Alopécie chez le chien induite par l’usage chez le propriétaire d’un substitutif hormonal en topique : étude de 6 cas - Le Point Vétérinaire expert canin n° 355 du 01/05/2015
Le Point Vétérinaire expert canin n° 355 du 01/05/2015

ENDOCRINOLOGIE CANINE

Analyse d’article

Auteur(s) : Charline Pressanti

Fonctions : Praticien hospitalier
en dermatologie
INP-ENVT, 23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex

L’alopécie chez le chien induite par l’usage chez le propriétaire de traitements topiques hormonaux est une entité connue des dermatologues vétérinaires, mais qui n’avait pas encore fait l’objet de publications. En effet, un seul cas similaire a été effectivement publié chez un jeune bichon frisé, mais cet animal présentait des troubles de la reproduction sans anomalie cutanée associée [4].

Plus répandu ces dernières années, l’emploi de ces traitements substitutifs hormonaux humains (TSHH) à base d’œstradiol et de progestérone a vu naître cette nouvelle entité chez le chien. Ces dispositifs topiques disposent d’une grande capacité de diffusion transcutanée permettant une utilisation aisée. Il est souvent recommandé de les appliquer sur des zones glabres où la peau est plus fine comme la face médiale des avant-bras. Cette zone du corps est souvent en contact avec les animaux et explique le passage du topique du propriétaire à l’animal sans que ce dernier n’en ait conscience. La concentration en œstradiol de ces produits est variable et oscille entre 0,06 et 1,7 %. Dans cette série de cas, les produits utilisés présentaient une forte concentration en hormone sexuelle. L’arrêt de l’application de ces substituts sur les zones de contact avec l’animal a permis une repousse complète du pelage, prouvant ainsi l’absence d’un autre trouble sous-jacent.

UN HYPER­ŒSTROGÉNISME IATROGÈNE

Il s’agit donc pour ces 6 chiens d’un hyperœstrogénisme iatrogène lié à une exposition accidentelle à des substituts hormonaux humains.

Les formes classiquement décrites d’hyperœstrogénisme chez le chien sont secondaires à des kystes ovariens, des tumeurs de la granulosa, des sertolinomes, ou liées à des administrations répétées de diéthystilbestrol [2]. Dans ces formes, l’alopécie est symétrique, bilatérale avec comme point de départ la région inguinale et l’arrière des cuisses et évoluant vers le tronc, les flancs et les extrémités. Dans cette série de cas, l’alopécie présente quelques variations en comparaison avec celle classiquement décrite et la gravité des lésions est souvent en relation avec le dosage de la crème utilisée ainsi que la durée d’exposition. Lors d’hyperœstrogénisme spontané, il est fréquent d’observer, chez la femelle, des cycles sexuels modifiés, un œdème de la vulve, une gynécomastie, et des écoulements vaginaux, et, chez les mâles, un fourreau penduleux et une ligne érythémateuse préputiale. Bien que des signes évocateurs d’un syndrome de féminisation aient été détectés chez 5 des chiens rapportés dans cette étude, ils n’ont pas constitué un signe d’appel de la maladie. Ces anomalies ont été perçues par le propriétaire dans un seul cas.

MODIFICATIONS BIOLOGIQUES ET MICROSCOPIQUES

D’un point de vue microscopique, les lésions étaient similaires pour l’ensemble des chiens et évoquaient une dermatose atrophique avec arrêt du cycle pilaire. Les auteurs décrivent une hyperkératose superficielle et folliculaire, une mélanisation de la couche basale de l’épiderme, une atrophie des glandes sébacées et une phase pilaire kénogène dominante. Il s’agit d’un follicule pileux en phase d’arrêt (télogène) et qui ne contient plus de tige pilaire. Ce patron n’est pas pathognomonique de l’hyperœstrogénisme et se rencontre dans de nombreuses dysendocrinies ou lors d’alopécie X [3]. Il est donc nécessaire dans un tel cas de mettre en place d’autres examens complémentaires afin de préciser le diagnostic.

L’hyperœstrogénisme peut être associé à une myélosuppression alors responsable d’une anémie, d’une leucopénie et d’une thrombopénie. La numération et la formule sanguines réalisées sur l’ensemble des chiens de l’étude étaient normales en dépit d’une imprégnation en hormones sexuelles parfois prolongée pour certains chiens. Les mécanismes responsables de cette aplasie médullaire sont mal compris. Cette complication grave est considérée comme une réaction idiosyncrasique et doit toujours être recherchée [5]. Pour aucun des chiens étudiés dans cette série de cas, une modification de la numération et de la formule sanguines n’avait pu être détectée.

Les dosages de l’œstradiol basal étaient élevés pour les 6 chiens de l’étude. Une augmentation simultanée de la progestérone était rapportée dans quatre cas. Bien qu’une augmentation de l’œstradiolémie conforte l’hypothèse d’hyperœstrogénisme, cette élévation n’est pas systématiquement rapportée dans ces dysendocrinies. Une étude récente portant sur l’œstradiolémie des chiens sains a montré de grandes variations intra- et interspécifiques de ce dosage [1]. Ces variations de taux pouvaient alors être supérieures aux valeurs de référence de l’espèce. Ainsi, lorsque les dosages d’œstradiol sont au-dessus des valeurs normales, mais proches de ces dernières, l’interprétation doit se faire avec précaution. En effet, si pour 2 des chiens de l’étude le taux d’œstrogènes était trois fois supérieur aux valeurs limites supérieures dans l’espèce, pour les quatre autres animaux restant, le dosage était proche des valeurs normales.

Conclusion

Cet article permet de décrire six cas d’hyperœstrogénisme iatrogène à la suite d’une exposition accidentelle à un topique humain à base d’hormones. Jamais décrite et publiée, cette affection doit donc être intégrée dans le diagnostic différentiel des dysendocrinies canines et doit inciter le praticien à orienter son interrogatoire anamnestique auprès du propriétaire. Le diagnostic est à établir en présence simultanée d’un historique et de symptômes évocateurs, à l’exclusion des autres dysendocrinies et des dosages hormonaux compatibles avec l’affection.

Références

  • 1. Frank LA, Mullins R, Rohrbach BW. Variability of estradiol concentration in normal dogs. Vet. Dermatol. 2010;21(5):490-493.
  • 2. Mecklenburg L, Linek M, Tobin D. Hair loss disorders in domestic animals. 1st ed. 2009.
  • 3. Muntener T, Schuepbach-Regula G, Frank L, Rufenacht S, Welle MM. Canine noninflammatory alopecia: a comprehensive evaluation of common and distinguishing histological characteristics. Vet. Dermatol. 2012;23(3):206-e44.
  • 4. Schwarze RA, Threlfall WR. Theriogenology question of the month. Follicular cysts. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2008;233(2):235-237.
  • 5. Sontas HB, Dokuzeylu B, Turna O, Ekici H. Estrogen-induced myelotoxicity in dogs: A review. Can. Vet. J. 2009;50(10):1054-1058.

Conflit d’intérêts

Aucun.

RÉSUMÉ

OBJECTIF

L’objectif de cette série de cas était de reporter 6 chiens ayant développé une alopécie induite par le passage transcutané d’un substitut hormonal appliqué chez le propriétaire.

MÉTHODE

Les cas rapportés ont été décrits. des biopsies cutanées ainsi qu’un dosage de thyroxine totale, d’œstradiol et de progestérone ont systématiquement été réalisés.

RÉSULTATS

• 6 cas ont été décrits.

• En moyenne, les premiers symptômes sont survenus 5 mois et demi après le début du traitement substitutif hormonal humain (TSHH) chez le propriétaire.

• Les substitutifs hormonaux étaient des crèmes à base d’œstrogènes. Elles ont été appliquées sur la face médiale des avant-bras.

• Les chiens ont présenté une alopécie non inflammatoire, diffuse, sur la zone ventrale du corps.

• Chez 5 des 6 chiens, des signes cliniques évocateurs d’un syndrome de féminisation ont été observés.

• Les dosages de T4 étaient normaux pour les 6 chiens.

• Les analyses histologiques cutanées étaient similaires pour les animaux prélevés. Il a été noté une dermatose atrophique compatible avec une dysendocrinie.

• Une élévation sanguine de l’œstradiol a été mise en évidence chez tous les chiens, et une augmentation de la progestéronémie chez 4 d’entre eux.

• L’arrêt du TSHH par le propriétaire a permis une résolution des lésions en 5 mois et demi.

CONCLUSION

Cette série de cas démontre l’existence d’un hyperœstrogénisme iatrogène par l’utilisation d’un TSHH par le propriétaire.

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