Exérèse d’un sarcome des tissus mous chez un chien : application de l’imagerie par fluorescence peropératoire - Le Point Vétérinaire expert canin n° 363 du 01/03/2016
Le Point Vétérinaire expert canin n° 363 du 01/03/2016

CANCÉROLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Quentin Cabon*, David Sayag**, Claude Carozzo***, Frédérique Ponce****

Fonctions :
*Service de chirurgie
**Service de cancérologie, unité de pathologie
médicale des animaux de compagnie
VetAgro Sup
1, avenue Claude-Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
***Service de chirurgie
****Service de cancérologie, unité de pathologie
médicale des animaux de compagnie
VetAgro Sup
1, avenue Claude-Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile

L’utilisation de l’image par fluorescence peropératoire décrite dans ce cas pourrait à l’avenir compléter le scanner et l’examen d’imagerie par résonance magnétique préopératoires lors de l’exérèse de divers sarcomes.

Les sarcomes des tissus mous canins représentent un groupe de tumeurs d’origine mésenchymateuse qui partagent des caractéristiques histologiques et biologiques similaires. Ils sont généralement considérés comme des tumeurs à croissance relativement lente, invasives localement, mais dont le potentiel métastatique reste faible à modéré. Dans ce groupe sont retrouvés les fibrosarcomes, les tumeurs de la gaine nerveuse périphérique, les hémangiopéricytomes, les liposarcomes, les myxosarcomes et les sarcomes indifférenciés [6, 8, 14].

La prise en charge des sarcomes des tissus mous passe par la confirmation cytologique ou histologique de l’hypothèse tumorale et la réalisation d’un bilan d’extension. Ce dernier nécessite le plus souvent un examen tomo­densitométrique, afin d’évaluer l’invasion locorégionale de la tumeur pour planifier l’intervention chirurgicale, ainsi que la dissémination métastatique à distance. La pierre angulaire de la prise en charge thérapeutique des sarcomes des tissus mous est l’exérèse chirurgicale complète afin de limiter le risque de récidive locale [1, 5, 14, 16]. Toutefois, la distinction entre extension tumorale et tissu sain est parfois difficile lors de l’opération, ce qui peut conduire à des exérèses incomplètes. L’analyse extemporanée des zones suspectes est techniquement faisable, mais peu réalisée en médecine vétérinaire car elle est chronophage et exigeante en ce qui concerne les disponibilités humaine et technique. De nouvelles méthodes de nanomédecine font leur apparition en médecines humaine et vétérinaire, dont l’imagerie par analyse de fluorescence qui permet de visualiser et de suivre des molécules fluorescentes injectées dans un organisme [7, 11, 12, 24]. Celles-ci marquent le tissu tumoral, facilitant ainsi la distinction entre la tumeur et le tissu sain pour obtenir une exérèse chirurgicale complète.

Ce cas clinique illustre l’apport de l’imagerie par fluorescence dans l’exérèse carcinologique des tumeurs chez le chien, à l’aide d’un nouveau marqueur expérimental, le Liplmage 815®.

CAS CLINIQUE

Une chienne stérilisée de race scottish-terrier âgée de 14 ans est présentée en consultation de cancérologie pour investiguer une masse sous-cutanée en regard du coude gauche, apparue 17 mois auparavant.

1. Examen clinique initial

À l’examen clinique, l’animal est alerte et en bon état général. Une tachycardie modérée (160 battements par minute) est notée, associée à un pouls fémoral irrégulier de manière intermittente, symétrique et synchrone aux battements cardiaques. Un souffle cardiaque holosystolique apexien gauche de grade 4/6 est audible. L’auscultation pulmonaire est normale. À la palpation de l’abdomen, une hépatomégalie est suspectée. L’examen cutané met en évidence une masse sous-cutanée à base étroite, mobilisable et non douloureuse de 7 cm de diamètre, en regard de la face latérale du coude gauche (photo 1).

2. Hypothèses diagnostiques

Plusieurs hypothèses diagnostiques concernant la masse sous-cutanée, l’arythmie cardiaque et le souffle cardiaque peuvent être présentées (tableau).

3. Examens complémentaires

Cytoponction à l’aiguille fine

Une cytoponction à l’aiguille fine de la masse sous-cutanée est réalisée sous contrôle échographique. L’examen cytologique ne permet pas d’établir un diagnostic, en raison du faible contingent cellulaire présent sur les prélèvements. Cela peut être expliqué par la nature de la masse ou par une erreur technique, peu probable en raison du contrôle échographique. Les tumeurs mésenchymateuses, telles que les sarcomes des tissus mous, exfolient peu de cellules lors de cytoponction, à l’inverse des tumeurs à cellules rondes (les mastocytomes, par exemple), des tumeurs épithéliales, des abcès, des hématomes ou des granulomes. Le faible nombre de cellules présentes sur les lames de cytoponction oriente ainsi vers une tumeur mésenchymateuse.

Afin d’obtenir un diagnostic préopératoire de certitude, nécessaire pour déterminer l’approche chirurgicale la plus adaptée, des biopsies par aiguille Tru-cut® sous anesthésie générale sont planifiées.

Bilan préanesthésique

Afin de préparer au mieux l’anesthésie et en raison des anomalies décelées à l’examen clinique, un bilan hémato-biochimique, ainsi qu’une analyse urinaire, un électro­­cardiogramme, une échocardiographie et des radiographies thoraciques sont réalisés.

La numération et la formule sanguines ne montrent aucune anomalie significative. Le bilan biochimique (créatinine, protéines totales, albumine, glucose, phosphatase alcaline et alanine-transférase [Alat]) met en évidence une élévation significative des Alat (232 UI/l, valeur usuelle < 80 UI/l) compatible avec des dommages hépatocellulaires.

Les résultats de l’analyse d’urine ne sont pas remarquables.

Les radiographies thoraciques montrent une opacification broncho-interstitielle modérée à marquée, avec une cardiomégalie sans signe de décompensation cardiaque (photo 2).

La pression artérielle systémique est de 150 mmHg, dans les limites supérieures de la normale.

L’électrocardiogramme met en évidence un rythme sinusal avec une présence de blocs atrioventriculaires du troisième degré. Un test à l’atropine est pratiqué, qui se révèle positif, ce qui exclut l’hypothèse d’une maladie du sinus. Une échocardiographie montre une maladie dégénérative de la valve mitrale. Cette atteinte est modérée, de stade 2b selon la classification du Collège américain de médecine interne vétérinaire (American College of Veterinary Internal Medicine, ou Acvim) et associée à une hypertension pulmonaire marquée (57 mmHg).

Biopsies à l’aiguille Tru-cut®

Devant l’ensemble de ces résultats, l’animal est évalué au niveau 3 de la Société américaine d’anesthésiologie, ou ASA 3 (score de 1 à 5 qui permet d’évaluer le risque anesthésique). Un protocole anesthésique associant du butorphanol (0,2 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) et de l’étomidate (1 mg/kg, IV) est administré après une oxygénation préanesthésique de 15 minutes. Sept biopsies sont réalisées dans la zone périphérique de la masse.

Diagnostic histopathologique

L’examen histopathologique à l’aide d’une coloration hémalun-éosine montre une néoformation constituée de petites cellules fusiformes d’architecture variable, ainsi qu’une grande densité de capillaires sanguins. Les atypies cytonucléaires sont très peu marquées et l’index mitotique est faible (4 pour 10 champs à l’objectif 40).

Un diagnostic de tumeur à petites cellules fusiformes de grade I selon le grading de Trojani évoquant une tumeur à cellules nerveuses des parois vasculaires est établi.

Bilan d’extension

L’examen tomodensitométrique de l’ensemble du corps, réalisé dans le cadre du bilan d’extension, précise les contours de la masse sous-cutanée observée à l’examen clinique, en regard de l’avant-bras du membre thoracique (photos 3 et 4). Aucune lésion osseuse n’est observée au niveau de la tumeur. Les nœuds lymphatiques locorégionaux (axillaire et préscapulaire) ne présentent pas d’adénomégalie ni d’augmentation de la prise du contraste. Aucune métastase intrathoracique et/ou intra-abdominale n’est mise en évidence.

4. Diagnostics clinique et histologique

L’analyse histologique conclut à un sarcome des tissus mous bien différencié et de bas grade selon Trojani, de stade clinique 1b (T2aN0M0, T représentant la tumeur initiale, N, les nœuds lymphatiques, et M, les métastases à distance), c’est-à-dire une masse de plus de 5 cm de diamètre en région superficielle, sans métastases locorégionales ou à distance [3]. Face au bon état général de l’animal et à une tumeur de bas grade localisée, une exérèse chirurgicale est recommandée.

5. Traitement chirurgical

Une injection de LipImage 815®, un marqueur tumoral fluorescent dans le proche infrarouge (815 nm), est effectuée par voie intraveineuse (2,8 nmol/kg) 48 heures avant l’intervention chirurgicale programmée. Elle représente un volume de 4 ml, pour une dilution au 50e du LipImage 815®. L’injection est réalisée lentement, sur 2 à 3 minutes, à l’aide d’un cathéter placé dans une veine céphalique. L’animal est gardé sous observation jusqu’à la fin de la procédure.

Exérèse chirurgicale du sarcome guidée par fluorescence peropératoire

L’anesthésie générale est réalisée à l’aide d’une prémédication au butorphanol (0,2 mg/kg, IV), suivie d’une induction à l’étomidate (1 mg/kg, IV). Un relais gazeux au sévoflurane dans 100 % d’oxygène est ensuite mis en place après intubation endotrachéale. Une perfusion à débit constant de morphine (0,2 mg/kg/h) est employée pour gérer la douleur péri-opératoire. Une antibio­prophylaxie est réalisée à l’aide de céfalexine, 30 minutes avant l’incision cutanée puis toutes les 90 minutes (30 mg/kg, IV).

Le membre thoracique gauche est préparé chirurgicalement. Une première acquisition d’images est réalisée avec la caméra laser (photo 5). Celle-ci permet d’objectiver la fluorescence tumorale, et d’observer une différence de signal entre la tumeur et le tissu cutané supposé sain au pourtour. Une incision cutanée est pratiquée avec des marges latérales de 2 cm au pourtour de la masse, tout en s’assurant que cette ouverture reste à l’extérieur des zones de fluorescence tumorale. La dissection est poursuivie dans le plan profond de manière à effectuer une résection en bloc (photo 6). Le fascia antébrachial est incisé selon les mêmes marges latérales que le plan cutané. Lors de la dissection du plan profond, une infiltration tumorale est suspectée dans le rameau sensitif du nerf radial. Une nouvelle acquisition d’images de fluorescence, ciblée sur ce nerf, permet d’y observer une fluorescence plus marquée que dans les tissus sains environnants. Ce rameau nerveux est alors retiré après analgésie par une injection intraneurale de bupivacaïne à 1 mg/kg. Une troisième série d’acquisition d’images par la caméra laser est alors effectuée pour caractériser la nature du plan profond et vérifier l’éventuelle persistance de cellules tumorales. Une fluorescence douteuse est observée dans le chef latéral du muscle triceps brachial, plus marquée que dans les tissus sains environnants, et cette zone est excisée en même temps que la tumeur. La tumeur est retirée en bloc. Une quatrième et dernière acquisition d’images est réalisée au niveau du site chirurgical, une fois la tumeur retirée (photo 7). L’absence de fluorescence significative persistante permet de considérer l’exérèse chirurgicale comme complète.

Suture de la plaie

Après un rinçage abondant du site chirurgical et un changement d’instruments, la plaie est reconstruite à l’aide d’une plastie du pli axillaire, associée à un lambeau d’avancement cutané provenant des régions scapulaire et thoraco-dorsale. Des points de rapprochement sous-cutané sont réalisés à l’aide d’un monofilament résorbable décimale 3, afin de limiter les tensions cutanées, puis un surjet sous-cutané est effectué à l’aide d’un monofilament résorbable décimale 2 au niveau du site donneur du lambeau d’avancement. La plastie est terminée à l’aide de points simples cutanés avec un monofilament irrésorbable décimale 2.

Soins postopératoires

En phase postopératoire, le coude est maintenu en extension et l’épaule en flexion, à l’aide de bandes Velcro placées sur l’extrémité du membre, ainsi qu’au pourtour du thorax. Un pansement collé non adhérent est ensuite apposé sur les plaies. Le traitement post­opératoire consiste principalement en une gestion de l’analgésie (perfusion à débit constant de morphine à 0,1 mg/kg/h pendant 12 heures, puis administration de tramadol par voie orale à 5 mg/kg, deux fois par jour pendant 10 jours). Une vérification quotidienne de la plaie et un nettoyage à l’aide de chlorhexidine sont par la suite effectués. La chienne est rendue à son propriétaire 6 jours après l’intervention chirurgicale, le bandage Velcro ayant été retiré.

6. Résultat de l’analyse histopathologique et interprétation postopératoire des résultats de fluorescence

L’analyse histopathologique de la masse retirée conclut à une tumeur des gaines nerveuses, appartenant au complexe des sarcomes des tissus mous. L’analyse des marges confirme l’exérèse complète. Les tissus suspects cliniquement (branche du nerf radial et chef latéral du muscle triceps brachial) et qui ont présenté une fluo­rescence plus marquée que les tissus sains environnants sont également analysés : leur envahissement tumoral est confirmé.

Dans ce cas clinique, les résultats de l’analyse histologique concordent donc avec ceux de l’analyse peropératoire de la fluorescence tumorale. Cette évaluation peropératoire a précisé l’“agressivité” du geste chirurgical par rapport à ce qui avait été planifié en phase préopératoire d’après les images du scanner, notamment en ce qui concerne la marge profonde. La tumeur semblait en effet bien encapsulée et cette infiltration musculaire n’était pas suspectée.

7. Suivi postopératoire

Une nécrose superficielle de l’extrémité du lambeau cutané apparaît 1 semaine après l’intervention chirurgicale, qui est prise en charge par cicatrisation par seconde intention (photo 8). Cette complication postopératoire est traitée avec une couche de contact de type hydrogel (Intrasite Gel®(1)) et un pansement absorbant non adhérent (Allevyn®(1)), maintenus en place par des bandes cotonnées, des bandes crêpe et des bandes cohésives élastiques. Les changements de pansement sont quotidiens, puis bihebdomadaires. La cicatrisation complète de la peau est observée 6?semaines après l’intervention chirurgicale.

Au suivi à 6 mois, aucune récidive locale de la tumeur n’est observée et aucune autre complication chirurgicale n’a été rencontrée. La chienne meurt 8 mois après l’opération, à la suite d’une décompensation de sa maladie cardiaque, sans que l’autopsie soit autorisée par le propriétaire.

DISCUSSION

1. Déterminer une approche chirurgicale adaptée

Les sarcomes des tissus mous sont des tumeurs sous­cutanées fréquentes en pratique quotidienne, dont la gestion thérapeutique est parfois un véritable défi. Leur traitement implique une exérèse chirurgicale large, avec des marges latérales de 2 à 3 cm et un plan profond, tel qu’un fascia [6, 15]. Une ablation incomplète du sarcome s’accompagne d’une augmentation du risque de récidive locale de la tumeur, ainsi que d’une diminution de l’espérance de vie de l’animal [5, 14, 16]. Toutefois, il semble que le grade tumoral soit un facteur prépondérant dans le risque de rechute postopératoire. Ainsi, certains auteurs avancent le fait que les sarcomes des tissus mous de bas grade histologique peuvent être abordés selon une approche plus conservatrice, par exérèse marginale de la tumeur, avec un faible risque de récidive [2]. Néanmoins, une étude récente a montré un désaccord majeur (impact sur le pronostic ou les modalités de traitement) entre deux analyses histologiques portant sur le même prélèvement dans 37 % des cas [21]. Cette discordance concerne principalement le grade tumoral ou le statut des marges après exérèse [21]. Une excision large, y compris dans les cas de sarcomes de bas grade histologique, est donc recommandée afin de limiter le risque de récidive qui pourrait notamment découler d’une erreur dans l’évaluation préopératoire du grade.

L’objectif d’une intervention chirurgicale est d’obtenir des marges tumorales saines, tout en minimisant l’excision de tissu sain, de manière à faciliter la reconstruction cutanée. Un examen d’imagerie de désuperposition (tomodensitométrie ou imagerie par résonance magnétique [IRM]) est désormais reconnu comme fondamental dans la prise en charge des sarcomes des tissus mous chez le chien. Il permet, en effet, d’étudier les rapports anatomiques de la tumeur et son caractère invasif, parfois mal corrélé à la suspicion clinique, alors qu’il s’agit du principal facteur ayant un impact sur son exérèse complète. Le chirurgien est ainsi en mesure de prévoir les plans à retirer, ce qui optimise la première intervention chirurgicale, associée à une meilleure chance d’excision complète que les reprises d’opération.

Dans certaines localisations où la peau environnante est difficilement mobilisable, telles que la tête ou les membres, le chirurgien et le cancérologue sont soumis à un choix qui peut se révéler difficile, notamment en présence de sarcomes de grade élevé, entre une exérèse large associée à une reconstruction, parfois compliquée, ou une exérèse marginale, avec un risque de récidive locale. L’exérèse marginale peut également être planifiée, en association avec un traitement de radiothérapie, pour permettre une fermeture cutanée en première intention [4]. Lors d’atteinte des membres, certains auteurs ont fait le choix d’une exérèse large, suivie d’une cicatrisation par seconde intention ou d’une greffe de peau libre, dans le même temps chirurgical que l’excision [20, 23]. Ces études ont obtenu de très bons résultats, avec, par exemple, une seule récidive sur 31 cas de sarcomes des tissus mous retirés par exérèse large et cicatrisation de seconde intention, avec toutefois une médiane de guérison cutanée de 53 jours [20].

2. Préciser l’extension tumorale et les marges chirurgicales en phase peropératoire

En complément de l’examen tomodensitométrique ou de l’IRM préopératoires qui permettent d’établir les rapports anatomiques entre la tumeur et les différentes marges, plusieurs techniques sont intéressantes pour confirmer l’exérèse complète de la tumeur au cours de l’intervention chirurgicale (gestion locale optimale), avant d’envisager la reconstruction tissulaire. Ces techniques permettent également de préciser les marges chirurgicales afin de préserver un maximum de tissu en vue de la reconstruction tout en s’assurant de l’exérèse complète. L’échographie peropératoire est utilisée chez l’homme afin d’étudier l’aspect des marges chirurgicales, de même que l’évaluation extemporanée de sections histologiques des marges concernées [9, 19]. Dans le cas présenté ici, une technique d’imagerie par fluorescence, récemment développée en médecine humaine et en cours de validation chez le chien, a permis de préciser localement l’extension tumorale et de guider l’exérèse chirurgicale afin que celle-ci soit complète.

3. Apport de l’imagerie par fluorescence

La technique d’imagerie par fluorescence repose sur les propriétés de fluorescence de certaines molécules injectées dans le corps (marqueurs), fluorescence détectée par une caméra spécifique lorsque ces marqueurs sont soumis à des rayons dans le proche infrarouge (encadré). Elle a été développée chez l’homme pour aider aux chirurgies du sein, de l’estomac, du poumon et de l’œsophage [19]. Le vert d’indocyanine (ICG) est la seule molécule actuellement autorisée en médecine humaine. Il a aussi été utilisé dans une étude clinique chez le chien, comme aide au traitement chirurgical des hépatocarcinomes, avec une sensibilité de 71 % et une valeur prédictive positive de 80 % dans la localisation peropératoire de ces tumeurs [10].

Ciblage tumoral

Les marqueurs employés en imagerie par fluorescence ont la capacité de se concentrer dans un tissu néoplasique par ciblage passif ou actif [7, 24]. L’utilisation du ciblage actif implique le couplage du marqueur à un ligand ou à un anticorps exprimé par le tissu tumoral visé [24]. En cas de ciblage passif, c’est l’augmentation de la vascularisation et de la perméabilité vasculaire dans la tumeur, associée à un déficit de drainage lymphatique et veineux, qui a pour conséquence une accumulation passive de la molécule dans la tumeur.

Un essai mené sur le fibrosarcome félin a permis d’observer une fluorescence dans toutes les tumeurs étudiées, en utilisant un marqueur avec un ciblage endothélial actif. Une corrélation entre l’intensité de la fluorescence et la quantité de cellules tumorales a également été notée [24].

Dans le cas présenté ici, un nouveau marqueur a été utilisé, le LipImage 815® [11]. Cet agent résulte de l’encapsulation d’un fluorophore émettant à une longueur d’onde de 815 nm, dans un nanovecteur lipidique [11]. Une étude préalable de toxicité et de biodistribution des nanoparticules fluorescentes injectées a été réalisée avant l’utilisation clinique chez le chien [22]. Le LipImage?815® se concentre de manière passive dans la tumeur et permet, après visualisation dans le proche infrarouge, d’observer une fluorescence tumorale [11]. L’acquisition des images en phase peropératoire aide à différencier les tissus infiltrés par la tumeur et les tissus sains. Cette technique d’imagerie est non invasive, demande un temps court d’acquisition et semble assez sensible dans la détection des tissus tumoraux et sains. Dans le cas décrit, le système mis en œuvre chez le chien implique l’injection des nanoparticules 48?heures avant l’intervention chirurgicale.

Détection de tissu tumoral dans le site chirurgical

Lors de l’exérèse, une caméra (de type Fluobeam®) émettant un signal dans le proche infrarouge permet de déceler la fluorescence émise par la tumeur, celle-ci n’étant pas visible à l’œil nu(2). Ainsi, l’extension locale de la tumeur peut être directement observée après acquisition des images de fluorescence, afin de préciser les marges chirurgicales appropriées. Dans le cas présenté, l’analyse de la fluorescence a détecté des tissus suspects au sein du site chirurgical avant d’entreprendre la reconstruction cutanée. Ces tissus ont été retirés et se sont révélés infiltrés lors de l’analyse histologique. Cette technologie a donc favorisé l’exérèse carcinologique de la tumeur, limitant ainsi le risque de récidive. L’imagerie par fluorescence a complété l’examen tomodensitométrique préopératoire.

Application de l’imagerie par fluorescence au système lymphatique

Évaluer la dissémination métastatique lymphatique est important pour établir un pronostic. Chez l’homme, l’imagerie par fluorescence avec utilisation d’ICG facilite les biopsies de nœuds lymphatiques sentinelles (les premiers nœuds lymphatiques au voisinage de la tumeur), notamment lors de tumeur du sein ou de mélanome [13, 17]. La fluorescence permet de les visualiser plus facilement, et favorise ainsi leur dissection et leur exérèse pour une analyse extemporanée. Toutefois, l’ICG ayant une très courte demi-vie, l’intensité de la fluorescence est rarement corrélée à la présence ou non de métastases. Il est donc actuellement difficile d’établir un bilan d’extension lymphatique uniquement à l’aide de l’imagerie par fluorescence avec l’ICG.

L’utilisation de marqueurs de fluorescence avec ciblage actif ou encapsulés dans une nanoparticule, comme le LipImage 815®, augmente la durée de marquage lymphatique [18]. Cela pourrait entraîner une fluorescence différente entre un nœud lymphatique métastatique et un nœud lymphatique sain, et aider à établir le bilan d’extension préopératoire, ce qui augmenterait les indications de la technique.

Applications futures en médecine vétérinaire

À notre connaissance, seules trois publications actuellement ont porté sur l’utilisation de l’imagerie par fluorescence comme aide à la décision peropératoire en chirurgie oncologique chez le chien ou le chat [7, 10, 24]. Son extension en médecine vétérinaire est retardée par le coût initial de la caméra (environ 40 000 €), bien que l’utilisation du vert d’indocyanine ou du Liplmage 815® soit facile, non dangereuse, et ne requiert pas de précautions particulières, ces marqueurs n’étant pas radioactifs. Le vert d’indocyanine est disponible en pharmacie, pour un prix d’environ 120 € par flacon. Un seul flacon permet de prendre en charge plusieurs chiens. Toutefois, après ouverture, le vert d’indocyanine est très peu stable et doit être utilisé dans les 24 heures. Dans les centres de cancérologie vétérinaire, il pourrait donc être intéressant de programmer les chirurgies des tumeurs cutanées sur un même jour. Actuellement, le LipImage 815® n’est pas commercialisé, les tests de validation clinique chez l’homme étant en cours.

Conclusion

L’imagerie par fluorescence précise le geste chirurgical en délimitant les marges à adopter lors de l’exérèse tumorale mais elle ne peut remplacer les examens préopératoires d’imagerie avancée. Comme dans ce cas, la technique aide à diminuer le risque d’exérèse incomplète dans le traitement des sarcomes des tissus mous. La particularité de ce cas réside en l’utilisation clinique d’un tout nouveau nanotraceur, le LipImage 815®. Même si son usage est encore confidentiel, l’imagerie par fluorescence semble une application d’avenir en chirurgie carcinologique, en médecine tant humaine que vétérinaire. Des essais à plus grande échelle sont cependant nécessaires pour confirmer ces résultats préliminaires. Une étude en cours dans notre établissement sur l’utilisation du LipImage 815® comme vecteur de fluorescence tumorale tend à confirmer ces premières observations sur une dizaine d’animaux. Son objectif final est de valider l’utilisation clinique du LipImage 815® comme marqueur en imagerie par fluorescence chez le chien comme chez l’homme.

  • (1) Médicament humain.

  • (2) Il convient d’éteindre la lumière dans le bloc opératoire pour observer la fluorescence. Toutefois, il existe des LED sur la caméra qui peuvent être activées pour illuminer momentanément le site opératoire.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Une exérèse chirurgicale large est recommandée en cas de sarcome des tissus mous chez le chien lors de bilan d’extension négatif.

→ La technique d’imagerie par fluorescence en phase peropératoire complète les examens d’imagerie préopératoires par tomodensitométrie ou résonance magnétique, car elle permet de visualiser les marges lésionnelles, voire de détecter la persistance de tissus infiltrés au sein du site opératoire, ainsi que la présence d’éventuelles métastases locorégionales.

ENCADRÉ
Principes de l’imagerie par fluorescence en chirurgie oncologique

→ Injection d’un marqueur fluorescent (vert d’indocyanine, LipImage 815®, etc.).

→ Marquage passif ou actif du tissu tumoral selon le marqueur utilisé.

→ Excitation du marqueur par laser dans le proche infrarouge.

→ Acquisition des images de fluorescence par une caméra adaptée (Fluobeam®, etc.).

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient le Cancéropôle Lyon-Auvergne-Rhône-Alpes pour le financement du projet, ainsi que le CEA-Leti et Fluoptics pour leur assistance technique.

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