Prise en charge chirurgicale d’un chylothorax idiopathique chez un chat - Le Point Vétérinaire expert canin n° 376 du 01/06/2017
Le Point Vétérinaire expert canin n° 376 du 01/06/2017

CHIRURGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Marc Massal*, Pierre-Olivier Godart**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire UCVet
Urgences et consultants vétérinaires
54, rue Stendhal, 75020 Paris
massalm@hotmail.fr

La gestion du chylothorax chez le chat est difficile et elle n’est pas standardisée. Plusieurs techniques chirurgicales sont possibles, mais le traitement de choix reste à définir.

Le chylothorax est une affection rare chez le chat, dont l’étiologie est le plus souvent inconnue. Cet article présente la prise en charge chirurgicale d’un chylothorax idiopathique chez un chat de 8 ans.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chat de 8 ans est présenté en consultation d’urgence pour une difficulté respiratoire évoluant depuis 24 heures. L’animal vit en intérieur strict et ne présente pas d’antécédents médicaux. Aucun traumatisme n’est rapporté. La vaccination et la vermifugation sont à jour.

2. Examen clinique

L’examen clinique révèle un chat avec un indice de condition corporelle de 8 sur 9 (poids 7,7 kg). L’animal est prostré. La fréquence cardiaque est de 180 battements par minute et l’auscultation cardiaque est lointaine. Les muqueuses sont roses et humides, le pouls fémoral est net et concordant. Une dyspnée est observée avec une fréquence respiratoire de 60 mouvements par minute et les bruits respiratoires sont augmentés à l’auscultation. La température est de 38 °C. La palpation abdominale est souple et non douloureuse.

3. Hypothèses diagnostiques

Face à une augmentation de la fréquence respiratoire et à une dyspnée associées à une atténuation des bruits cardiaques à l’auscultation, les hypothèses diagnostiques envisagées sont un épanchement pleural, un pneumo­thorax, une masse, une bronchopneumonie étendue, ou une hernie diaphragmatique (moins probablement, l’hypothèse d’une masse abdominale altérant le fonctionnement du diaphragme).

4. Démarche diagnostique et traitement

Des examens radiographiques du thorax sont effectués et mettent en évidence un épanchement pleural important (photos 1a et 1b).

Une thoracocentèse avec drainage est alors réalisée. Elle permet le retrait d’environ 200 ml d’un liquide de couleur lait fraise (photo 2). Une nette amélioration clinique est notée.

L’aspect du liquide d’épanchement fait suspecter un chylothorax. Des dosages de cholestérol et de triglycérides sont réalisés dans le plasma et dans le liquide prélevé (tableau). Une concentration en triglycérides dans ce liquide au moins dix fois supérieure à celle relevée dans le plasma est observée, ce qui est caractéristique d’un chylothorax.

Les premiers examens montrent la présence d’un épanchement pleural compatible avec un chylothorax. Un chylothorax idiopathique ou secondaire à une affection cardiaque ou néoplasique est envisagé en première hypothèse (encadré).

La cytologie sur liquide révèle une population dominée par de petits lymphocytes bien différenciés, mêlés à des macrophages au cytoplasme souvent finement vacuolisé et de très rares granulocytes neutrophiles. Aucune des cellules observées ne présente les caractéristiques de cellules tumorales. Cela ne permet cependant pas d’exclure l’hypothèse d’un processus néoplasique (la cytologie n’ayant pas une sensibilité suffisante).

À la suite de la thoracocentèse, une nouvelle auscultation cardiaque permet de mettre en évidence un souffle systolique parasternal de grade 3 sur 6.

Un examen échocardiographique révèle une cardiomyopathie hypertrophique de type I, non obstructive, sans dilatation de l’atrium gauche. Ces lésions ne semblent pas être à l’origine de l’épanchement.

L’affection cardiaque étant écartée, un lymphangioscanner est réalisé afin d’explorer les hypothèses néoplasiques.

En attendant la réalisation de l’examen, un traitement médical est mis en place, avec une alimentation pauvre en lipides et l’administration de rutine(1) (500 mg par voie orale, trois fois par jour).

Cependant, environ 10 jours plus tard, près de 180 ml de liquide sont à nouveau retirés avant le scanner.

L’examen tomodensitométrique ne met pas en évidence de masse thoracique ou médiastinale pouvant être à l’origine du chylothorax. Un lymphangioscanner montre un canal thoracique double dès la région thoracique caudale, sans identification d’une zone de dilatation ou de fuite macroscopique de contraste. De plus, le scanner permet de préciser l’anatomie du canal thoracique, en vue d’une intervention chirurgicale, afin de bien ligaturer la totalité des canaux (photo 3).

À l’issue des différents examens pratiqués, l’hypothèse de chylothorax idiopathique est privilégiée en l’absence de cause identifiée.

Environ 4 semaines après la mise en place du traitement médical, l’animal est à nouveau présenté en consultation en détresse respiratoire. Une thoracocentèse permet le retrait de 200 ml de chyle. En raison de l’échec du traitement médical, une prise en charge chirurgicale est décidée.

En phase préopératoire, une alimentation riche en lipides est administrée afin de faciliter la visualisation du canal thoracique. Une thoracotomie gauche est réalisée (le canal thoracique pénètre dans la cavité thoracique à gauche de l’aorte chez le chat), afin de réaliser la ligature des deux canaux thoraciques à l’aide de clips hémostatiques, une péricardectomie et une omentalisation pleurale (photos 4 à 6). Un drain thoracique est mis en place. L’anesthésie et l’intervention chirurgicale se déroulent sans complication.

Un traitement analgésique (morphine, fentanyl) et anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam) et une antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique) sont instaurés. Le chat est placé en cage à oxygène.

Il reste hospitalisé pendant 10 jours après l’intervention. Le sevrage en oxygène est réalisé après 24 heures. Son état général s’améliore rapidement et une réalimentation spontanée est observée sur 48 heures. La production de liquide d’épanchement reste importante pendant les 3 premiers jours. Il est alors décidé d’ajouter un traitement diurétique (furosémide). Au quatrième jour, la production du drain diminue de manière significative (figure). Une alimentation pauvre en lipides est à nouveau mise en place au cinquième jour. La production du drain est presque nulle au neuvième jour, le drain est alors retiré.

Un examen radiographique du thorax est réalisé avant la sortie d’hospitalisation : aucun signe d’épanchement n’est visualisé. Cependant, 5 jours après le retrait du drain, un nouvel épisode de détresse respiratoire est observé. Un examen radiographique montre à nouveau un épanchement pleural important. Une thoracocentèse est réalisée, révélant la présence de chyle, et l’animal meurt dans les minutes suivantes. Une autopsie est proposée, mais refusée par les propriétaires.

DISCUSSION

Le chylothorax correspond à une accumulation de chyle dans le thorax. C’est une affection grave et peu fréquente chez le chat, dont les origines possibles sont multiples. Cependant, dans la majorité des cas, l’étiologie reste inconnue. Le diagnostic dépend de l’analyse cytologique et biologique du liquide prélevé par thoracocentèse (concentration en triglycérides dans le liquide d’épanchement supérieure à celle du plasma).

En raison du faible nombre de cas rapportés chez le chat, la prise en charge du chylothorax n’est pas clairement définie.

En première intention, un traitement médical est généralement mis en place. Il comprend la pratique de thoracocentèses répétées et une alimentation pauvre en lipides. L’efficacité de la rutine(1) est rapportée de manière sporadique [6]. Celle-ci est une molécule appartenant à la famille des flavonoïdes qui stimulerait la phagocytose du chyle par les macrophages. Elle peut être utilisée à la dose de 250 mg par chat ou 50 mg/kg en deux à trois prises quotidiennes par voie orale (dose non standardisée). Lors d’échec du traitement médical (nécessité d’une thoracocentèse dans des délais courts ou persistance d’épanchement) au-delà de 20 jours environ, un traitement différent doit être envisagé.

Dans ce cas, le chylothorax a persisté malgré une alimentation adaptée et la mise en place de la rutine(1) pendant 4 semaines.

Un traitement chirurgical a alors été décidé.

De nombreuses techniques chirurgicales sont décrites. La ligature du canal thoracique est la première utilisée, avec un taux de réussite peu satisfaisant (inférieur à 40 %) [4]. En raison du faible taux de réussite lors de ligature du canal thoracique seul, des techniques complémentaires sont proposées. Chez le chien, une ablation de la citerne réalisée simultanément à la ligature du canal thoracique offre de meilleurs résultats (83 à 87,5 % de réussite) [7]. Mais aucune étude n’étant rapportée chez le chat, cette technique n’a pas été envisagée dans ce cas.

La réalisation d’une péricardectomie améliorerait le taux de réussite lorsqu’elle est réalisée en association avec la ligature du canal thoracique [5].

Un épaississement du péricarde secondaire à l’inflammation causée par le chyle peut être observé dans certains cas. L’épaississement pourrait entraîner une augmentation de la pression veineuse systémique et contribuer à la formation du chyle. L’association des deux techniques, ou la réalisation de la péricardectomie seule pour un chat, a permis une résolution du chylothorax dans 80 % des cas [5]. Les auteurs recommandent la réalisation simultanée des deux techniques, mais considèrent que le taux de réussite peut également être attribué à l’expérience du chirurgien.

Afin d’améliorer le pronostic, une omentalisation pleurale a également été étudiée. L’omentum agirait comme un drain physiologique et limiterait l’accumulation de chyle dans la cavité thoracique. Il participerait également au développement d’une néovascularisation à partir du canal thoracique [5].

Lors de la réalisation des trois techniques sur 4 chats, la résolution du chylothorax a été observée chez 3 d’entre eux, avec une durée de survie importante (19, 22 et 31 mois). Une autre étude rapporte une survie moyenne de 209 jours [8]. Cependant, 3 chats sur 7 sont morts dans les 4 jours suivant l’intervention chirurgicale.

À la lumière de ces études, il a été décidé dans ce cas d’effectuer les trois techniques simultanément. Il n’existe pas de recommandations claires sur la technique à privilégier. La plupart des auteurs recommandent l’association de la ligature du canal thoracique et de la péricardectomie. Le faible nombre de cas rapportés ne permet pas d’établir le bénéfice de l’omentalisation pleurale réalisée parallèlement aux deux autres techniques.

En cas d’échec de ces différents traitements, des solutions alternatives chirurgicales peuvent être envisagées en seconde intention. Parmi elles figure la mise en place de dérivations pleuropéritonéales passives ou actives. Un drain fenestré est placé à travers le diaphragme afin que le chyle s’écoule dans l’abdomen. L’objectif est de s’affranchir de la détresse respiratoire. Le chyle est ainsi réabsorbé par les viscères et le péritoine. Cette technique n’a pas montré d’efficacité, peut entraîner de nombreuses complications (pyothorax, péritonite, etc.) et aucune étude n’a été réalisée chez le chat [3].

Un dispositif équipé d’une pompe placée sous la peau peut être mis en place afin d’effectuer un drainage actif et plus efficace. Le coût de ce système rend cette technique peu accessible, l’inflammation générée par la présence de la pompe peut entraîner des complications et celle-ci est inutilisable lors de douleur importante [3].

Une embolisation de la citerne et du canal thoracique à travers un vaisseau lymphatique mésentérique peut représenter une solution alternative à la ligature. Mais seulement 33 % de réussite sont rapportés chez le chien, et aucune étude n’a été réalisée chez le chat [7].

Ces procédures chirurgicales n’ont pas montré d’efficacité supérieure à celles choisies dans ce cas et elles n’ont pas été étudiées chez le chat. Elles n’ont donc pas été envisagées en première intention. En raison de la persistance du chylothorax, un nouveau traitement aurait pu être considéré. Cependant, l’animal est mort 2 semaines après l’intervention, alors que la persistance du chylothorax pourrait être observée jusqu’à 1 mois postopératoire [2].

Une technique décrite récemment apparaît comme un traitement palliatif efficace et peu invasif. Il s’agit d’un dispositif (PleuralPort®, Norfolk Vet Products, Skokie, Illinois) permettant l’aspiration du liquide pleural à l’aide d’une chambre placée en voie sous-cutanée [1]. Cette méthode permet de s’affranchir des thoracocentèses répétées. La complication la plus fréquente est l’obstruction du dispositif. Aucune infection n’a été mise en évidence. Cette technique peut être utilisée dans la phase post­opératoire des procédures décrites précédemment, à la place d’un drain thoracique classique. La durée d’hospitalisation est alors moins importante et le système peut être laissé en place pendant une longue durée (moyenne de 391 jours) [1]. En revanche, une anesthésie générale est requise pour la mise en place du dispositif.

La mort de l’animal est survenue peu de temps après une thoracocentèse. Le chyle est un liquide irritant, pouvant entraîner une pleurésie et une fibrose pulmonaire. Ces modifications limitent l’expansion pulmonaire et confèrent une sensibilité plus importante des poumons aux barotraumas. Dans ce cas, un pneumothorax iatrogène peut être suspecté.

Une intervention chirurgicale plus précoce (après 10 à 15 jours au lieu de 4 semaines) aurait peut-être permis de limiter ce phénomène, l’utilisation d’un dispositif ­PleuralPort® probablement réduit le nombre de thoracocentèses et de tranquillisations associées. La possibilité de laisser le dispositif en place pendant une longue période aurait peut-être permis d’évaluer l’efficacité du traitement chirurgical.

Conclusion

Le chylothorax reste une affection rare chez le chat. La majorité des cas étant idiopathiques et le traitement médical souvent peu efficace, la prise en charge chirurgicale semble indispensable. La réalisation de la ligature du canal thoracique associée à la péricardectomie et/ou à l’omentalisation pleurale offre des résultats satisfaisants. Aucune technique n’apparaît cependant clairement supérieure à une autre. La réalisation d’études comparatives permettrait d’évaluer la procédure chirurgicale à privilégier. L’utilisation du dispositif PleuralPort® en phase postopératoire semble intéressante et donne la possibilité d’évaluer la réussite du traitement chirurgical sur une durée plus importante. Le chylothorax est une affection grave dont le traitement de choix reste encore à définir.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Brooks AC, Hardie RJ. Use of the PleuralPort device for management of pleural effusion in six dogs and four cats. Vet. Surg. 2011;40:935-941.
  • 2. Bussadori R, Provera A, Martano M et coll. Pleural omentalisation with en bloc ligation of the thoracic duct and pericardectomy for idiopathic chylothorax in nine dogs and four cats. Vet. J. 2011;188:234-236.
  • 3. Fossum TW. Chylothorax in cats: is there a role for surgery? J. Feline Med. Surg. 2001;3:73-79.
  • 4. Fossum TW, Forrester SD, Swenson CL et coll. Chylothorax in cats: 37 cases (1969-1989). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1991;198:672-678.
  • 5. Fossum TW, Mertens MM, Miller MW et coll. Thoracic duct ligation and pericardectomy for treatment of idiopathic chylothorax. J. Vet. Intern. Med. 2004;18:307-310.
  • 6. Gould L. The medical management of idiopathic chylothorax in a domestic long-haired cat. Can. Vet. J. 2004;45:51-54.
  • 7. Singh A, Brisson B, Nykamp S. Idiopathic chylothorax in dogs and cats: nonsurgical and surgical management. Compend. Contin. Educ. Vet. 2012;34(8):E3. Review.
  • 8. Stewart K, Padgett S. Chylothorax treated via thoracic duct ligation and omentalization. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2010;46:312-317.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Causes de chylothorax chez le chat

→ Idiopathique.

→ Affection cardiaque : cardiomyopathie, affection péricardique (péricardite, épanchement péricardique), autres causes d’insuffisance cardiaque droite, dirofilariose, thrombose de la veine cave craniale.

→ Masse thoracique (médiastinale surtout, tumeurs thoraciques pariétales).

→ Hernie diaphragmatique.

→ Torsion de lobe pulmonaire.

→ Traumatisme.

→ Anomalie congénitale du canal thoracique.

→ Origine fongique.

Points forts

→ Le chylothorax est une affection rare chez le chat.

→ Le traitement médical du chylothorax est souvent inefficace.

→ La prise en charge chirurgicale représente la seule solution alternative au traitement médical.

→ La réalisation d’une ligature du canal thoracique, d’une péricardectomie et de l’omentalisation pleurale est peu rapportée, mais semble offrir les meilleurs résultats.

→ Aucune technique n’offre de garantie de réussite.

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