Leishmaniose à présentation oculaire et systémique chez un chien croisé de 2 ans - Le Point Vétérinaire n° 364 du 01/04/2016
Le Point Vétérinaire n° 364 du 01/04/2016

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Alexandre Guyonnet*, Anaïs Lamoureux**, Ghita Benchekroun***, Sabine Chahory****, Christelle Maurey*****

Fonctions :
*Service d’ophtalmologie
Université Paris Est,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, Avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**Service de médecine interne
Université Paris Est,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, Avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
***Service de médecine interne
Université Paris Est,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, Avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
****Service d’ophtalmologie
Université Paris Est,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, Avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
*****Service de médecine interne
Université Paris Est,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, Avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

La présentation oculaire, moins fréquente que la présentation cutanée, est une des formes à retenir dans l’expression de la leishmaniose canine, maladie protéiforme.

Un chien croisé berger mâle castré de 2 ans est présenté en consultation d’ophtalmologie pour un blépharospasme de l’œil droit évoluant depuis 2 jours, associé à une rougeur oculaire (photo 1). Le tableau clinique est évocateur d’une leishmaniose et l’examen cytologique d’un nœud lymphatique périphérique permet d’en établir le diagnostic. Le chien est hospitalisé et un traitement étiologique est initié.

Ce cas souligne l’importance des présentations oculaires lors de leishmaniose, souvent sous-estimées des praticiens. Il illustre la nécessité d’une démarche diagnostique rigoureuse en cas de suspicion clinique et les difficultés pouvant être rencontrées lors de la mise en place du traitement étiologique(1, 2).

1 Cas clinique

Commémoratifs et anamnèse

La propriétaire a adopté le chien à l’âge de 3 mois, en Grèce, dans un refuge. Celui-ci avait été retrouvé errant dans la rue 2 mois plus tôt. À l’âge de 6 mois, une première recherche de leishmaniose par sérologie a été réalisée et était douteuse. Cela a motivé la réalisation d’une seconde sérologie 1 mois plus tard, qui s’est révélée négative. Un protocole de vaccination contre la leishmaniose a alors été instauré au cours du mois suivant et le chien a été importé en France, en région parisienne, à l’âge de 1 an. Il est correctement vermifugé et traité contre les parasites externes.

Depuis 4 mois, la propriétaire rapporte un abattement progressif associé à un amaigrissement. Des crises algiques avec une boiterie intermittente et changeante sont également notées. Ces crises sont caractérisées par un dos voussé et une appréhension à se déplacer. Elles se résolvent spontanément.

Examen clinique

EXAMEN GÉNÉRAL

À l’examen clinique général, le chien est abattu, amyotrophié et amaigri. La note d’état corporel est évaluée à 3/9. Il est déshydraté à 6 % et les muqueuses sont pâles. Une polyadénomégalie périphérique modérée à importante est notée, plus importante sur les nœuds lymphatiques mandibulaires. La palpation abdominale révèle une organomégalie craniale compatible avec une splénomégalie et/ou une hépatomégalie. Une onychogryphose est notée, ainsi qu’un squamosis généralisé. Aucune douleur ostéo-articulaire n’est mise en évidence

EXAMEN OCULAIRE

À l’examen oculaire, le clignement à la menace est absent sur l’œil droit et présent sur l’œil gauche. L’œil droit présente un myosis anisocorique. En éclairant l’œil droit, les réflexes pupillaires direct et indirect sont absents. En éclairant l’œil gauche, le réflexe pupillaire direct est présent et le réflexe pupillaire indirect est absent.

À l’examen de l’œil droit, une énophtalmie marquée est notée, associée à une procidence de la membrane nictitante. Une hyperhémie conjonctivale diffuse modérée est présente. L’examen de la cornée révèle un œdème cornéen diffus discret. L’examen de la chambre antérieure montre, en plus du myosis, un effet Tyndall positif quantifié à 2/4 (humeur aqueuse trouble, mais iris et cristallin visibles) et un hyphéma à la fois en suspension et sédimenté ventralement en quantité discrète [7]. De plus, la pression intraoculaire n’est pas mesurable par tonométrie, ce qui est en faveur d’une hypotonie oculaire importante. Le segment postérieur de l’œil droit n’est pas visible en raison du myosis. Le diagnostic clinique est une uvéite antérieure aiguë associée à un hyphéma.

En ce qui concerne l’œil gauche, l’examen du segment antérieur et la tonométrie ne montrent aucune anomalie. L’examen du fond d’œil met en évidence des veines rétiniennes de calibre augmenté et de couleur rouge foncé, ce qui évoque un syndrome d’hyperviscosité sanguine (photo 2).

Synthèse clinique et anamnestique

Le bilan anamnestique est dominé par un amaigrissement, une amyotrophie et un abattement chroniques associés à des crises algiques intermittentes chez un chien croisé de 2 ans importé de Grèce, zone endémique de leishmaniose, 1 an plus tôt. L’examen oculaire est en faveur d’une uvéite antérieure aiguë de l’œil droit associée à un hyphéma et l’examen du fond d’œil à gauche est évocateur d’un syndrome d’hyperviscosité sanguine. L’examen clinique permet d’observer une polyadénomégalie, une organomégalie abdominale craniale, un squamosis et une onychogryphose.

Diagnostic différentiel des lésions oculaires

Le diagnostic différentiel des uvéites antérieures comprend des causes infectieuses (leishmaniose, ehrlichiose), des maladies à médiation immunitaire (lupus érythémateux systémique, syndrome uvéo-dermatologique et uvéites secondaires à une cataracte), des traumatismes, des néoplasies (lymphome, mélanome) et des origines idio­pathiques [6].

Le syndrome d’hyperviscosité sanguine est le reflet d’une hyperprotéinémie, plus précisément de l’augmentation de la concentration sanguine en immunoglobulines. Les causes de ce syndrome sont des néoplasies (lymphome, leucémie chronique, plasmocytome et myélome multiple), des infections chroniques (ehrlichiose, leishmaniose) ou des maladies à médiation immunitaire.

Un hyphéma peut être secondaire à une uvéite antérieure importante et/ou à des anomalies hématologiques. Cependant, d’autres origines doivent également être envisagées (encadré 1).

Hypothèses étiologiques

Les signes oculaires associés aux anomalies de l’examen clinique général (polyadénomégalie, amaigrissement, abattement, crises algiques, etc.) permettent de suspecter en premier lieu une leishmaniose, un lupus érythémateux systémique ou un lymphome multicentrique. Cependant, à ce stade, l’ehrlichiose n’est pas exclue car elle explique certains signes cliniques (polyadénomégalie, uvéite antérieure, hyphéma) et peut être rencontrée en co-infection avec la leishmaniose [8].

Examens complémentaires

ANALYSES HÉMATOLOGIQUE ET BIOCHIMIQUE

L’analyse sanguine (numération et formule) met en évidence une anémie normochrome, normocytaire et hyporégénérative modérée (hématocrite 21 %, hémoglobine 7,3 g/dl) (tableau). Le bilan biochimique révèle une hyperprotéinémie très importante (154 g/l) avec une hyperglobulinémie (136 g/l) et une hypoalbuminémie (18 g/l). Une augmentation importante de la créatinine (33 mg/l) ainsi qu’une augmentation modérée de l’urée (0,65 g/l) sont notées, compatibles avec une insuffisance rénale dont le caractère et l’origine ne sont pas déterminés à ce stade.

Afin d’explorer l’hyperprotéinémie, une électrophorèse des protéines sériques est réalisée. Elle confirme l’hypo­albuminémie et met en évidence une hyper-γ-globulinémie avec un pic polyclonal en g-globulines (figure).

Analyse urinaire

Afin d’explorer l’insuffisance rénale, une analyse d’urine est réalisée. La densité urinaire est diminuée à 1,012. Le chien étant déshydraté, cette diminution est plutôt en faveur d’une atteinte parenchymateuse (ou azotémie d’origine rénale). Une protéinurie est notée à la bandelette urinaire et confirmée par le rapport protéine/créatinine urinaires (RPCU) qui est très augmenté, à 6,17 (valeur usuelle < 0,2). Le culot urinaire ne montre pas de signe d’inflammation. Le dénombrement de germes urinaires est négatif. Ainsi, une origine postrénale à la protéinurie est exclue. La protéinurie est donc principalement d’origine mixte : rénale et prérénale en raison de l’hyperprotéinémie (encadré 2) [11].

EXAMENS D’IMAGERIE

Pour explorer l’organomégalie abdominale craniale, une échographie abdominale est réalisée. Elle met en évidence une splénomégalie et une hépatomégalie sans autre anomalie parenchymateuse (photo 3).

Une échographie oculaire est également réalisée pour explorer le segment postérieur de l’œil droit non évaluable lors de l’examen initial. Un contenu hétérogène de la chambre antérieure est noté, associé à un myosis (photos 4a et 4b). Le segment postérieur est très remanié avec la présence de volumineuses plages hyperéchogènes et hétérogènes ventrales, compatibles avec un exsudat ou la présence de sang. Un trajet hyperéchogène linéaire dorsal rejoignant le pôle postérieur est observé, compatible avec un décollement de rétine. Ces lésions sont en faveur d’une panuvéite de l’œil droit. L’examen échographique de l’œil gauche est normal.

ANALYSES SÉROLOGIQUES

Afin d’explorer la présence d’une autre maladie vectorielle concomitante (notamment l’ehrlichiose), un SNAP® 4Dx (ehrlichiose, dirofilariose, borréliose de Lyme, anaplasmose) est réalisé. Il est négatif. Une sérologie leishmaniose est alors effectuée et se révèle fortement positive, à 106,7 EU (unité Elisa ; valeur usuelle < 12 EU). Cependant, le chien étant vacciné contre la leishmaniose, la sérologie est difficilement interprétable et ne permet pas de conclure définitivement à une leishmaniose.

ANALYSE CYTOLOGIQUE

L’analyse cytologique après une cytoponction du nœud lymphatique mandibulaire droit met en évidence une hyperplasie plasmocytaire réactionnelle associée à de très nombreuses formes amastigotes de protozoaires dans les macrophages et libres (photo 5).

Diagnostic

L’analyse cytologique permet d’établir un diagnostic définitif de leishmaniose.

Quatre stades de leishmaniose sont décrits. Dans le cas présenté ici, le tableau clinique (lésions secondaires à la formation d’immuns complexes) est en faveur d’un stade 3, et l’azotémie constatée d’un stade 4. Cependant, étant donné la déshydratation et l’hyperprotéinémie constatées, l’insuffisance rénale peut être majorée par une composante prérénale.

Traitement

TRAITEMENT INITIAL

Le chien est hospitalisé afin de limiter l’hyperviscosité sanguine et de corriger une éventuelle azotémie prérénale. Il est placé sous perfusion de Ringer lactate à 4 ml/kg/h pendant 24 heures, puis à 2 ml/kg/h pendant les 5 jours suivants.

Le traitement étiologique de la leishmaniose consiste en un traitement spécifique leishmanicide (antimoniate de méglumine) en synergie avec l’allopurinol. Dans ce cas, seul l’allopurinol (Zyloric®(3), 10 mg/kg, per os (PO), deux fois par jour) est administré au cours de l’hospitalisation car l’azotémie est une contre-indication relative à la mise en place de l’antimoniate de méglumine (molécule néphrotoxique) [3].

Le traitement de l’œil droit consiste en un anti-inflammatoire stéroïdien par voie topique, pouvant franchir la barrière cornéenne, soit l’alcool de dexaméthasone (Maxidrol®(3), 1 goutte quatre fois par jour), et en un mydriatique, du tropicamide (Mydriaticum®(3), 1 goutte trois fois par jour) en vue de limiter le risque de formation de synéchies. Afin de cibler le segment postérieur, de la prednisolone PO à dose anti-inflammatoire (Dermipred® 0,5 mg/kg, PO, une fois par jour) est également administrée. Le traitement par voie générale est mis en place pendant 1 semaine.

Les paramètres rénaux et le taux de protéines sont suivis toutes les 48 heures, montrant une amélioration modérée et progressive. La sortie d’hospitalisation a lieu 6 jours après l’admission.

TRAITEMENT PRESCRIT À DOMICILE

Après la sortie d’hospitalisation, la mise en place d’antimoniate de méglumine a été préconisée. Toutefois, la propriétaire, sous conseil de son vétérinaire traitant en Grèce, a préféré utiliser la miltéfosine (2 mg/kg, PO, une fois par jour pendant 28 jours) comme molécule leishmanicide. La prescription et l’envoi de la molécule ont été réalisés par ce vétérinaire. La miltéfosine ne dispose pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, mais il s’agit d’un traitement leishmanicide considéré comme moins néphrotoxique que l’antimoniate de méglumine.

De plus, une alimentation spécialisée, Royal Canin Urinary UC Low Purine®, est prescrite afin de prévenir la formation de calculs de xanthine secondaire à l’utilisation d’allopurinol.

Évolution

ÉVOLUTION DE L’ÉTAT GÉNÉRAL

Au cours de l’hospitalisation et des mois suivants, la protéinémie a progressivement diminué tout en restant supérieure aux valeurs usuelles. L’azotémie et la protéinurie se sont normalisées et l’anémie s’est résolue. L’évolution clinique est satisfaisante : le chien a retrouvé un bon état général et a repris du poids avec une note d’état corporel évaluée à 6/9 lors du dernier contrôle à 7 mois. La poly­adénomégalie périphérique a également disparu.

La sérologie leishmaniose est contrôlée lors du suivi à 7 mois. Elle montre une diminution du titre en anticorps qui reste cependant supérieur aux valeurs usuelles (75,8 EU).

SUIVI OPHTALMOLOGIQUE

Quinze jours après la sortie d’hospitalisation, un blépharospasme de l’œil droit est de nouveau observé. L’examen ophtalmologique révèle une congestion importante des vaisseaux épiscléraux et un œdème cornéen diffus. La pression intraoculaire est de 44 mmHg (Tonovet®, valeurs usuelles de 10 à 25 mmHg) confirmant la suspicion clinique de glaucome aigu, probablement secondaire à l’uvéite antérieure. Un traitement hypotenseur par voie locale à base de brinzolamide (Azopt®(3), 1 goutte trois fois par jour) est mis en place. L’examen du fond d’œil gauche révèle la présence de deux décollements de rétine séreux associés à celle de plages ternes en regard de la veine rétinienne dorsale, compatibles avec un exsudat périvasculaire. Ces anomalies du fond d’œil peuvent être le signe clinique d’une choriorétinite aiguë ou secondaire au syndrome d’hyperviscosité sanguine. Le traitement corticoïde par voie générale est repris à dose décroissante (Dermipred® 0,5 mg/kg, PO, une fois par jour pendant 1 semaine, puis 0,25 mg/kg, une fois par jour pendant 15 jours).

Lors du contrôle 1 semaine plus tard, la propriétaire ne rapporte pas d’amélioration du confort de l’animal. La pression intraoculaire à droite est toujours augmentée, à 40 mmHg. En l’absence de contrôle de la pression intra­oculaire et compte tenu des signes de douleur oculaire associée à une perte de vision irréversible sur cet œil, une énucléation de l’œil droit est réalisée.

En raison de la persistance d’une azotémie modérée au moment de la décision opératoire, une hospitalisation pré- et postopératoire pour une fluidothérapie est réalisée. L’animal est prémédiqué par voie intraveineuse à l’aide de morphine à 0,1 mg/kg (Morphine® Aguettant) et de diazépam à 0,2 mg/kg (Valium Roche®). L’induction est réalisée avec du propofol par voie intraveineuse à 4 mg/kg (Rapinovet®) et l’anesthésie entretenue à l’isoflurane 2 %. La technique choisie consiste en une énucléation par voie transconjonctivale. Avant la fermeture plan par plan, une injection intraorbitaire en jet (ou splash block) de bupivacaïne à 0,5 mg/kg est réalisée pour la gestion de la douleur postopératoire. La sortie d’hospitalisation a lieu 2 jours plus tard après un contrôle des paramètres rénaux, restés stables après la procédure.

L’analyse histologique de l’œil droit permet de conclure à un glaucome secondaire (photo 6). En effet, des synéchies antérieures avec une fermeture de l’angle iridocornéen et des synéchies postérieures axiales sont mises en évidence, elles sont responsables de l’hypertension intraoculaire observée. Ces lésions sont la complication d’une uvéite antérieure marquée. L’analyse du segment postérieur révèle la présence d’un décollement de rétine complet avec une atrophie de la rétine modérée et de volumineux caillots sanguins. En raison du traitement anti-inflammatoire préalable, ainsi que de la chronicité des lésions, il est impossible de conclure sur l’origine du décollement de rétine. Ce dernier peut être secondaire à une choriorétinite leishmanienne ou au syndrome d’hyperviscosité sanguine. Aucune leishmanie n’est visualisée sur les coupes observées.

De plus, l’examen du fond d’œil gauche montre la résolution des lésions de décollement séreux et la nette régression des plages d’œdème rétinien périvasculaires.

2 Discussion

Diagnostic de la leishmaniose

Le cas présenté illustre l’importance du contexte épidémiologique qui doit toujours être pris en compte dans le recueil de l’anamnèse et des commémoratifs. En effet, en Grèce, pays d’importation de l’animal présenté ici, le taux d’infection chez le chien peut atteindre 70 à 90 % [2]. Dans le cas décrit, il n’a pas été possible de déterminer le moment précis où le chien a été infecté (avant ou après la réalisation de la vaccination contre la leishmaniose), même si cela a probablement eu lieu en Grèce. Le protocole vaccinal avait été correctement effectué, a priori.

Certains signes cliniques et paracliniques observés chez ce chien étaient très évocateurs de la leishmaniose. L’hyperprotéinémie était très importante (154 g/l) et pouvait être délétère pour la survie du chien, d’où la nécessité de l’hospitaliser. La présentation oculaire était, quant à elle, plus atypique et est discutée ci-dessous.

Lors de leishmaniose, l’azotémie mise en évidence à l’admission peut être multifactorielle et une créatininémie initiale élevée n’est pas obligatoirement associée à un pronostic désespéré. En effet, une composante prérénale (hyperprotéinémie, déshydratation) non négligeable peut être présente, comme dans le cas décrit ici. Ainsi, la caractérisation de l’insuffisance rénale doit se faire après correction de la composante prérénale, une valeur isolée de créatininémie ne permettant pas de statuer sur le stade de l’insuffisance rénale. Après caractérisation de cette dernière, les recommandations de l’International Renal Interest Society (IRIS) doivent être suivies.

Pour le diagnostic de la leishmaniose, la méthode de référence est l’analyse sérologique par immunofluorescence indirecte. Dans le cas présenté ici, une technique Elisa a été utilisée.

Enfin, la mise en place du traitement doit être réfléchie et fondée sur le stade clinique de la leishmaniose. La miltéfosine, molécule prescrite dans ce cas, n’est pas disponible en France. Ses avantages et inconvénients sont décrits dans un article de ce dossier(2).

Présentations oculaires lors de leishmaniose

Les manifestations oculaires de la leishmaniose canine ont été fréquemment décrites et sont généralement associées à d’autres signes cliniques [4]. Leur prévalence relative parmi les chiens atteints de leishmaniose systémique varie entre 16 et 80 % selon les études [9]. Ces formes oculaires peuvent être la seule manifestation clinique dans 3,72 à 16 % des cas.

Les lésions de blépharite et de kérato-conjonctivite sont décrites comme les signes cliniques les plus fréquemment rencontrés dans plusieurs études rétrospectives [4]. L’étude de Pena et coll. décrit l’uvéite antérieure comme le signe clinique le plus fréquent, étant retrouvé dans environ 43 % des cas [9]. L’uvéite antérieure peut se manifester sous une forme aiguë et fibrineuse (cas présenté ici) ou sous une forme caractérisée par de multiples nodules dans le stroma irien. L’évolution des uvéites antérieures vers un glaucome secondaire, comme dans ce cas, est décrite chez 35 % des chiens [9]. D’autres signes cliniques oculaires (choriorétinite, décollement de rétine, kérato-conjonctivite sèche, cataracte, glaucome et cellulite orbitaire) ont également été rapportés [4].

De façon étonnante, l’inflammation endo-oculaire est le plus souvent limitée au segment antérieur [4]. Cette prédilection pour l’uvée antérieure de la leishmaniose canine contraste avec la plupart des infections systémiques, en particulier la toxoplasmose et les mycoses systémiques, pour lesquelles l’atteinte initiale concerne le segment postérieur. L’originalité de ce cas réside dans la prédominance de l’atteinte du segment postérieur, décrite dans moins de 4 % des cas de leishmaniose oculaire, sans atteinte des annexes oculaires et de la cornée [9]. Cela signe la grande variété des signes ophtalmologiques associés à la leishmaniose canine.

Mises à part les lésions inflammatoires consécutives à l’action directe des leishmanies, le syndrome d’hyperviscosité sanguine fréquemment rencontré dans cette maladie peut également être à l’origine de lésions oculaires [4]. La présence de vaisseaux rétiniens dilatés et tortueux est souvent retrouvée, ainsi que celle d’œdème de la papille, d’hémorragies rétiniennes et/ou de décollements de rétine exsudatifs, dont le mécanisme de formation n’est cependant pas complètement compris.

Dans le cas décrit ici, l’examen histologique ne peut pas incriminer avec certitude la leishmaniose ou le syndrome d’hyperviscosité sanguine comme responsable de la formation des lésions oculaires observées. Il est probable que leur association soit à l’origine du tableau oculaire présenté.

Le traitement étiologique de la leishmaniose permet également la gestion des signes oculaires décrits précédemment, avec leur résolution dans 50 % des cas [9]. Dans 30 % des cas, une amélioration clinique partielle est notée et le traitement anti-inflammatoire topique doit être poursuivi au long cours. Enfin, dans 20 % des cas, le traitement antileishmanien n’apporte pas d’amélioration oculaire, comme dans le cas décrit. La présence d’une uvéite antérieure chronique est fréquemment incriminée lors d’amélioration partielle ou d’échec thérapeutique [9]. Ces résultats suggèrent que la plupart des lésions des annexes oculaires et de la cornée sont associées à un bon pronostic après la mise en place du traitement, tandis que les inflammations intraoculaires ont une tendance accrue à l’évolution vers la chronicité.

Glaucome secondaire aux uvéites antérieures

Le glaucome est une complication fréquente des uvéites sévères et chroniques. L’obstruction des voies de drainage de l’humeur aqueuse est alors secondaire à l’accumulation de débris inflammatoires dans l’angle iridocornéen, de synéchies (qui résultent de l’adhésion de l’iris au cristallin ou à la cornée par de la fibrine et des cellules inflammatoires) ou à la formation d’une membrane fibrovasculaire préirienne en cas d’inflammation chronique [10]. La présence de synéchies postérieures circonférentielles aboutit rapidement au développement d’un iris bombé par absence de flux d’humeur aqueuse à travers la pupille.

Comme chez l’homme, les glaucomes secondaires aux uvéites chez le chien sont associés à un pronostic plus mauvais que les autres types de glaucomes.

Le traitement hypotenseur des glaucomes secondaires aux uvéites antérieures repose principalement sur l’utilisation d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique. Le mécanisme d’action de cette classe de molécules est fondé sur l’inhibition de l’enzyme anhydrase carbonique impliquée dans la formation de l’humeur aqueuse au niveau de l’épithélium non pigmenté des corps ciliaires. L’utilisation de présentations topiques est préconisée pour prévenir les effets secondaires systémiques lors d’administration par voie orale. Les molécules disponibles sont le dorzolamide (Trusopt®(3)) et le brinzolamide (Azopt®(3)) qui peut être associé à des β-bloquants comme le timolol (Cosopt®(3)). Elles doivent être utilisées à une fréquence de deux ou trois fois par jour [10]. L’utilisation des analogues des prostaglandines n’est pas conseillée en cas d’inflammation endo-oculaire. En effet, ces molécules sont pro-inflammatoires et augmentent la perméabilité de la barrière hémato-aqueuse [1]. De plus, elles provoquent chez le chien un myosis intense qui augmente le risque de formation de synéchies postérieures.

En phase aiguë de l’inflammation, le traitement topique et systémique à l’aide d’anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens est indiqué. Les mydriatiques de courte durée d’action comme le tropicamide sont également utiles pour diminuer la formation de synéchies postérieures par l’obtention d’une mydriase. L’obtention de cette dernière peut être associée à une augmentation de la pression intraoculaire motivant son suivi rapproché. L’utilisation de mydriatique de longue durée d’action comme l’atropine est déconseillée dans cette situation [10].

Le tissue plasminogen activator (TPA) peut être utilisé pour dissoudre des hyphémas sédimentés ou des caillots de fibrine [5]. Il permet de libérer l’angle iridocornéen, mais également de défaire les synéchies en formation. Un bolus de TPA est injecté dans la chambre antérieure sous anesthésie générale de courte durée après une paracentèse de la chambre antérieure. Cette molécule est plus efficace dans les 3 jours qui suivent la formation du caillot, mais une dissolution peut être observée en cas d’évolution plus longue. La dose recommandée pour une injection intracamérulaire est de 0,1 ml d’une solution à la concentration de 25 mg/100 µl [5]. Cependant, cette injection n’est pas recommandée en cas de récidive probable du saignement. Dans le cas décrit, ce traitement n’a pas été mis en place en première intention en raison du caractère modéré de l’hyphéma et de l’obtention d’une mydriase satisfaisante avec le traitement mis en place.

Conclusion

La présentation clinique lors de leishmaniose canine est très protéiforme et les signes oculaires ne doivent pas être sous-estimés puisqu’ils peuvent représenter le motif de consultation, comme dans le cas présenté ici. La démarche diagnostique se doit d’être rigoureuse. L’azotémie mise en évidence à l’admission chez certains chiens peut être multifactorielle et il importe de considérer qu’une créatinémie initiale élevée n’est pas toujours associée à un pronostic désespéré, comme ce cas l’illustre.

  • (1) Voir l’article “La leishmaniose canine, une maladie à présentation protéiforme nécessitant une démarche diagnostique rigoureuse” de A. Lamoureux et coll., dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Traitement et prévention de la leishmaniose canine” de A. Lamoureux et coll., dans ce numéro.

  • (3) Médicament humain.

Références

  • 1. Arcieri ES, Santana A, Rocha FN et coll. Blood-aqueous barrier changes after the use of prostaglandin analogues in patients with pseudophakia and aphakia. Arch. Ophthalmol. 2005;123:186-192.
  • 2. Baneth G, Solano-Gallago L. Leishmaniases. In : Greene CE, eds. Infectious diseases of the dog and cat. 4th ed. Ed. Elsevier, Saint Louis. 2012:734-746.
  • 3. Bianciardi P, Brovida C, Valente M et coll. Administration of miltefosine and meglumine antimoniate in healthy dogs: clinicopathological evaluation of the impact on the kidneys. Toxicol. Pathol. 2009;37(6):770-775.
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Conflit d’intérêts

Aucun.

REMERCIEMENTS

Remerciements tout particuliers au service d’imagerie du CHUVA pour les images échographiques, ainsi qu’au service d’anatomie pathologique du Biopôle pour les analyses et les photographies cytologiques et histologiques.

ENCADRÉ 1 Démarche diagnostique en cas de saignement oculaire

→ Un hyphéma (présence de sang dans la chambre antérieure) survient lors d’atteinte ou de malformation de la vascularisation uvéale ou rétinienne.

Les causes d’hyphéma chez le chien incluent les traumatismes, les néoplasies, les décollements de rétine, les anomalies hématologiques (troubles de la coagulation, syndrome d’hyperviscosité sanguine, anémie), les membranes fibrovasculaires préiriennes, les maladies infectieuses, l’hypertension artérielle systémique, les uvéites et les anomalies congénitales. En clinique de référé, le décollement de rétine est l’affection la plus fréquemment associée à un hyphéma.

→ Un examen oculaire et général, l’anamnèse et les commémoratifs sont essentiels pour rechercher la cause :

– chez les jeunes chiens sans historique de traumatisme, des anomalies congénitales sont à envisager. Dans ce cas, l’examen des autres chiots de la portée et la recherche d’une prédisposition raciale pour l’anomalie de l’œil du colley et de la persistance de l’artère hyaloïde sont importants. Cependant, des infections systémiques (ehrlichiose en particulier) et des intoxications par des rodenticides doivent également être recherchées ;

– chez le chien âgé, les principales causes d’hyphéma sont les néoplasies et l’hypertension artérielle systémique.

→ Dans de nombreux cas d’hyphéma, l’échographie oculaire est l’examen complémentaire le plus instructif. Il permet en particulier de détecter une masse intraoculaire, une hémorragie intravitréenne, un décollement de rétine ou une rupture de la sclère.

La réalisation d’un bilan hématologique et biochimique, d’un profil de la coagulation, et une mesure de la pression artérielle sont requises en première intention.

D’après [6].

ENCADRÉ 2
Détection et origine de la protéinurie chez le chien

Détection d’une protéinurie

La détection d’une protéinurie doit toujours se faire sur un échantillon d’urine prélevé par cystocentèse. La bandelette urinaire permet de mettre en évidence une albuminurie. Le rapport protéine/ créatinine urinaires (RPCU) permet de confirmer et de quantifier la protéinurie. Un rapport inférieur à 0,2 est normal chez le chien et un rapport supérieur à 0,5 est considéré comme anormal. Entre 0,2 et 0,5, le résultat est douteux et l’analyse doit être répétée. Un RPCU supérieur à 2, en l’absence d’hyperprotéinémie et/ou d’inflammation du tractus urinaire, est très évocateur d’une glomérulopathie.

Origine de la protéinurie

Une fois la protéinurie confirmée, il est nécessaire de déterminer l’origine de celle-ci.

Les protéinuries urinaires sont à différencier des protéinuries extra-urinaires.

→ Parmi les protéinuries extra-urinaires sont distinguées :

– les protéinuries prérénales pouvant être secondaires à la présence d’une quantité excessive de protéines normales (hyperprotéinémie comme dans le cas présenté ici) ou anormales dans le sang. Ces protéinuries sont généralement modérées ;

– les protéinuries posturinaires provenant du système génital et contaminant les urines. Celles-ci sont rares.

→ Parmi les protéinuries urinaires se trouvent :

– les protéinuries postrénales dues à la présence d’une inflammation, d’une infection ou d’une tumeur vésicale, urétérale ou urétrale. Il est nécessaire de réaliser un culot urinaire et une recherche d’agents pathogènes urinaires afin d’exclure cette origine ;

– les protéinuries rénales pouvant être fonctionnelles (stress, fièvre, exercice) ou pathologiques. Les protéinuries rénales pathologiques sont d’origine tubulaire (diminution de la réabsorption), glomérulaire (diminution de la filtration) ou interstitielle (exsudation des protéines).

D’après [11].

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