DENTISTERIE CANINE
Cas clinique
Auteur(s) : Romain Mâle
Fonctions : Clinique vétérinaire du Val-Dadou,
route de Lavaur, Saint-Charles,
81300 Graulhet
Comme chez les êtres humains, les corrections orthodontiques sont réalisables chez les jeunes chiens. Comme chez les êtres humains, les avantages sont comportementaux, biologiques et esthétiques.
Les anomalies de croissance des mâchoires sont couramment rencontrées en consultation des animaux prépubères. Leur résolution est possible notamment grâce à certaines techniques d’orthodontie avant d’envisager d’intervenir sur les dents malpositionnées en pratiquant une réduction coronaire ou une extraction. Ce cas illustre la mise en œuvre d’une technique particulière de correction d’un cas de brachygnathie mandibulaire sévère chez un chiot.
Un chiot berger allemand de 2 mois et demi est référé en consultation de dentisterie pour une malocclusion dentaire. Il est normalement vacciné, traité correctement contre les parasites internes et externes. Il bénéficie d’une alimentation pour chiot de qualité vétérinaire. Aucun traumatisme n’a été rapporté par la propriétaire depuis son achat à l’âge de 2 mois.
L’examen clinique général ne révèle aucune anomalie.
L’inspection de la cavité buccale révèle la présence d’un brachygnathisme mandibulaire important entraînant l’impaction des deux canines mandibulaires lactéales CmandG et CmandD (dents 704 et 804) au niveau des faces palato-distales de leurs homologues maxillaires lactéales CmaxD et CmaxG (dents 504 et 604), ainsi qu’une distocclusion des prémolaires mandibulaires lactéales par rapport à leurs homologues maxillaires (photo 1, encadré). Les lésions palatines sont importantes, avec des cavités de 5 mm de profondeur provoquant une disparition de la partie palatine du parodonte et la mise à nue de la surface palatodistale du tiers coronaire de la racine des canines maxillaires lactéales (photo 2). Les incisives mandibulaires lactéales viennent au contact de la partie distale de la papille palatine sans entraîner de lésion palatine. L’écart entre les deux arcades incisives est mesuré à 9 mm.
Les constatations cliniques valent diagnostic : malocclusion d’origine squelettique sous la forme d’un brachygnathisme mandibulaire relatif important.
L’origine en demeure incertaine : génétique et/ou traumatique et/ou endocrinienne.
Le traitement consiste à vestibuliser les canines mandibulaires ainsi qu’à les faire se déplacer dans les diastèmes interdentaires physiologiques maxillaires entre les dernières incisives et les canines. La réduction coronaire des deux canines mandibulaires lactéales CmandG et CmandD est proposée. Celle-ci permettra :
– de prévenir une aggravation des lésions palatines au niveau des canines maxillaires lactéales et leur cicatrisation ;
– de libérer la croissance mandibulaire qui est freinée par ces “ancrages” dans le palais.
Sous anesthésie générale, la réduction coronaire est pratiquée après antisepsie chirurgicale. La section des couronnes est réalisée à hauteur de la gencive libre avec une fraise cône diamantée. Pour protéger la pulpe dentaire de chaque canine mandibulaire lactéale, une biopulpotomie est réalisée. Les cavités pulpaires sont nettoyées sur 4 à 5 mm, un produit de fond de cavité à base de poudre d’hydroxyde de calcium est placé au contact de la pulpe à l’aide d’une spatule stérile puis tassé délicatement à l’aide d’un fouloir. Celui-ci permet d’éviter un contact direct entre la pulpe dentaire et les matériaux de comblement risquant d’entraîner une pulpite chimique. La fermeture de la biopulpotomie est réalisée avec un composite hybride fluide photopolymérisable (Biosplint Flow®, laboratoire Pierre Rolland) (photo 3).
Des manœuvres quotidiennes de massage et de traction de la mandibule sont proposées aux propriétaires afin d’aider la croissance osseuse de la mandibule et de corriger ou, tout du moins, d’éviter l’aggravation de la malocclusion. Ces manœuvres se déroulent comme suit :
– le pouce est placé en arrière de l’arcade incisive mandibulaire et en avant de l’insertion du frein de la langue ;
– l’index est placé sous le menton afin de prendre en pince l’extrémité rostrale de la mandibule ;
– une traction rostrale est réalisée en faisant glisser le pouce sur l’arcade incisive.
Cette manœuvre est reproduite 15 à 20 fois de suite tous les jours, associée à des jeux de tirage ou avec des balles dures (non dépressibles), afin d’orienter l’axe de poussée des canines mandibulaires définitives en direction labiale (figure).
Un contrôle est prévu à l’âge de 7 mois, lorsque l’ensemble de la denture définitive est présente afin de contrôler le brachygnathisme mandibulaire et la position des canines mandibulaires définitives CmandG et CmandD (dents 304 et 404).
Comme convenu, le chiot est revu à 7 mois. Les propriétaires rapportent avoir suivi les consignes de jeux et les manipulations quotidiennes de la mandibule. Les canines lactéales sont tombées naturellement sans aucun souci et l’égression des canines définitives n’a connu aucune entrave.
À l’examen de la cavité buccale, le brachygnathisme mandibulaire a été partiellement corrigé. L’écart entre les deux arcades incisives n’est plus que de 6 mm. Les canines mandibulaires définitives CmandG et CmandD viennent au contact de la muqueuse palatine à hauteur de la surface mésiopalatine des couronnes de leurs homologues maxillaires CmaxD et CmaxG (dents 104 et 204). La distocclusion des prémolaires mandibulaires définitives est légère (photo 4). À la palpation de la région distale de la canine maxillaire gauche (CmaxG), un reliquat racinaire de la canine maxillaire gauche lactéale est découvert : celui-ci est extrait chirurgicalement après ouverture de la muqueuse, avant la pose des plans de glissement.
La décision est prise de réduire la malocclusion dentaire par la pose de plans de glissement en résine (Orthoresine® de Dentsply) placés au niveau du diastème entre la dernière incisive maxillaire et la canine maxillaire, au niveau des deux hémi-arcades dentaires maxillaires (photo 5). Les pentes des plans de glissement sont taillées de telle sorte que les canines mandibulaires définitives glissent selon un axe vestibulo-rostral afin d’atteindre leur position physiologique (intercalé dans le diastème maxillaire entre la troisième incisive et la canine) (photo 6). Les plans de glissement sont collés sur la dernière incisive et la canine maxillaire à l’aide d’une colle orthodontique (Colle GC Fuji Ortho LC®). Un contrôle est prévu au bout de 1 mois. Le chien doit être nourri avec un aliment humide et il lui est interdit de jouer afin de préserver au mieux les plans de glissement. L’application de dentifrice buvable (Vetaquadent®) est conseillée pour les gencives car les résines provoquent souvent une gingivite de contact.
Les deux canines mandibulaires définitives CmandG et CmandD ont connu une égression suivant l’axe vestibulo-rostral imposé par les plans de glissement. Ceux-ci sont retirés sous anesthésie générale. L’articulation des deux canines mandibulaires définitives est physiologique au niveau des diastèmes entre les incisives I3max et les canines maxillaires (photo 7). Une légère irritation des muqueuses gingivale et palatine à hauteur des canines maxillaires est notée, conséquence de l’accumulation de débris alimentaires sous les cales en résine. Celle-ci se résorbe dans les jours suivant le retrait des plans de glissement, notamment grâce à l’utilisation de l’antiseptique buvable.
La croissance osseuse des mâchoires est régie par de nombreux gènes. L’étude de Stockard en 1941 a montré que les croissances osseuses du maxillaire et de la mandibule sont régies par des gènes différents et que la moindre dysharmonie entre les croissances des deux mâchoires entraîne une malocclusion [2, 3]. Cette étude a également mis en évidence la présence de gènes différents codant pour la taille des dents. Ainsi, il a été démontré que la malocclusion possède un déterminisme polygénique. Dans cette même étude, la brachycéphalie a été déterminée comme résultant d’un arrêt trop précoce de la croissance des os de la base du crâne (chondrodystrophie). Aucune donnée n’est cependant disponible sur l’implication de l’arrêt de croissance de certaines structures osseuses lors d’un brachygnathisme mandibulaire.
Les insertions musculaires sont nombreuses dans les os des mâchoires. Ainsi, toute anomalie, comme un traumatisme engendrant la formation d’un tissu cicatriciel ou des tensions musculaires excessives et anormales, peut affecter la croissance osseuse et provoquer une malocclusion [2, 3].
Enfin, tout désordre endocrinien se déroulant durant la croissance osseuse des mâchoires peut lui aussi être incriminé lors du diagnostic d’une malocclusion [2, 3].
Chez les carnivores domestiques, l’occlusion dentaire entre les deux mâchoires est assurée par des alignements et des organisations dentaires spécifiques : médialement, la canine mandibulaire (Cmand) s’intercale dans le diastème physiologique entre la dernière incisive (I3max) et la canine maxillaire (Cmax) et distalement, la superposition carnassière maxillaire PM4max/carnassière mandibulaire M1mand. Ces deux particularités assurent une stabilisation sur le plan fonctionnel des mâchoires. Ainsi, lors de la poussée des canines mandibulaires lactéales et, a fortiori, de leurs remplaçantes définitives, les croissances des mâchoires supérieure et inférieure deviennent étroitement liées.
La réduction coronaire des canines mandibulaires lactéales devient donc nécessaire afin de libérer l’entrave créée par les canines venant s’impacter dans le palais et autoriser, sans résistance, la croissance de la mandibule. Même si les dents lactéales sont éliminées par l’organisme à la suite de l’égression des dents définitives, il est important de réaliser un coiffage pulpaire afin de prévenir tout risque de pulpite infectieuse et de lésion au niveau de l’apex des canines lactéales. Ces lésions pourraient altérer les structures environnantes et perturber l’égression des canines définitives.
Des tractions rostrales de la mandibule permettent, d’après notre expérience, une amélioration de la croissance mandibulaire et une réduction du brachygnathisme comparativement à des individus qui n’en bénéficient pas.
Deux options principales s’offrent au clinicien : l’une consiste en une réduction coronaire partielle selon la nécessité, l’autre en une correction orthodontique afin de préserver l’intégrité de la dent.
La réduction coronaire consiste, chirurgicalement, à la résection d’une partie de la couronne dentaire suivie de l’obturation immédiate de la cavité pulpaire. Après antisepsie du site chirurgical, les techniques consistent, après résection de la partie coronaire désirée à l’aide d’une fraise fissure, à retirer à la fraise boule diamantée stérile une partie de la pulpe dentaire (de 8 à 10 mm). Ensuite, un pansement pulpaire est mis en place directement au contact du moignon pulpaire : poudre d’hydroxyde de calcium sur une épaisseur de 2 à 3 mm ou MTA (Mineral Trioxide Aggregate). Un fond dur ou fond de cavité réalisé avec un verre ionomère photopolymérisable permet une étanchéité et une résistance avant la mise en place de la restauration superficielle. Celle-ci peut être réalisée avec un amalgame métallique (mélange de mercure et d’argent dans la plupart des cas) ou une résine composite [4, 5]. Parce qu’il résiste mieux à la pression et à l’abrasion, l’amalgame peut être conseillé. Il convient alors de réaliser une préparation de la dent avant la mise en place de l’amalgame, notamment la réalisation d’une cavité rétentive à l’aide d’une fraise diamantée à cône inversé : en effet, l’amalgame métallique n’ayant aucune propriété adhésive intrinsèque avec les différentes structures dentaires (émail et dentine), il doit être retenu mécaniquement à la couronne [6].
Le choix de la réduction coronaire n’est à considérer que lorsque l’orthodontie est un échec ou à la suite d’une demande du propriétaire. En effet, la réduction coronaire entraînant la mise à nu de la pulpe dentaire n’est pas une intervention bénigne pour la dent. Même si elle est rapide et effectuée dans des conditions d’asepsie maximales, des complications septiques sont à redouter. La correction orthodontique doit donc être privilégiée en première intention.
La correction orthodontique est, si possible, la première solution à choisir. En effet, la réduction coronaire des canines, voire leur extraction, sont des options thérapeutiques envisageables, qui comportent cependant des risques de lésions locales potentiellement sévères dans le cas des extractions, et de pulpite septique dans celui des réductions coronaires. Ainsi, le choix du traitement orthodontique est indiqué en première intention. Selon le positionnement de la ou des canines mandibulaires, l’appareil d’orthodontie peut être différent. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés selon que la lingualisation est unilatérale ou bilatérale. Deux traitements orthodontiques peuvent être mis en œuvre pour la correction :
– un stellite (appareil d’orthodontie en résine) articulé par un vérin ou un fil d’acier en accordéon permettant la propulsion vestibulaire de la ou des canines (photo 8) ;
– la mise en place de plans de glissement en résine orthodontique positionnés sur l’arcade maxillaire permettant de déplacer la ou les canines en position du vestibule.
Dans le cas d’une seule canine lingualée, le stellite prend appui sur l’hémi-arcade mandibulaire controlatérale, de I3mand à PM2mand, voire PM3mand. L’une des principales forces de résistance de la dent lors de sa correction orthodontique est liée à sa valeur d’ancrage (au sein de l’alvéole dentaire), proportionnelle à sa surface radiculaire. Ainsi, lors de la propulsion de la canine, l’appui du stellite doit se faire sur un nombre de dents suffisant dont la somme des surfaces radiculaires doit dépasser la surface radiculaire de la canine à corriger [1]. L’une des complications de ce système de correction, outre le décollage de l’appareil, est que l’appui sur la canine à corriger tend à se déplacer vers le tiers distale de la couronne, et donc l’axe de correction ainsi que la force appliquée lors de la manipulation du vérin ne sont plus optimaux. La raison principale de cette complication est que la canine ne subit pas un mouvement de translation pure, mais plutôt un mouvement de rotation autour du point fixe appelé centre de rotation, qui se situe au collet de la dent [1]. Le choix d’un appareil comme celui-ci peut ainsi conduire à un échec de la correction par manque d’efficacité de la poussée du vérin.
Pour la correction d’une seule canine lingualée, les plans de glissement en résine sont envisageables en première intention. Il importe de placer une cale en résine “neutre” dans laquelle vient se positionner la canine mandibulaire controlatérale durant toute la correction orthodontique, afin de prévenir une déviation de la mandibule dans le sens de la vestibulisation de la canine à corriger. Le plan de glissement de la cale est déterminé selon l’axe de vestibulisation idéal. L’avantage de cette solution orthodontique est l’absence de manipulation du chien, contrairement au traitement avec mise en place d’un stellite (manipulation du vérin ou du fil d’acier).
Dans le cas où les deux canines mandibulaires sont lingualées, l’utilisation d’un stellite est complexe car deux dents symétriques doivent subir une déviation vestibulaire, rendant la prise d’appui difficile pour l’appareil. La correction de cette malposition dentaire passe donc par la mise en place de deux plans de glissement en résine, comme dans le cas présenté ici.
Le traitement orthodontique des malpositions dentaires lors de défaut de croissance des mâchoires est un choix judicieux et de première intention évitant des traitements invasifs pour l’animal. La préservation des dents doit, chaque fois que possible, rester une priorité pour des raisons esthétique, biologique et comportementale.
Aucun.
La brachygnathie désigne une anomalie intéressant la longueur des mâchoires, l’une présentant un raccourcissement plus ou moins net par rapport à l’autre. La précision de la mâchoire atteinte est donc nécessaire lors de la description de l’affection.
→ Le brachygnathisme mandibulaire d’un chiot est corrigé par une technique orthodontique consistant en la pose de plans de glissement en résine.
→ Chez un jeune chien, la correction orthodontique (avec plans de glissement ou pose d’un stellite) est préférable à une réduction coronaire.
→ La réduction coronaire ne préserve pas l’intégrité de la dent (mise à nu de la pulpe) et devrait plutôt être pratiquée en cas d’échec de la correction.
→ La correction orthodontique apporte une solution à la fois esthétique, biologique et comportementale.
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