NEUROLOGIE APPLIQUÉE
Dossier
Auteur(s) : Laurent Fuhrer
Fonctions : Clinique vétérinaire
de Saint-Avertin
37550 Saint-Avertin
Perturbations, mouvements anormaux, crises convulsives, voire grand mal : la grande variabilité des manifestations de l’épilepsie nécessite de bien connaître le sujet pour bien le traiter.
L’épilepsie idiopathique est une dominante pathologique en neurologie avec une prévalence dans la population canine variant de 0,5 à 5 % selon les auteurs [4, 8, 13]. Cette grande variabilité trouve sans doute son origine dans les caractéristiques des différentes populations étudiées. Bien que, comme son nom l’indique, sa cause soit inconnue, son expression clinique conduit à une classification particulière. Le traitement est fondé sur l’utilisation de molécules spécifiques dont certaines sont connues depuis longtemps.
Les manifestations épileptiques (ME) résultent d’une perturbation cérébrale paroxystique conduisant à une modification du comportement de l’animal atteint. Ces changements peuvent se traduire par :
– des perturbations motrices ;
– des troubles sensitifs, sensoriels, neurovégétatifs ;
– des troubles psychiques : agitation, agressivité, troubles cognitifs, etc. ;
– éventuellement, une altération de l’état de conscience.
L’importance relative de toutes ces anomalies intervient dans la classification du type de ME (sans préjuger de la cause). L’expression de crise convulsive est plutôt utilisée pour décrire une ME généralisée transitoire (photos 1 à 3) L’épilepsie, ou la maladie épileptique, est alors constituée par la survenue répétée ou récurrente et plus ou moins régulière de crises d’aspect similaire. Par convention, le terme d’épilepsie peut être utilisé dès lors que l’animal présente au moins deux crises, espacées de plus de 24 heures.
La classification actuelle fait apparaître deux grands types de crises (figure) [1, 9, 11].
Elles ont pour origine une région hémisphérique localisée, un groupe de neurones ou un réseau neuronal, et leur expression clinique est directement liée à la fonction de la région touchée. Les manifestations motrices, sensitives, neurovégétatives ou comportementales mentionnées plus haut se retrouvent ici, avec parfois une évolution, mais toujours selon le même schéma. Il est alors possible de distinguer :
– des crises focales simples (sans perte de connaissance), avec des signes moteurs et/ou des signes sensitifs et/ou des troubles neurovégétatifs et/ou des troubles comportementaux ;
– des crises complexes qui s’accompagnent d’une perte de connaissance, celle-ci pouvant intervenir d’emblée ou résulter de l’évolution d’une crise simple ;
– des crises évolutives, commençant par des signes focaux et évoluant vers une crise généralisée.
Les troubles sont bilatéraux, plus ou moins symétriques et s’accompagnent d’une perte de connaissance.
→ Crise myoclonique ou clonique : ME durant laquelle un ou plusieurs groupes musculaires subissent des contractions soudaines et transitoires (saccadées).
→ Crise tonique : ME durant laquelle une augmentation soutenue du tonus musculaire survient avec, à terme, l’impossibilité de maintenir la station debout.
→ Crise tonico-clonique : ME durant laquelle est observée une alternance de phases toniques et de phases cloniques.
→ Crise atonique : crise caractérisée par un décubitus et une perte complète du tonus musculaire. Ce type de crise survient rarement.
La terminologie d’“absences”, parfois employée, constitue un cas particulier. Ces crises sont caractérisées par une perte brutale du contact avec l’environnement et une indifférence aux stimuli. Elles peuvent s’accompagner de phénomènes cloniques tels que des clignements de paupière, des spasmes de la face ou des mâchonnements. Bien connues chez l’homme, elles sont mal documentées chez les carnivores domestiques car difficiles à identifier cliniquement.
Deux grands groupes se distinguent.
Elle résulte d’un trouble fonctionnel sans support lésionnel. Néanmoins, des crises répétées peuvent, à terme, entraîner des lésions dégénératives.
Entrent dans cette catégorie les épilepsies dont l’origine génétique est suspectée ou démontrée, ainsi que les épilepsies de cause inconnue, pour lesquelles aucun élément ne permet de suspecter une origine structurelle (lésionnelle).
Il est communément admis que les crises d’emblée généralisées sont prédominantes, mais il existe de grandes variations raciales. Les manifestations épileptiques évolutives commençant par une crise partielle et se généralisant secondairement sont de mieux en mieux reconnues, de même que les crises partielles simples ou complexes.
La prévalence réelle de l’épilepsie dans la population générale doit se situer entre 0,6 et 0,75 %. Il existe cependant de grandes différences entre les études, car les populations de référence varient selon les pays. Ainsi, dans les publications, des pourcentages allant de 0,5 à 5,7 % sont trouvés.
Selon les études, 80 à 92 % des chiens épileptiques sont des animaux de race. Cette surreprésentation conduit à une forte suspicion d’épilepsie raciale. Cette hypothèse est renforcée par l’existence d’une fréquence d’individus épileptiques plus importante dans certaines races par rapport à la population générale, jusqu’à atteindre pratiquement 20 % pour l’irish wolfhound ou le berger belge.
→ Âge à l’apparition de la première crise. Dans la population générale, il est admis que les manifestations de l’épilepsie idiopathique surviennent entre 6 mois et 6 ans, avec un pic d’incidence entre 1 et 5 ans. Cependant, de grandes variations, en particulier raciales, sont observées. Certaines races comme le lagotto romagnolo présentent une épilepsie juvénile. Dans d’autres races, l’âge auquel la première crise apparaît est plus variable et les données publiées sont parfois difficiles à interpréter. Cependant, la survenue des premières crises au-delà de 4 ans n’est pas exceptionnelle et l’intervalle d’âge d’apparition peut être très large au sein d’une même race.
→ Prédispositions liées au sexe. Les publications rapportent que, dans la population générale, plus de 60 % des chiens épileptiques sont des mâles. La question de l’intérêt de la stérilisation est plus controversée. Une étude a montré que, contrairement à certaines idées reçues, la prévalence est plus élevée chez les animaux stérilisés que chez les animaux entiers.
Au-delà de tous ces éléments, dans la plupart des races, des facteurs déjà connus pour favoriser l’apparition des crises, tels que le stress, l’agitation ou l’exercice, la fatigue, etc., sont retrouvés.
→ Cette forme d’épilepsie peut avoir pour origine une lésion intracrânienne identifiée par divers moyens diagnostiques.
→ Elle peut aussi être de cause inconnue. Ces formes ont des caractéristiques phénotypiques fortement évocatrices d’une épilepsie ayant un support lésionnel, sans que ladite lésion ait pu être identifiée. Ces épilepsies ont la vocation à rejoindre celles qui précèdent à mesure que les moyens diagnostiques évoluent. Elles étaient autrefois dites “cryptogéniques”.
Historiquement, des causes dites extracrâniennes conduisant à une épilepsie ou, plutôt, à des crises convulsives réactionnelles étaient distinguées. Ces manifestations ne sont plus classées dans l’épilepsie.
Dans l’état actuel des connaissances, le traitement de l’épilepsie idiopathique reste symptomatique. Il convient donc, avant de l’entreprendre, de bien informer le propriétaire sur ses limites et ses contraintes. S’agissant d’une maladie chronique nécessitant le plus souvent un traitement à vie, il convient également de s’assurer qu’il est prêt à s’engager (il s’agit d’un véritable contrat) dans le suivi et le contrôle du traitement.
Les molécules de l’arsenal thérapeutique antiépileptique possèdent des mécanismes d’action fondés sur une modification de l’excitation neuronale (tableau 1, photo 4).
Selon le principe de la cascade, les molécules disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) vétérinaire sont à utiliser en priorité. Il s’agit du phénobarbital, de l’imépitoïne et du bromure de potassium. Comme cela sera détaillé dans le deuxième article de ce dossier, ce sont les spécialités dont l’usage fait consensus. En première intention et c’est le cas général, elles sont utilisées en monothérapie. Des associations sont possibles, voire obligatoires, en fonction de certains critères.
Les molécules hors AMM pouvant être employées sous certaines conditions sont le lévétiracétam (antiépileptique prescrit le plus souvent dans ce cadre), le zonisamide (prometteur, mais d’un coût parfois dissuasif), la gabapentine et les benzodiazépines. Leurs utilisations sont également décrites dans l’article suivant de ce dossier.
Le phénobarbital est le produit dont l’usage, en raison de son ancienneté, est le plus documenté [3, 5, 15, 19, 22]. Il est généralement bien toléré, mais ses effets secondaires marqués limitent sa prescription dans certains cas. Son mode d’action étend son indication à toutes les formes d’épilepsie. L’administration est biquotidienne. Une étude récente met cependant en avant l’intérêt d’une administration triquotidienne sur les cas résistants [21]. Son action sur le métabolisme général est importante et le traitement nécessite un suivi particulièrement rigoureux.
L’imépitoïne a été mise sur le marché plus récemment. Lors des études cliniques, elle a présenté une efficacité comparable à celle du phénobarbital, avec des effets secondaires limités [16, 17, 23]. Ceux-ci sont à la fois peu fréquents et peu intenses. Cependant, une attention toute particulière doit être apportée aux troubles du comportement, à l’agitation ou à l’agressivité qui, bien que rares, doivent être reconnus le plus tôt possible.
L’expérience a montré de grandes variabilités selon les cas et le type de crise. Les études d’efficacité ont porté sur des individus présentant des crises généralisées isolées. Cela explique les restrictions d’emploi figurant actuellement dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). L’intérêt de cette molécule dans la prévention des crises groupées et du status epilepticus n’a pas encore été correctement évalué et de nouvelles études sont sans doute nécessaires.
En raison de son métabolisme hépatique, la molécule n’est pas recommandée lors d’affections impliquant cet organe. En pratique, cette position est nuancée, car l’imépitoïne n’est pas un inducteur enzymatique et les retours de terrain en cas d’atteinte hépatique (en l’absence d’insuffisance cependant) sont rassurants. Il convient de remarquer que l’administration est biquotidienne, alors que la demi-vie sanguine est inférieure à 2 heures. Cette apparente incohérence n’en est pas une, car les recommandations s’appuient sur la liaison aux récepteurs, qui a une demi-vie plus longue.
Les premières études sur l’utilisation du bromure chez le chien épileptique remontent au début des années 1990 [18, 24]. Dans un premier temps, son emploi a été essentiellement documenté lors d’association avec le phénobarbital. À ce moment-là, il n’existait pas d’antiépileptique à AMM vétérinaire. Depuis, les choses ont changé, mais ce n’est que très récemment que le bromure de potassium (KBr) a été commercialisé avec une AMM vétérinaire. Pendant plus de 20 ans, le bromure a donc été utilisé hors AMM sous la forme d’une préparation magistrale, ou d’une spécialité contenant à la fois du phénobarbital et du bromure (Crisax®, ne disposant pas cependant d’une indication pour l’épilepsie). Sa demi-vie particulièrement longue (100 à 200 jours) permet de se limiter à une seule administration quotidienne. Le KBr peut toutefois être irritant pour le tube digestif et, en cas d’intolérance, il est recommandé de répartir la dose quotidienne en deux administrations à 12 heures d’intervalle.
Une attention toute particulière doit être apportée au régime alimentaire. En effet, le bromure est en compétition avec le chlore pour la réabsorption tubulaire rénale (c’est cette réabsorption qui est à l’origine de la demi-vie particulièrement longue du bromure). Une ration enrichie en NaCl réduit la réabsorption du bromure, donc conduit à une diminution de sa concentration sanguine. Une diminution de sel dans la ration provoque l’effet inverse. Il convient donc d’éviter les changements alimentaires intempestifs [20].
Chaque antiépileptique utilisable en médecine vétérinaire possède des caractéristiques pharmacologiques et des indications plus ou moins spécifiques (tableau 2). Son choix doit être soumis à l’évaluation des risques qu’il peut induire (tableau 3). Il repose également sur l’état physiologique de l’animal concerné (tableau 4). Par exemple, en cas d’insuffisance rénale, l’utilisation du bromure doit être prudente, car son excrétion est rénale, mais sa demi-vie dépend beaucoup de sa réabsorption tubulaire.
L’effet maximal d’un antiépileptique n’est pas obtenu dès son administration. Il convient pour cela d’atteindre un état dit “stationnaire”, caractérisé par des variations minimales de la concentration sanguine du principe actif au cours du temps. Lorsque cet état est atteint, le principe actif est réputé présenter son efficacité maximale, pour la posologie concernée. Le temps requis pour ce faire est fonction de la molécule utilisée. Généralement, cet état stationnaire est obtenu au bout de 4 à 5,5 demi-vies. Ces considérations ne signifient pas que le produit est inefficace avant d’avoir atteint un état stationnaire, mais qu’il est nécessaire de parvenir à celui-ci avant de conclure à son inefficacité !
Dans certains cas comme lors de status epilepticus, de crises rapprochées ou groupées, il est intéressant d’atteindre cet état stationnaire plus rapidement. Cela peut être obtenu par l’administration d’une dose de charge (tableau 5). Volontairement élevée, celle-ci permet d’atteindre des concentrations sanguines situées dans la fenêtre thérapeutique dans un laps de temps très court.
Deux molécules dont la demi-vie est particulièrement longue sont concernées au quotidien : le phénobarbital et le bromure de potassium.
Pour le phénobarbital, la dose de charge consiste en une administration unique par voie intraveineuse. La dose D, en mg, est obtenue par la formule suivante [14] :
D = poids du chien en kg × 0,8 l/kg (pondération masse hydrique) × 25 mg/l (concentration cible),
soit D en mg = poids en kg × 20.
Pour le bromure, en raison notamment de possibles intolérances et de l’effet irritant du produit sur le tube digestif, la dose de charge est répartie sur 4 jours, à raison de 130 mg/kg/j en quatre ou cinq prises [2, 7]. Selon les auteurs et la tolérance de l’animal, ce protocole peut varier quelque peu. Un protocole fondé sur une administration quotidienne de 120 mg/kg est validé par l’AMM d’une des spécialités commercialisées contenant du bromure.
En raison des effets secondaires parfois violents qui peuvent être observés, il est préférable de réaliser ces protocoles chez un animal hospitalisé. Dans le cas du bromure, une intolérance manifeste peut inciter à diminuer la dose et à allonger la durée de l’administration de la dose de charge.
Ces effets sont visiblement plus fréquents chez les chiens de races molossoïdes (cana corso, dogue de Bordeaux, etc.) qui semblent avoir une sensibilité particulière aux fortes doses de bromure. Les signes observés sont alors très évocateurs : diminution de la vigilance, ataxie, etc.
Après l’administration de la dose de charge, le traitement est poursuivi à la dose d’entretien.
Comme pour tout traitement symptomatique, les aléas sont nombreux, mais ils ne doivent pas être confondus avec des erreurs de diagnostic, de dose ou d’association. L’utilisation raisonnée des molécules dont nous disposons permet dans l’immense majorité des cas de stabiliser l’animal dans un confort de vie tout à fait acceptable, y compris pour ses propriétaires. Cela nécessite un investissement non seulement de ces derniers, mais aussi du praticien qui doit calculer, voire recalculer, la dose idéale. Ces démarches virent facilement au casse-tête, mais peuvent être facilitées par des tables préremplies(1). C’est ce que l’article suivant de ce dossier vous propose.
(1) Voir l’article “Tables de calcul des doses des traitements antiépileptiques”, du même auteur dans ce numéro.
L’auteur a travaillé au sein d’un groupe d’experts consulté par les laboratoires Boehringer Ingelheim et TVM.
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