Syndrome de détresse respiratoire aiguë chez un chien atteint de la maladie de Carré - Le Point Vétérinaire expert canin n° 376 du 01/06/2017
Le Point Vétérinaire expert canin n° 376 du 01/06/2017

MÉDECINE INTERNE

Cas clinique

Auteur(s) : Sara Gonzalez Rivera*, Kevin Le Boedec**

Fonctions :
*Centre hospitalier vétérinaire Frégis,
43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil

La maladie de Carré, devenue rare en France, doit cependant rester à l’esprit de tout praticien, notamment face à un jeune animal en provenance d’un pays où elle est plus fréquente. Exceptionnellement, elle peut également s’accompagner d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë.

L’agent infectieux responsable de la maladie de Carré est un morbillivirus affectant principalement les épithéliums dans divers organes et les cellules de l’immunité [2].

Le virus est inhalé par les voies respiratoires et se réplique d’abord dans le tissu lymphatique de l’appareil respiratoire supérieur et les amygdales. Le virus détruit alors massivement les lymphocytes, entraînant une fièvre et une lymphopénie transitoire. Cette baisse d’immunité permet, dans un second temps, la propagation du virus aux épithéliums gastro-intestinal, pulmonaire, urinaire, cutané et nerveux [17]. Les premiers signes cliniques de la maladie sont donc un syndrome fébrile suivi de signes d’atteinte respiratoire supérieure (jetage nasal et oculaire, voire toux et détresse respiratoire) [7].

Généralement, d’autres signes cliniques apparaissent par la suite : vomissements, diarrhée, kérato-conjonctivite sèche, vésicules ou pustules cutanées, hyperkératose de la truffe et des coussinets, troubles neurologiques (hyperesthésie, crises convulsives, myoclonies ou encore paralysie) [7].

Le virus se propageant à plusieurs organes, les signes sont habituellement multisystémiques. Dans une étude épidémiologique à large échelle incluant 62 chiens atteints de la maladie de Carré au Japon, 52 % ont exprimé une combinaison de signes digestifs, respiratoires et/ou neurologiques [5]. De plus, 28 des 30 chiens dont la symptomatologie était limitée à un seul système ont présenté des signes uniquement neurologiques. Seuls deux chiens ont montré des signes restreints aux systèmes digestif et respiratoire (à la fois supérieur et inférieur) [5].

La présentation clinique varie selon la virulence de la souche, les conditions environnementales, l’âge et le statut immunitaire de l’animal. Les jeunes animaux non vaccinés sont les plus touchés, mais certains adultes vaccinés peuvent déclarer la maladie [9]. La maladie de Carré, bien que devenue rare en France, reste une affection à considérer, notamment lors de détresse respiratoire chez un jeune chien, comme l’illustre ce cas clinique.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

Un chiot femelle de 5 mois, de race border collie, pesant 10 kg, a été acquis 15 jours auparavant dans une animalerie. Son pays d’origine est la Hongrie. Il a été correctement vacciné et vermifugé selon les papiers officiels fournis. Le premier vaccin a été réalisé en Hongrie vers l’âge de 2 mois et le rappel en France par le vétérinaire traitant 1 mois plus tard. Les propriétaires rapportent une chienne peu vive, craintive et dysorexique depuis l’adoption. De plus, ils constatent l’apparition d’une toux quinteuse, profonde et émétisante au cours de la semaine précédant l’hospitalisation. La toux s’aggrave malgré un traitement de 1 semaine à la céfalexine (Therios® 300 mg, 15 mg/kg deux fois par jour) mis en place par le vétérinaire traitant et se complique de difficultés respiratoires d’apparition aiguë, motivant une seconde visite chez le vétérinaire traitant. Des radiographies thoraciques révèlent une opacification interstitielle à alvéolaire diffuse. L’unique anomalie présente au niveau de la numération et formule sanguines est une thrombopénie non vérifiée par l’examen d’un frottis sanguin (78 000/µl - valeurs usuelles 175 000 à 500 000).

L’animal est alors référé à notre centre hospitalier pour une prise en charge.

2. Examen clinique

À l’admission, le chiot présente un abattement et un faible état corporel (score de 3 sur une échelle de 9). Les muqueuses sont roses, avec un temps de recoloration capillaire de 3 secondes et une déshydratation estimée à 5 %. La température rectale est de 39 ºC. L’auscultation cardiaque révèle un rythme régulier et une fréquence de 120 battements par minute, avec un pouls fémoral synchrone et frappé. L’animal présente une respiration superficielle à une fréquence de 100 mouvements par minute et une toux quinteuse. L’auscultation respiratoire met en évidence des bruits broncho-vésiculaires augmentés sans craquement ni sibilance. L’abdomen est souple et non douloureux à la palpation.

3. Synthèse clinique et anamnestique

Un abattement et un amaigrissement sont notés, associés à une respiration superficielle et à une toux, qui s’aggravent avec le temps et qui ne répondent pas à un traitement empirique à la céfalexine. Les examens complémentaires réalisés révèlent une opacification interstitielle à alvéolaire diffuse et une thrombopénie.

4. Diagnostic différentiel

En raison de l’âge de l’animal et de sa provenance, des hypothèses infectieuses sont privilégiées pour expliquer le tableau clinique. Une broncho-pneumonie bactérienne est suspectée en priorité, en particulier une bordetellose ou une mycoplasmose. Des infections par d’autres bactéries sont possibles, notamment par Streptococcus equi ssp. zooepidemicus. Une broncho-pneumonie d’origine virale est également envisageable, en particulier par les virus parainfluenza, influenza, adénovirus et coronavirus. Une maladie de Carré reste possible malgré l’absence de signes digestifs, cutanés et/ou neurologiques, le statut vaccinal du chien et l’absence d’anomalie leucocytaire. La sévérité de l’atteinte de l’état général, la durée des signes cliniques et le statut vaccinal du chiot sont en faveur d’une origine plutôt bactérienne que virale. Une broncho-pneumonie parasitaire est également envisagée. Une infestation massive par des ascaris ou d’autres vers digestifs, dont le cycle comprend l’appareil respiratoire (strongyloïdes, par exemple), serait surprenante en raison de l’âge de l’animal et de l’absence de signes digestifs. Une angiostrongylose pourrait expliquer la combinaison de signes respiratoires et d’une thrombopénie associés à un pattern radiographique atypique pour une broncho-pneumonie bactérienne. D’autres parasites tels que Toxoplasma gondii ou Pneumocystis jiroveci sont beaucoup plus rares et ne sont donc pas envisagés en priorité.

5. Stabilisation clinique, explorations diagnostiques et évolution au cours de l’hospitalisation

Prise en charge initiale

L’animal a été hospitalisé immédiatement pour permettre une stabilisation médicale. Un suivi clinique de la fonction respiratoire est réalisé toutes les 4 à 6 heures et une sonde nasale est mise en place pour un apport en oxygène (débit de 0,15 l/kg/min). Une fluidothérapie intraveineuse (Ringer lactate, 4,5 ml/kg/h) est réalisée immédiatement pour corriger la déshydratation.

Une nouvelle numération et formule sanguines mettent en évidence une lymphopénie (0,41 x 103/µl) et une neutropénie relative (3,47 x 103/µl) avec un virage à gauche de la courbe d’Arneth (c’est-à-dire avec présence de neutrophiles immatures, reconnaissables à leur noyau peu lobé). Une thrombopénie modérée (107 x 103/µl) est confirmée par l’examen du frottis sanguin. Aucune anémie ni polyglobulie n’est identifiée (hémoglobinémie : 14 g/dl). Les radiographies thoraciques réalisées montrent une opacification interstitielle diffuse caudodorsale et alvéolaire caudoventrale (photos 1a et 1b). Deux examens coproscopiques consécutifs (méthode de Baermann) à la recherche de larves d’Angiostrongylus vasorum se révèlent négatifs.

Un premier traitement est instauré dans l’hypothèse d’une bordetellose ou d’une angiostrongylose : doxycycline (Ronaxan®) à 10 mg/kg une fois par jour, fenbendazole (Panacur®) à 50 mg/kg une fois par jour par voie orale et une pipette d’imidacloprid et de moxidectine (Advocate®). Aucune amélioration clinique n’est observée après 2 jours de traitement.

Examens complémentaires de suivi et bronchoscopie

Le bilan hématologique et biochimique est répété et met en évidence une leucocytose neutrophilique discrète (leucocytes 14,6 x 103/l, dont neutrophiles 11,97 x 103/l), ainsi qu’une résolution de la lymphopénie et de la thrombopénie. Des clichés radiographiques de contrôle révèlent une aggravation de l’opacification alvéolaire caudoventrale bilatérale (photos 2a et 2b).

Une bronchoscopie est alors réalisée pour caractériser la lésion interstitielle à alvéolaire observée radiographiquement. Un érythème de la muqueuse est noté au larynx, au niveau du tiers distal de la trachée et de façon généralisée dans les bronches. Des bronchospasmes sont observés. Des sécrétions claires ne sont notées qu’en quantité infime aux lobes caudaux et un lavage broncho-alvéolaire y est effectué à droite et à gauche (photos 3a et 3b).

Dans l’attente des résultats d’analyse cytobactériologique du liquide de lavage broncho-alvéolaire et en raison de la dégradation clinique du chiot, le traitement est ajusté, avec un ajout d’enrofloxacine (Baytril®) à 5 mg/kg une fois par jour et d’amoxicilline/acide clavulanique (Augmentin®) à 12,5 mg/kg deux fois par jour par voie intraveineuse et de dexaméthasone (Dexadreson®) à 0,16 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse.

Le chiot est stimulé pour la prise de nourriture. Aucune sonde d’alimentation n’est placée en raison de la détresse respiratoire de l’animal et du stress généré par la pose d’une sonde naso-œsophagienne.

Résultats de l’analyse cytologique et ajustement thérapeutique

L’analyse cytologique du liquide de lavage broncho-alvéolaire révèle une cellularité augmentée (1 700 leucocytes/µl) composée essentiellement de neutrophiles (80 %) et de macrophages nettement activés (20 %). Des cellules épithéliales isolées ou groupées en petits amas modérément dysplasiques/atypiques sont également observées. Corynebacterium sp. (nombre de colonies supérieur à 104 sur milieu de culture enrichi), sensible à l’ensemble des antibiotiques testés (y compris ceux administrés empiriquement), est isolée à partir du liquide de lavage broncho-alvéolaire.

L’état clinique de l’animal continue de se dégrader malgré l’ajustement thérapeutique. Le chien est prostré, dysorexique et sévèrement tachypnéique.

Des inhalations avec du sérum physiologique par nébulisation, trois fois par jour, et du butorphanol (Dolorex®) à 0,2 mg/kg toutes les 6 heures sont ajoutées. Un traitement au triméthoprime-sulfamides (Septotryl®) à 15 mg/kg toutes les 12 heures est administré dans l’hypothèse d’une pneumocystose. En raison d’une forte détérioration clinique en dépit du traitement et de l’apparition d’une cyanose malgré l’oxygénothérapie, les propriétaires prennent une décision raisonnée d’euthanasie.

6. Autopsie et examens histologiques

L’autopsie de l’appareil respiratoire révèle des poumons qui ne se rétractent pas après l’ouverture de la cavité thoracique. Le parenchyme apparaît anormalement dense à la palpation et gonflé, sauf au niveau de la partie craniale des lobes craniaux. Sa couleur est anormalement sombre au lieu d’être rose pâle. De nombreuses hémorragies sont constatées, à la surface des lobes caudaux en particulier (foyers rouge sombre). À la coupe des lobes caudaux, le parenchyme est sévèrement hépatisé. Aucune sécrétion n’est observée en provenance des voies respiratoires (photos 4a et 4b).

L’examen histologique des prélèvements de poumon met en évidence une broncho-pneumonie suppurée multi­focale modérée à sévère, caractérisée par un épaississement des septa alvéolaires avec un infiltrat inflammatoire principalement composé de macrophages et un comblement partiel de la lumière bronchique par des polynucléaires neutrophiles dégénérés. Des cellules syncytiales et des corps d’inclusions viraux intracytoplasmiques éosinophiles sont observés dans l’épithélium bronchique. La présence de membranes hyaliques au sein des alvéoles est également notée (photos 5a et 5b). Les lésions histologiques sont diagnostiques d’une maladie de Carré couplée d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë.

DISCUSSION

1. Maladie de Carré

Épidémiologie

Bien qu’erronée, l’hypothèse initiale de broncho-pneumonie primaire d’origine bactérienne était supportée par le contexte épidémiologique évocateur de l’animal : un chiot vacciné provenant d’un pays d’Europe de l’Est, appartenant à une collectivité et avec des signes exclusivement respiratoires. Ce contexte était toutefois également compatible avec une maladie de Carré. En effet, un pic de prévalence de la maladie de Carré canine est constaté entre 3 et 6 mois d’âge [7]. De plus, la maladie de Carré est toujours une préoccupation majeure en Europe de l’Est malgré les procédures de vaccination [4]. Le statut vaccinal ne permet pas d’exclure une broncho­pneumonie associée à la maladie de Carré, comme le montre une étude épidémiologique sur 62 chiens atteints de la maladie de Carré réalisée au Japon, dans laquelle la majorité des chiens inclus (77 %) étaient vaccinés [5].

Modifications hématologiques

Les modifications hématologiques lors d’une maladie de Carré sont peu spécifiques [6]. Seule une lymphopénie est observée dans certains cas [2]. Malgré la reconnaissance d’une lymphopénie transitoire dans le cas décrit, celle-ci n’est pas suffisamment spécifique d’une maladie de Carré pour permettre l’établissement d’un diagnostic, comme elle est fréquemment observée lors de leucogramme de stress (association non spécifique d’une leucocytose neutrophilique et d’une lymphopénie légère sous l’effet des hormones de stress ou d’une corticothérapie).

Une thrombopénie est initialement détectée chez l’animal du cas décrit. Elle n’est probablement pas expliquée par la maladie de Carré, mais peut être provoquée par une affection concomitante transmise par les tiques (ehrlichiose ou babésiose, par exemple). En effet, une étude récente révèle que 31 % des chiens originaires de Hongrie positifs pour la maladie de Carré l’étaient également pour des maladies vectorielles (Babesia spp., Leishmania infantum, Dirofilaria immitis) [20]. L’hypothèse d’une maladie concomitante est renforcée par la résolution de la thrombopénie après traitement à la doxycycline. Des tests sérologiques ou une recherche de ces agents infectieux sur sang total par PCR (polymerase chain reaction) auraient été utiles pour diagnostiquer définitivement une maladie vectorielle concomitante.

L’association d’une thrombopénie et des signes cliniques et radiographiques observés a également amené à suspecter une angiostrongylose. Les examens coproscopiques réalisés par la technique de Baermann n’ont pas permis la visualisation de larves. Toutefois, l’excrétion des larves dans les selles étant cyclique, la technique de Baermann n’est pas complètement sensible pour détecter une angio­strongylose [8]. La dégradation de la respiration après la mise en place du traitement antiparasitaire est possible lors d’infestation par Angiostrongylus vasorum en raison d’une réaction anaphylactique secondaire à la mort des parasites [8]. Bien que cela ait été suspecté dans le cas présenté ici, l’absence d’amélioration de la respiration avec un traitement corticoïde était peu en faveur de cette hypothèse [8].

Présentation clinique

La présentation clinique de ce cas, restreinte à l’appareil respiratoire inférieur, est atypique pour une maladie de Carré. En effet, la manifestation classique de cette infection combine des signes digestifs et respiratoires ou s’exprime par des signes purement nerveux [5]. Sur 62 chiens atteints de la maladie de Carré au Japon, seulement 2 ne présentaient pas cette manifestation typique de la maladie : l’un n’a exprimé que des signes digestifs (vomissements et diarrhée), et l’autre que des signes respiratoires (jetage nasal, toux et pneumonie) [5]. Quelques articles décrivent aussi des cas isolés de maladie de Carré, avec co-infection par d’autres agents pathogènes respiratoires, dont l’expression était majoritairement respiratoire [13, 15]. La présence d’une pneumonie isolée provoquée par le virus de la maladie de Carré est donc rare.

La mort par pneumonie lors de maladie de Carré est fréquemment provoquée par des surinfections bactériennes, ce qui justifie l’utilisation d’une antibiothérapie chez les animaux en détresse respiratoire [17]. Malgré l’absence d’isolement de bactéries pathogènes à partir du liquide de lavage broncho-alvéolaire, une surinfection bactérienne ne peut être complètement exclue, le lavage broncho-alvéolaire ayant été effectué alors que le chien recevait des antibiotiques depuis plusieurs jours. Les lésions radiographiques aux poumons n’étaient pas en faveur d’une pneumonie bactérienne, typiquement distribuées de manière cranio-ventrale, mais les lésions de surinfections bactériennes peuvent se présenter radiographiquement de manière plus variable et diffuse dans un contexte d’immunosuppression, comme c’est le cas chez le chien du cas décrit [14].

Toutefois, la prédominance d’une inflammation macrophagique et non neutrophilique à l’examen histologique des poumons, l’absence de sécrétions purulentes à l’examen endoscopique des bronches et la dégradation de l’animal malgré une antibiothérapie a priori efficace indiquent que l’évolution vers la cyanose n’est probablement pas directement due à une surinfection bactérienne. Il n’est cependant pas impossible, bien qu’hypothétique, qu’une éventuelle surinfection bactérienne ait pu précipiter le développement du syndrome de détresse respiratoire aiguë.

Enfin, les pneumonies à Pneumocystis jiroveci peuvent prendre un aspect radiographique atypique et provoquer une insuffisance respiratoire sévère avec cyanose. Bien que le border collie ne soit pas prédisposé aux pneumocystoses, les infections à Pneumocystis jiroveci peuvent se développer chez n’importe quelle race de chien dans un contexte d’immunosuppression, notamment lors de maladie de Carré [16]. Cette hypothèse a justifié l’ajout de triméthoprime-sulfamides.

Moyens diagnostiques

Le diagnostic a finalement été obtenu via les analyses histologiques des poumons prélevés lors de l’autopsie. La reconnaissance de corps d’inclusions éosinophiliques intracytoplasmiques et intranucléaires dans les cellules épithéliales associée à la présence de cellules syncytiales dans un contexte de pneumonie à dominance macrophagique est en effet diagnostique d’une maladie de Carré [7]. La présence spécifique du virus peut être confirmée via des techniques d’immunohistochimie ou d’hybridation in situ [17]. Si la maladie de Carré avait été suspectée du vivant de l’animal, un écouvillon conjonctival ou nasal, facilement accessible, aurait pu être utile pour la recherche de corps d’inclusions dans les cellules épithéliales ou pour la recherche directe de l’acide nucléique du virus par PCR [11].

Malgré l’absence d’inclusion basophile dans les cellules épithéliales bronchiques, une co-infection par l’adénovirus canin de type 2 ne peut être exclue sans analyse immunohistochimique et/ou sans PCR [21]. La présence de ce virus n’a pas été recherchée dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire. La gestion thérapeutique du cas aurait été similaire, compte tenu de l’absence de traitement antiviral spécifique.

Ces lésions compatibles avec une maladie de Carré s’accompagnent d’une inflammation neutrophilique située dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire et d’un exsudat fibrineux avec des membranes hyalines venant combler les alvéoles pulmonaires au niveau histologique. Ces lésions d’inflammation et d’œdème interstitiel et alvéolaire riche en fibrine sont compatibles avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë [1].

2. Syndrome de détresse respiratoire aiguë

Le syndrome de détresse respiratoire aiguë n’est pas une maladie en elle-même, mais un syndrome qui accompagne une inflammation systémique (sepsis et syndrome de déficience multi-organique notamment) ou une agression sévère au niveau des poumons. Il est secondaire aux lésions vasculaires provoquées par les neutrophiles séquestrés dans les poumons [18].

Son diagnostic requiert la reconnaissance de cinq critères validés par un consensus d’expert (encadré) [19]. Bien que ces critères aient été développés pour être reconnus du vivant de l’animal, ils sont retrouvés chez le chien du cas décrit ici après analyse des informations obtenues en pré- et post-mortem :

– l’apparition des signes doit être aiguë (en moins de 72 heures) avec une tachypnée et des difficultés respiratoires au repos, ce qui est le cas ici ;

– un facteur de risque doit être identifié. Une pneumonie virale est reconnue comme étant un facteur de risque au développement de syndrome de détresse respiratoire aiguë ;

– une exsudation des capillaires pulmonaires doit être présente, par opposition à un œdème cardiogénique. La présence au niveau histologique de membranes hyalines dans les alvéoles indique l’exsudation d’un liquide d’œdème pulmonaire riche en protéines qui n’est pas compatible avec une insuffisance circulatoire, mais est diagnostique d’une origine inflammatoire de l’œdème ;

– l’inefficacité des échanges gazeux doit être démontrée, généralement par l’analyse de gaz sanguins artériels. Malgré l’absence d’analyse des gaz sanguins artériels dans le cas décrit, la cyanose, détectée en fin d’évolution chez le chien dont l’hémoglobinémie était normale, est diagnostique d’une hypoxémie sévère ;

– une inflammation pulmonaire diffuse doit être identifiée. Cette inflammation diffuse a été démontrée via l’analyse cytologique du liquide de lavage broncho-alvéolaire, qui révèle une cellularité augmentée essentiellement de nature neutrophilique, ainsi que via l’analyse histologique post-mortem du poumon.

La reconnaissance de ces cinq critères démontre l’évolution d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë dans le cas présenté.

Le traitement d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë inclut des soins lourds tels qu’une ventilation artificielle avec pression positive en fin d’expiration. Les approches thérapeutiques pharmacologiques ne sont généralement pas efficaces [12]. De rares cas ont survécu après un traitement intensif incluant une ventilation artificielle avec pression positive en fin d’expiration, des antiacides, des antibiotiques et un support de la pression artérielle et de la température corporelle [10]. Pour cette raison et sur la base de l’expérience des auteurs, le taux de mortalité associé au syndrome de détresse respiratoire aiguë en pratique est très élevé [3].

Conclusion

L’originalité de ce cas réside en l’association entre une maladie de Carré et un syndrome de détresse respiratoire aiguë. La maladie de Carré doit toujours être intégrée dans le diagnostic différentiel d’une atteinte respiratoire chez de jeunes chiens, même en l’absence de signes digestifs et neurologiques associés. La provenance des chiens, de Hongrie dans le cas présenté, peut représenter un facteur de risque, même chez des animaux vaccinés. Bien que le traitement de la forme pulmonaire de la maladie de Carré passe principalement par des mesures de support (fluidothérapie, oxygénothérapie) couplées à une antibiothérapie pour prévenir les surinfections bactériennes, l’apparition d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë peut fortement assombrir le diagnostic. L’apparition de ce syndrome impose la mise en place de soins intensifs lourds incluant une ventilation artificielle pour optimiser les chances de survie. Le taux de mortalité associé à ce syndrome reste très élevé, même avec ces mesures thérapeutiques intensives.

Références

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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Dans un contexte évocateur (chiot en provenance d’Europe de l’Est), une maladie de Carré doit être considérée même lors de signes cliniques exclusivement respiratoires chez un animal correctement vacciné.

→ Chez un animal atteint de la maladie de Carré, un syndrome de détresse respiratoire aiguë doit être envisagé en cas de dégradation rapide de l’état clinique malgré un traitement de soutien et une antibiothérapie à large spectre.

→ Bien que non spécifique, une lymphopénie chez un chien avec des signes cliniques compatibles évoque une maladie virale telle que la maladie de Carré.

→ Les animaux importés de l’Europe de l’Est sont souvent co-infectés par plusieurs agents infectieux et parasitaires, ce qui peut compliquer l’établissement du diagnostic.

ENCADRÉ
Critères diagnostiques du syndrome de détresse respiratoire aiguë chez le chien

→ Détresse respiratoire avec tachypnée d’apparition aiguë (< 72 heures).

→ Reconnaissance de facteurs de risque (maladie systémique ou atteinte pulmonaire directe).

→ Extravasation de liquide à partir des capillaires pulmonaires, non causée par une augmentation de pression hydrostatique, objectivée par :

– une opacification alvéolo-interstitielle bilatérale et diffuse visualisée sur des clichés radiographiques et/ou un examen tomodensitométrique du thorax ;

– et/ou la présence d’un liquide riche en protéines dans les voies respiratoires.

→ Échange gazeux inefficace dans les poumons, se manifestant par :

– une hypoxémie sans ventilation artificielle, telle qu’objectivée par une augmentation du gradient alvéolo-artériolaire calculé à partir des pressions partielles artérielles en O2 et en CO2 et/ou un rapport pression partielle artérielle en O2/fraction inspirée (PaO2/FiO2) en O2< 200 mmHg ;

– et/ou une augmentation de l’espace mort ventilatoire.

→ Inflammation pulmonaire diffuse, s’exprimant par :

– une inflammation neutrophilique dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire ou transtrachéal ;

– et/ou la présence de biomarqueurs d’inflammation dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire ou transtrachéal ;

– et/ou objectivée par imagerie moléculaire.

D’après [19].

REMERCIEMENTS

Au laboratoire LAPVSO et plus particulièrement au Dr Dally qui a fourni les photos 5a et 5b ainsi que leurs légendes.

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