Avulsion de la scapula chez un yorkshire terrier - Le Point Vétérinaire expert canin n° 358 du 01/09/2015
Le Point Vétérinaire expert canin n° 358 du 01/09/2015

CHIRURGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Bertrand Vedrine

Fonctions : Clinique vétérinaire Seinevet,
5, place Cauchoise, 76000 Rouen
26, rue de la République, 76520 Boos

Très rare chez le chien, l’avulsion de la scapula peut être traitée à l’aide d’un cerclage circumcostal. Dans ce cas, cette technique a permis une bonne récupération fonctionnelle.

L’avulsion de la scapula (aussi appelée “luxation de la scapula” par certains auteurs) est une affection rare. Elle est consécutive à la rupture des éléments de soutien musculaire qui maintiennent la scapula plaquée contre la cage thoracique.

Le traitement chirurgical a pour objectif de repositionner la scapula dans sa position physiologique contre la cage thoracique. La formation d’un tissu fibreux intervient dans un second temps, permettant à la scapula d’être maintenue en place durablement.

Le cas présenté est celui d’un yorkshire terrier atteint d’une avulsion de la scapula secondaire à une morsure par un mastiff. À notre connaissance, il s’agit de la deuxième description d’une telle affection chez le chien. Cependant, le traitement instauré reprend ce qui a été proposé par plusieurs auteurs, avec le passage d’un cerclage circumcostal pour solidariser la scapula à la cage thoracique.

CAS CLINIQUE

Un yorkshire femelle âgé de 13 ans est présenté pour une boiterie subite du membre antérieur gauche consécutive à une morsure par un mastiff. La chienne a été vue en urgence 3 jours auparavant à la suite de la morsure. La consultation a alors révélé des blessures superficielles avec de nombreux hématomes sur le thorax et le sternum, sans plaie apparente. Un examen orthopédique a été conseillé pour explorer la boiterie.

1. Examen clinique

→ La chienne est ambulatoire, mais présente une boiterie sans appui permanente du membre antérieur gauche. Celui-ci est tenu en adduction et en rotation interne, avec une extrémité proche du sol et des angles articulaires jugés normaux. Un gonflement généralisé de l’encolure et de la région du sternum est nettement visible. De volumineux hématomes sont facilement visibles en écartant les poils sur le thorax et à la racine du membre. Leur palpation est indolore et leur consistance fluctuante. Aucune plaie cutanée n’est décelable (photo 1).

→ La palpation du membre ne permet pas de suspecter la présence d’une fracture ni une atteinte articulaire en regard du carpe, du coude ou de l’épaule (amplitudes articulaires normales, pas d’instabilité de l’articulation ni de gonflement, absence de douleur). Au niveau du thorax, une mobilité importante de la scapula est notée lors de la mobilisation du membre : la flexion provoque un déplacement dorsal de son bord dorsal et la rotation interne, un décollement de sa portion caudo-proximale par rapport au thorax (photos 2a et 2b).

2. Bilan de l’examen clinique et hypothèses diagnostiques

L’examen clinique met en évidence des mouvements anormaux entre la scapula et la cage thoracique. L’hypothèse principale est une avulsion de la scapula, même si une fracture ne peut pas être totalement exclue avant la réalisation de radiographies.

3. Examens complémentaires

Des radiographies de face et de profil du membre sont réalisées et ne révèlent aucune fracture. La scapula et les côtes ne présentent aucune anomalie radiologiquement visible (photos 3a et 3b).

4. Diagnostic

Une avulsion de la scapula est diagnostiquée.

5. Traitement

→ Un traitement chirurgical est proposé pour solidariser de nouveau la scapula au thorax. Le chien est anesthésié à l’aide d’un mélange de diazépam (Valium®, 0,5 mg/kg par voie intraveineuse [IV]), de morphine (Morphine Aguettant®, 0,2 mg/kg IV) et de thiopental (Nesdonal®, 10 mg/kg IV), puis un relais gazeux à base d’isoflurane a été mis en place. Une perfusion de Ringer lactate est installée au débit de 10 ml/kg/h durant l’intervention chirurgicale.

→ Un abord caudo-dorsal de la scapula est réalisé. Sa portion caudale est facilement mobilisée relativement au thorax par rupture complète des muscles rhomboïde et dentelé ventral. Le muscle trapèze est également rompu dans sa portion thoracique (la partie cervicale n’est que partiellement atteinte) (photo 4). Aucune perforation thoracique n’est observée. Un cerclage de 1,2 mm de diamètre est passé derrière une côte et au travers de deux trous de 1,5 mm forés au bord caudo-dorsal de la scapula. Le cerclage est serré progressivement afin de maintenir la scapula contre la cage thoracique. La mise en place d’un seul cerclage permet cependant à la scapula de conserver une légère mobilité par rapport au thorax. Les muscles lésés sont ensuite refixés à la scapula par l’intermédiaire de sutures irrésorbables (Monosof®, décimale 3) passées au travers de forages réalisés sur le bord cranio-dorsal de l’os. La plaie opératoire est refermée classiquement.

→ En fin d’intervention chirurgicale, le chien reçoit une injection de meloxicam (Metacam®, 0,2 mg/kg par voie sous-cutanée). Le traitement anti-inflammatoire a ensuite été poursuivi par voie orale pendant 1 semaine. Une antibiothérapie à base d’amoxicilline et d’acide clavulanique (Kesium®, 12,5 mg/kg per os matin et soir) avait été instaurée le jour de la première consultation pour morsure. Elle est poursuivie pour une durée totale de 5 jours, l’absence d’effraction cutanée observée lors de la tonte ne rendant pas nécessaire son maintien plus longtemps.

La radiographie postopératoire permet de visualiser le positionnement du cerclage (photos 5a et 5b).

Un pansement de Velpeau® est mis en place pour une durée de 15 jours, afin de protéger les sutures le temps de la cicatrisation musculaire en empêchant l’appui sur le membre.

6. Suivi

→ Les hématomes se résorbent progressivement et ont presque disparu lors du retrait des points et du pansement (le drainage des hématomes n’a pas été jugé nécessaire au moment de l’opération car aucune accumulation localisée de sang n’était présente). Le chien est maintenu au repos 15 jours supplémentaires. L’activité est ensuite progressivement augmentée sur 1 semaine jusqu’à la normale. Aucune boiterie n’est rapportée.

→ Un contrôle à la fois clinique et radiographique effectué 1 mois après l’intervention chirrurgicale montre la bonne utilisation du membre, avec une scapula bien en place (photos 6a et 6b).

DISCUSSION

1. Pathogénie

→ Chez les carnivores domestiques, le membre thoracique n’est pas articulé sur le squelette axial, comme c’est le cas chez l’homme. La scapula est maintenue contre la cage thoracique grâce à des groupes de muscles superficiels et profonds. Les muscles profonds (muscle dentelé ventral du thorax, muscles trapèze et rhomboïde) sont les plus efficaces pour retenir la scapula en place lors de la mise en charge du membre (figure) [1]. Leur rupture entraîne une luxation dorsale (ou avulsion) de la scapula dans les phases d’appui du membre. L’avulsion de la scapula est une affection rare qui touche aussi bien le chat que le chien [4, 6, 8]. Seulement deux cas d’avulsion de la scapula chez le chat ont été rapportés et un seul a été décrit chez le chien alors que de nombreux ouvrages de chirurgie traitent de cette maladie [3-8].

→ La rupture des muscles est secondaire à un traumatisme souvent violent. Ainsi, les cas précédemment décrits étaient dus à des accidents de la voie publique. Une morsure par un chien n’avait encore jamais été rapportée [2, 5, 7].

→ La position anatomique de la scapula rend possible une atteinte concomitante des structures intrathoraciques. Un bilan lésionnel complet est donc indispensable, l’atteinte orthopédique étant analysée secondairement [4].

2. Clinique

→ Les animaux atteints d’une avulsion de la scapula présentent une boiterie généralement sévère et invalidante, avec une douleur inconstante, pouvant aller jusqu’à la suppression d’appui, comme dans ce cas (il n’a pas été possible de déterminer si la suppression d’appui était uniquement la conséquence de la luxation de la scapula ou des nombreux hématomes sous-cutanés). Dans la phase d’appui, le bord dorsal de la scapula fait saillie dorsalement, ce qui est caractéristique de l’affection. La palpation confirme aisément ce déplacement. L’adduction de l’extrémité du membre s’accompagne également d’une abduction du bord proximal de la scapula [2-8]. Dans ce cas, la portion craniale des muscles trapèzes cervicaux n’était pas rompue, le déplacement dorsal était donc moins net (la flexion du membre provoquait un déplacement dorsal limité). Le diagnostic a été établi à la suite des manœuvres de rotation interne du membre, qui provoquaient un décollement complet de la portion caudo-proximale de la scapula. Il était presque possible de retourner la scapula à l’envers.

3. Diagnostic

→ La radiographie n’est en général pas nécessaire pour établir le diagnostic. Le membre n’étant pas en position de charge lors de l’examen, la scapula peut reprendre une position normale et conduire à une mauvaise interprétation, d’où l’intérêt de réaliser des clichés en contrainte pour faciliter le diagnostic si nécessaire.

→ La radiographie est, en revanche, utile pour écarter une origine fracturaire à l’atteinte et examiner les structures intrathoraciques lors du bilan de l’animal traumatisé [4].

4. Traitement

→ Un traitement conservateur a été proposé à l’aide d’un bandage de Velpeau®. Néanmoins, les difficultés associées à la mise en place et au maintien de ce dernier, ainsi que le risque d’échec incitent à la réalisation d’une intervention chirurgicale en première intention [2, 4, 6, 8].

→ De nombreux ouvrages d’orthopédie proposent des techniques chirurgicales de stabilisation de la scapula [4, 6, 8]. Cependant, seulement deux cas ont été publiés. Récemment, Caron et Farrell ont présenté deux cas cliniques au congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac). Dans ces quatre cas, il s’agissait de chats. La méthode chirurgicale utilisée pour tous ces cas était la refixation du muscle dentelé ventral du thorax à la scapula par l’intermédiaire de sutures musculaires passées au travers de forages réalisés dans la scapula sur son extrémité cranio-proximale. Ce muscle s’insère directement sur la face interne de la scapula sans tendon terminal. Les sutures intéressent donc directement les fibres musculaires dont la tenue est moindre. L’utilisation de fils irrésorbables est préconisée afin de participer à la formation d’un tissu fibrotique réactionnel qui assure un maintien de la scapula à long terme. Les résultats obtenus sont très satisfaisants, les chats recouvrant une activité normale en phase post­opératoire [2, 5, 7].

La solidarisation de la scapula à la cage thoracique par l’intermédiaire d’un cerclage, comme dans ce cas, est décrite par de nombreux auteurs, mais à ce jour, aucun cas n’a été publié dans un journal vétérinaire [4, 6, 8]. Il est classiquement conseillé de passer le cerclage autour de la 5e, de la 6e ou de la 7e côte [4, 6]. Dans ce cas, il a été passé autour de la 3e côte afin d’assurer à la scapula la position la plus physiologique possible. La publication de séries de cas chez le chien comme chez le chat permettrait d’évaluer l’intérêt de ce traitement et de le comparer au sein de chaque espèce avec les sutures musculaires seules. Même si le suivi postopératoire de ce chien a montré une récupération complète sans boiterie, il est difficile de généraliser un pronostic et de lister les éventuelles complications à partir d’un seul cas. La formation d’un pneumothorax iatrogène lors du passage du cerclage autour de la côte serait probablement une complication à envisager, ainsi que les fractures de la côte ou de la scapula secondairement à une tension excessive de celui-ci.

Conclusion

Ce cas clinique présente les symptômes, le traitement et le suivi d’un chien atteint d’une avulsion de la scapula secondaire à une morsure par un mastiff. C’est l’unique description d’un cas chez le chien depuis 1960. Si le traitement chirurgical semble être indiqué en première intention, en revanche, il n’existe pas de recommandations pour le choix de la technique à employer, entre un cerclage circumcostal ou des sutures musculaires seules.

Références

  • 1. Barone R. Muscles de la région cervicale dorsale. Dans : Anatomie comparée des mammifères domestiques, tome 2 : arthrologie et myologie. 4e éd. Éditions Vigot, Paris. 2000:551-575.
  • 2. Caron A, Farrell M. Avulsion scapulaire féline : traitement chirurgical original chez deux chats. Congrès Afvac, Nantes. 29 novembre 2013.
  • 3. Hoerlein BF, Evans LE, Davis JM. Upward luxation of the canine scapula – A case report. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1960;136:258-259.
  • 4. Johnson AL, Hulse DA. Scapular luxation. In: Small animal surgery. 2nd ed. Mosby, St Louis. 2002:1064-1065.
  • 5. Leighton RL. Feline scapular luxation repair. Feline Pract. 1977;7:59-61.
  • 6. Parker RB. Scapula. In: Textbook of small animal surgery. 3rd ed. Saunders Elsevier, Philadelphia. 2003:1896-1897.
  • 7. Perry KL et coll. A case of scapular avulsion with concomitant scapular fracture in a cat. J. Feline Med. Surg. 2012;14(12):946-951.
  • 8. Piermattei DL, Flo GL, DeCamp CE. The shoulder joint. In: Handbook of small animal orthopaedics and fracture repair. 4th ed. Saunders Elsevier, St Louis. 2006:264-265.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’avulsion est traumatique, secondaire à la rupture des muscles maintenant la scapula plaquée contre la cage thoracique.

→ Un examen orthopédique non invasif est généralement suffisant pour établir un diagnostic.

→ L’utilisation d’un cerclage circumcostal a été proposée par de nombreux auteurs. Il n’existe pas d’études rétrospectives quant aux résultats obtenus avec cette technique. Dans le cas décrit, elle a permis une bonne récupération fonctionnelle.

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