Réanimation cardio-pulmonaire du chien et du chat - Le Point Vétérinaire n° 363 du 01/03/2016
Le Point Vétérinaire n° 363 du 01/03/2016

MÉDECINE D’URGENCE

Article de synthèse

Auteur(s) : Matthias Kohlhauer*, Renaud Tissier**

Fonctions :
*École nationale vétérinaire d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort

Acte essentiel que tout praticien doit parfaitement maîtriser, la réanimation après un arrêt cardiaque suit un protocole strict qu’il n’est jamais inutile de rappeler : question de vie ou de mort.

L’arrêt cardiaque se définit comme la perte brutale de toute activité contractile du cœur (encadré 1). Il peut se présenter selon trois modalités électrocardiographiques différentes suivant l’arythmie observée : la fibrillation ventriculaire, (dépolarisation anarchique des cardio­myocytes), l’asystolie (arrêt complet de l’activité électrique) et la dissociation électro-mécanique, (activité électrique quasi normale mais sans activité pulsatile) (figure 1). L’arrêt circulatoire qui s’ensuit stoppe la perfusion de l’ensemble des organes, dont le cerveau et le cœur. Pour ces derniers, les effets de l’ischémie sont dramatiques et souvent associé à des séquelles graves. L’objectif de la prise en charge de cette situation d’urgence absolue consiste à restaurer le plus rapidement possible l’activité circulatoire au travers de la réanimation cardio-pulmonaire (RCP). En 2012, un groupe d’experts internationaux a formulé des recommandations pour le diagnostic et le traitement de l’arrêt cardiaque en médecine vétérinaire [7]. Elles ont été établies sur la base de données spécifiquement vétérinaires ou extrapolées à partir de la médecine humaine [19]. Ces différentes recommandations sont exposées ici sur des bases inspirées de l’article de Fletcher et coll.

ÉTIOLOGIE ET PRONOSTIC

1. Étiologie

L’incidence globale des arrêts cardiaques est encore mal connue chez le chien et le chat. Deux études prospectives ont permis de préciser les principales causes rencontrées. Les arrêts résultent souvent d’affections cardiovasculaires primitives (sur 121 et 161 cas d’arrêt cardiaque chez le chien et sur 30 et 43 cas chez le chat, les états de défaillance cardiovasculaire sont à l’origine de 51 à 67 % des arrêts) [10, 17]. La deuxième cause rapportée est liée aux affections respiratoires (atteinte du parenchyme ou obstruction respiratoire haute), à l’origine d’une hypoxémie et d’un arrêt cardiaque secondaire. Les accidents peranesthésiques ne représentent qu’environ 10 % des causes identifiées [10, 17]. Une autre étude a montré que l’incidence de mortalité peranesthésique était d’environ 0,5 à 2 % en médecine vétérinaire [3].

Indépendamment de la cause de l’arrêt cardiaque, le rythme cardiaque observé lors de la RCP est majoritairement caractérisé par une asystolie ou une dissociation électro-mécanique (qui constituent les rythmes dits “non choquables”, c’est-à-dire ne répondant pas aux chocs électriques). Les fibrillations ou tachycardies ventriculaires (formant les rythmes dits “choquables”, par opposition aux précédents) sont observées dans moins de 15 % des cas [10, 17]. Ces données illustrent une grande différence avec la médecine humaine pour laquelle les arrêts cardiaques, notamment extra-hospitaliers, sont majoritairement associés à des rythmes choquables (fibrillation ventriculaire principalement) consécutifs à une ischémie myocardique.

2. Pronostic

Chez les carnivores domestiques, la survenue d’un arrêt cardiaque est de très mauvais pronostic, même lorsque la RCP permet rapidement le retour à une circulation spontanée (RACS). Face à ce constat, les experts soulignent l’importance de tout mettre en œuvre pour prévenir la survenue de cette urgence vitale dont le taux de survie décroît rapidement avec la durée (figure 2) [7]. Dans l’étude portant sur 121 chiens, la RCP ne permet d’aboutir à un RACS que dans 58 % des cas [17]. Seuls 35 % des animaux ne présentent pas de récidives d’arrêt cardiaque au cours des 20 premières minutes et seulement 10 % survivent aux 24 premières heures. Seuls 6 % des chiens sortent vivants de la clinique. Les proportions apparaissent similaires chez les chats [17]. Ces données peuvent être mises en relation avec ce qui est observé lors d’arrêt cardiaque intra-hospitalier chez l’homme, au décours duquel le taux de survie final est d’environ 15 % [9].

Chez les carnivores domestiques, le pronostic à terme diffère selon l’état général de l’animal et la cause de l’arrêt cardiaque. Les arrêts cardiaques survenant au cours d’une anesthésie sont associés à une survie d’environ 47 %, alors que ce taux n’est que de 2 % dans toutes les autres situations [10]. Dans une autre étude, il a été montré que 55 % des animaux ayant survécu après un arrêt cardiaque l’avaient présenté au cours d’une anesthésie générale [27]. Ce meilleur pronostic peranesthésique s’explique notamment par une prise en charge plus précoce, une plus grande disponibilité des personnes présentes et une grande attention portée aux signes vitaux annonciateurs d’arrêt. L’animal anesthésié est souvent intubé, oxygéné et les moyens de monitorage sont en général déjà en place (capnogramme, électrocardiogramme, etc.). Un élément majeur de bonne survie est l’absence d’affection majeure sous-jacente chez une part importante de ces animaux malades.

RÉANIMATION CARDIO­PULMONAIRE DE BASE

Afin d’optimiser la vitesse et l’efficacité de la prise en charge de l’arrêt cardiaque, les recommandations vétérinaires ou humaines distinguent deux étapes distinctes dans la réalisation de la RCP : la “RCP de base” et la “RCP spécialisée”. La première correspond à la reconnaissance de l’arrêt du cœur, au massage cardiaque et à la réalisation de la ventilation artificielle. La seconde consiste en l’administration de diverses molécules ou chocs électriques, spécifiquement adaptées à la situation et à l’état de l’animal.

1. Organisation de l’équipe soignante

Pour être pertinente, la prise en charge de l’arrêt cardiaque nécessite de maintenir un bon niveau de préparation et d’entraînement sur mannequin [16]. Cela permet d’améliorer la réalisation technique, la prise de décision et l’efficacité globale du personnel [7]. Les séances d’entraînement devraient être renouvelées tous les 6 mois, puisque le bénéfice fourni par ces formations décline très rapidement pour devenir presque nul après une année [25]. En pratique courante, il est difficilement concevable d’atteindre un tel niveau de préparation, mais l’efficacité peut être améliorée. Les experts préconisent, par exemple, de constituer des kits de réanimation incluant l’ensemble des molécules et de petits matériels nécessaires pour réaliser une RCP. Ils peuvent être accompagnés d’algorithmes écrits aidant à la prise de décision et d’un résumé des différentes molécules et doses à administrer (figure 3, tableau). Ces kits doivent rester accessibles rapidement, de préférence dans les lieux les plus à risque : salle d’induction de l’anesthésie, bloc opératoire, etc. [16, 18]. Des réunions de debriefing après une RCP permettent aussi de mettre en évidence d’éventuelles défaillances et d’améliorer les prises en charge ultérieures.

2. Reconnaissance de l’arrêt cardiaque

La première étape de la réanimation de base repose sur la reconnaissance précoce de l’arrêt cardiaque [15]. Les trois symptômes à rechercher sont la perte de conscience, l’arrêt respiratoire ou la respiration agonique (GASP) et l’absence de pouls fémoral. De nombreuses études montrent qu’il est parfois difficile de distinguer un arrêt cardiaque d’un simple arrêt respiratoire par la seule perte de conscience [11]. Chez l’homme, plusieurs solutions alternatives ont été proposées pour contourner cette difficulté diagnostique. Ainsi, l’approche probabiliste consiste à commencer systématiquement la RCP chez tous les patients “à risque” ayant fait une syncope. En médecine vétérinaire, la recherche d’un pouls pendant environ 5 à 10 secondes doit être systématique. En cas d’échec, la RCP doit être débutée immédiatement. Bien que les conséquences du massage cardiaque chez un animal ne présentant pas d’arrêt cardiaque soient inconnues, il est recommandé de commencer la RCP dès la moindre suspicion, même sans certitude [7].

3. Modalités de la réanimation cardio-pulmonaire de base

Dès que l’arrêt cardiaque est identifié, les compressions thoraciques (massage cardiaque) doivent débuter le plus rapidement possible, sur un animal placé en décubitus latéral gauche. Chez les chiens de taille moyenne à grande, les mains doivent appuyer sur la partie la plus large du thorax, bras tendus et buste en surplomb par rapport à l’animal (photo 1). Dans ce cas, c’est la compression de l’ensemble du thorax qui permet de propulser le sang dans l’organisme (principe de la “pompe thoracique”). Chez les animaux de petite taille (chats et petits chiens), la compliance thoracique et l’anatomie du thorax font que les compressions peuvent être réalisées directement sur le cœur (principe de la “pompe cardiaque”). Le massage cardiaque se réalise avec une seule main entourant le sternum au niveau du cœur et comprimant celui-ci entre le pouce et les autres doigts (photos 2 et 3) [7]. La fréquence du massage doit idéalement être comprise entre 100 et 120 compressions/min. Quelques données expérimentales suggèrent aussi qu’une fréquence de 150 compressions/min pourrait être associée à un bon taux de survie chez le chien [6]. Dans tous les cas, les compressions doivent avoir une amplitude assez importante (entre 30 et 50 % de la largeur du thorax), n’être ni trop rapides, ni trop lentes et permettre le relâchement complet du thorax entre chacune [7].

Contrairement à ce qui a été préconisé auparavant, il est actuellement admis que le soutien ventilatoire ne doit pas être prioritaire sur le massage cardiaque [7]. Néanmoins, dans la mesure où en médecine vétérinaire les arrêts cardiaques sont souvent consécutifs à une hypoxémie (hémorragie, anémie, arrêt respiratoire, etc.), une ventilation manuelle doit être réalisée aussi rapidement que possible après l’initiation du massage cardiaque.

Pour être parfaitement efficace, cette opération nécessite de réaliser l’intubation chez un l’animal placé en décubitus latéral afin de ne pas interrompre le massage cardiaque. Une fois intubé, l’animal est ventilé à l’aide d’un ballon insufflateur manuel approvisionné en oxygène, à la fréquence de 10 cycles par minute et à un volume courant de 10 ml/kg (photo 4). Une ventilation trop agressive (volume courant ou fréquence excessifs) est à l’origine d’effets délétères car elle diminue le retour veineux et réduit l’efficacité du massage cardiaque [7]. Si l’intubation est impossible, il convient d’envisager une ventilation par la technique du “bouche-à-truffe”. Cette méthode doit être utilisée uniquement en dernière intention puisqu’elle nécessite d’interrompre le massage à chaque insufflation et qu’elle comporte des risques zoonotiques ou de morsure, en cas de spasme ou de récupération pendant la réanimation [2, 7].

RÉANIMATION CARDIO-PULMONAIRE SPÉCIALISÉE

La RCP avancée correspond aux soins apportés après la mise en place du massage cardiaque et de la ventilation artificielle. Elle augmente les chances d’un RACS par l’utilisation adaptée de molécules inotropes, vasopressives et antiarythmiques.

1. Algorithme de réanimation

Après l’initiation du massage cardiaque et de la ventilation, la RCP doit être organisée en cycles de 2 minutes. À la fin de chaque cycle, l’état de l’animal est réévalué, la RCP avancée est adaptée et un nouveau cycle est alors initié. Pendant ce protocole, le massage cardiaque doit être maintenu à la même fréquence et avec la même intensité, jusqu’au RACS ou à l’abandon de la RCP. Les interruptions du massage à la fin de chaque cycle doivent être les plus brèves possible. Enfin, il est recommandé que la personne réalisant les compressions thoraciques soit remplacée à cette occasion pour prévenir sa fatigue et maintenir une efficacité maximale [7].

2. Monitorage

La première étape de la RCP avancée consiste à mettre en place un monitorage de la fonction cardio-respiratoire : pose des électrodes d’électrocardiogramme et évaluation des phénomènes électriques et de la fréquence cardiaque. La surveillance de l’électrocardiogramme (ECG) permet notamment de distinguer les arrêts choquables (fibrillation ventriculaire, tachycardie ventriculaire) des arrêts non choquables (asystolie, dissociation électromécanique), pour lesquels la prise en charge doit être spécifiquement adaptée.

L’évaluation de la fonction respiratoire par un capnogramme est aussi fortement recommandée tout au long de la RCP. Cela permet de diagnostiquer un éventuel RACS et d’évaluer l’efficacité du massage cardiaque. Des études ont montré qu’au cours de la RCP chez le chien une concentration expirée en CO2 (EtCO2) supérieure à 15 mmHg est associée à une meilleure perfusion myocardique et à une augmentation des chances de succès chez le chien [10]. Le monitorage doit aussi être clinique avec la palpation du pouls fémoral car elle permet de détecter la reprise éventuelle de l’activité cardiaque (RACS).

3. Vasopresseurs

Au cours de la RCP “de base”, les compressions thoraciques n’assurent que 25 à 30 % du débit cardiaque normal. L’administration de vasopresseurs permet d’augmenter le tonus vasculaire et les résistances périphériques, et ainsi la perfusion cérébrale et myocardique [7].

L’adrénaline est l’agoniste adrénergique le plus utilisé au cours de la RCP, pour ses effets vasoconstricteurs (α1-agoniste). Cette catécholamine augmente aussi le travail cardiaque par ses effets inotropes et chronotropes positifs (récepteurs β1). Cependant, ces effets β1-agonistes peuvent être délétères en augmentant les besoins myocardiques en oxygène et en aggravant l’ischémie myo­cardique [24]. Ainsi, chez l’homme, l’intérêt réel d’une administration d’adrénaline au cours de la RCP est actuellement débattu et certaines études montrent qu’il existe une corrélation négative entre la quantité d’adrénaline administrée au cours de la RCP et le pronostic neurologique ou la survie des patients [5]. Même si ce débat existe actuellement, l’administration d’adrénaline au cours de la RCP reste d’actualité avec certaines précautions en médecine vétérinaire. En première intention, l’adrénaline est recommandée à faible dose (0,01 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) toutes les 3 à 5 minutes et le plus tôt possible après le début de la RCP. L’administration de fortes doses (0,1 mg/ kg IV) ne doit intervenir qu’en seconde intention, après une période prolongée de RCP. L’usage d’autres agents vasopresseurs comme la vasopressine a été proposé. Celle-ci induit une puissante vasoconstriction et augmente la pression artérielle par la stimulation des récepteurs V1. À la différence de l’adrénaline, cette hormone présente l’avantage de ne pas induire d’effets inotropes ou chronotropes favorisant l’ischémie myocardique ou les arythmies. Une étude prospective comparant l’usage d’adrénaline ou de vasopressine après un arrêt cardiaque chez le chien n’a cependant pas montré de supériorité de l’une ou de l’autre de ces molécules [4].

4. Vagolytiques

L’atropine est un agent parasympatholytique utilisé dans la prise en charge de certaines formes d’arrêt cardiaque non choquable. Les études évaluant son efficacité au cours de la RCP sont néanmoins peu concluantes chez les carnivores domestiques [27]. Par extrapolation des données de la médecine humaine, cet usage semble raisonnable chez les animaux présentant des signes compatibles avec une hypertonie vagale, comme une bradycardie, une asystolie ou l’existence de vomissements intenses précédant l’arrêt [24]. L’administration d’atropine est alors recommandée sur ce type d’arrêt cardiaque avec un rythme non choquable (asystolie ou dissociation électromécanique), à la dose de 0,04 mg/kg IV avec une possible répétition toutes les 3 à 5 minutes, dans la limite de trois [20].

5. Défibrillation électrique externe

En cas de fibrillation ventriculaire ou de tachyarythmie ventriculaire sévères, une défibrillation électrique est préconisée afin d’imposer un champ électrique visant à resynchroniser le potentiel de membrane de l’ensemble des cardiomyocytes. Une défibrillation externe ne doit être utilisée que dans ces situations particulières. En effet, la défibrillation est parfois délétère si elle est administrée lors d’arrêts associés à un rythme organisé (bradycardie, dissociation électromécanique, asystolie, etc.). À la différence de l’homme, les arrêts cardiaques associés à des rythmes choquables sont assez rares chez les carnivores domestiques [10, 17].

Lorsqu’elle est indiquée, la défibrillation électrique doit intervenir le plus tôt possible après le début de la RCP avancée, dès la détection du rythme choquable. Chez l’homme, des études ont démontré qu’une défibrillation précoce (dans les 3 à 4 premières minutes) est associée à une amélioration des chances de succès de la réanimation [23]. La défibrillation électrique doit être réalisée avec un défibrillateur délivrant un courant biphasique d’une puissance de 4 à 6 J/kg. En pratique, les palettes doivent être positionnées de part et d’autre du thorax, au niveau de l’articulation chondro-costale [7].

6. Antiarythmiques

En présence d’arrêts cardiaques associés à un rythme cardiaque choquable, l’administration d’anti­arythmiques a été aussi proposée en association avec la défibrillation électrique, afin d’accroître les chances de conversion en rythme sinusal. La seule molécule ayant prouvé son efficacité dans cette indication est l’amiodarone [13]. Cependant, cette molécule ne possède par d’autorisation de mise sur le marché vétérinaire et est réservée à l’usage hospitalier sous sa forme injectable. Les vétérinaires souhaitant l’utiliser doivent donc l’obtenir par commande directe au laboratoire. Il s’agit d’une molécule possédant des propriétés antiarythmiques liées à une action combinée sur les canaux potassiques et sodiques voltage-dépendants [26]. Expérimentalement, l’administration d’amiodarone permet d’améliorer les chances de RACS au cours d’un arrêt cardiaque chez le chien [1]. La lidocaïne, en tant qu’inhibiteur des seuls canaux sodiques voltage-dépendants, aurait des effets bénéfiques qui semblent moins bien démontrés [22]. Ainsi, les recommandations préconisent l’usage systématique d’amiodarone en présence d’un rythme choquable et après l’échec de la première tentative de défibrillation, à la dose de 5 mg/kg IV [20]. La lidocaïne peut être utilisée en seconde intention (à 2 mg/kg IV) si l’amiodarone n’est pas disponible ou en cas de résistance avérée aux défibrillations successives [7].

7. Antagonistes en cas de suspicion d’arrêt cardiaque d’origine iatrogène

Lors d’arrêt cardiaque survenant après une administration de molécules entraînant une dépression cardio-respiratoire, il peut être utile d’administrer divers produits capables d’antagoniser les agents anesthésiques concernés. Le seul antagoniste ayant spécifiquement été évalué dans ce contexte est la naloxone, en tant qu’antagoniste des récepteurs aux opiacés [27]. Le risque de toxicité étant très faible, la naloxone est recommandée systématiquement chez tous les animaux ayant reçu des opiacés avant l’arrêt cardiaque, à la dose de 0,04 mg/kg IV [8]. Pour des raisons similaires, il est préconisé d’administrer de l’atipamézole (100 µg/kg IV) en cas d’administration antérieure d’agents α2-agonistes ou de flumazénil (0,01 mg/kg IV) chez les animaux ayant reçu des benzodiazépines [7].

8. Corticoïdes

L’usage des corticoïdes a longtemps été recommandé dans la gestion des états de choc en médecine vétérinaire. Chez l’homme, cette administration n’est associée à aucun bénéfice après l’arrêt cardiaque [12]. Compte tenu des effets délétères potentiels chez les carnivores domestiques, leur usage n’est actuellement plus indiqué (voire contre-indiqué) dans cette indication [7].

9. Alcalinisation

L’arrêt cardiaque est rapidement associé à une situation d’acidose majeure, en raison de l’ischémie généralisée (encadré 2). Expérimentalement, l’administration de bicarbonates après un arrêt cardiaque prolongé chez le chien permet une amélioration de la survie en limitant les désordres acido-basiques et en rétablissant l’efficacité des catécholamines [14]. L’usage des bicarbonates est donc recommandé à la dose de 1 mmol/kg IV, lors d’arrêt cardiaque d’une durée supérieure à 10 minutes chez le chien [7].

10. Fluidothérapie

Contrairement à ce qui a longtemps été préconisé, l’administration massive de fluides est potentiellement délétère chez les animaux euvolémiques ou hypervolémiques en arrêt cardiaque [21]. La fluidothérapie augmente en effet la précharge cardiaque. Chez les animaux non hypovolémiques, cette précharge se traduit par une augmentation de la pression atriale droite qui réduit la pression de perfusion coronaire lors du massage cardiaque. La mise en place d’une perfusion au cours de la RCP n’est donc pas systématique, elle doit être réservée aux seuls animaux présentant une hypovolémie ou plus largement un déficit hydrique [7].

11. Voie d’administration des agents pharmacologiques

Les différents médicaments doivent être administrés par voie IV lors de la RCP, ou en cas d’impossibilité par voie intra-osseuse (IO) [7]. Une méthode alternative peut être l’administration intratrachéale (IT). Cette dernière a démontré sa faisabilité chez les animaux anesthésiés, mais aucune étude ne prouve sa pertinence au cours de l’arrêt cardiaque. De plus, des données pharmacocinétiques démontrent que cette voie ne peut être utilisée que pour l’adrénaline, la vasopressine ou l’atropine. En cas d’impossibilité d’usage de la voie IV ou IO, ces molécules peuvent alors être diluées dans du sérum physiologique et instillées dans la trachée, à l’aide d’un cathéter plus long que la sonde endotrachéale et placé à l’intérieur de celle-ci, afin d’être déposées sur la muqueuse. Il a été proposé de multiplier les quantités à administrer par 10 par rapport à la voie IV, mais peu de données valident réellement ces doses [7]. Les autres molécules utilisées lors d’arrêt cardiaque ne sont que très faiblement absorbées par voie IT et ne doivent être administrées que par voie IV ou IO [20].

SOINS POST­RÉANIMATION

Une réanimation réussie est loin d’être l’assurance d’une survie à terme. En effet, le taux de mortalité reste élevé dans les premiers jours en raison, entre autres, du double effet ischémie-reperfusion généralisé. L’apparition de ce syndrome impose le maintien d’une ventilation assistée, un support cardiovasculaire et une neuroprotection autant que nécessaire.

Conclusion

Un arrêt cardiaque chez des carnivores domestiques est d’un pronostic sombre, même en cas de réanimation précoce. Les arrêts peranesthésiques représentent les principales situations où la survie peut être améliorée avec un contexte de soins prévoyant des moyens de réanimation. Avec des recommandations et depuis la gestion initiale de l’arrêt jusqu’à l’optimisation des soins postarrêt, le vétérinaire se fait tour à tour urgentiste et réanimateur.

Références

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Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
arrêt cardiaque, arrêt respiratoire ou arrêt cardio-respiratoire ?

L’arrêt cardiaque (ou arrêt circulatoire) se définit par une cessation brutale et complète du débit cardiaque résultant d’une dysfonction de la pompe circulatoire cardiaque. L’arrêt respiratoire, correspond à une interruption spécifique de la respiration. D’une durée variable, l’arrêt respiratoire peut aller de la simple apnée de quelques secondes (lors de l’induction de l’anesthésie, par exemple) à plusieurs minutes. Dans les cas les plus graves, l’arrêt respiratoire peut être à l’origine d’un arrêt cardiaque si l’hypoxémie induite se prolonge pendant plus de 3 à 5 minutes (arrêt cardiaque de cause respiratoire). À l’inverse, l’arrêt cardiaque est systématiquement accompagné d’un arrêt respiratoire, en raison de l’hypoxie des centres respiratoires. Ainsi, la distinction entre un arrêt cardiaque et un arrêt respiratoire doit absolument être réalisée afin d’adapter en conséquence la prise en charge et le pronostic qui diffèrent sensiblement entre ces deux urgences vitales. C’est aussi la raison pour laquelle le terme d’“arrêt cardiaque” est maintenant préféré à l’ancienne dénomination d’“arrêt cardio-respiratoire”.

Points forts

→ L’identification précoce d’un arrêt cardiaque par la perte de conscience, la perte de pouls et l’absence de mouvements respiratoires est la clé d’une gestion optimale de cette urgence absolue.

→ La réanimation cardio-pulmonaire doit débuter le plus rapidement possible par des compressions thoraciques (massage cardiaque), de manière à assurer une perfusion minimale des organes vitaux.

→ Une ventilation avec de l’oxygène doit être mise en place dans la foulée, idéalement après avoir intubé l’animal.

→ Selon la nature et l’origine de l’arrêt cardiaque, la réanimation cardio-pulmonaire peut nécessiter, en plus, l’administration d’adrénaline, d’atropine, de chocs électriques et/ou d’antiarythmiques.

ENCADRÉ 2
Soins postarrêt cardiaque

En cas de succès initial de la réanimation cardio-pulmonaire, de nombreux animaux meurent dans les jours suivant l’arrêt cardiaque. L’origine est un “syndrome postarrêt cardiaque” caractérisé par une dysfonction multiviscérale, et notamment neurologique et cardiaque, consécutive à l’ischémie-reperfusion généralisée. Les soins ont alors trois finalités principales : Optimiser la ventilation, stabiliser la fonction cardiovasculaire et limiter l’atteinte neurologique.

→ Ventilation

Les animaux réanimés après un arrêt cardiaque présentent très souvent une absence de respiration spontanée qui impose une ventilation artificielle. L’objectif est de maintenir une concentration de CO2 expirée (EtCO2) comprise respectivement entre 37 et 58 mmHg chez le chien et entre 31 et 41 mmHg chez le chat. La quantité d’oxygène à administrer doit aussi être ajustée pour obtenir une pression partielle artérielle sanguine en O2 d’environ 80 à 100 mmHg, ce qui correspond à une saturation pulsée en O2 (SpO2) comprise entre 94 et 98 %. Après un arrêt cardiaque, une hyperoxie peut être tout aussi délétère qu’une hypoxie.

→ Support cardiovasculaire

L’altération résiduelle de la fonction cardiaque nécessite des soins permettant de normaliser la pression artérielle entre 80 et 100 mmHg. Chez les animaux hypovolémiques, une fluidothérapie peut être envisagée. Chez les normovolémiques, l’administration de vasopresseurs ou d’inotropes est indispensable.

→ Neuroprotection

Concernant la gestion symptomatique de la dysfonction neurologique, il est recommandé d’administrer du phénobarbital pour prévenir d’éventuelles convulsions et du mannitol en cas d’œdème cérébral et/ou d’hypertension intracrânienne. Le seul traitement ayant démontré un réel bénéfice neurologique chez l’homme est l’hypothermie thérapeutique. Cette stratégie consiste à abaisser la température de l’organisme entre 32 et 34 °C pour limiter la mort neuronale. Cette hypothermie thérapeutique n’a jamais été testée en médecine vétérinaire. Elle semble possible. Dans ce cas, l’hypothermie doit être maintenue pendant 24 à 48 heures chez des animaux placés sous ventilation mécanique. Le réchauffement doit être très lent (< 1 °C par heure) et assujetti à une surveillance cardio-respiratoire étroite.

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