CHIRURGIE DIGESTIVE
Cas clinique
Auteur(s) : Julie Brossard*, Luis Matres-Lorenzo**, Fabrice Bernard***
Fonctions :
*Clinique vétérinaire du Crêt de la Neige
OneVet, rue des Châlets
01630 Saint-Genis-Pouilly
**Oniris, service de chirurgie
102, route de Gachet
44300 Nantes
***CHV Saint-Martin
275, route Impériale
74370 Saint-Martin-Bellevue
Chez le chat, l’éviscération consécutive à un traumatisme est rare et son diagnostic peut être délicat en raison de la ressemblance des anses éviscérées avec une masse cutanée ou sous-cutanée.
Une chatte européenne âgée de 8 ans est présentée pour un second avis sur une masse ulcérée située sur le flanc gauche.
La chatte est présentée à la suite d’une fugue de 1 semaine. Depuis son retour, les propriétaires rapportent qu’elle a uriné et déféqué normalement, et qu’elle a mangé. Aucun antécédent n’est rapporté.
À son admission, la chatte est peu coopérative et stressé. Elle est maigre et son poil est terne.
L’examen clinique général révèle une déshydratation à 5 % et des muqueuses pâles.
Une masse ulcérée, suintante, pédiculée, non réductible, entourée d’un tissu de granulation et adhérente au plan sous-jacent est constatée dans la partie caudale du flanc gauche (photo 1). Son diamètre est d’environ 5 cm et aucun anneau herniaire n’est palpable.
En raison de l’aspect et de l’apparition soudaine de cette masse, les hypothèses diagnostiques sont un granulome inflammatoire, une éventration, un processus tumoral agressif et une hernie traumatique compliquée par un phlegmon herniaire.
Un bilan biochimique et hématologique révèle une hypoalbuminémie à 19 g/l (valeurs usuelles [VU] : 22 à 40 g/l) ainsi qu’une anémie avec une hémoglobinémie à 6 g/dl (VU : 12 à 18 g/dl).
Une échographie de la masse et de l’abdomen révèle une hernie abdominale avec le passage d’anses d’intestin grêle et d’omentum par la paroi abdominale caudale gauche, en faces interne et externe de la cuisse gauche. Des lésions compatibles avec une entérite débutante ainsi qu’une hypertrophie des nœuds lymphatiques mésentériques et inguinal gauche sont également constatées (photo 2). Les radiographies thoraciques, réalisées afin d’affiner le bilan traumatologique, n’ont révélé aucune anomalie. En l’absence d’éléments en faveur d’une fracture et au vu des résultats de l’échographie, aucune autre radiographie n’a été jugée nécessaire.
En raison de son état général, l’animal est placé sous fluidothérapie (NaCl 0,9 % à 5 ml/kg/h) durant une heure afin de le réhydrater avant la prise en charge chirurgicale. La portion éviscérée est nettoyée par flush de NaCl, puis protégée à l’aide d’un pansement imbibé de solution saline. Une analgésie à base de morphine (0,2 mg/kg) est mise en place.
Une fois l’animal réhydraté, il est pris en charge chirurgicalement par le biais d’une laparotomie sur la ligne blanche.
La laparotomie exploratrice permet de constater une perforation de la paroi abdominale gauche étranglant deux anses jéjunales. Ces dernières sont recouvertes de l’omentum réactionnel faisant sac herniaire, et constituant la paroi suintante et ulcérée visible initialement (photo 3).
La première phase de la chirurgie consiste en une dissection de l’omentum entourant les anses afin de réintégrer les anses intestinales dans l’abdomen (photo 4).
Les deux portions d’anses sont de couleur rouge foncée et présentent des adhérences trop importantes avec le tissu de granulation. Une résection est réalisée par entérectomie jéjunale avec abouchement termino-terminal et omentalisation de l’anastomose (photo 5). La brèche musculaire est fermée par l’intérieur de la cavité abdominale. Le reste du site herniaire est ensuite clôturé plan par plan et un drain aspiratif est placé en territoire sous-cutané. Un rinçage de la cavité abdominale est effectué avec un litre de sérum physiologique, puis le site de laparotomie est refermé de manière classique.
Les soins postopératoires immédiats sont :
– la vidange du drain au besoin, dès que le vide fait défaut ;
– la mise en place d’une antibiothérapie à base d’amoxicilline et d’acide clavulanique (20 mg/kg deux fois par jour) ;
– la réalisation d’une analgésie avec de la morphine (0,2 mg/kg/4 h).
Le retrait du drain est effectué à 48 heures postopératoires. L’antibiothérapie est poursuivie pendant 10 jours.
L’évolution de l’anémie et de l’albuminémie fait également l’objet d’un suivi 2 jours après l’intervention chirurgicale. Une stabilisation des deux paramètres est constatée.
La suite de la prise en charge est réalisée par le vétérinaire traitant. Les points sont retirés 15 jours après l’opération. Les paramètres biochimiques et hématologiques se sont alors normalisés. Un mois et demi après l’intervention chirurgicale, la chatte est en bon état général et reprend progressivement une activité normale.
L’éviscération se définit par le passage d’une partie du contenu de l’abdomen à travers un orifice non naturel de la paroi abdominale et de la peau. La plupart des éviscérations rapportées en médecine humaine sont secondaires à une chirurgie de l’abdomen [3]. Quelques cas dus à des traumatismes ont toutefois été rapportés. Peu de cas sont décrits en médecine vétérinaire, le plus souvent à la suite d’une intervention chirurgicale [1].
Les traumatismes sont davantage à l’origine de hernies abdominales que de véritables éviscérations, bien que l’incidence des hernies traumatiques reste très faible [5]. Dans les deux cas, les traumatismes contondants (chutes et accidents de la voie publique) et les morsures sont les causes traumatiques les plus souvent rapportées [4]. Dans la plupart des cas, d’autres lésions sont observées de façon concomitante.
Le diagnostic est normalement très simple à établir car les anses sont clairement visibles à l’extérieur de la cavité abdominale. Dans le cas de cette chatte, l’omentum très remanié recouvre les anses, ce qui prête à confusion. Dans ce cas de figure, comme lors de hernie abdominale, la radiographie et/ou l’échographie permettent d’établir le diagnostic avec certitude.
Les radiographies sont également indispensables afin d’effectuer un bilan traumatologique complet avant toute prise en charge chirurgicale.
Le principe du traitement est le même que celui d’une hernie abdominale. Cependant, lors d’éviscération, une prise en charge chirurgicale précoce est indispensable, dès que l’état de l’animal est assez stable pour une anesthésie. Chez cette chatte, les anses ne sont plus directement exposées, car elles sont recouvertes d’un tissu de granulation, mais les signes de souffrance visibles à l’échographie orientent vers un début de strangulation, ce qui justifie une prise en charge chirurgicale en urgence.
La chirurgie est précédée d’une irrigation des anses herniées et consiste principalement à les remettre en place après avoir évalué leur viabilité. Si les anses présentent des signes d’ischémie, de perforation ou d’altération, une entérectomie est nécessaire. Cependant, lors d’éviscération, l’entérectomie n’est pas la règle. Certains animaux pris en charge très rapidement ne requièrent pas de résection [1]. De plus, il convient d’explorer le reste de la cavité abdominale à la recherche de lésions associées pouvant péjorer le pronostic.
Un rinçage de la cavité abdominale est réalisé, puis la paroi est fermée par le biais de surjets simples. Il est également possible d’utiliser une prothèse ou de réaliser un lambeau pour fermer les brèches abdominales de grande taille, comme cela est pratiqué en médecine humaine. Cependant, ils ne sont utilisés qu’en dernier recours en raison du risque élevé de contamination bactérienne. Certains auteurs recommandent la réalisation d’une bactériologie et la pose systématique d’un drain lorsque l’origine de l’éventration est une morsure [1, 2]. Dans le cas ici décrit, la cause n’a pas été identifiée, mais la contamination bactérienne est fortement probable en raison du contexte (disparition de la chatte pendant plusieurs jours). C’est pourquoi un drain a été posé et une antibiothérapie large spectre mise en place.
Dans tous les cas, une couverture antibiotique, en phases per- et postopératoire, semble nécessaire, l’étude de Gower et coll. ayant montré que les deux tiers des cultures réalisées par écouvillonnage dans la cavité abdominale en phase peropératoire se révèlent positives. En première intention, un antibiotique à large spectre est suffisant, puis le choix de la molécule est adapté aux résultats de l’antibiogramme. Chez cette chatte, aucun signe de contamination abdominale n’est observé et une asepsie rigoureuse est respectée. La contamination bactérienne est donc possible mais limitée. Une antibiothérapie a ici été mise en place de façon probabiliste, en accord avec les études réalisées. L’antibiotique choisi a d’ailleurs été suffisant.
Lorsqu’une éviscération est prise en charge précocement, le pronostic semble bon. Il dépend cependant des lésions associées.
Chez le chat, l’éviscération n’est pas fréquemment rencontrée lors de traumatisme et est souvent de diagnostic évident. Dans le cas décrit, il est plus difficile à établir car l’aspect des anses éviscérées est proche de celui d’une masse cutanée ou sous-cutanée, des adhérences avec la peau et une réaction inflammatoire de l’omentum ayant eu le temps de se créer.
La complexité de la chirurgie réside surtout dans la dissection d’éventuelles adhérences et dans l’identification des anses non viables. Une entérectomie peut alors être nécessaire. Une antibiothérapie, raisonnée, est le plus souvent requise en raison du fort risque de contamination de la cavité abdominale. Malgré des lésions parfois impressionnantes, le pronostic n’est pas nécessairement mauvais.
Aucun.
→ L’éviscération se définit par le passage d’une partie du contenu de l’abdomen à travers un orifice non naturel de la paroi abdominale et de la peau.
→ Les éviscérations sont rares en médecine vétérinaire, et font la plupart du temps suite à une chirurgie abdominale ou, moins souvent, à un traumatisme.
→ Une prise en charge chirurgicale précoce est indispensable, dès que l’état de l’animal est assez stable pour une anesthésie.
→ Une antibiothérapie est souvent nécessaire et un antibiogramme est indiqué.
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