CANCÉROLOGIE CANINE
Cas clinique
Auteur(s) : Gabriel Chamel*, Clément Bordenave**, Virginie Fouriez-Lablee***, Olivier Albaric****, Catherine Ibisch*****
Fonctions :
*Service de médecine interne (oncologie),
**Service d’imagerie médicale,
***Service d’imagerie médicale,
****Laboratoire d’histopathologie animale (LHA),
CHUV Oniris, Site de la Chantrerie,
Route de Gachet, BP 40706, 44307 Nantes
*****Service de médecine interne (oncologie),
Les tumeurs thyroïdiennes sont les tumeurs endocrines les plus fréquentes chez le chien. Leur prise en charge chirurgicale est à envisager en priorité, et nécessite un bilan d’extension précis et rigoureux.
Une chienne airedale terrier stérilisée âgée de 11 ans est présentée à la consultation spécialisée d’oncologie médicale pour l’évaluation d’une masse sous-cutanée située en région cervicale ventrale.
La chienne est à jour de ses vaccinations, régulièrement vaccinée et vermifugée, et nourrie avec un aliment sec industriel.
En avril 2014, les propriétaires de l’animal remarquent une baisse d’état général de celui-ci, motivant une visite chez leur vétérinaire régulier, qui ne note pas d’anomalie à l’examen clinique ni aux analyses hématobiochimiques. L’état de la chienne ne s’étant toujours pas amélioré 2 mois plus tard, elle est à nouveau présentée en consultation et le vétérinaire met alors en évidence une masse paratrachéale gauche. Il réalise une échographie de la région cervicale et visualise cette masse, qui semble bien encapsulée et respecter les structures adjacentes. Il effectue alors une ponction à l’aiguille fine de la lésion. L’analyse cytologique n’est pas diagnostique, en raison d’une hémodilution trop importante et d’artefacts dus à l’étalement, mais elle est fortement évocatrice d’une tumeur thyroïdienne. La chienne nous est alors référée. Elle est admise en septembre 2014. La propriétaire rapporte une perte de poids associée à l’apparition récente d’une diarrhée, de vomissements et d’une augmentation de la prise de boisson.
À l’examen clinique général, la chienne présente un discret déficit pondéral, avec un score corporel estimé à 4/9. Elle est normotherme, correctement hydratée, et aucune anomalie n’est relevée à l’examen des appareils cardiovasculaire et respiratoire. La palpation abdominale est souple, non douloureuse et ne met aucune anomalie en évidence. L’examen de la cavité buccale et de la région périnéale est normal. Une discrète asymétrie des nœuds lymphatiques préscapulaires est notée, sans que leur taille ou leur consistance soit anormale. Enfin, une masse sous-cutanée en position paratrachéale gauche de 3,6 cm de diamètre sur son plus grand axe est observée. Elle est modérément mobilisable et sa limite ventrale est difficilement discernable.
Au vu de la présence de la masse, dont l’analyse cytologique évoque une tumeur thyroïdienne, de l’amaigrissement et la polydipsie rapportée par la propriétaire de la chienne, les hypothèses retenues pour expliquer les vomissements sont :
– une hyperthyroïdie ;
– une hypercalcémie ;
– une autre cause digestive (maladie inflammatoire du tractus digestif, corps étranger, etc.) ;
– extradigestive (affection rénale chronique, diabète sucré, pancréatite, maladie d’addison, etc.).
Afin de déterminer l’origine des troubles digestifs et de la polydipsie, un bilan biochimique, un ionogramme incluant un bilan phosphocalcique, un bilan thyroïdien (T4 + TSH [thyroid stimulating hormone]), une échographie abdominale et une analyse d’urine sont réalisés dans un premier temps. Les résultats de la TSH, de la T4 et du bilan phosphocalcique sont dans les valeurs usuelles, permettant d’écarter les hypothèses d’hyperthyroïdie et d’un trouble de la calcémie.
Le reste du bilan hématobiochimique et du ionogramme se situe dans les valeurs usuelles de l’espèce.
L’échographie abdominale met en évidence un pancréas de taille augmentée, hypoéchogène, avec une hyperéchogénicité de la graisse péripancréatique. Ces images sont fortement évocatrices d’une pancréatite aiguë. Cette hypothèse est confortée par un SNAP-test cPL positif. Ce dernier n’a pas été associé à un dosage quantitatif de la lipase pancréatique canine ni à une analyse histologique du pancréas car un traitement à l’aide d’oméprazole (1 mg/kg par voie orale en une prise quotidienne) et de sucralfate (1 sachet trois fois par jour par voie orale) a permis d’obtenir une résolution des vomissements en 2 jours.
L’analyse d’urine met en évidence une isosthénurie associée à une protéinurie (deux rapports protéines sur créatinine urinaire = 3,5 à 2 semaines d’intervalle [valeurs usuelles < 0,5]) sans signes d’inflammation au culot urinaire. Une électrophorèse des protéines sériques et urinaires est donc réalisée. Une albuminurie est documentée, attestant une atteinte glomérulaire. L’électrophorèse des protéines sériques et l’aspect échographique des reins sont normaux. Les hypothèses retenues à l’issue de ces examens sont une maladie rénale chronique en début d’évolution ou une glomérulonéphrite secondaire au processus tumoral. Cependant, une infection du tractus urinaire ne peut pas être exclue car un examen bactériologique de l’urine n’a pas été réalisé. En accord avec la propriétaire, des biopsies rénales n’ont pas été pratiquées au profit de la prise en charge de la tumeur.
Un bilan d’extension local et à distance, comprenant une échographie de la région cervicale et une radiographie thoracique, est réalisé.
L’échographie de la région cervicale confirme celle du vétérinaire référent : la masse située en lieu et place du lobe gauche de la thyroïde apparaît richement vascularisée, bien délimitée, et respecte les structures adjacentes (photo 1). Les nœuds lymphatiques rétropharyngiens médiaux sont de taille et d’échostructure normales, et ne peuvent pas être cytoponctionnés en raison de leur taille et de leur localisation. Le nœud lymphatique préscapulaire droit, qui semble discrètement plus gros que le gauche à la palpation, est ponctionné, mais l’analyse cytologique se révèle non diagnostique.
Les radiographies thoraciques (deux vues de profil et une vue de face) mettent en évidence une discrète adénomégalie du nœud lymphatique sus-sternal. En revanche, aucune image laissant suspecter une métastase pulmonaire n’est visualisée.
Les nœuds lymphatiques rétropharyngiens médiaux et sus-sternal n’ayant pu être ponctionnés, une scintigraphie au pertechnétate de technétium 99 est réalisée pour compléter le bilan d’extension. Cet examen montre une masse cervicale homogène qui fixe peu le radionucléide (photo 2). De plus, aucun tissu fixant le technétium de manière inattendue n’a été observé.
Aucune métastase ganglionnaire n’ayant été mise en évidence, seule l’exérèse de la masse est réalisée. La tumeur est facilement mobilisable après l’abord de la région et est retirée aisément, tout en respectant les structures adjacentes, et notamment le lobe droit de la glande thyroïde (photo 3). Aucun trouble évènement majeur n’est signalé concernant le suivi postopératoire de la chienne. Des traitements antibiotique (amoxicilline et acide clavulanique à la dose de 12,5 mg/kg, deux fois par jour) et anti-inflammatoire (méloxicam, 0,1 mg/kg, une fois par jour) sont prescrits pendant les 5 jours suivant l’intervention. Un contrôle postopératoire de la fonction thyroïdienne et de l’homéostasie phosphocalcique a été réalisé, qui ne montre aucune modification par rapport au bilan préopératoire.
L’analyse histologique met en évidence un carcinome thyroïdien compact, définissant par endroits des structures folliculaires, avec de possibles figures d’embolisation vasculaire (photo 4). En raison de l’agressivité de ce type tumoral et de la suspicion d’emboles, une chimiothérapie adjuvante comprenant quatre à six séances de carboplatine (300 mg/m2) a été convenue avec les propriétaires.
Actuellement, le protocole de chimiothérapie est en cours chez un confrère dont la structure est plus proche du domicile des propriétaires. Aucune récidive locale n’est notée, et le seul effet secondaire de la chimiothérapie rapporté est une léthargie de quelques jours après la séance de carboplatine. La glomérulopathie est suivie par le vétérinaire référent, qui rapporte le développement d’une azotémie. Une fluidothérapie a été mise en place par le confrère lors de la découverte de l’azotémie. Aucun autre traitement n’a été instauré bien que l’administration d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine aurait pu être intéressante dans ce contexte.
Les tumeurs thyroïdiennes représentent 1,1 à 3,8 % des néoplasies canines et sont considérées comme les tumeurs endocrines les plus fréquentes chez le chien [1, 4, 10, 22]. Les animaux atteints sont âgés en moyenne de 9 à 10,5 ans, l’incidence la plus grande étant observée dans la tranche de 10 à 15 ans [4, 6, 19, 22]. Les airedale terriers ne sont pas des chiens chez lesquels les tumeurs thyroïdiennes ont été fréquemment décrites, contrairement aux golden retrievers, aux husky sibériens, aux beagles et aux boxers, qui sont surreprésentés dans certaines études. En revanche, il n’existerait aucune prédisposition sexuelle [10, 22].
Quatre-vingt-dix pour cent des tumeurs thyroïdiennes sont des carcinomes ou des adénocarcinomes, 9,3 % des adénomes et 0,7 % des métastases d’autres tumeurs [22]. La plupart des adénomes sont retrouvés fortuitement au cours d’une autopsie, et sont généralement de petite taille et non invasifs. Aussi, lorsqu’une masse thyroïdienne est à l’origine de signes cliniques par une compression d’organe essentiellement (dysphagie, cornage, dyspnée inspiratoire, œdème), la probabilité qu’il s’agisse d’une tumeur maligne est forte. Ainsi, dans le cas décrit ici, bien que la tumeur n’ait pas généré de symptômes par un phénomène de compression, sa grande taille était peu en faveur d’un processus bénin. Des métastases sont présentes au moment du diagnostic dans 35 à 40 % des cas de carcinome thyroïdien et il est estimé que 80 % des animaux atteints (sans toujours qu’ils présentent des signes cliniques) en développent à terme [3, 7, 10, 13]. Elles sont le plus souvent mises en évidence dans les nœuds lymphatiques mandibulaires, rétropharyngiens, cervicaux craniaux, et dans les poumons [7]. Dans le cas de cette chienne, toutes ces structures semblaient morphologiquement normales, ce qui ne permet pas toutefois d’exclure la présence de micrométastases non fonctionnelles.
Les carcinomes thyroïdiens sont issus dans 70 % des cas des cellules folliculaires, impliquées dans la synthèse et la sécrétion de la thyroxine, et dans 30 % des cas des cellules parafolliculaires, ou cellules C, qui jouent un rôle dans le métabolisme du calcium via la sécrétion de calcitonine [6]. Comme ici, la plupart des tumeurs folliculaires sont non sécrétantes. Il est estimé que 60 % des chiens porteurs d’une tumeur thyroïdienne sont euthyroïdiens, que 30 % sont hypothyroïdiens et qu’environ 10 % sont hyperthyroïdiens [2, 8].
Le diagnostic de certitude est souvent obtenu par une analyse histologique postchirurgicale car les carcinomes thyroïdiens sont plus richement vascularisés que le tissu thyroïdien sain, entraînant une forte hémodilution des prélèvements à l’aiguille fine [11]. Ainsi, la cytologie n’est diagnostique que dans 50 % des cas [10, 19]. Dans le cas de cette chienne, c’est en partie à cause de l’importante hémodilution que le diagnostic cytologique n’a pas eu un caractère de certitude.
D’accessibilité encore restreinte, la scintigraphie est néanmoins un examen intéressant pour le bilan d’extension local et à distance des tumeurs thyroïdiennes. Une étude a montré que les tumeurs fixant de façon homogène et circonscrite les radionucléides étaient plus souvent associées à une exérèse chirurgicale complète que celles dont le patron de prise en charge était hétérogène et faiblement délimité [13]. De plus, la scintigraphie permet de mettre en évidence du tissu thyroïdien tumoral ectopique dans le médiastin cranial, à la base du cœur ou en position sublinguale [5, 13]. Cette technique d’imagerie est dépendante de la capacité de la tumeur et de ses métastases à fixer le radionucléide, qui est moins importante chez les animaux hypo- ou euthyroïdien, comparativement aux individus hyperthyroïdiens. La chienne de ce cas clinique était euthyroïdienne au moment de l’examen et sa tumeur fixait peu le pertechnétate de technétium. Un risque existe donc que d’éventuelles métastases n’aient pas été identifiées lors de la scintigraphie. Un aliment pauvre en iode peut être prescrit 3 semaines avant l’examen pour augmenter la capacité de la tumeur à fixer le radionucléide et améliorer ainsi la sensibilité du test. Cela n’a pas pu être réalisé chez cette chienne en raison d’un délai trop court avant la mise en œuvre de la scintigraphie.
La lymphoscintigraphie pourrait également être une technique intéressante et complémentaire de la scintigraphie classique dans ce contexte, en permettant d’identifier les nœuds lymphatiques drainant la tumeur. Son utilisation a déjà été rapportée dans le cadre du bilan d’extension des mastocytomes et des tumeurs mammaires, mais pas dans celui des tumeurs thyroïdiennes [16, 20].
Le traitement chirurgical des tumeurs thyroïdiennes doit être privilégié. Lorsque la masse est facilement mobilisable, la médiane de survie après thyroïdectomie est de l’ordre de 3 ans. Si elle ne l’est pas, la médiane de survie est de 6 à 12 mois [12, 18]. Cette mobilité est présente dans seulement 25 à 50 % des carcinomes thyroïdiens et n’est pas associée à l’envahissement macroscopique des structures adjacentes, d’où l’intérêt d’examens d’imagerie tels que l’échographie ou la tomodensitométrie [6, 7, 12]. Dans le cas décrit, la tumeur était facilement mobilisable et les examens d’imagerie ont montré qu’elle respectait les structures environnantes, ce qui a rendu son exérèse chirurgicale non seulement rapide, mais également complète.
Pour les tumeurs thyroïdiennes dont l’exérèse chirurgicale est impossible, la radiothérapie (externe ou métabolique) est recommandée en première intention (encadré). Elle peut éventuellement être associée à une chimiothérapie.
La radiothérapie externe, au cours de laquelle la source radioactive, représentée par une source de cobalt 60 ou un accélérateur de particules, est située à l’extérieur du corps, est également utilisable. Une étude réalisée sur 25 chiens présentant une tumeur thyroïdienne non résécable traitée par radiothérapie externe a montré que 80 % des animaux étaient vivants sans progression de la masse à 1 an et 72 % à 3 ans [17]. L’emploi de la radiothérapie externe lors de maladie métastatique a également été documenté sur un mode palliatif [3].
Utilisée ou non en association avec la chirurgie, les médianes de survie rapportées se situent autour de 2 ans [15, 17].
Peu d’études ont évalué l’efficacité de la chimiothérapie dans le traitement des carcinomes thyroïdiens, mais cette modalité thérapeutique semble avoir un intérêt lors de tumeurs dont l’exérèse chirurgicale est impossible ou en présence de métastases. Un essai mené sur 13 chiens a montré une réponse partielle au cisplatine chez 50 % des animaux traités [9].
L’utilisation du carboplatine dans le traitement des tumeurs thyroïdiennes a été documentée, mais son efficacité n’a pas été clairement démontrée [14, 18]. Cependant, cette molécule comportant des indications communes avec le cisplatine, pour une meilleure tolérance, elle a été choisie comme traitement adjuvant à la chirurgie chez cet airedale terrier. Le carboplatine étant éliminé principalement par voie rénale, la posologie devra probablement être réduite chez ce chien, le développement d’une azotémie pouvant augmenter le risque d’effets secondaires. L’accessibilité de la chimiothérapie étant supérieure à celle de la radiothérapie, son efficacité dans différents contextes (sur des tumeurs en place, comme adjuvant à la chirurgie lors de maladie métastatique, etc.) mériterait d’être mieux évaluée.
Ce cas présente une démarche complète de prise en charge d’un carcinome thyroïdien. Chez cette chienne, bien que la clinique soit évocatrice d’une hyperthyroïdie lors de la présentation, une démarche diagnostique rigoureuse a été mise en œuvre, qui a permis de découvrir que les troubles digestifs et urinaires avaient une autre origine.
Aucun.
→ Les tumeurs thyroïdiennes sont des tumeurs endocrines considérées comme les plus fréquentes chez le chien.
→ La plupart d’entre elles sont malignes : elles sont à la fois agressives localement et dotées d’un haut potentiel métastatique, mais ne sont pas fréquemment sécrétantes.
→ La prise en charge de ce type de tumeur est d’abord locale, par chirurgie et/ou radiothérapie, et peut être complétée par une chimiothérapie afin de contrôler la maladie métastatique.
La radiothérapie métabolique est réalisée en injectant de l’iode 131 par voie intraveineuse. Comme pour la scintigraphie, l’efficacité de cette technique dépend de la capacité de la masse à fixer l’iode 131, qui est plus importante pour les tumeurs sécrétantes. Cependant, cette procédure peut également être utilisée pour le traitement des tumeurs thyroïdiennes non sécrétantes, et de façon néoadjuvante à une chirurgie. De plus, elle permet de traiter les métastases et les tumeurs ectopiques plus facilement que la radiothérapie externe. Les médianes de survie rapportées sont de 1 an lorsque la maladie est métastatique et de 30 à 34 mois dans les autres cas. Il existe cependant un risque de myélosuppression sévère pouvant être fatale [19, 21].
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