COMPORTEMENT CANIN
Article original
Auteur(s) : Florence Napierala-Ruquois
Fonctions : Clinique vétérinaire Calipsis
13, rue D’Haspres
59282 Douchy-les-Mines
Le chien régulateur pourrait être d’une grande aide dans l’apprentissage social des chiots et autres congénères.
En médecine du comportement, il est d’usage d’utiliser différents outils pour prévenir un trouble ou le prendre en charge. Il peut paraître évident de travailler sur la communication des propriétaires avec leurs animaux, de médicaliser un chien anxieux ou phobique, ou encore de prescrire des exercices ou des activités qui favorisent la socialisation et l’éducation de chiots. Mais il est beaucoup moins fréquent pour les professionnels canins d’employer des chiens adultes équilibrés comme un moyen de prévention ou une aide à la thérapie. Ces adultes équilibrés, souvent appelés “chiens régulateurs”, sont utilisés par les éducateurs canins et les vétérinaires. Restent à définir les méthodes et les objectifs de cet usage, les débats à ce sujet étant nombreux dans le milieu cynophile.
Ainsi, une enquête prospective en vue d’un traitement statistique a été initiée en 2013, afin de mieux cerner ces chiens qui aident leurs maîtres à éduquer d’autres chiens [12].
Dans cette étude, menée afin de mieux connaître les rôles attendus du chien régulateur, celui-ci a été défini comme un animal auquel il est demandé de jouer un rôle d’éducateur vis-à-vis de certains de ses congénères (chiots et/ou chiens adultes). Cette notion d’éducation, sous certaines formes, entre un chien adulte et des chiots a déjà été évoquée par quelques auteurs [2-4, 5, 14]. Les chiots apprennent vraisemblablement les codes canins grâce à des interactions entre eux, mais aussi avec un ou des chiens adultes [11, 16]. C’est la socialisation intraspécifique. En effet, en fonction de leur degré de socialité, il a été prouvé que les différentes espèces de canidés font montre d’interactions sociales plus ou moins intenses qui jouent un rôle dans le développement même et l’apprentissage de cette socialité [1]. L’apprentissage social est un processus important pour nombre de mammifères, notamment quant à des comportements tels que la recherche de nourriture, la peur des prédateurs ou les préférences alimentaires [15]. Il serait logique qu’il soit effectif concernant la communication et les bonnes conduites sociales chez le chien. Le chien étant une espèce sociale, le fait de mettre un chien régulateur au contact de chiots de toutes provenances et avec différents modes de vie pourrait pallier le manque plus ou moins important d’interactions nécessaires à une socialisation de qualité de ces jeunes.
Il en est probablement de même pour des chiens adultes peu ou mal socialisés, en comptant sur une résilience ou une plasticité cérébrale maintenant démontrée [10]. Ces animaux qui présentent certains troubles du comportement pourraient apprendre ou réapprendre les bonnes réactions sociales canines au contact de chiens adultes équilibrés, et ainsi parfaire leur socialisation, en améliorant leur communication intraspécifique [7].
Quatre types de professionnels ont été interrogés : des vétérinaires comportementalistes diplômés des écoles nationales vétérinaires françaises (DENVF), des éducateurs canins professionnels adhérents au Mouvement professionnel francophone des éducateurs de chiens de compagnie, des éducateurs et des moniteurs canins bénévoles de la Société centrale canine (figure 1).
Ainsi, 207 personnes ont répondu à un questionnaire qui comportait 52 items.
Les analyses statistiques (tests du χ2 et Fisher principalement, avec un seuil de signification de 5 % retenu dans la majorité des cas) ont permis de montrer une grande homogénéité des réponses entre ces professionnels canins. Au-delà des divergences de concept qui font parfois polémiques entre éducateurs et vétérinaires (usage de psychotrope, méthode éducative positive ou punition, etc.), le thème du chien régulateur fait converger les avis et les définitions. Ainsi, 40,1 % des professionnels déclarent utiliser ce type de chiens dans leur pratique, en moyenne 1 ou 2 chiens.
Cette étude a tout d’abord permis de définir le profil du chien régulateur. En effet, il ressort que cet animal est indifféremment mâle ou femelle, et que le quart des individus sont stérilisés. Ce chien pèse plus de 30 kg (60 % des cas), est âgé de 5,8 ans en moyenne et a trouvé sa pleine efficacité vers 3 ans. Cela correspond à un âge pleinement adulte pour des races de ce gabarit.
Les races lupoïdes (grands bergers) sont beaucoup représentées (56,8 % des chiens) (figure 2). Cependant, dans la mesure où ces races sont fréquentes dans les clubs canins pour leurs aptitudes sportives, il est possible qu’elles soient surreprésentées dans notre étude. C’est un biais dont il convient de tenir compte car des races de gabarit plus petit sont aussi utilisées, principalement dans les écoles de chiots, et les molossoïdes sont également bien représentés.
Au fil des années d’exercice, 92,3 % des professionnels estiment que leur chien régulateur travaille de manière constante ou mieux. Un quart des professionnels félicitent leur chien à l’issue de la séquence de régulation ou de la séance. Ce renforcement positif, immédiat ou différé, permet peut-être de pérenniser le bon comportement de l’animal régulateur.
En pratique, la moitié des chiens régulateurs sont mis au contact des autres chiens dans un environnement calme (terrain d’éducation canine). Et 93 % des professionnels utilisent le régulateur avec les classes de chiots de 2 à 8 mois. Un seul chien régulateur, en moyenne, est présent durant la séance.
Pour les adultes, 2 ou 3 chiens régulateurs peuvent être mis en présence de l’animal à réguler (dans 75 % des cas).
La durée des séquences de régulation varie selon l’âge du chien à réguler : 5 à 10 secondes seulement pour un chiot, 28 secondes pour un adulte (figure 3).
Le chien régulateur intervient dans les séances en fonction du comportement des autres chiens. Là encore, les chiots doivent être distingués des adultes.
Dans les classes de chiots, l’intervention du régulateur est déclenchée par plusieurs comportements d’un jeune à l’égard d’un autre :
– l’agitation ;
– la montée en excitation (poursuite ininterrompue pour 25 % des réponses) ;
– l’agressivité (tentative de morsure pour 23 % des réponses, grognement dans 16,7 % des cas) (tableau 1).
Le chiot est alors généralement plaqué au sol, jusqu’à obtention d’une immobilisation (photos 1 à 4). Différentes attitudes sont prises par le chien régulateur. Ainsi, des grognements, une intervention rapide entre 2 chiots, l’attente de l’immobilité du chiot quelle que soit la posture utilisée, la séparation physique des jeunes en interaction et la relâche du chiot dès qu’il s’est immobilisé ont été les principales réponses obtenues [12]. Ensuite, le chiot peut demander une séquence de jeu à l’adulte, changer de partenaire d’interaction ou se mettre en retrait de ses congénères pour un moment.
Chez les adultes, ce sont les chiens agressifs envers leurs congénères, exubérants dans leurs jeux ou trop immatures dans leurs relations qui font réagir les régulateurs. Ces adultes présentent en général des déficits ou des troubles de la communication intraspécifique. Avec les congénères adultes, le chien régulateur interagit tout d’abord par des grognements (41 % des professionnels), une posture raide (35 % des sondés) et une approche lente (tableau 2).
Avec les chiots, la cinétique d’intervention est d’emblée plus rapide [12].
L’adaptation des chiens régulés est très variable, que ce soit chez les chiots ou les adultes. Un appel au jeu et la reprise des interactions avec le même congénère ou un autre sont observés, mais, de manière plus modérée, l’animal va se cacher. Dans tous les cas, cette réponse adaptative des chiens régulés est marquée par une modulation à la baisse de leur niveau d’excitation.
Au vu des résultats de cette enquête, le chien régulateur devient ainsi un “éducateur canin intraspécifique” de premier choix, attentif et avisé dans ses jugements. L’aide à la socialisation, et à l’acquisition des autocontrôles et des codes de communication canine est soulignée par la majorité des utilisateurs.
En moins de cinq séances en moyenne, les chiots régulés deviennent plus calmes, plus sociables. Ils communiquent mieux avec leurs congénères. Pour les chiens adultes, moins de dix séances sont nécessaires. De l’avis des sondés, le chien régulateur paraît donc être une aide efficace pour le professionnel.
Un faible nombre de blessures lors des séquences de régulation (26/134) est rapporté. Le risque calculé lors du traitement statistique des données est cependant cinq fois plus important lors de la régulation d’un adulte.
De plus, les dommages décrits ne sont pas graves.
Ce petit taux de blessures et leur caractère peu délétère sont très probablement liés aux explications données par les utilisateurs de chiens régulateurs (97 % des professionnels expliquent) et aux consignes données (88 % des professionnels donnent des consignes) avant les mises en situation, ainsi qu’aux précautions prises lors des séquences avec des chiens adultes : longe, muselière, contact progressif, etc. (photo 5). Les blessures chez l’homme sont très peu fréquentes et le plus souvent liées à une intervention humaine inappropriée [12].
De plus, le chien régulateur possède de très bons autocontrôles, une parfaite connaissance des codes canins et un excellent contrôle de la morsure, ce qui diminue fortement le risque de lésion.
62,9 % des non-utilisateurs de chiens régulateurs envisagent leur emploi futur (37,67 % des sondés) en prenant soin de choisir attentivement le chiot futur régulateur (figure 4). Cette marge de progression est encourageante pour le développement des chiens régulateurs, « socialisateurs » de leurs congénères [12].
Malgré les divergences d’opinion sur les méthodes éducatives, l’ensemble des professionnels s’accorde sur le fait que l’utilisation d’un chien régulateur est positive pour les animaux régulés. Le nombre de séances nécessaires pour obtenir des résultats est faible, et il y a une nette amélioration du comportement des adultes ou des chiots régulés.
Chez les chiots, les trois principaux résultats observés sont une meilleure communication canine (intraspécifique) (85,9 % des professionnels), une plus grande sociabilité avec leurs congénères (84,6 %) et plus de calme, une moindre exubérance (75,6 %).
Chez les chiens adultes, les professionnels s’accordent également. Leurs principales observations sont des chiens régulés plus calmes, moins exubérants (75,80 % des professionnels), une meilleure communication canine (intraspécifique) (70,96 %) et une inhibition des morsures et des comportements agressifs (43,54 %) [12].
Peu de différences sont notables.
De même, les débats concernant l’aptitude de régulation liée à un type de race semblent caducs en raison de la diversité des chiens utilisés. Certains animaux, quels que soient leur race ou leur morphotype, ont pu développer des capacités cognitives et de communication permettant de très bonnes lecture et expression des messages intraspécifiques.
Les chiens de races molossoïdes sont cités largement comme ne pouvant pas être utilisés comme régulateurs en raison de la sélection génétique qui a mené à des types brachycéphales, ou encore du fait des contraintes légales liées à la détention et à l’utilisation de chiens de catégorie, voire à la peur qu’engendrent certaines de ces races [12]. Cependant, celles-ci sont bien représentées chez les utilisateurs. Le fait d’être brachycéphale, ou d’avoir des babines ou des oreilles pendantes ne semble donc pas être un frein ou un handicap dans le travail du chien régulateur.
Les expressions faciales sont bien plus complexes et nombreuses chez le loup que chez le chien [13]. Cette conséquence de la domestication explique la fréquence accrue des agressions chez les chiens, par ce défaut d’expression acquis au cours de la sélection artificielle. De même, le comportement de soins aux jeunes est moins fréquemment présent chez le chien, espèce qui vit au contact de l’homme et qui n’a plus nécessairement le besoin d’exprimer ce comportement. Le chien aurait perdu ce dernier au fil du temps.
Cependant, des individus gardent la capacité à exprimer quelques comportements parentaux [13]. Il convient de remarquer que nombre de professionnels précisent que leur chien régulateur était issu d’une mère elle-même régulatrice ou que ce comportement était inné chez cet animal. Les parts d’inné (héritabilité) et d’acquis (observation et imitation précoce de la mère ou d’adultes) dans cette aptitude à la régulation sont complexes. Cela mériterait des études complémentaires.
De plus, l’hypothèse selon laquelle la cognition sociale du chien aurait suivi un autre chemin palliant en partie ce manque d’expressivité par rapport au loup est à envisager. En effet, les capacités cognitives des chiens leur permettent de discriminer les expressions chez l’homme ou de comprendre une gestuelle humaine [8, 17]. Bien que morphologiquement très différents d’une race à l’autre, certains chiens, les régulateurs, pourraient avoir acquis la capacité de décrypter l’expression de congénères. Sans oublier que la communication des canidés n’est pas simplement limitée à des postures claires, et que la cinétique, les petites expressions fugaces, les sons et les odeurs participent aussi au signal émis. De plus, le chien régulateur est un animal qui, par sa capacité à utiliser correctement les différents canaux de communication, envoie des signaux très clairs aux individus avec lesquels il interagit.
Cela explique probablement la diversité des races et des types rencontrés chez le chien régulateur, lequel fait montre de très bonnes capacités de communication lui permettant de tenir ce rôle de « socialisateur » de leurs congénères [12].
À l’issue de cette étude prospective, le chien régulateur apparaît donc comme un outil éthologique dans l’arsenal des thérapies canines, puisqu’il fait directement référence aux aptitudes de lecture et de réactivité posturales lors des dyades canines. La capacité du chien régulateur à détecter et à corriger les troubles de la communication intraspécifique permet une intervention dans le respect de l’éthologie et du bien-être canin, et se révèle rapidement efficace. En particulier, les résultats obtenus grâce à son utilisation paraissent d’autant plus rapides qu’il intervient en prévention chez de jeunes congénères (chiots). Les individus régulés, ayant acquis une meilleure communication intraspécifique, voient la qualité de leurs interactions sociales augmentée, ce qui est un élément de bien-être dans cette espèce sociale qu’est le chien.
Cependant, ce premier travail statistique doit être complété par des études complémentaires sur le répertoire des comportements inducteurs de régulation, l’effet de la régulation sur les troubles comportementaux, les affections psychiatriques, ou encore sur l’impact de la relation entre le professionnel canin et son chien régulateur quant à l’efficacité de la régulation.
Aucun.
Au Dr Céline Duprat pour sa relecture.
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