Comorbidités et cancer - Le Point Vétérinaire expert canin n° 381 du 01/12/2017
Le Point Vétérinaire expert canin n° 381 du 01/12/2017

CANCÉROLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : David Sayag

Fonctions : Clinique vétérinaire Occitanie
Service de cancérologie et de médecine interne
185, avenue des États-Unis
31200 Toulouse
oncologie.veterinaire@gmail.com

La stratégie thérapeutique d’un cancer doit intégrer la prise en charge de l’animal dans sa globalité. Les comorbidités imposent souvent des ajustements de traitement.

Une comorbidité se définit comme la coexistence de plusieurs entités pathologiques actives chez un animal qui présente une maladie index justifiant la prise en charge spécifique (encadré 1) [1, 9, 10].

La connaissance d’éventuelles comorbidités chez un animal atteint de cancer est essentielle afin de déterminer s’il va mourir du cancer (mortalité spécifique) ou de ses comorbidités (mortalité compétitive, liée aux comorbidités), et permet donc de choisir la visée (curative ou palliative) et la stratégie thérapeutiques les plus adaptées à l’animal dans sa globalité, et non à la tumeur uniquement (encadré 2).

DÉTECTION DES COMORBIDITÉS

L’avancée en âge accroît la probabilité de développer un cancer, en raison de l’accumulation dans le temps de mutations génétiques entraînant l’émergence des caractéristiques essentielles du cancer au niveau cellulaire(1). Un parallèle entre les processus du vieillissement cellulaire et la cancérogenèse est ainsi clairement établi.

L’animal âgé présente souvent un déclin de la fonction de différents organes (reins, foie, coeur, etc.) et une incidence élevée de maladies chroniques (maladie rénale chronique chez le chat, maladie valvulaire dégénérative chez le chien, etc.) [10].

Il est donc important de garder à l’esprit que plus l’animal atteint de cancer est âgé et plus le risque de comorbidités est important.

Étape essentielle de la démarche clinique en cancérologie, la réalisation d’un bilan d’extension adapté (principalement fondé sur l’imagerie médicale, et des analyses hémato-biochimiques et urinaires) permet de détecter d’une manière systémique les principales comorbidités de l’animal atteint de cancer (2).

Même lors de tumeur bénigne (par exemple un méningiome) ou de tumeurs malignes à faible potentiel métastatique (par exemple un carcinome nasal, des sarcomes des tissus mous), la réalisation de ces examens complémentaires permet d’identifier des anomalies dans 97 % des cas et de détecter une comorbidité grave justifiant un ajustement de la stratégie thérapeutique dans 9 % des cas [3].

PRINCIPALES COMORBIDITÉS EN CANCÉROLOGIE VÉTÉRINAIRE

1. Généralités

Avec l’augmentation de l’espérance de vie et de la médicalisation des animaux de compagnie, il devient fréquent de diagnostiquer un cancer chez un animal présentant une maladie chronique en cours de traitement, ou une diminution de la capacité des émonctoires (fonctions rénale et hépatique).

La prise en compte de l’animal dans sa globalité, et non l’application de “recettes standardisées pour une tumeur donnée”, peut nécessiter un suivi multidisciplinaire, impliquant parfois des spécialistes au sein de l’équipe de soins. Quelle que soit la comorbidité, le dilemme thérapeutique demeure toujours de déterminer si, au regard de la physiopathologie des différentes comorbidités présentes, une altération du métabolisme des agents de chimiothérapie et/ou des anesthésiques lors de radiothérapie ou de chirurgie est à craindre.

Le clinicien doit rester vigilant en cas d’association de plusieurs molécules chez un même animal, afin de limiter le risque d’effets secondaires, mais aussi le manque d’observance dus à la multiplicité des traitements per os [4]. Il est donc recommandé d’éviter l’association de deux molécules dont les effets secondaires majeurs sont similaires (effets secondaires cumulatifs), afin de prévenir des potentialisations de toxicité (par exemple, chez le chat, l’association de la doxorubicine et des anti-inflammatoires non stéroïdiens pouvant entraîner une néphrotoxicité cumulative).

2. Comorbidités infectieuses

D’une manière générale, toutes les maladies infectieuses peuvent être présentes chez un animal atteint de cancer, et leur incidence dépend notamment de l’environnement de vie, du statut vaccinal et de la régularité des traitements antiparasitaires externes (tableau 1). Certaines maladies infectieuses peuvent être directement associées au processus de cancérogenèse (par exemple la spirocercose et le sarcome oesophagien) ou à une inflammation chronique protumorale.

Les maladies vectorielles, pouvant atteindre les animaux de manière asymptomatique ou être associées à un portage chronique, nécessitent une attention particulière (photo 1). En effet, elles sont particulièrement susceptibles de se manifester à l’occasion d’une immunosuppression secondaire à une chirurgie oncologique, à une chimiothérapie ou à des anesthésies répétées lors de radiothérapie. Cela est particulièrement le cas lors de leishmaniose, où un dépistage systématique en zone endémique et un suivi du titre en anticorps au cours du traitement chez les animaux séropositifs sont recommandés.

Chez le chat, le statut rétroviral devrait être systématiquement évalué. La séropositivité pour le virus leucémogène est un facteur pronostique dans de nombreux lymphomes et peut modifier la stratégie thérapeutique.

Lors de splénectomie, le risque de manifestation clinique d’une hémoplasmose canine est augmenté, particulièrement lors d’hémangiosarcome [13].

Les maladies infectieuses localisées peuvent également modifier la stratégie thérapeutique. La présence d’un abcès impose, par exemple, un traitement chirurgical, et retarde l’initiation d’une radiothérapie et/ou d’une chimiothérapie. Chez les chiens sujets aux cystites bactériennes récidivantes, le risque de développement d’une cystite hémorragique secondaire à l’administration de cyclophosphamide est augmenté et une substitution avec du chlorambucil (1,4 mg/kg, une fois, en remplacement d’une dose de cyclophosphamide de 200 à 250 mg/m2) est recommandée.

3. Comorbidités dysimmunitaires

Les maladies dysimmunitaires peuvent être en lien direct avec le cancer (dysimmunité secondaire) et leur diagnostic précède parfois de plusieurs mois l’identification de cancers occultes.

De plus, les traitements immunosuppresseurs utilisés dans la prise en charge des maladies dysimmunitaires peuvent prédisposer les animaux au développement d’un cancer, notamment aux hémopathies malignes [11].

Une grande attention doit également être apportée aux interactions médicamenteuses avec les agents de chimiothérapie anticancéreuse (tableau 2).

4. Maladies cardiaques

Très fréquemment identifiées chez les chiens de petites races, les valvulopathies dégénératives peuvent contreindiquer certains protocoles de chimiothérapie (notamment ceux qui nécessitent une diurèse forcée comme lors d’administration de cisplatine ou de streptozotocine) ou les anesthésies répétées nécessaires à un protocole de radiothérapie (tableau 3).

La présence d’une cardiomyopathie dilatée est une contre-indication formelle à l’utilisation de doxorubicine et requiert une adaptation de protocole (emploi de mitoxantrone, par exemple).

5. Maladies rénales

L’altération de la fonction rénale chez l’animal est le plus souvent la conséquence d’une maladie rénale chronique, notamment chez le chat. Cependant, une diminution du flux sanguin rénal secondaire à une insuffisance cardiaque peut induire une altération de l’excrétion des médicaments.

Lors d’un traitement comportant des agents de chimiothérapie au potentiel néphrotoxique (cisplatine chez le chien, doxorubicine chez le chat) ou à excrétion urinaire quasi totale (carboplatine), le suivi de l’évolution de la créatinine plasmatique a une pertinence supérieure au résultat d’une valeur isolée. La mesure régulière de la densité urinaire permet un dépistage précoce de la perte de capacité de concentration des urines par les reins (premier signe clinique d’un dysfonctionnement rénal).

L’élimination urinaire d’un médicament diminue parallèlement à la filtration glomérulaire. Des adaptations de dose ou l’utilisation de molécules alternatives sont alors nécessaires.

La mesure du débit de filtration glomérulaire avec un test de clairance est recommandée chez le chat lors de traitement avec du carboplatine, afin de déterminer la dose la plus adaptée [2].

Une insuffisance rénale, quelle qu’en soit son origine, peut contre-indiquer l’utilisation de produit de contraste (iohexol) lors d’un examen tomodensitométrique et/ou les anesthésies répétées nécessaires à tout protocole de radiothérapie (photo 2). De plus, elle peut avoir un impact sur la stratégie thérapeutique, en contre-indiquant l’utilisation de certaines molécules (anti-inflammatoire non stéroïdien [AINS], cisplatine).

6. Affections hépatobiliaires

Les insuffisances hépatiques acquises sont moins fréquentes chez le chien et le chat, mais restent un élément majeur d’adaptation du traitement en chimiothérapie anticancéreuse [8, 10]. Il est conseillé de s’assurer de l’absence de cholestase biliaire, qui peut entraîner un ralentissement de l’excrétion biliaire d’un médicament, via une mesure de la bilirubine totale plasmatique. Cela est particulièrement recommandé lors d’utilisation de molécules majoritairement éliminées par voie biliaire (vincristine, vinblastine, doxorubicine et mitoxantrone, notamment) (tableau 4). Le dosage des phosphatases alcalines permet également d’évaluer la cholestase, bien que l’induction enzymatique secondaire à la corticothérapie, fréquemment mise en oeuvre en cancérologie, rende parfois le résultat difficilement interprétable.

7. Maladies du système digestif

Les effets secondaires digestifs restant les plus fréquemment observés en pratique lors de chimiothérapie anticancéreuse, il convient de prendre garde à toute maladie digestive initialement présente, afin de la traiter en amont et d’anticiper d’éventuelles complications digestives des traitements (tableau 5).

8. Maladies ostéo-articulaires

L’arthrose reste une entité fréquemment identifiée chez les animaux de compagnie, particulièrement chez les individus gériatriques, pour lesquels les douleurs associées peuvent diminuer fortement les déplacements, donc leur qualité de vie.

Les animaux atteints d’arthrose reçoivent fréquemment des traitements pulsés à base d’AINS, contre-indiquant l’utilisation de glucocorticoïdes, intégrés à de nombreux protocoles de chimiothérapie des lymphomes et des mastocytomes, mais également aux soins de support des tumeurs intracrâniennes lors d’identification d’un oedème péritumoral.

9. Maladies endocriniennes

Plusieurs maladies endocriniennes peuvent requérir une adaptation des protocoles de traitement (tableau 6). L’attention se concentre principalement sur l’utilisation ou non d’AINS et de glucocorticoïdes, selon l’endocrinopathie identifiée.

10. Néoplasies primitives multiples concomitantes

Avec l’augmentation de l’espérance de vie et l’utilisation d’examens d’imagerie avancée (tomodensitométrie, résonance magnétique) pour la réalisation des bilans d’extension, la détection de néoplasies primitives multiples concomitantes (phénomène de “double cancer”) est de plus en plus fréquente [3, 5, 10, 12]. Selon une étude récente, lors du bilan d’extension des sarcomes des tissus mous, des carcinomes nasaux et des méningiomes, un second cancer est identifié chez 3 % des chiens [3]. Le choix d’une stratégie thérapeutique séquentielle (traiter une tumeur, puis l’autre) ou concomitante (traiter les deux tumeurs en même temps) dépend du comportement biologique de chaque tumeur. Une prise en charge par un spécialiste peut se révéler nécessaire afin de déterminer l’approche la plus adaptée à chaque situation clinique.

Conclusion

Les comorbidités sont fréquemment identifiées chez les animaux atteints de cancer au cours du bilan global et d’extension. Une personnalisation de la stratégie thérapeutique est alors nécessaire. Cette adaptation du traitement au cas par cas lors de comorbidités doit prendre en compte l’animal dans sa globalité.

  • (1) Voir l’article “Suspecter et établir un diagnostic de cancer : conduite à tenir” du même auteur. Point Vét. 2017 ;48 (n°spécial “Démarche clinique en cancérologie canine et féline”):8-12.

  • (2) Voir l’article “Clés pour établir un bilan d’extension” de A. Lejeune. Point Vét. 2017 ;48 (n°spécial “Démarche clinique en cancérologie canine et féline”):34-39.

Références

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  • 2. Bailey DB, Rassnick KM, Prey JD et coll. Evaluation of serum iohexol clearance for use in predicting carboplatin clearance in cats. Am. J. Vet. Res. 2009;70(9):1135-1140.
  • 3. Bigio Marcello A, Gieger TL, Jiménez DA, Granger LA. Detection of comorbidities and synchronous primary tumours via thoracic radiography and abdominal ultrasonography and their influence on treatment outcome in dogs with soft tissue sarcomas, primary brain tumours and intranasal tumours. Vet. Comp. Oncol. 2015;13:433-442.
  • 4. Britton BM, Kelleher ME, Gregor TP, Sorenmo KU. Evaluation of factors associated with prolonged hospital stay and outcome of febrile neutropenic patients receiving chemotherapy: 70 cases (1997-2010). Vet. Comp. Oncol. 2014;12:266-276.
  • 5. Chandler M, Cunningham S, Lund EM et coll. Obesity and associated comorbidities in people and companion animals: a one health perspective. J. Comp. Pathol. 2017;156:296-309.
  • 6. Charlson ME, Pompei P, Ales KL, McKenzie CR. A new method of classifying prognostic comorbidity in longitudinal studies: development and validation. J. Chronic Dis. 1987;40(5):373-383.
  • 7. Lemmens VEPP et coll. Co-morbidity leads to altered treatment and worse survival of elderly patients with colorectal cancer. Brit. J. Surg. 2005;92: 615-623.
  • 8. Meyers F. Decision making with advanced and recurrent cancer in the geriatric patient. In: Villalobos A, Kaplan L, eds. Canine and feline geriatric oncology: honoring the humananimal bond. 1st ed. Wiley-Blackwell, Oxford. 2007:241-276.
  • 9. Repetto L, Venturino A, Fratino L et coll. Geriatric oncology: a clinical approach to the older patient with cancer. Eur. J. Cancer. 2003;39(7): 870-880.
  • 10. Sayag D, Ponce F. Conduite à tenir en cancérologie chez l’animal âgé. Point Vét. 2014;45 (n°spécial “Prise en charge de l’animal âgé”):86-91.
  • 11. Schmiedt CW, Grimes JA, Holzman G, McAnulty JF. Incidence and risk factors for development of malignant neoplasia after feline renal transplantation and cyclosporine-based immunosuppression. Vet. Comp. Oncol. 2009;7:45-53.
  • 12. Testori A, Cioffi U, De Simone M et coll. Multiple primary synchronous malignant tumors. BMC Research Notes. 2015;8:730.
  • 13. Varanat M, Maggi RG, Linder KE, Breitschwerdt EB. Molecular prevalence of Bartonella, Babesia, and hemotropic Mycoplasma sp. in dogs with splenic disease. J. Vet. Intern. Med. 2011;25:1284-1291.
  • 14. Yourman LC, Lee SJ, Schonberg MA et coll. Prognostic indices for older adults: a systematic review. J. Am. Med. Assoc. 2012;307(2):182-192.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Comorbidité en oncologie humaine

Pierres angulaires de la stratégie thérapeutique et de la détermination du pronostic en oncogériatrie humaine, les comorbidités influencent la survie après ajustement sur l’âge, le sexe, le stade tumoral et le traitement dans de nombreux cancers. Les patients âgés présentant des comorbidités sont souvent traités moins agressivement et ont donc une survie globale plus courte [7, 9, 12, 14].

Différentes échelles ont été évaluées afin de déterminer l’impact pronostique de la présence de comorbidités chez un patient atteint de cancer. Le score de Charlson est l’indice de comorbidité le plus largement utilisé chez l’homme [6]. Il varie de 0 à 30 selon l’importance des morbidités compétitives et permet d’estimer l’espérance de vie en fonction de la présence de comorbidités spécifiques.

En médecine vétérinaire, de tels scores ne sont pas encore validés.

ENCADRÉ 2
Objectifs de l’évaluation des comorbidités en cancérologie vétérinaire

En cas de comorbidité, plusieurs paramètres doivent être évalués. Il convient :

– de déterminer si la comorbidité peut être à l’origine du cancer (impact pronostique) ;

– d’évaluer le risque de mortalité respectif entre une comorbidité et le cancer diagnostiqué : l’animal risque-t-il de mourir de son cancer ou avec son cancer ?

– d’apprécier le risque de décompensation d’une comorbidité par la stratégie thérapeutique appliquée ;

– de proposer des adaptations souhaitables ou indispensables avant ou pendant le traitement, notamment pour prévenir les effets secondaires cumulatifs et préserver ou améliorer la qualité de vie de l’animal ;

– de recommander un suivi spécifique adapté après les traitements.

Points forts

→ Une comorbidité se définit comme la coexistence de plusieurs entités pathologiques actives chez un animal qui présente une maladie index justifiant la prise en charge spécifique.

→ Lors de cancer, le bilan global et d’extension permet de détecter une ou plusieurs comorbidités graves chez environ 1 animal sur 10.

→ La prise en charge des comorbidités associées au cancer permet une personnalisation de la stratégie thérapeutique au cas par cas, veillant au maintien d’une qualité de vie optimale.