GASTRO-ENTÉROLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Michael Boussellier*, Christian Debout**, Christel Delprat***
Fonctions :
*Clinique vétérinaire de la Rivière
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch
**Clinique vétérinaire de la Rivière
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch
***Clinique vétérinaire de la Rivière
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch
L’entérite régionale granulomateuse est une entité rarement décrite faisant partie du groupe des maladies inflammatoires chroniques intestinales, mais présentant des caractéristiques particulières.
Un yorkshire terrier mâle stérilisé de 7 ans est présenté pour une diarrhée, des vomissements, une dysorexie et un amaigrissement.
Ce chien présente depuis 15 jours une diarrhée liquide n’ayant pas rétrocédé sous Smecta®, associée à une dysorexie, à des vomissements et à un abattement depuis 48 heures. Le volume des selles est plus important, mais la fréquence de défécation est normale. Les propriétaires ne notent pas de sang en nature, ni de glaires dans les selles et le chien ne présente ni ténesme ni urgence fécale.
Les vaccins sont à jour et l’animal est vermifugé tous les 3 mois avec de la milbémycine. Il est nourri avec des croquettes achetées en grandes surfaces.
Le chien ne présente pas de déshydratation, son poids est de 3 kg, son score corporel est estimé à 2/5. L’auscultation cardiorespiratoire est normale. Sa température rectale est de 38,5 °C.
La palpation abdominale est tendue sans pouvoir mettre en évidence de masse. Le signe du flot est négatif.
Les caractéristiques de cette diarrhée orientent vers une atteinte de l’intestin grêle : volume augmenté, fréquence normale, répercussion sur l’état général, amaigrissement.
Les hypothèses diagnostiques, par ordre de probabilité décroissante, sont :
– une atteinte digestive : infestation parasitaire, entéropathie sensible aux antibiotiques ou au changement alimentaire ou aux traitements immunomodulateurs, processus néoplasique ;
– une atteinte extradigestive : insuffisance rénale, hépatopathie, hypocorticisme ou, moins probablement, insuffisance pancréatique exocrine.
Afin d’écarter les principales atteintes extradigestives et d’évaluer les éventuelles pertes protéiques, un bilan biochimique de base est réalisé ne montrant aucune anomalie.
Un ionogramme est également effectué pour explorer une maladie d’Addison. Il ne révèle aucune anomalie (tableau).
Une échographie abdominale met en évidence un épaississement très marqué de 15 mm (normes inférieures à 4,1 mm) de la partie terminale de l’iléon. L’échostructure de la paroi est altérée et associée à une adénomégalie mésentérique (non mesurée) (photo 1). Aucun iléus n’est noté en amont de cette lésion. Le reste de l’examen, notamment les autres segments digestifs, ne révèle aucune anomalie.
Une laparotomie exploratrice confirme l’atteinte segmentaire de la portion terminale de l’iléon, mais également de la valvule iléo-cæcale et du cæcum. De nombreux granulomes sont également notés sur la membrane séreuse (photo 2). Une biopsie de la lésion est réalisée pour analyse histologique.
Hormis une discrète atrophie des villosités, aucune lésion de l’épithélium de revêtement ni de celui de cryptes intestinales n’est identifiée. Aucune dilatation des chylifères centraux des villosités, ni des vaisseaux lymphatiques des couches pariétales plus profondes de l’intestin, n’est détectée.
La lamina propria est le siège d’un infiltrat inflammatoire mixte lymphoplasmocytaire et éosinophilique d’intensité modérée, se prolongeant dans la sous-muqueuse autour des axes vasculaires.
Au sein de la musculeuse, des foyers nodulaires granulomateux, centrés sur un matériel spiculé (rappelant des cristaux de cholestérol), parfois minéralisé, sont remarqués (photos 3a et 3b). Ces foyers sont composés de cellules histiocytoïdes au cytoplasme abondant, microvacuolaire, d’aspect presque granuleux, acidophile et pâle. Les noyaux sont paracentraux, à chromatine réticulée et parfois nucléole (photo 3c). Ces foyers sont entourés d’une stroma réaction fibreuse assez marquée (photo 3d). Un petit nombre d’éosinophiles et de cellules lymphoplasmocytaires sont présents dans ces foyers. Les colorations à l’acide périodique de Schiff et de Fite Faraco (Ziehl modifié) sont négatives. Des foyers identiques sont présents dans le mésentère attenant.
L’examen histopathologique conclut à une entérite lymphoplasmocytaire et éosinophilique chronique modérée, accompagnée de remaniements inflammatoires nodulaires granulomateux dans la musculeuse et le mésentère.
L’examen histopathologique corrélé à la présentation clinique permet d’établir le diagnostic d’une entérite régionale granulomateuse appelée également entérocolite granulomateuse transmurale. Son index d’activité clinique CCECAI (Canine Chronic Enteropathy Clinical Activity Index) est de 11 correspondant à une entéropathie sévère.
Un traitement à base de métronidazole (15 mg/kg matin et soir pendant 3 semaines), de fenbendazole (50 mg/kg une fois par jour pendant 5 jours) et de corticoïdes à dose immunosuppressive (prednisolone 2 mg/kg une fois par jour) est mis en place. Un aliment hyperdigestible est également prescrit.
Trois semaines après l’initiation du traitement, le chien est toujours abattu, dysorexique et la consistance des selles n’a pas évolué. Un contrôle échographique ne montre aucune amélioration des lésions.
Face à l’échec du traitement médical, une exérèse chirurgicale de l’iléon terminal, du cæcum et de la valvule iléo-cæcale est réalisée.
Après l’intervention, le chien est de nouveau traité avec du métronidazole pendant 3 semaines. Les selles restent molles 2 semaines, puis la consistance et l’aspect redeviennent normaux. Lors des contrôles à 1, à 2 et à 6 mois, il est cliniquement en bon état général (appétit normal, selles bien moulées) et a repris son poids optimal (3,5 kg). L’échographie abdominale ne révèle pas d’anomalie. Son index d’activité clinique CCECAI passe de 11 (entéropathie sévère) à 0.
Les maladies inflammatoires chroniques intestinales sont caractérisées par le type d’infiltration. L’infiltrat inflammatoire le plus couramment rencontré est composé de lymphocytes et de plasmocytes. Les remaniements inflammatoires granulomateux, comme dans le cas présent (sous forme de foyers nodulaires intramusculeux), sont beaucoup moins fréquents et correspondent aux maladies inflammatoires intestinales granulomateuses, caractérisées par une infiltration d’histiocytes. Ces histiocytes peuvent contenir du matériel positif à la coloration d’acide périodique de Schiff comme dans la colite histiocytaire ulcéreuse du boxer ou du bouledogue français. Les cas d’entérite régionale granulomateuse sont rarement rapportés dans les publications scientifiques. Trois cas isolés ainsi qu’une communication orale de 14 cas présentent des histiocytes négatifs à cette coloration, comme pour le chien du cas décrit [1, 2, 4, 5]. D’un point de vue histologique, la maladie se caractérise par la présence de larges granulomes histiocytaires à centre clair pouvant toucher l’ensemble des couches intestinales, mais préférentiellement retrouvés dans la musculeuse et la membrane séreuse. Une infiltration polymorphe est souvent concomitante, associant des lymphocytes, des plasmocytes et parfois des éosinophiles, comme dans le cas décrit.
Actuellement, la cause de cette atteinte demeure non déterminée. Certains auteurs l’assimilent à la maladie de Crohn chez l’homme de par la localisation préférentielle des lésions à l’iléon terminal, à la valvule iléo-colique et au côlon ainsi que par ses formations granulomateuses [2]. Cependant, pour d’autres auteurs, l’absence de fissures transmurales, l’atteinte préférentielle de la muqueuse et la visualisation de granulome giganto-cellulaire (caractéristiques de la maladie de Crohn) orientent vers une affection différente [3].
Enfin, cette atteinte a également été comparée à la maladie de Waldmann chez l’homme, qui se caractérise par une lymphangiectasie intestinale primitive. Bien que l’atteinte soit généralement diffuse, six cas de lymphangite lipogranulomateuse focale ont été décrits [6]. Dans le cas présent, bien qu’aucune lymphangiectasie ne soit notée sur le prélèvement, la présence de cristaux de cholestérol au centre des granulomes pourrait appuyer cette hypothèse.
Les chiens atteints d’entérite régionale granulomateuse présentent généralement des symptômes marqués : une diarrhée très liquide et un amaigrissement pouvant être rapide, motivant au plus vite la mise en place d’examens complémentaires, notamment l’échographie abdominale. Celle-ci met en évidence un épaississement pariétal segmentaire très important pouvant aller parfois jusqu’à l’occlusion, ce qui n’est pas le cas pour le chien du cas décrit, ainsi qu’une perte de la stratification pariétale normale de la paroi. Ces anomalies échographiques ne permettent pas de déterminer la cause précise du trouble [3]. Les autres techniques d’imagerie médicale (scanner et tomographie par émission de positons) ont également été testées dans certains articles et n’ont pas permis d’écarter un processus tumoral [2].
Même lors de laparotomie, des modifications macroscopiques parfois très marquées orientent faussement vers une tumeur. Le seul examen qui permet d’affirmer le caractère purement inflammatoire de cette maladie est l’analyse histologique [3]. Des biopsies doivent donc être systématiquement réalisées sur des épaississements pariétaux segmentaires, en particulier s’ils touchent la région de la valvule iléo-cæcale et chez les chiens de petite race.
Dans le cas décrit, le traitement médical classique des maladies inflammatoires chroniques intestinales (corticothérapie à dose immunosuppressive et métronidazole, changement alimentaire et vermifugation) n’a permis aucune amélioration clinique. Une exérèse chirurgicale complète, déjà décrite dans les publications scientifiques sur une série de neuf cas d’entérite régionale granulomateuse, a donc été entreprise, comme cela s’est produit aussi sur une série de 14 cas [4]. Elle a permis une rémission rapide des symptômes. Au dernier contrôle clinique et échographique à 6 mois, aucune récidive n’a été notée.
Sur la seule série de 14 cas, 9 chiens ont été traités chirurgicalement et tous ont reçu un traitement médical à base d’enrofloxacine et de métronidazole ainsi qu’une médication immunosuppressive à base de prednisolone ou de cyclosporine [4]. Plus de 6 mois après l’intervention, l’état clinique de 7 chiens était amélioré, dont 6 étaient en rémission complète.
L’entérite régionale granulomateuse représente un type de maladie inflammatoire chronique intestinale aux caractéristiques propres. Les examens complémentaires classiques ne permettent pas de différencier un processus tumoral d’un processus inflammatoire. Une biopsie et un examen histopathologique doivent donc systématiquement être réalisés, afin de confirmer le caractère purement inflammatoire de cette affection.
De futures investigations sont nécessaires pour déterminer sa cause et envisager éventuellement un traitement plus ciblé.
Aucun.
→ L’entérite régionale granulomateuse ou entérocolite granulomateuse transmurale (selon le segment touché par l’infiltration) est une affection rare correspondant à une inflammation segmentaire touchant préférentiellement l’iléon distal, le cæcum et le côlon.
→ L’aspect macroscopique mime souvent une affection néoplasique et seule l’histologie apporte un diagnostic de certitude.
→ Le traitement médical de l’entérite régionale granulomateuse se solde très souvent par un échec. Un traitement chirurgical doit alors être proposé.
→ L’étiologie demeure indéterminée. Une maladie de Waldmann primitive pourrait être l’étiologie primaire.
Au LAPVSO pour la lecture des biopsies et la mise à disposition des photos.
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