NEUROLOGIE ET CHIRURGIE FÉLINE
Cas clinique
Auteur(s) : Simon Gault*, Stefano Scotti**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire Evolia
43, avenue du Chemin-Vert
95290 l’Isle-Adam
**Clinique vétérinaire Evolia
43, avenue du Chemin-Vert
95290 l’Isle-Adam
Les méningiomes sont des tumeurs originaires des méninges. La localisation la plus fréquente est l’encéphale, mais ils peuvent aussi intéresser la moelle épinière, le nerf optique et les sinus paranasaux. Les localisations spinales sont rares chez le chat. Ils entraînent des troubles nerveux d’évolution lente, par compression des structures de la moelle épinière.
Une chatte européenne de 12 ans est présentée en consultation pour des difficultés à se déplacer s’aggravant depuis un mois et demi : une boiterie intermittente avec appui des membres antérieurs et une augmentation du polygone de sustentation. Une spondylarthrose diagnostiquée radiographiquement un mois auparavant par un confrère et traitée par du Metacam® per os (0,05 mg par kg) pendant une semaine est signalée par les propriétaires.
La chatte est non ambulatoire (photo 1). L’état de conscience n’est pas altéré, l’appétit est conservé et l’examen général est dans les normes, de même que l’examen orthopédique. L’examen neurologique indique une perte bilatérale de la proprioception des membres antérieurs, une diminution du réflexe radial et une diminution du réflexe de retrait, soit une lésion de type motoneurone périphérique (MNP) pour les membres antérieurs et motoneurone central (MNC) pour les membres postérieurs, avec des réflexes dans les normes. (tableau 1). Le réflexe paniculaire thoracique est présent, signant une lésion de la moelle au-dessus du segment de T1.
L’examen neurologique indique une lésion de la jonction cervico-thoracique (tronçon C6-T2).
Le diagnostic différentiel des atteintes de la moelle épinière par ordre de fréquence rapportée est d’origine :
– inflammatoire (méningo-artérite, méningo-encéphalite granulomateuse, granulome épidural) et infectieuse (péritonite infectieuse féline [PIF], discospondylite, méningomyélite, empyème épidural, virus de la leucose féline, virus de l’immunodéficience féline), les plus communes dans 32 % des cas (dont 51 % atteints de PIF) ;
– néoplasique : 27 % (lymphosarcome 28 à 40 %, ostéosarcome 27 %, tumeur gliale 9 %, méningiome 7 %, tumeur métastatique, etc.) ;
– traumatique : 14 % (fracture, luxation vertébrale, lésion discale 0,02 à 0,12 %, avulsion du plexus brachial) ;
– congénitale : 11 % (subluxation atlanto-axiale, exostose cartilagineuse, kyste, etc.) ;
– vasculaire : 9 % (embolie fibrocartilagineuse, hématome, hémorragie de la moelle épinière) ;
– pathologie dégénérative : 6 % (sténose canalaire, spondylomyélopathie, myélopathie dégénérative, pathologie discale, calcinose) ;
– métabolique/nutritionnelle : 1 % (déficit en thiamine, hypervitaminose A, etc.).
Nous retenons comme principales pistes d’investigations les néoplasmes et les pathologies dégénératives puisque, dans les commémoratifs, aucun signe ni infectieux ni traumatique n’apparaît, et que l’évolution lente des signes cliniques écarte aussi les affections vasculaires. De plus, l’aspect métabolique est mis à l’écart, l’animal étant nourri de manière équilibrée [1, 2, 4].
Le traitement initial vise à réduire l’aggravation des lésions médullaires par injections intraveineuses de dexaméthasone (Dexazone®, 0,1 mg/kg, deux fois par jour).
L’animal étant non ambulatoire, il ne peut accéder à ses bols d’eau et d’aliments. Un “nursing” est donc mis en place. La nourriture et l’eau sont proposées fréquemment. La prévention des escarres est réalisée en changeant l’animal de décubitus, toutes les 3 heures, sur des coussins souples et propres. La vidange spontanée de la vessie et la défécation sont également surveillées.
Une fluidothérapie (Ringer-Lactate®, 4 ml/kg/h) est mise en place pour prévenir la déshydratation liée aux difficultés de prise de boisson.
Un bilan hématologique et biochimique préanesthésique est réalisé. Il ne montre aucune anomalie.
Un examen tomodensitométrique (scanner) est effectué. Une première série d’images sans produit de contraste suivie d’une seconde acquisition après injection intraveineuse de produit de contraste iodé (Telebrix®(1), 2 mg/kg) sont effectuées. Le protocole anesthésique comprend une induction intraveineuse au thiopental (Nesdonal®, 20 mg/kg) et un relais gazeux (isoflurane).
Une zone hyperdense après injection du produit de contraste dans la partie dorsale du canal médullaire en regard de la cinquième vertèbre cervicale, de 15 mm, occupant 70 % du canal, est mise en évidence (photos 2a et 2b). Cette masse comprime la moelle sans être infiltrante. Elle est vraisemblablement intradurale et extramédullaire. Un processus néoplasique est alors suspecté.
Un nodule hyperdense avant et après injection du produit de contraste, de 10 mm environ, en région thyroïdienne droite, en continuité avec le lobe thyroïdien droit et en partie calcifiée, est visualisé (photo 3). Un dosage sanguin dans les normes, pour la thyroxine (T4) et la calcémie, afin d’explorer l’activité des glandes thyroïdiennes et parathyroïdiennes indique que cette masse est non sécrétante. Aucune exérèse n’est envisagée pour ce nodule à découverte fortuite.
L’exérèse chirurgicale de la masse est le traitement de choix. Au vu de la localisation dorsale de la lésion dans le canal médullaire, la laminectomie dorsale est la technique retenue (photo 4). Une hémilaminectomie ne peut offrir une fenêtre suffisante pour l’exérèse de la masse. Celle-ci ne peut être effectuée avec une marge saine sans léser la moelle, augmentant ainsi le risque de récidive sur site.
Devant la dégradation rapide de l’animal et le peu de chance de succès d’un traitement médical, l’intervention est acceptée par les propriétaires (encadré).
L’anesthésie débute par une prémédication avec une injection sous-cutanée de morphine injectable Lavoisier®(1) 10 mg/ml à la dose de 0,1 mg/kg. L’induction est réalisée par une injection intraveineuse de thiopental (Nesdonal®(1), 20 mg/kg) et l’entretien par un mélange gazeux oxygène/isoflurane.
Une antibioprophylaxie intraveineuse à base de céfalexine (Rilexine®) est administrée à la dose de 30 mg/kg en phase peropératoire.
La fluidothérapie est assurée par une perfusion de Ringer lactate® au débit de 10 ml/kg/h.
La chatte reste hospitalisée quelques jours en soins intensifs. L’analgésie est assurée par des injections sous-cutanées de morphine injectable Lavoisier®(1) 10 mg/ml à la dose de 0,1 mg/kg toutes les 4 heures. L’inflammation est contrôlée par des injections intraveineuses de dexaméthasone (Dexazone®, 0,1 mg/kg/j).
Le scanner postopératoire montre l’ablation complète de la tumeur ainsi que la fenêtre osseuse laissée par la laminectomie (photo 6).
L’amélioration est notable, la chatte se déplace dès le lendemain de la chirurgie. Elle est rendue à ses propriétaires avec une corticothérapie à base de prednisolone (Megasolone 5®) 0,5 mg/kg per os pendant 5 jours.
Un contrôle est réalisé 10 jours après l’intervention. La chatte a recouvré une locomotion normale. La plaie chirurgicale présente un bel aspect clinique. Les fils sont retirés 2 semaines après l’intervention, la locomotion est toujours normale (photo 7).
Une analyse cytologique de la masse est réalisée à la clinique. Elle montre des cellules allongées et fusiformes de taille variée avec quelques figures de mitose. Une tumeur de type fibroblastique est envisagée. La masse est transmise pour une analyse histologique. Les fragments examinés déterminent une tumeur mésenchymateuse avec prolifération de cellules fusiformes enchevêtrées et tourbillonnantes, avec parfois des faisceaux de collagène environnant. Ils présentent une anisocytose et une anisocaryose modérée avec de rares mitoses. Le tissu tumoral est, par endroit, parsemé de petits dépôts de sels de calcium.
L’analyse permet de conclure à un méningiome de type fibroblastique.
Les tumeurs représentent 27 % des atteintes pathologiques de la moelle épinière [4]. Les méningiomes sont rares et représentent 7 % des tumeurs médullaires, loin des lymphomes (40 %) et des ostéosarcomes (29 %), principaux néoplasmes spinaux.
A contrario, les méningiomes sont les principales tumeurs intracrâniennes dans l’espèce féline (58 %) [5]. Les méningiomes spinaux sont majoritairement bénins [2]. Ils se rencontrent principalement chez les chats européens avec une répartition égale entre les mâles et les femelles, et principalement en région thoracique (à la différence du chien, chez lequel ils se localisent en région cervicale) [2]. L’âge moyen d’apparition se situe autour de 9 ans [1, 3, 4].
Cette chatte européenne rentre dans les critères épidémiologiques de race et d’âge des méningiomes spinaux. Cependant, la localisation cervicale de la tumeur est rare.
Histologiquement, neuf types de méningiomes sont décrits. Les plus souvent rencontrés sont les types “transitionnels” et “méningothéliales”. Les types “psammomateux”, “anaplastiques”, “fibroblastiques”, “angioblastiques”, “papilloblastiques” “microcystiques” sont moins répandus [4]. Dans ce cas, le méningiome est de type fibroblastique, plutôt rare. Tous sont de croissance lente, sauf le type anaplastique.
Contrairement aux méningiomes intracrâniaux, qui montrent un caractère multicentrique fréquent, les méningiomes spinaux sont souvent isolés et ne présentent que de rares cas de métastases.
D’évolution lente, les premiers symptômes apparaissent environ 5 mois après l’apparition de la tumeur et sont fonction de sa localisation (tableau 2) [5]. L’apparition de signes locomoteurs discrets, en quelques mois chez la chatte, illustre bien l’aspect lentement évolutif de cette tumeur spinale. La localisation du segment médullaire concerné par le processus tumoral repose sur les examens neurologiques et d’imagerie.
L’examen neurologique de cette chatte évoque une lésion des racines nerveuses située entre C6 et T2. L’imagerie indique une lésion en regard de C5. Les segments de moelle épinière ne correspondent pas obligatoirement aux vertèbres sur lesquelles ils reposent. Ainsi, une lésion nerveuse en C6-T2 peut se retrouver entre les vertèbres C4-T2 (figure) [6].
Les clichés radiographiques sans produit de contraste, tout comme ceux réalisés par le vétérinaire traitant, ne permettent pas, en règle générale, de mettre en évidence des anomalies de la moelle épinière [1]. La myélographie apporte davantage d’informations en l’absence d’examen tomodensitométrique.
Le scanner offrant une meilleure résolution en contraste permet d’affiner le diagnostic et de préciser la localisation d’une tumeur spinale. En effet, les méningiomes présentent généralement un réhaussement du contraste en regard de la lésion, comme dans le cas décrit [1, 2]. Un myéloscanner peut aussi être pratiqué. Il apporte plus de précisions sur la localisation extra- ou intradurale par interprétation des déviations de colonne de produit de contraste circulant dans l’espace sous-arachnoïdien [2]. Afin de limiter le temps d’anesthésie, seul un examen tomographique sans produit de contraste a été réalisé dans ce cas. Il a permis de donner une localisation suffisamment précise de la tumeur pour envisager un traitement chirurgical.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) en séquence T1 reste la technique de référence pour le diagnostic de méningiome. Elle affiche une nette surbrillance des tissus tumoraux par rapport aux tissus sains [2].
L’exérèse chirurgicale est le traitement de choix quand l’accès à la tumeur est possible, comme dans ce cas. Les tumeurs isolées non infiltrantes dont la localisation est bien déterminée, de préférence superficielle, constituent les meilleures indications chirurgicales. Néanmoins, lorsque cela n’est pas possible, la radiothérapie peut être préconisée [1]. L’association de la radiothérapie et de la chirurgie ne montre pas d’avantages par rapport à la résection chirurgicale seule.
En cas de localisation ventrale, ou en correspondance avec le plexus brachial ou lombosacré, le pronostic est réservé [1].
L’exérèse chirurgicale offre une médiane de survie de 6 à 14 mois selon les études, avec une bonne récupération fonctionnelle. Les survies peuvent aller jusqu’à 4 ans après la chirurgie curative [3, 4].
La chatte est toujours en vie 18 mois après l’intervention, mais la propriétaire rapporte quelques difficultés motrices intermittentes.
Une nouvelle exploration tomodensitométrique est effectuée et montre une probable récidive sur site.
Des interventions chirurgicales multiples ont déjà été décrites, améliorant à chaque fois l’animal de façon spectaculaire et prolongeant la durée de vie jusque 63 mois [7].
Dans ce cas, une seconde intervention a été proposée, mais les propriétaires l’ont déclinée et l’animal a été euthanasié peu après.
Ce cas clinique illustre la difficulté diagnostique d’une tumeur rare engendrant un trouble locomoteur chronique chez le chat. Le scanner a été un atout majeur dans l’établissement du diagnostic.
Aucun.
→ Décubitus sternal.
→ Tonte et asepsie du site opératoire.
→ Voie d’abord supraspinale en regard des vertèbres cervicales C4-C5-C6.
→ Hémostase réalisée par cautérisation au bistouri électrique bipolaire.
→ Exposition des processus épineux et de la lame dorsale des vertèbres concernées par dissection musculaire jusqu’au processus articulaire latéralement.
→ Ligament jaune et processus épineux réséqués à l’aide d’une pince gouge.
→ Lame dorsale fenêtrée à l’aide d’une fraise pneumatique, selon la technique Funkquist type B (préservation des processus articulaires crâniaux et de la quasi-totalité des processus articulaires caudaux).
→ Durotomie.
→ Exérèse de la masse à l’aide de curettes (photos 5a et 5b).
→ Rinçage à l’aide de chlorure de sodium 0,9 % (Versol®).
→ Lambeau graisseux protecteur sur la moelle.
→ Fermeture des différents plans musculaires, sous-cutanés et cutanés.
→ Les méningiomes spinaux sont des tumeurs rares chez le chat.
→ Les signes cliniques varient selon la localisation de la tumeur.
→ L’évolution des méningiomes spinaux est lente.
→ Les examens d’imagerie (tomodensitométrie, imagerie par résonance magnétique) sont nécessaires pour établir le diagnostic.
→ Le traitement chirurgical prolonge de 6 à 14 mois la vie de l’animal.
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