générale, l’évolution des antifongiques se fait logiquement vers l’utilisation de molécules de plus en plus actives. Cela est d’autant plus vrai que les concentrations réelles d’antifongiques inclus dans les produits auriculaires employés rendent peu probable en pratique le développement de mécanismes de résistance [15].
Le choix du principe actif doit donc être combiné à celui des autres molécules (corticoïdes, antibiotiques) présentes au sein de la spécialité pharmaceutique. Des principes actifs présents dans certains nettoyants auriculaires ont une activité antifongique intéressante à mettre à profit dans le suivi (par exemple piroctone olamine) [10]. Tout comme pour la gestion des bactéries, le volume administré et la durée du traitement peuvent nécessiter en pratique une gestion du cas hors du cadre de l’AMM pour aboutir à la guérison. Cette fois-ci encore, seule l’association d’une observation otoscopique et d’une cytologie permet d’estimer la guérison.
Les otites canines sont multifactorielles et il est indispensable de gérer tous leurs aspects : cause primaire, acteurs secondaires, facteurs perpétuants et favorisants. La réalisation d’un bilan clinique précis et d’examens complémentaires bien choisis permet d’adapter la démarche thérapeutique à chaque animal et d’optimiser la prise en charge à long terme. Le choix d’une spécialité pharmaceutique repose essentiellement sur la clinique de l’animal (intensité de l’inflammation, présence de cérumen, de pus, modifications morphologiques du conduit auditif, douleur, etc.), ainsi que sur sa composition, en tenant compte notamment de la puissance du glucocorticoïde et de la amille de l’antibiotique (législation, spectre d’activité).
(1) Voir l’article “Améliorer l’observance en otologie canine : traitement d’une otite associée à Malassezia avec un gel auriculaire” des mêmes auteurs. Point Vét. 380;2017:52-56.
T. Brément est en résidanat en partie inancé par le laboratoire Elanco France, Virbac France et Merial-Boehringer rance.
→ Le traitement médical repose principalement sur l’utilisation topique de nettoyants auriculaires adaptés et de principes actifs antiparasitaires, antiinfectieux et anti-inflammatoires.
→ Malgré leur nombre important, peu de molécules antiparasitaires actives par voie topique ou systémique ont une autorisation de mise sur le marché indiquant leur utilisation lors d’otites parasitaires.
→ Le choix de l’anti-inflammatoire repose sur l’intensité de l’inflammation, sa chronicité, les modifications morphologiques associées et la douleur ressentie par l’animal, tout en cherchant à limiter les effets secondaires.
→ Le choix de l’antibiotique doit prendre en compte des critères législatifs et suivre les bonnes pratiques de l’antibiothérapie (spectre d’action, dose, durée, synergies, etc.).
→ In vivo, tous les antifongiques possèdent une efficacité comparable.