CARDIOLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Mathilde Porato*, Anne-Christine Merveille**, Géraldine Bolen***, Marie Lavennes****, Aurélia Leroux*****, Kathleen McEntee******
Fonctions :
*Département des sciences cliniques (animaux
de compagnie et équidés), quartier Vallée-2,
avenue de Cureghem 3, 4000 Liège, Belgique
**Département des sciences cliniques (animaux
de compagnie et équidés), quartier Vallée-2,
avenue de Cureghem 3, 4000 Liège, Belgique
***Département des sciences cliniques (animaux
de compagnie et équidés), quartier Vallée-2,
avenue de Cureghem 3, 4000 Liège, Belgique
****Centre hospitalier vétérinaire Pommery,
226, boulevard Pommery, 51100 Reims
*****Service de médecine interne équine,
Centre international de santé du cheval d’Oniris,
Atlanpole, La Chantrerie, route de Gachet,
44307 Nantes Cedex 3
******Département des sciences cliniques (animaux
de compagnie et équidés), quartier Vallée-2,
avenue de Cureghem 3, 4000 Liège, Belgique
Le recours aux examens d’imagerie, à l’échocardiographie en particulier, est nécessaire pour diagnostiquer un cor triatriatum dexter, affection congénitale rare chez le chien.
Le cor triatriatum dexter (CTD) est une malformation cardiaque caractérisée par la présence de trois chambres atriales, l’atrium droit étant compartimenté en deux chambres séparées par une membrane perforée ou imperforée. La veine cave caudale et, le plus souvent, le sinus coronaire s’abouchent dans le compartiment caudal, alors que la veine cave craniale rejoint la chambre craniale, qui communique avec le ventricule droit via la valve tricuspide. Cette membrane crée un obstacle pour le flux veineux issu de la veine cave caudale et du sinus coronaire [20] (figure). Par analogie avec la médecine humaine, cet état est appelé parfois le Budd-Chiari-like syndrome. Le syndrome de Budd-Chiari est une occlusion d’une ou de plusieurs veines hépatiques et/ou de la veine cave supra-hépatique par un thrombus, une membrane ou une tumeur, entraînant une congestion du foie, une hypertension portale et une ascite [15]. Plusieurs cas de CTD ont été décrits chez des chiots, tandis que, chez l’adulte, la maladie a rarement été rapportée [1, 6, 9, 14, 16]. La démarche diagnostique chez 2 chiens adultes est ici présentée, puis expliquée en insistant sur la singularité de ces deux cas. Les différentes méthodes diagnostiques, ainsi que les options thérapeutiques sont discutées.
Une femelle cairn terrier de 2 ans et demi est présentée pour un suivi de chaleurs et une insémination. Vingt-huit jours plus tard, la chienne revient pour le diagnostic de gestation.
L’examen clinique est dans les normes, hormis une distension abdominale également remarquée par la propriétaire. Une prise de poids de 200 g est notée. Aucune distension des veines jugulaires n’est observée.
Dans l’hypothèse d’une gestation, une échographie abdominale est réalisée en premier lieu.
L’échographie abdominale révèle l’absence de gestation, mais une dilatation de la veine cave caudale, un foie légèrement hypoéchogène dans son ensemble et de volume augmenté, avec une congestion des veines hépatiques, et un épanchement abdominal (photo 1). Le liquide abdominal est ponctionné et analysé. Il s’agit d’un transsudat modifié, avec 3,7 g/dl de protéines totales et 823 leucocytes/mm3 (valeurs de référence d’un transudat pur : protéines < 2,5 g/dl ; comptage cellulaire < 1 000 cellules/mm3 [7]).
Une hypertension portale supra-sinusoïdale est suspectée, en raison de la congestion du foie et de la veine cave, associée à l’épanchement abdominal, sans signe de fibrose hépatique. L’hypertension portale supra-sinusoïdale peut avoir différentes origines, communes à celles de l’augmentation de la pression dans la veine cave caudale, qui sont investiguées via les examens complémentaires qui suivent (tableau).
Les radiographies thoraciques ne montrant aucun signe de cardiomégalie droite, un Budd-Chiari-like syndrome est suspecté (photos 2a et 2b).
L’échocardiographie révèle la présence d’une membrane séparant l’atrium droit en deux cavités et engendrant un déplacement du septum atrial vers la gauche (photo 3). La structure et la fonction du ventricule droit ne sont pas altérées. Le sinus coronaire s’abouche dans la cavité distale et apparaît dilaté. La membrane est perforée, et un flux continu et turbulent est visible en mode Doppler (photo 4).
Un bilan sanguin est effectué. La concentration sanguine en D-dimères, produits de la fibrinolyse, a été recherchée avant que nous puissions réaliser l’échocardiographie. Une valeur basse permet, en effet, d’exclure un phénomène thrombo-embolique [18]. Dans notre cas, sa valeur est élevée, ce qui ne nous aurait pas permis d’infirmer cette hypothèse (1 818 µg/l, normes < 250 µg/l).
Hormis une légère hypoprotéinémie (54 g/l, normes : 60 à 80 g/l), le reste du bilan sanguin est dans les normes. En raison d’un voyage récent dans le sud de la France, et même si les symptômes cliniques ne sont pas en faveur de cette hypothèse, une analyse sérologique pour les antigènes de Dirofilaria immitis est réalisée. Elle est négative.
Les images obtenues à l’échocardiographie sont compatibles avec un CTD entraînant une altération du retour veineux à l’entrée du coeur droit et elles expliquent le Budd-Chiari-like syndrome.
Un traitement palliatif à base de spironolactone (action diurétique, prescrite pour limiter l’ascite, 2 mg/kg per os [PO], une fois par jour) et de clopidogrel(1) (action antithrombotique, prescrit en raison de la suspicion de thrombose veineuse, 18,75 mg PO, une fois par jour) administré pendant 8 mois permet de résoudre transitoirement les symptômes. La spironolactone est préférée au furosémide afin de réduire une alcalose métabolique susceptible d’aggraver une éventuelle encéphalose hépatique lors d’hypertension portale. Le clopidogrel(1) est préféré à l’héparine pour sa facilité d’administration PO et parce que le suivi des temps de coagulation n’est pas nécessaire.
Une récidive des signes cliniques est observée 8 mois plus tard, ce qui nécessite l’ajout de furosémide (action diurétique complémentaire, 2,5 mg/kg PO, deux fois par jour) au traitement initial. La propriétaire opte alors pour l’intervention chirurgicale. Un angioscanner préopératoire permet d’exclure la présence concomitante d’autres anomalies vasculaires. La résection de la membrane est réalisée sous occlusion transitoire du retour veineux.
Depuis l’intervention chirurgicale, la chienne est asymptomatique et ne nécessite plus de traitement médical. L’échocardiographie de contrôle réalisée 1 mois après l’opération montre une persistance de la membrane anormale, mais avec un diamètre supérieur de l’orifice la perforant, ainsi qu’une réduction de la dilatation du sinus coronaire et des turbulences du flux entre les deux chambres.
Un spitz moyen mâle de 2 ans est référé au service de cardiologie afin d’investiguer un souffle cardiaque détecté par le vétérinaire référent. Les propriétaires ne rapportent pas d’intolérance à l’effort ni de toux.
L’examen clinique est dans les normes, à l’exception de la présence d’un souffle holosystolique basal gauche de grade 5/6. En particulier, le temps de remplissage capillaire (TRC) est inférieur à 2 secondes et l’auscultation pulmonaire est normale. Le pouls fémoral est pulsé, symétrique et synchrone.
Dans l’hypothèse d’une sténose aortique ou pulmonaire, une échocardiographie est réalisée.
L’échocardiographie met en évidence une hypertrophie du ventricule droit. Les valves pulmonaires sont partiellement fusionnées, et responsables d’un flux pulmonaire accéléré et turbulent. Un diagnostic de sténose pulmonaire sévère (gradient de pression à 110 mmHg) de type A (fusion des feuillets) est donc établi. De plus, l’atrium droit est divisé en deux compartiments par une membrane perforée (photo 5). Il s’agit donc d’une affection cardiaque congénitale complexe : une sténose pulmonaire associée à un CTD. Une évaluation biologique (hémogramme, bilan biochimique) a été déclinée par les propriétaires.
Un traitement par angiographie interventionnelle est conseillé en raison de la double indication (sténose pulmonaire et CTD). Aucun traitement médical n’est mis en place étant donné l’absence de signes cliniques. En raison du double défaut cardiaque, un mauvais pronostic est attendu en l’absence de traitement chirurgical. Aucun suivi n’a pu être réalisé car les tentatives pour contacter les propriétaires et le vétérinaire référent ont été infructueuses.
Ces deux cas de CTD sont atypiques en raison de l’âge des chiens (adultes), de l’absence de symptômes et de son association avec une sténose pulmonaire pour le second cas.
Le CTD représente environ 0,3 % des affections cardiaques congénitales chez le chien [19]. La membrane séparant l’atrium droit en deux chambres est une valve rémanente du sinus venosus, cavité en amont des oreillettes présente chez les chordés, mais ne persistant qu’à l’état embryonnaire chez les mammifères [8]. Cette malformation cardiaque peut être associée à d’autres affections cardio-vasculaires congénitales telles que des défauts du septum interatrial, une dysplasie de la valve tricuspide, une sténose pulmonaire, une compartimentalisation du ventricule droit ou une communication entre la veine cave caudale, d’une part, et la veine azygos et le canal thoracique, d’autre part [5, 12, 16, 17, 24].
Les animaux sont le plus souvent encore en croissance et symptomatiques au moment du diagnostic. Ils présentent fréquemment une ascite [1, 5, 6, 9, 14, 17, 20, 24, 25]. Les pièges diagnostiques sont l’absence de souffle cardiaque et une silhouette cardiaque qui reste généralement dans les normes [1, 6, 9, 14, 24, 25]. Une congestion de la veine cave caudale et des veines abdominales, une hépatomégalie et une diarrhée due à la mauvaise perfusion splanchnique sont parfois observées. En revanche, aucun signe de congestion passive de la partie antérieure du corps (pas d’effusion pleurale ni de turgescence des jugulaires) n’est présent. Des anomalies biochimiques plasmatiques aspécifiques peuvent être notées, telles qu’une hypoalbuminémie secondaire à la perte d’albumine dans l’épanchement abdominal [12, 24].
Le CTD fait partie du diagnostic différentiel du Budd-Chiarilike. Ce syndrome a déjà été décrit chez le chien associé à une tumeur abdominale, à un trauma menant à une coudure de la veine cave caudale, à une hernie hiatale et à un enclavement d’un lobe du foie dans le ligament falciforme [2, 10, 13, 21, 22]. Chez l’homme, le syndrome de Budd-Chiari est le plus souvent secondaire à un thrombus ou à une membrane dans la veine cave postérieure et un état d’hypercoagulabilité y est souvent associé [23]. Chez le chien, ces causes n’ont jamais été rapportées. Pour le premier cas, une évaluation biologique a été réalisée afin de s’approcher du diagnostic en attendant la disponibilité de l’échocardiographie, l’examen de choix. En raison de l’augmentation de la concentration des D-dimères, un état d’hypercoagulabilité lié à la stase veineuse et à l’origine de l’apparition brutale des signes cliniques ne peut être exclu, d’où la prescription intiale de clopidogrel. La recherche des antigènes de Dirofilaria immitis a été effectuée en raison d’un récent séjour du chien dans le sud de la France, même si l’absence de signes cliniques et radiographiques d’hypertension pulmonaire n’était pas en faveur de ce diagnostic.
Le diagnostic du second cas de CTD a, quant à lui, été totalement fortuit. En effet, le chien ne présentait aucun signe de décompensation cardiaque droite, mais bien un souffle, alors que le CTD est une anomalie caractérisée par l’absence de souffle [17]. La symptomatologie tardive et le peu de modifications biochimiques malgré la congestion hépatique pour le premier cas, ainsi que l’absence de symptômes pour le second ne sont pas expliquées. Cependant, l’absence d’anomalie à l’auscultation cardiaque et à la radiographie thoracique laisse penser que les animaux asymptomatiques pourraient être sous-diagnostiqués.
La symptomatologie dépend directement de la gravité de l’obstruction créée par la membrane, donc du gradient de pression entre les deux chambres. Outre la confirmation du diagnostic par la visualisation de la membrane dans l’atrium droit, l’échocardiographie-Doppler permet aussi :
– de caractériser le degré de perméabilité de cette membrane, selon qu’elle sépare complètement les deux chambres ou qu’elle est perforée (majorité des cas) ;
– d’évaluer la distension de la chambre caudale ;
– d’estimer le degré d’obstruction par les caractéristiques du flux (mode Doppler) ;
– d’estimer le gradient de pression de part et d’autre de la membrane (mode Doppler) ;
– de vérifier l’absence d’une anomalie cardiaque complexe.
Un flux turbulent est observé entre les deux chambres lorsque la membrane est perforée [1, 6, 25].
Les informations obtenues grâce à l’échocardiographie peuvent être précisées grâce à l’imagerie par résonance magnétique à bas champ, qui présente l’avantage, contrairement à l’échocardiographie, de ne pas être restreinte par des fenêtres spécifiques d’acquisition [11, 16]. Le cathétérisme via la veine fémorale permet de mesurer le gradient de pression de part et d’autre de la membrane et de vérifier l’absence d’autres anomalies cardiaques ou vasculaires grâce à l’angiographie [5].
Le traitement médical fondé sur l’administration de diurétiques est palliatif.
Le traitement curatif implique de réduire l’obstruction soit par cathétérisme sous contrôle fluoroscopique, soit par chirurgie invasive. Par cathétérisme, l’orifice de la membrane est dilaté à l’aide d’un cathéter avec un ballon gonflable, parfois après prédilatation avec un ballon coupant [1, 14, 16]. Cette technique présente l’avantage d’être peu invasive et moins complexe quant à sa mise en oeuvre, mais une réintervention est parfois nécessaire [1, 3]. Ainsi, la pose d’un stent a été décrite avec succès à la suite d’une première dilatation par un ballon [3]. La résection de la membrane peut être réalisée chirurgicalement pendant l’occlusion transitoire du retour veineux ou sous circulation extracorporelle [5, 6, 25]. Cette dernière méthode permet de bénéficier d’un temps d’action opératoire plus long que la technique d’occlusion veineuse, donc de pallier une éventuelle complication peropératoire. Elle nécessite toutefois un matériel spécifique, dont nous ne disposions pas lors de la résection chirurgicale de la membrane pour le premier cas clinique.
Les différentes techniques visant à corriger physiquement le défaut de compartimentalisation ont une efficacité comparable : dans les différentes études, les signes cliniques ont rétrocédé et un flux laminaire est observé lors des échocardiographies de contrôle, avec une réduction de la vitesse de celui-ci [1, 5, 6, 14, 25].
Le CTD est une malformation cardiaque dont le diagnostic nécessite le recours à des examens d’imagerie. En effet, l’examen clinique ne révèle pas de souffle cardiaque et, parfois, aucune distension abdominale n’est mise en évidence. Chez l’adulte, cette malformation est donc rarement suspectée avant un examen d’imagerie. Le traitement curatif est obligatoirement chirurgical puisqu’il nécessite la dilatation de l’orifice de la membrane atriale anormale ou la résection de celle-ci. À ce jour, les différentes techniques décrites ont été appliquées sur un nombre limité de cas, en raison de la faible incidence de cette malformation, associée au degré élevé de spécialisation requis pour son diagnostic et son traitement. Le choix parmi les méthodes existantes repose sur les préférences techniques du chirurgien et de l’équipe d’anesthésie, ainsi que sur le coût de la procédure. À la suite de l’intervention chirurgicale, le résultat à long terme semble favorable et doit être avancé comme argument décisionnel.
Aucun.
→ Le cor triatriatum dexter est une malformation cardiaque rare chez le chien.
→ La présentation classique est celle d’un jeune chien qui présente une ascite.
→ L’auscultation cardiaque ne révèle pas de souffle dans la majorité des cas.
→ Le traitement chirurgical est le plus efficace à long terme.