ANESTHÉSIE FÉLINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Olga Nikolayenkova-Topie*, Gwenola Touzot-Jourde**
Fonctions :
*Service transversal d’anesthésie-réanimation,
Oniris, site de la Chantrerie,
route de Gachet, 44300 Nantes
L’alfaxalone peut être utilisée pour l’induction et l’entretien de l’anesthésie chez le chat. Son indice thérapeutique élevé et ses faibles répercussions cardio-respiratoires en font une molécule de choix pour les animaux débilités ou très jeunes.
L’alfaxalone (3α-hydroxy-5α-pregnane-11,20-dione) est un neurostéroïde de synthèse utilisé pour l’anesthésie générale. Cette molécule est commercialisée sous le nom déposé d’Alfaxan®(1) et possède une autorisation de mise sur le marché (AMM) d’utilisation comme agent d’induction et de maintenance de l’anesthésie générale chez le chat et le chien (photo 1).
À la dose de 5 mg/kg par voie intraveineuse (IV) sans aucune prémédication, l’alfaxalone chez le chat a un délai d’action court, une pharmacocinétique non linéaire dans la phase de distribution et une demi-vie courte d’environ 45 minutes. Une nouvelle administration d’alfaxalone pour l’entretien de l’anesthésie ne conduit pas à une accumulation plasmatique (photo 2) [26]. Une administration lente à effet provoque une perte de conscience progressive. Selon les études, les conditions optimales d’inconscience et de myorelaxation permettant l’intubation orotrachéale sont obtenues au bout d’environ 2 minutes après l’initiation de l’injection [28]. Les doses de l’AMM de l’Alfaxan® sont 2 à 5 mg/kg pour l’induction de l’anesthésie générale (tableau 1). En revanche, de nombreuses études ont montré la possibilité de réaliser une intubation orotrachéale à une dose moindre [3, 14]. Une prémédication de bonne qualité est le premier paramètre majeur dans la diminution de la dose administrée pour l’induction de l’anesthésie. Par exemple, la quantité d’alfaxalone nécessaire pour une intubation orotrachéale est de 4,2 mg/kg IV sans prémédication, contre 2,7 mg/kg après prémédication avec de l’acépromazine (0,03 mg/kg) et du butorphanol (0,3 mg/kg) par voie intramusculaire (IM) [28]. Une induction d’anesthésie avec l’alfaxalone à la dose de 0,83 mg/kg a été rapportée après une prémédication à l’acépromazine à 0,05 mg/kg associée à de la buprénorphine à la dose de 0,01 mg/kg IM [14]. Une autre étude décrit l’intubation après l’administration de 0,7 mg/kg IV d’alfaxalone avec une prémédication à base de médétomidine [3].
Le deuxième paramètre important pour une diminution significative de la dose efficace d’alfaxalone est de diluer l’agent anesthésique dans la seringue [28]. Cela permet une administration plus lente de l’inducteur quand il s’agit de petits volumes, comme chez le chat. Pour comparer, dans un groupe de chats ayant reçu la même prémédication (acépromazine 0,03 mg/kg et butorphanol 0,3 mg/kg par voie sous-cutanée [SC]), la dose d’alfaxalone diluée à 50 % avec de l’eau pour préparation injectable était de 1,9 mg/kg contre 4,3 mg/kg pour l’alfaxalone non diluée [28]. Ce qui a donné un effet épargnant combiné de la prémédication et de la dilution de 71 % sur la dose injectée d’alfaxalone. Ces données confirment le principe d’ajustement à effet de la dose d’inducteur nécessaire pour une intubation, prenant en compte le tempérament de l’animal, l’intensité de son stress, l’efficacité de sa sédation et la variabilité interindividuelle (tableau 2).
La formulation actuelle d’Alfaxan® sans conservateur permet son administration (selon son résumé des caractéristiques du produit) en perfusion à débit constant pour la maintenance de l’anesthésie chez le chien et surtout chez le chat. Il s’agit d’une caractéristique qui la différencie du propofol qui se garde jusqu’à 28 jours en raison de la présence de conservateurs dans les excipients pour limiter le développement bactérien. Le propofol contient ainsi de l’alcool benzylique à 2 %, qui est métabolisé par glucurono-conjugaison [2, 5, 8, 10]. Par rapport aux autres espèces, les chats sont connus pour leur déficience dans cette voie de transformation. Ce conservateur s’accumule lors d’administration prolongée de propofol comme lors d’une perfusion continue ou d’administration répétée sur plusieurs jours, et altère la pharmacocinétique et la pharmacodynamique de ce produit chez le chat, ce qui se traduit par une prolongation de la phase de réveil. Toutefois, dans le cadre d’une injection unique de propofol, cette altération est légère et n’a pas d’impact clinique sur la rapidité du réveil [10].
Il est recommandé de débuter la perfusion d’alfaxalone à débit constant à 10 mg/kg/h chez un chat en bonne santé [7, 23]. Un exemple de protocole inclut une prémédication IM à base de butorphanol à la dose de 0,2 mg/kg en association avec de l’acépromazine à 0,1 mg/kg ou de la médétomidine à 0,02 mg/kg, suivie d’une induction avec de l’alfaxalone injectée lentement à effet à raison de 1,3 à 3 mg/kg, selon l’efficacité de la prémédication. Du méloxicam à 0,2 mg/kg IV complète la partie analgésique de ce protocole [23]. Le butorphanol peut être remplacé par un autre morphinique comme la méthadone ou la buprénorphine, afin d’obtenir un effet analgésique plus important. Le débit d’administration de l’alfaxalone est ensuite adapté à la profondeur de l’anesthésie obtenue. Selon une étude, lors d’interventions chirurgicales de convenance, le débit a varié de 5 à 15 mg/kg/h selon les individus et les phases de stimulation avec une prémédication à la médétomidine et la morphine en IM [3].
Les données concernant les propriétés analgésiques de l’alfaxalone sont contradictoires [9, 19, 20, 24, 27]. L’effet antinociceptif serait lié au blocage des récepteurs périphériques GABAA (acide g-aminobutyrique) et des canaux calciques dépendant du voltage et de type T [9]. Une autre étude qui compare les propriétés antinociceptives de l’alfaxalone et de l’alfadolone, autre neurostéroïde, a démontré une absence d’effet antinociceptif de l’alfaxalone utilisée seule, ainsi que de potentialisation de l’effet antinociceptif de la morphine, du fentanyl et de l’oxycodone, contrairement à l’alfadolone [27].
Il n’existe pas suffisamment d’études cliniques évaluant l’effet analgésique de l’alfaxalone. Aussi, comme la plupart des anesthésiques, celle-ci ne semble apporter qu’un effet antalgique négligeable, voire nul. Il convient donc de l’associer, lors de procédures douloureuses, à des molécules possédant des effets antalgiques plus spécifiques. Une étude sur 35 chats comparant l’alfaxalone et le propofol comme agent d’induction dans un protocole pour une ovario-hystérectomie ne démontre pas de différence dans la quantité d’analgésique nécessaire pour contrôler la douleur [17]. Un autre essai sur les paramètres peropératoires et la douleur postopératoire suivant une ovario-hystérectomie chez 21 chats a montré que l’utilisation des analgésiques dans le protocole anesthésique à base d’alfaxalone est requise [13].
L’alfaxalone a un indice thérapeutique élevé, avec une survie dans la plupart des cas après une administration de cinq fois la dose cliniquement utilisée. Seule une mort subite est rapportée à 25 mg/kg IV dans un lot de 8 chats qui ont reçu la même dose. Un épaississement du myocarde chez l’animal concerné a été observé à l’autopsie, mais la cause exacte de la mort n’a pas été établie [26].
Les changements des paramètres cardio-vasculaires produits par l’alfaxalone sont décrits comme faibles et à caractère dose-dépendant [16, 26]. Une induction lente à effet est donc souhaitable. Les modifications observées sont une diminution de la fréquence cardiaque, du volume d’éjection systolique, de la contractilité du myocarde, donc du débit cardiaque, ainsi qu’une baisse de la résistance vasculaire systémique, le tout résultant en une diminution de la pression artérielle. Toutefois, la précharge et la postcharge restent relativement stables [16, 26].
Une bonne stabilité respiratoire est observée dans la majorité des études, avec une diminution de la fréquence respiratoire dépendante de la dose [14, 26]. Une meilleure stabilité respiratoire avec un risque d’apnée minoré par rapport au propofol a été observée, notamment lors d’une perfusion à débit constant après prémédication avec de la médétomidine à 0,01 mg/kg IM [7]. Toutefois, à haute dose, le risque d’apnée augmente. Ainsi, une étude décrit une apnée d’une durée de 3 minutes chez 12 % des chats à la dose d’alfaxalone de 5 mg/kg IV [16].
Aucun changement hématologique ou de la biochimie sanguine n’est observé avec l’alfaxalone [26]. À l’inverse, une utilisation à répétition du propofol provoque la formation de corps de Heinz, lesquels correspondent à une lésion oxydative des hématies pouvant entraîner une anémie. Parmi d’autres complications, une anorexie, une diarrhée, une hyperlipémie et un malaise général sont rapportés lors d’administrations répétées du propofol chez le chat [1].
Une injection intravasculaire ou périvasculaire d’alfaxalone n’entraîne ni douleur, ni irritation [11].
Dans les données publiées, les auteurs décrivent un réveil en général rapide et calme [4, 28]. Les effets parfois observés au réveil sont une raideur, une agitation et une hypersensibilité au bruit, au toucher ou à la lumière [13, 14, 15, 28]. Des tremblements, voire un opisthotonos de courte durée peuvent être également présents. La corrélation entre ces effets et la dose utilisée n’est pas clairement établie, et dépend de la puissance de l’étude et de la grille d’évaluation utilisée [4, 14]. Une prémédication améliore la qualité du réveil de façon significative, avec 77 % de scores de réveil excellents à très bons pour des chats prémédiqués à l’acépromazine, contre 23 % pour les animaux non prémédiqués (photo 3) [13, 28]. Une autre étude clinique comparant l’alfaxalone et le propofol pour l’induction, après une prémédication avec 0,05 mg/kg d’acépromazine IM, suivie d’un entretien avec de l’isoflurane montre une qualité (bonne à modérée) et une durée de réveil équivalente (médiane de 13 et 16 minutes respectivement) [14].
La sédation d’un chat hyperthyroïdien difficile à manipuler peut être effectuée avec une injection sous-cutanée de butorphanol à 0,2 mg/kg et d’alfaxalone à 3 mg/kg pour les procédures de courte durée [21]. Une sédation profonde est obtenue avec un état de conscience altérée qui n’est pas loin de l’inconscience, la limite entre sédation profonde et anesthésie générale n’étant pas si facile à définir cliniquement. Pour améliorer la sécurité de l’immobilisation des chats, il est conseillé de surveiller la pression artérielle car une diminution transitoire est possible chez certains animaux.
La sédation d’un chat pour un examen échocardiographique avec deux injections intramusculaires séparées de butorphanol à 0,2 mg/kg et d’alfaxalone à 2 mg/kg est possible. L’échographie se fait alors en décubitus latéral. Cette sédation est de courte durée, 36 minutes environ. La différence des valeurs obtenues avec ou sans sédation n’est pas cliniquement significative [22].
Une perfusion continue à débit varié d’alfaxalone d’une durée de 7 heures et demi est rapportée chez un chat [25]. Celui-ci a été anesthésié à la suite d’un accident de la voie publique pour une herniorraphie diaphragmatique et une lobectomie pulmonaire. Le débit utilisé était compris entre 1,44 et 7,26 mg/kg/h associé à un protocole d’analgésie peropératoire multimodale (méthadone 0,2 mg/kg, kétamine 0,4 mg/kg, bloc intercostal et infiltration de la plaie avec de la bupivacaïne 1 mg/kg pour chaque plaie). Une bonne stabilité hémodynamique et un réveil relativement rapide, avec une extubation à 60 minutes et une station debout 2 heures après, sont des arguments en faveur d’une utilisation de l’alfaxalone chez les chats en mauvais état de santé.
L’alfaxalone est utilisé chez les chatons âgés de moins de 12 semaines en association avec de l’acépromazine à 0,03 mg/kg SC, de la morphine à 0,3 mg/kg SC et de l’atropine à 0,04 mg/kg SC. La dose d’induction est de 1,7 +/- 0,3 mg/kg. Les paramètres cardio-vasculaires et respiratoires sont stables [18].
La position centrale de l’œil est plutôt conservée lors de l’utilisation d’alfaxalone associée à de l’acépromazine à 0,003 mg/kg et à de la morphine à 0,15 mg/kg IM, suivie d’un relais à l’isoflurane [12]. Avec, éventuellement, une anesthésie locale de l’œil, cela permet de réaliser une intervention chirurgicale ophtalmique dans de bonnes conditions.
L’alfaxalone comme agent d’induction et d’entretien de l’anesthésie générale chez le chat semble présenter des avantages tels qu’un indice thérapeutique élevé, un faible risque d’apnée lors d’injections lentes, une bonne myorelaxation pour une intubation orotrachéale facilitée et une rapidité d’effet qui permet de changer la profondeur d’anesthésie pendant l’entretien et un réveil rapide. La question d’une possible valence analgésique de la molécule reste sans réponse applicable cliniquement. En attendant plus d’informations, l’incorporation d’analgésiques dans le protocole d’anesthésie à base d’alfaxalone est incontournable pour garantir une bonne stabilité de l’animal pendant l’intervention chirurgicale et un réveil de bonne qualité chez un chat confortable.
Aucun.
→ Chez le chat, l’alfaxalone est utilisable pour l’induction et l’entretien de l’anesthésie.
→ La dose efficace d’induction est liée à la vitesse d’injection. Unéinjection lente permet d’obtenir les mêmes effets avec une dose plus faible.
→ Les effets secondaires tels que l’apnée d’induction et la baisse de la pression artérielle sont dose-dépendants.
→ De nouvelles utilisations hors autorisation de mise sur le marché par voies sous-cutanée et intramusculaire ont été rapportées pour la sédation profonde de chats difficiles.
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