Le secret professionnel : quand le rompre ? - Le Point Vétérinaire n° 378 du 01/09/2017
Le Point Vétérinaire n° 378 du 01/09/2017

DÉONTOLOGIE

Éthique

Auteur(s) : Denise Remy

Fonctions : VetAgro Sup,
Campus vétérinaire
de Lyon,
1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile

Dans quel cas le vétérinaire doit-il rompre le secret professionnel pour porter assistance à une personne en péril ?

Ainsi que nous l’avons exposé dans le deuxième volet de cette série consacrée au secret professionnel, seules certaines mesures de santé publique et la non-assistance à personne en péril constituent des dérogations obligatoires au secret professionnel. Ce troisième volet a pour objectif d’éclairer le concept juridique de “personne en péril”.

Référence à la médecine humaine

Un cas de figure en médecine humaine éclaire bien les concepts de secret professionnel et de non-assistance à personne en danger. Il permet en outre de rappeler qu’éthique et droit ne sont pas synonymes et de développer une réflexion éthique qui peut parfaitement, dans des contextes différents, être transposée à la médecine vétérinaire. L’infection due au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a provoqué une controverse en ce qui concerne le caractère absolu du secret professionnel. En effet, un conflit se dessine entre le droit des personnes infectées à la confidentialité et le droit de leurs partenaires à être informés du danger qui les menace directement (encadré).

Analyse éthique

Indépendamment des critères juridiques, la réflexion éthique a, en France et en Belgique, conduit à la conclusion que la confiance est le premier objectif à préserver [3]. Le coût de la perte de confiance est à la fois individuel (interruption vraisemblable du suivi médical de la personne contaminée concernée), mais aussi collectif (cette personne est susceptible d’entraîner plusieurs autres patients dans son sillage, le caractère anonyme et secret du dépistage est remis en cause). Ce coût de la perte de confiance apparaît, dans une analyse utilitariste, plus élevé que le risque et le préjudice auxquels est exposé le partenaire concerné [5]. La conclusion adoptée diffère en fonction des pays. En Amérique du Nord et en Suisse, face à un patient infecté adoptant des comportements irresponsables, le médecin informerait le partenaire [2]. Le raisonnement éthique conduit à faire prévaloir la protection du partenaire (analyse curieusement déontologique dans un continent, l’Amérique du Nord, fortement marqué par l’utilitarisme) [6]. Au-delà de la simple protection du partenaire, l’objectif ultime souhaité est la protection de la santé publique par la prohibition de la négligence. Ce même objectif est bien présent en France, mais sur un mode punitif et non préventif, puisque, en 2008, une nouvelle infraction « atteinte volontaire à l’intégrité de la personne et administration de substances nuisibles » a été introduite dans le Code pénal.

En France, tout médecin qui, à l’issue d’une délibération éthique, déciderait de déroger à la loi dans un cas exceptionnel pour informer un partenaire, court le risque d’une éventuelle condamnation civile et pénale. Il devra justifier d’avoir violé le secret pour la sauvegarde d’un intérêt supérieur. C’est ce qui est appelé “l’état de nécessité”.

Cas clinique

Un chien caniche de 6 ans est présenté à la consultation pour une boiterie avec suppression d’appui du membre postérieur gauche. Sa propriétaire, qui est une nouvelle cliente, rapporte que le chien a pris peur la veille en raison d’un bruit violent, s’est précipité et est tombé dans l’escalier. L’animal est en polypnée, un tympanisme discret est noté à la percussion du thorax, mais l’auscultation thoracique ne révèle pas d’anomalie. Le reste de l’examen clinique général est normal. Localement, la cuisse gauche présente des signes d’inflammation aiguë, une ecchymose de toute la face latérale et médiale s’étendant latéralement jusqu’à l’ilium et médialement sur la paroi abdominale postérieure, ainsi qu’un hématome (signe de fluctuation, sang à la ponction exploratrice) (photo 1). La palpation-pression de la cuisse et la mobilisation de la hanche et du genou sont très douloureuses et il n’est pas possible de pratiquer un examen orthopédique. L’examen radiographique du bassin, de la cuisse et du genou ne met pas en évidence de lésion ostéo-articulaire. Les clichés thoraciques révèlent un léger pneumothorax. Nous faisons remarquer à la propriétaire que les commémoratifs ne nous semblent pas en cohérence avec les lésions constatées. Nous lui demandons si elle a assisté à l’accident. Elle semble gênée et nous répond que c’est son compagnon qui lui a relaté les faits, elle-même ayant retrouvé son chien en bas de l’escalier. L’animal est oxygéné, un traitement antalgique par voie parentérale est instauré et l’animal est gardé en surveillance pendant 24 heures. Au terme de ce délai, le pneumothorax est en grande partie résorbé. Nous prescrivons un traitement antalgique et anti-inflammatoire per os, associé à un repos absolu et demandons à la propriétaire de revoir l’animal en consultation une semaine plus tard et de nous tenir au courant en cas d’évolution défavorable.

La propriétaire annule le rendez-vous de contrôle.

Nous la revoyons 2 mois plus tard, un jeudi. Le chien ne boite plus, l’hématome est complètement résorbé. L’animal présente des difficultés respiratoires décelables au simple examen à distance. La propriétaire décrit une nouvelle chute dans l’escalier, le chien ayant été effrayé par son compagnon. Elle paraît très inquiète et l’exprime. Elle parle peu. À l’examen clinique, l’animal est fortement dyspnéique, sa température et son état d’hydratation sont normaux, ses muqueuses sont cyanosées, le temps de remplissage capillaire est normal, la percussion thoracique révèle un tympanisme marqué (hyperrésonance), la fréquence cardiaque est augmentée à 160 battements par minute, le pouls fémoral est frappé et concordant avec le choc précordial, l’auscultation met en évidence une diminution des bruits pulmonaires et cardiaques. L’examen radiographique révèle la présence d’un pneumothorax sévère (photo 2). L’animal est transféré au service de soins intensifs. Nous n’enquêtons pas davantage sur les commémoratifs, compte tenu de l’urgence de la situation, mais faisons part à nos confrères du service de soins intensifs de notre doute en ce qui concerne une éventuelle situation de maltraitance, en raison de la discordance troublante entre les commémoratifs et les lésions constatées.

La suite du cas nous a été rapportée. Au service de soins intensifs, la propriétaire rapporte les mêmes commémoratifs, elle redit être très inquiète pour son chien, elle échange peu avec le consultant, demande des informations médicales, le pronostic, accepte l’estimation du coût et signe les documents administratifs qui lui sont présentés. Elle sympathise avec l’étudiante qui a pris son chien en charge et qui l’accompagne pour les formalités administratives. Elle lui avoue que son compagnon est alcoolique et que, quand il est ivre, il frappe le chien. Elle tremble et demande à l’étudiante de ne surtout rien dire à personne. Elle a perçu le fait que les consultants mettaient en doute la véracité des commémoratifs. L’étudiante, prise de pitié, donne à la propriétaire son numéro de téléphone portable personnel, afin que cette dernière puisse l’appeler pour avoir des nouvelles de son chien. Elle promet de lui en donner deux fois par jour. L’étudiante donne des nouvelles quotidiennement. L’état du chien s’améliore durant la fin de semaine (oxygénation dès la prise en charge, thoracocentèse puis pose d’un drain thoracique). Lorsque l’étudiante termine sa rotation au service de soins intensifs, le chien y est toujours hospitalisé.

Un matin de la semaine suivante, l’étudiante, qui avait éteint son téléphone portable pendant la nuit, découvre un message affolé de la propriétaire du caniche : « Je vous appelle, mon compagnon est ivre, il veut me tuer. Je suis enfermée dans les toilettes, il tente de défoncer la porte. Au secours ! »

La pauvre étudiante est affolée, ne sachant que faire, torturée, pensant avoir accumulé les erreurs en ne rapportant pas la réalité des faits aux consultants, en ayant donné à la propriétaire son numéro de téléphone personnel et en ayant éteint machinalement son téléphone la veille au soir. Elle imagine la propriétaire décédée et se voit, au moins en partie, responsable du décès. C’est dans cet état de confusion qu’elle nous relate ce qui venait de se passer.

Conclusion

Nous analyserons ce cas dans le prochain numéro en décrivant ce que nous avons fait dans la situation donnée, puis en imaginant que l’étudiante ait pu répondre à l’appel de la propriétaire. Qu’aurait-elle dû faire ? Qu’aurait-elle dû ou pu faire lorsque la propriétaire lui a révélé l’alcoolisme de son compagnon ?

Nous présenterons ultérieurement d’autres cas et apporterons également, à travers les études de cas, les compléments d’information promis dans le précédent numéro.

Références

  • 1. Actes du troisième Congrès international d’éthique médicale de l’Ordre des médecins. 1991, Paris, Ordre national des médecins (éd.), Paris. 1991:348p.
  • 2. Koukougan C, Ghosn J. Faut-il réviser le secret médical dans la gestion de l’infection par le VIH au vu des progrès thérapeutiques ? Médecine Thérapeutique. 2012;18 (3):199-204.
  • 3. Maumaha Noune R, Monzée J. Le secret thérapeutique : influences socioculturelles et implications pour les professionnels de la santé. Éthique publique. 2009;11 (2):147-166.
  • 4. Remy D. Le secret professionnel : ce que renferment les textes de loi pour les vétérinaires. Point Vét. 2017;377:6-8.
  • 5. Remy D. L’utilitarisme, une théorie éthique fondamentale dans notre société et en particulier pour les médecins et les vétérinaires. Point Vét. 2016;363:44-48.
  • 6. Remy D. L’éthique déontologique (ou déontologisme) : la protection des droits de l’individu, homme ou animal. Point Vét. 2016;368:64-68.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Infection due au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et caractère absolu du secret professionnel

→ Face à un patient séropositif dûment informé par son médecin et refusant néanmoins obstinément d’informer son partenaire et de prendre les mesures nécessaires pour éviter de le contaminer, quelle attitude le médecin doit-il adopter ? Avertir son partenaire afin qu’il puisse se protéger ? Ou ne rien dire pour préserver le secret et exposer le partenaire à un risque de contamination ? En l’occurrence, le fait de ne pas révéler peut-il être considéré comme une non-assistance à personne en danger ? [4].

→ Avant l’apparition des trithérapies (1996), qui réduisent fortement la charge virale, il avait déjà été conclu que ce cas ne relève aucunement de la non-assistance à personne en danger car les critères de gravité, imminence et caractère certain ne sont pas réunis [1]. L’affection est chronique, évolue le plus souvent sur des périodes longues, le risque n’est pas imminent. Il n’est pas non plus absolument certain. De surcroît, depuis l’avènement des trithérapies, le critère de gravité est également contestable.

Ainsi, d’un point de vue juridique, le débat est formellement tranché : les conditions d’application de la notion de non-assistance à personne en danger ne sont pas réunies.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur