DÉONTOLOGIE
Éthique
Auteur(s) : Denise Remy
Fonctions : VetAgro Sup,
Campus vétérinaire
de Lyon,
1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile
Si le fait d’être entendu dans le cadre d’une enquête judiciaire ne permet pas au praticien de déroger au secret professionnel, son devoir moral peut néanmoins l’amener à révéler certaines informations à caractère secret.
À partir du cas clinique exposé dans un numéro précédent(1), cet article extrapole et envisage plusieurs scénarios possibles afin de discuter de la mise en œuvre de l’assistance à personne en péril, puis de la tension entre secret professionnel et témoignage lors d’enquête judiciaire.
→ Rappelons que c’est dans un état de confusion, d’affolement et de culpabilité sans précédent que l’étudiante est venue nous trouver et nous a confié le secret qu’elle portait et le drame probable de la nuit précédente (encadré 1).
La première chose que nous avons faite après l’avoir écoutée a été d’appeler nous-mêmes, en présence de l’étudiante, la propriétaire du chien au numéro de l’appel au secours de la nuit. Notre objectif était, avant d’envisager quoi que ce soit, de chercher à savoir si elle était en vie et en mesure de répondre, tout en présentant notre appel comme une démarche de suivi médical, afin de nous enquérir de l’état de santé de son chien. Nous avons été aiguillés sur le répondeur. Nous étions bel et bien face à un cas de personne en péril :
- la violence du mari à l’encontre du chien ne faisait guère de doute (confidence de la propriétaire à l’étudiante, lésions sévères de l’animal, à deux reprises, avec des commémoratifs, de toute évidence, mensongers) ;
- la propriétaire était explicite dans son message, elle était enfermée dans les toilettes, son mari voulait la tuer. La gravité, l’imminence et le caractère certain (il n’était pas imaginable que la situation fût feinte) étaient réunis et permettaient de catégoriser cette situation comme péril [1] ;
→ La situation était complexe : il était évident qu’il fallait déclencher un secours, même plusieurs heures plus tard, au cas où la propriétaire aurait été blessée. S’abstenir pourrait être considéré comme une non-assistance à personne en danger et n’est pas envisageable d’un point de vue moral (concordance entre l’action éthique à envisager et celle qui est prescrite par la loi, ce qui n’est pas toujours le cas). Composer le 15 pour joindre le service d’aide médicale urgente lorsqu’il s’agit de porter secours à une personne blessée est la conduite à tenir. Mais, dans ce cas, nous ne savions rien de son état. Nous ne savions même pas où elle se trouvait exactement. Le dossier du chien comportait bien une adresse de domicile, mais rien ne prouvait qu’il s’agissait du lieu d’où elle avait passé son appel au secours (parfois, de surcroît, les clients ne donnent pas leur véritable adresse). Par conséquent, la démarche logique était d’appeler le 17, police ou gendarmerie, et de communiquer la teneur de son appel au secours, le nom et les coordonnées que nous avions la concernant, l’heure du message en question. Il n’était pas nécessaire d’en dire plus.
→ Nous nous apprêtions à composer le 17 lorsque le téléphone a sonné. C’était la propriétaire du chien maltraité qui rappelait, ayant manqué notre appel précédent. Nous l’avons remerciée d’avoir rappelé et lui avons demandé des nouvelles de son chien. Tout allait bien, a-t-elle répondu. Ce fut un immense soulagement.
→ Imaginons maintenant que l’étudiante ait répondu à l’appel au secours au milieu de la nuit. Il lui aurait fallu réagir de manière pertinente en lui demandant où elle se trouvait, en notant l’adresse exacte de ce lieu. Puis il lui aurait fallu appeler les forces de l’ordre, exactement comme nous envisagions de le faire le lendemain matin. Personne n’était encore blessé et la propriétaire avait besoin de protection. Les forces de l’ordre auraient évalué sur place si une aide médicalisée était nécessaire.
→ Imaginons que les forces de l’ordre soient intervenues et que le mari de la propriétaire ait été pris en flagrant délit de violence conjugale. Une enquête de flagrance aurait été diligentée, laquelle se déroule dans les 24 à 48 heures après un délit. Il est certain que les enquêteurs auraient cherché à auditionner l’étudiante qui avait donné l’alerte et dont l’identification était possible grâce à son appel au 17. Envisageons donc comment concilier secret professionnel et témoignage face à des enquêteurs.
→ Tout confrère peut être convoqué dans le cadre d’une enquête judiciaire (photo 2). Il existe trois types d’enquête : l’enquête de flagrance ; l’enquête préliminaire ; l’information judiciaire (encadré 2).
Dans le cas d’une information judiciaire, le professionnel est obligatoirement convoqué par écrit (via une commission rogatoire), alors que dans les deux autres cas (flagrance ou enquête préliminaire), les enquêteurs procèdent souvent par téléphone. Quelle que soit la nature de l’enquête, nous recommandons à tous les praticiens de demander une convocation par écrit. Un tel document, outre qu’il permet au professionnel de connaître avec précision le cadre de l’enquête, atteste que tout témoignage déposé ne l’a pas été à sa propre initiative. Lorsque la demande de témoignage est formalisée, le professionnel est obligé de comparaître (article 78 du Code de procédure pénale). L’audition ne peut pas durer plus de 4 heures. Nombre de nos confrères pourraient, en pareille situation, penser qu’il leur faut porter à la connaissance des enquêteurs tout ce qu’ils savent. Il n’en est rien. L’article 109 du Code de procédure pénale prévoit en effet que le secret professionnel est opposable aux enquêteurs, y compris au juge lors d’information judiciaire. C’est dire, une nouvelle fois, l’importance de ce secret puisque la législation n’impose aucune obligation de révéler quoi que ce soit en dehors de la situation de péril (pour laquelle le professionnel se borne à donner les renseignements nécessaires à la mise en œuvre des secours). Le professionnel peut rendre compte de ce qu’il sait dans les cas où la loi l’autorise à témoigner [1]. Rappelons que l’accord de la victime est nécessaire lorsquelle est âgée de 15 ans ou plus et en possession de tous ses moyens, c’est-à-dire non vulnérable.
→ Revenons au cas de l’étudiante qui serait convoquée dans un délai très court, sans aucune marge de négociation, à une enquête de flagrance. Pour être en conformité avec la loi, elle devrait refuser de communiquer aux enquêteurs les faits dont elle a connaissance de maltraitance réitérée sur le chien de la famille (maltraitance suspectée au vu des lésions et d’après les commémoratifs discordants et confirmée grâce à la confidence de la propriétaire) et se borner à relater aux enquêteurs le fait qu’elle a été appelée au secours par la propriétaire, à laquelle elle avait donné son numéro personnel pour lui permettre de la joindre durant l’hospitalisation de son animal. Cela étant, d’un point de vue éthique, l’attitude à adopter se discute : la violence perpétrée sur l’animal domestique est un facteur aggravant (elle constitue un second délit : acte de cruauté envers un animal). Ce facteur peut permettre aux enquêteurs de prendre la juste mesure de l’affaire et leur éviter de considérer la violence perpétrée envers l’épouse comme un acte isolé. Témoigner peut ainsi contribuer à protéger l’épouse et à permettre une prise en charge adaptée du mari. À l’inverse, c’est prendre le risque de rompre la confiance dont la propriétaire de l’animal nous a honorés. Dans un tel cas, nous proposons de rapporter de manière factuelle aux enquêteurs notre quasi-certitude de violences envers l’animal, mais de taire malgré tout la confidence de la propriétaire. Il s’agit là d’une violation du secret professionnel. L’attitude qui consisterait à ne rien révéler ne serait pas blâmable. Elle serait parfaitement conforme à la loi et répondrait par conséquent à notre devoir envers nous-mêmes (ne pas nous exposer à un risque, même faible, de condamnation). Le risque, en pareil cas, nous semble inexistant, ce d’autant plus que nous pourrions arguer, pour nous défendre, de notre rôle de santé publique (nous devons rapporter à la direction départementale de protection des populations [DDPP] les situations dans lesquelles un danger grave menace un animal).
→ Dans tous les cas, l’enquêteur consigne les témoignages dans un procès-verbal, qui est soumis ensuite à notre signature et qui nous engage (et dont aucune copie ne nous est remise). Nous conseillons à tous nos confrères de soigneusement relire ce procès-verbal et de demander, si besoin, à faire rectifier les formulations qui ne seraient pas fidèles à leurs propos. En cas de refus de rectification de la part de l’enquêteur, il est possible de mentionner des réserves à côté de sa signature.
Ce cas clinique relève de manière indiscutable de l’obligation d’assistance à personne en danger. Il aurait pu donner lieu à enquête judiciaire. Le choix de révéler la maltraitance animale aux enquêteurs se discute. Il semble utile, dans un tel cas, de témoigner des faits constatés dans le cadre de notre exercice.
Nous développerons, dans les prochains articles, à partir de ce même cas clinique mais aussi d’autres cas, la question de la remise de documents aux autorités judiciaires, du partage d’informations à caractère secret et nous reviendrons sur la conduite à tenir face à la maltraitance animale et/ou humaine, et, plus généralement, face à des cas de délit, de contravention ou de fraude.
(1) voir l’article “Le secret professionnel : quand le rompre” du même auteur, point vét. 2017;378:10-11.
Aucun.
Un chien caniche de 6 ans a été présenté à deux reprises, à 2 mois d’intervalle, à la consultation du service de chirurgie, la première fois pour un très volumineux hématome de la cuisse associé à un discret pneumothorax, la seconde pour un pneumothorax très sévère ayant nécessité des soins intensifs (photo). La propriétaire a rapporté chaque fois que les lésions étaient consécutives à une chute dans l’escalier. Elle a révélé à l’étudiante qui l’a prise en charge que son époux, sous l’emprise de l’alcool, frappait le chien. Elle a demandé à l’étudiante de ne divulguer cette confidence à personne. L’étudiante, prise de pitié, lui a donné son numéro de téléphone portable afin de lui permettre de prendre des nouvelles de son chien plus facilement. Un matin, alors qu’elle n’était plus en charge du chien, mais affectée à une rotation dans un autre service, elle a découvert un message circonstancié d’appel au secours de la propriétaire du chien : le mari, ivre, menaçait sa femme de mort.
ENCADRÉ 2
Les trois types d’enquête judiciaire
→ L’enquête de flagrance
L’enquête de flagrance intervient 24 à 48 heures (en général) après la commission d’une infraction considérée comme flagrante sur la base d’indices apparents. L’enquête dure 8 jours au maximum sans discontinuer, elle peut être prolongée dans les cas graves.
→ L’enquête préliminaire
L’enquête préliminaire se déroule en général sur une durée supérieure à celle de l’enquête de flagrance (plusieurs semaines, voire plusieurs mois). Elle est mise en œuvre à l’initiative d’un policier, d’un gendarme, d’un officier de police judiciaire, ou à la demande du procureur de la République lorsqu’il a connaissance de délits ou de crimes.
→ L’information judiciaire
Le troisième type d’enquête, l’information judiciaire, est beaucoup plus rare et concerne des affaires criminelles ou délictuelles graves et complexes. Le procureur de la république saisit un juge d’instruction, qui est en charge de diriger l’enquête en vue d’un jugement.
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