Mécanisme d’action des anti-inflammatoires non stéroïdiens et physiopathogénie de leurs effets secondaires - Le Point Vétérinaire n° 363 du 01/03/2016
Le Point Vétérinaire n° 363 du 01/03/2016

PHARMACOLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Christophe Hugnet

Fonctions : Clinique vétérinaire des Lavandes
BP 54
26160 La Bégude-de-Mazenc

Incontournables dans la pratique quotidienne vétérinaire, les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne?sont pas dénués d’effets indésirables, qui découlent directement de leur mode d’action.

Les anti-inflammatoires sont des médicaments dont l’usage est devenu quotidien en médecine vétérinaire. La nécessaire prise en compte du bien-être animal conduit à une augmentation des prescriptions de cette classe thérapeutique. La diminution des processus inflammatoires peut permettre non seulement une récupération plus rapide de l’appétit, de l’abreuvement et des grandes fonctions biologiques altérées par un processus morbide, mais également un recours limité aux anti-infectieux ou, du moins, une réduction de la durée d’exposition à ces molécules (photo 1). Le corollaire de l’efficacité indéniable de ces anti-inflammatoires est la possibilité d’apparition d’effets indésirables dont la gravité et la fréquence dépendent de nombreux facteurs tels que la durée d’exposition, la voie d’administration, l’état physiologique des animaux traités, les interactions médicamenteuses, etc.

1 Sélectivité des anti-inflammatoires non stéroïdiens

Actuellement sur le marché vétérinaire, deux grandes familles d’anti-inflammatoires coexistent : les anti-inflammatoires stéroïdiens (AIS) et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).

À l’instar de ce qui est observé chez l’homme, les AINS exposent les carnivores domestiques à de nombreux effets secondaires, indésirables, en particulier lors de l’administration prolongée requise pour la prise en charge d’une affection ostéo-articulaire chronique telle que l’arthrose (photo 2). L’usage au long cours de cette classe thérapeutique conduit à la survenue potentielle d’effets secondaires plus ou moins graves qui semblent corrélés à la sélectivité d’action de ces AINS. Les AINS COX-2 sélectifs ont ainsi été développés afin de limiter certains de ces effets indésirables.

Mode d’action des AINS

Les AINS agissent, entre autres, en inhibant l’action des cyclo-oxygénases (COX-1 et COX-2), isoformes d’enzymes qui participent au métabolisme de l’acide arachidonique, ce qui conduit à la production de prostaglandines, dont :

– des prostaglandines “physiologiques”, protectrices des muqueuses, ou participant au maintien de l’hémostase et de la régulation du débit sanguin rénal, par exemple (sous dépendance COX-1) ;

– des prostaglandines inflammatoires (sous dépendance COX-2, inductible par les cytokines pro-inflammatoires et interférons). La thromboxane A2 et la prostacycline sont des prostanoïdes thrombo-actives (figure).

Ainsi, l’action anti-inflammatoire des AINS résulte de cette inhibition principalement des COX-2, conduisant à la réduction de synthèse de prostaglandines pro-inflammatoires à partir de phospholipides membranaires. Conceptuellement, il était envisagé que les AINS COX-2 sélectifs puissent apporter une efficacité optimale sans effets secondaires, tant chez l’homme que chez l’animal. Néanmoins, des effets indésirables majeurs sont observés, y compris avec les COX-2 sélectifs. Les accidents cardio-circulatoires (infarctus du myocarde) ont eu raison de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du rofécoxib (Vioxx®) en thérapeutique humaine.

De plus, le concept de sélectivité COX-1/COX-2 procède de plusieurs modes de détermination, qui ne signifient pas la même chose, mais souvent détournés pour un usage marketing.

Sélectivité COX-1/COX-2

Un AINS COX-2 devrait présenter des concentrations plasmatiques en AINS nécessaires pour inhiber l’activité de COX-2 plus faibles que les concentrations requises pour inhiber l’activité de COX-1. De même, à une même concentration plasmatique, l’activité de COX-2 est théoriquement plus inhibée que celle de COX-1.

Afin de caractériser le statut des molécules vis-à-vis de l’action sur les COX-1 et COX-2, la sélectivité peut être déterminée par la concentration inhibitrice 50 % (CI50) ou 80 % (CI80) in vitro [3]. Le ratio de sélectivité d’activité COX-1/COX-2 peut différer selon qu’est retenue la CI50 ou la CI80. Cette approche conduit à la distinction de quatre groupes : inhibiteurs COX-1 préférentiels, inhibiteurs COX-1-COX-2, inhibiteurs COX-2 préférentiels et inhibiteurs COX-2 sélectifs.

Cette détermination n’a pas toujours été réalisée dans l’espèce cible, alors que des différences interspécifiques existent, voire révèlent des contradictions [8, 9]. De plus, le support cellulaire de la détermination in vitro conduit parfois à des résultats divergents. En effet, les répartitions tissulaires des COX-1 et COX-2 sont différentes et non présentes en même temps dans les mêmes proportions. Ainsi, les COX-2 du tube digestif (depuis l’estomac jusqu’au côlon), des poumons, reins, ovaires et foie seraient principalement exprimées après des stimuli inflammatoires (dont les processus néoplasiques) ; il s’agit du concept de COX-2 inductibles. Dans ces mêmes organes et tissus, les COX-1 sont toujours exprimées. Enfin, la sélectivité COX-1/COX-2 est souvent distincte entre les énantiomères (dextrogyres R, lévogyres S).

De plus, des AINS considérés comme COX-2 préférentiels ne présentent pas de caractère sélectif in vivo. Les concentrations maximales postadministration aux doses des AMM conduisent au blocage simultané ou concomitant des iso-enzymes COX-1 et COX-2. Cependant, quelle que soit la sélectivité, tous les AINS doivent inhiber l’activité de COX-2 et la synthèse de prostaglandines. Ils possèdent donc tous une activité anti-inflammatoire similaire quelle que soit la sélectivité, dès lors que la détermination de la dose en rapport avec l’efficacité attendue a été conduite selon les critères actuels des lignes directrices (photo 3).

Démarche PK/PD

Les modèles analytiques selon la démarche pharmacocinétique/pharmacodynamique (PK/PD) appliqués aux AINS (les plus anciens tout particulièrement) peuvent conduire à une détermination de dose efficace limitant les effets secondaires, parfois divergente de la dose et du schéma posologique validés par l’AMM (en particulier lorsque ces AMM ont été octroyées avant l’avènement des modèles analytiques PK/PD).

Afin de limiter les effets secondaires d’un AINS, la modélisation PK/PD conduit à retenir le ratio CI20 COX-1/CI80 COX-2 comme élément prédictif pertinent. Avec ce ratio, le caractère COX-2 sélectif diffère significativement de celui déterminé par le ratio CI50 COX-1/CI50 COX-2. Cette démarche pourrait conduire à un schéma thérapeutique différent visant à une efficacité optimale et à une diminution des effets secondaires (tableau).

De plus, il est possible d’établir via ces modèles une dose différente selon les effets recherchés : activité antipyrétique et activité analgésique, par exemple (photo 4).

2 Physiopathogénie des effets secondaires observés

Signes digestifs

Les effets secondaires dominants chez les carnivores domestiques sont digestifs : vomissements, diarrhées, méléna [2, 5, 7, 10, 11]. Ils sont les principales causes d’interruption thérapeutique. Les lésions muqueuses provoquées par l’exposition aux AINS peuvent conduire à l’apparition d’ulcères perforants gastriques et duodénaux. Plus rarement, d’autres portions digestives sont touchées.

Ces signes digestifs résultent de l’action COX-1 inhibant les prostaglandines (PGE2 en particulier) digestives protectrices des muqueuses digestives, mais également de l’action locale directe des acides que sont les AINS, dès lors qu’ils sont administrés par voie orale. Le mucus gastrique est le principal mécanisme protecteur gastrique contre l’hyperacidité locale : la synthèse du mucus et la sécrétion des bicarbonates sont stimulées par les prostaglandines (action vaso-active en particulier). L’inhibition des COX-2 induit un retard à la cicatrisation des lésions muqueuses digestives.

Lésions rénales

Les COX-1 et surtout les COX-2 (fortement exprimées dans certains compartiments rénaux) participent à la régulation du débit sanguin de perfusion rénal ainsi qu’à la modulation de la fonction tubulaire via les prostaglandines PGE2 et PGI2 (action vasodilatatrice).

Par principe de précaution fondé sur la physiopathogénie et le mécanisme d’action des AINS, il est contre-indiqué de les administrer à des animaux en situation d’hypovolémie (observée entre autres lors de déshydratation ou de prescription conjointe de diurétiques) ou exposés à des substances néphrotoxiques (comme les aminosides). Le maintien d’une homéostasie rénale optimale via des perfusions est alors nécessaire pour envisager une administration d’AINS. Les animaux présentant une insuffisance rénale chronique doivent être particulièrement contrôlés lors d’administration d’AINS [6].

Troubles de l’hémostase

Les troubles de l’hémostase liés à une altération fonctionnelle des plaquettes sont rares. L’action inhibitrice sur les COX-1 exprimées par les plaquettes conduit à une diminution de synthèse des thrombaxanes A2 (participant à l’agrégation plaquettaire), induisant alors une possible augmentation des temps de saignement. L’action inhibitrice sur les COX-2 conduit à une diminution de synthèse des prostaglandines PGI2, modulant les interactions thrombocytes/parois des vaisseaux sanguins, limitant la réponse aux thrombaxanes. Les conséquences cliniques dépendant alors des équilibres thromboxanes/prostaglandines, mais également des spécificités de l’organisme traité (maladies intercurrentes en particulier) : hypocoagulabilité ou hypercoagulabilité sont possibles. Tous les AINS peuvent induire ce type de modifications, dont la gravité varie selon l’AINS, la durée d’exposition, l’individu traité et les affections intercurrentes [1].

Réaction allergique

Le risque de réaction allergique existe toujours lors d’administration chez l’animal, quel que soit le médicament utilisé. La réaction immunitaire peut être dirigée contre le principe actif ou l’un des composants (excipients, par exemple) de la spécialité prescrite.

Cas de la gestation

Bien que les effets sur la gestation ne soient que rarement documentés dans les résumés des caractéristiques du produit des AINS vétérinaires, ceux à destination des carnivores domestiques sont soit contre-indiqués durant la gestation, voire la lactation, soit non recommandés pendant ces périodes (photo 5). Très peu de données ont été publiées sur les effets secondaires durant la gestation chez les carnivores domestiques.

Cependant, chez la femme, l’administration d’AINS, y compris COX-2 sélectifs, même par voie cutanée, est contre-indiquée à partir de 6 mois de grossesse. « En effet, ils sont responsables d’une toxicité fœtale et néonatale grave, voire fatale : mort fœtale in utero , mort néonatale, atteintes rénales et/ou cardio-pulmonaires néonatales.

Ces atteintes sont consécutives à une inhibition de synthèse des prostaglandines fœtales due aux AINS pris par la mère. En effet, tous les AINS (y compris l’aspirine lorsque la posologie est supérieure ou égale à 500 mg/j et les inhibiteurs de COX-2) sont des inhibiteurs de synthèse des prostaglandines. La toxicité fœtale induite par la prise maternelle d’AINS, en particulier à partir de 24 semaines d’aménorrhée, consiste essentiellement en des vasoconstrictions cardio-pulmonaire et rénale fœtales.

La constriction du canal artériel in utero peut provoquer :

– une mort fœtale in utero liée à la constriction complète et brutale du canal artériel, même lors de prises très brèves, voire en prise unique, à posologie usuelle. Le risque est d’autant plus important que la prise est proche du terme. En effet, le canal artériel est maintenu ouvert pendant toute la vie fœtale grâce à une prostaglandine vasodilatatrice dont la sécrétion augmente en fin de grossesse ;

– une insuffisance cardiaque droite fœtale avec hypertension artérielle pulmonaire liée à la constriction partielle du canal artériel dont l’évolution peut être mortelle chez le nouveau-né.

La toxicité rénale, parfois irréversible, se traduit par une diminution du liquide amniotique chez le fœtus (oligo­amnios ou anamnios) et une insuffisance rénale chez le nouveau-né. »(1).

En médecine vétérinaire, seule la pharmacovigilance et donc la participation de tous les prescripteurs permettront de déterminer si de tels effets secondaires existent lors d’administration durant la gestation des chiennes et chattes.

Conclusion

Les éléments bibliographiques semblent confirmer que le caractère COX-2 sélectif n’est prédictif ni d’une meilleure tolérance ni d’une meilleure efficacité que ce soit chez l’animal de compagnie ou chez l’homme. La surveillance des effets secondaires par des examens cliniques réguliers et des contrôles biologiques des paramètres rénaux (créatininémie en particulier) est indispensable, tout comme l’éducation des propriétaires à la vigilance et à la détection des principaux signes cliniques délétères. Selon une étude récemment publiée, les effets indésirables apparaissent généralement après 14 à 30 jours de traitement, avec quelques cas décrits dès la première exposition [2]. La spécificité COX-2 relève plus d’un concept marketing que d’une réalité thérapeutique tant chez l’homme que chez l’animal. Leur prescription expose également à un risque d’effets secondaires, y compris digestifs, qui pourraient même être plus fréquents qu’avec les anciens AINS non sélectifs [2].

  • (1) Lettre aux professionnels de santé, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), février 2009.

Références

  • 1. Brainard BM, Meredith CP, Callan MB et coll. Changes in platelet function, hemostasis, and prostaglandin expression after treatment with nonsteroidal anti-inflammatory drugs with various cyclooxygenase selectivities in dogs. Am. J. Vet. Res. 2007;68(3):251-257.
  • 2. Hunt JR, Dean RS, Davis GN et?coll. An analysis of the relative frequencies of reported adverse events associated with NSAID administration in dogs and cats in the United Kingdom. Vet. J. 2015;206(2):183-190.
  • 3. Kay-Mugford P, Benn SJ, LaMarre J et coll. In vitro effects of nonsteroidal anti-inflammatory drugs on cyclooxygenase activity in dogs. Am. J. Vet. Res. 2000;61(7):802-810.
  • 4. King JN, Rudaz C, Borer L et coll. In vitro and ex vivo inhibition of canine cyclooxygenase isoforms by robenacoxib: a comparative study. Res. Vet. Sci. 2010;88(3):497-506.
  • 5. Lascelles BD, Blikslager AT, Fox SM et coll. Gastrointestinal tract perforation in dogs treated with a selective cyclooxygenase-2 inhibitor: 29 cases (2002-2003). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;227(7):1112-1117.
  • 6. Lomas AL, Grauer GF. The renal effects of NSAIDs in dogs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2015;51(3):197-203.
  • 7. Monteiro-Steagall BP, Steagall?PV, Lascelles BD. Systematic review of nonsteroidal anti-inflammatory drug-induced adverse effects in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2013;27(5):1011-1019.
  • 8. Streppa HK, Jones CJ, Budsberg SC. Cyclooxygenase selectivity of nonsteroidal anti-inflammatory drugs in canine blood. Am. J. Vet. Res. 2002;63(1):91-94.
  • 9. Wilson JE, Chandrasekharan NV, Westover KD et coll. Determination of expression of cyclooxygenase-1 and -2 isozymes in canine tissues and their differential sensitivity to nonsteroidal anti-inflammatory drugs. Am. J. Vet. Res. 2004;65(6):810-818.
  • 10. Wooten JG, Blikslager AT, Marks SL et coll. Effect of nonsteroidal anti-inflammatory drugs with varied cyclooxygenase-2 selectivity on cyclooxygenase protein and prostanoid concentrations in pyloric and duodenal mucosa of dogs. Am. J. Vet. Res. 2009;70(10):1243-1249.
  • 11. Wooten JG, Lascelles BD, Cook VL et coll. Evaluation of the relationship between lesions in the gastroduodenal region and cyclooxygenase expression in clinically normal dogs. Am. J. Vet. Res. 2010;71(6):630-635. Éric Fresnay,Sylviane Laurentie,Jean-Pierre Orand

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