Luxation congénitale du coude chez un bouledogue anglais de 3 mois - Le Point Vétérinaire expert canin n° 351 du 01/12/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 351 du 01/12/2014

CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE CANINE

Article de synthèse

Auteur(s) : Mathieu Retournard*, Guillaume Ragetly**

Fonctions :
*CHV Frégis, 43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil
contact@fregis.com
**CHV Frégis, 43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil
contact@fregis.com

La luxation congénitale du coude peut induire un réel handicap. Sa correction chirurgicale précoce permet presque toujours d’obtenir une guérison clinique.

La luxation congénitale du coude est une affection ostéo-articulaire du jeune peu fréquente. Elle serait liée à des anomalies de conformation de l’articulation, et notamment des structures de contention (incisure ulnaire, ligaments collatéraux, processus anconé, processus coronoïdes) du coude. Des prédispositions raciales existent et une composante héréditaire est suspectée.

CAS CLINIQUE

Un bouledogue anglais femelle âgé de 3 mois est présenté pour une boiterie d’appui du membre thoracique droit observée depuis la naissance et qui ne fait que s’aggraver, associée à une déformation du coude du même côté.

1. Examen clinique général

L’examen clinique général ne révèle pas d’anomalie notable.

2. Examen orthopédique

À distance

L’examen locomoteur met en évidence une boiterie d’appui permanente du membre thoracique droit, associée à une rotation externe du coude.

Rapproché

Une tuméfaction latérale est constatée en regard du coude (photo 1). Une gêne lors de la flexion et de l’extension du coude est présente, et est associée à une diminution de l’amplitude de mouvement. Une discrète amyotrophie est notée en comparaison avec le membre controlatéral.

3. Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel inclut :

– une luxation congénitale du coude ;

– une luxation traumatique ;

– une fracture articulaire ;

– une dysplasie grave du coude ;

– des malformations ostéo-articulaires ;

– des agénésies ostéo-articulaires.

4. Examen radiographique

Des radiographies en incidences cranio-caudale et médio-latérale du coude sont réalisées (photos 2a et 2b). Elles mettent en évidence un déplacement caudo-latéral de la partie proximale du radius. L’ulna est en position physiologique en regard de la trochlée (partie médiale du condyle huméral), mais le capitulum (partie latérale du condyle huméral) ne repose plus sur la tête du radius. Les plaques de croissance sont toutes d’aspect normal et aucune déformation angulaire majeure n’est constatée. Cependant, la longueur du radius semble excessive par rapport au segment ulnaire. Un rétrocurvatum du radius est objectivé, probablement secondaire à une croissance excessive de cet os par rapport à l’ulna.

5. Diagnostic définitif

L’absence de traumatisme, le jeune âge de l’animal, la durée d’évolution et la position anormale du radius sur les radiographies permettent de diagnostiquer une luxation congénitale du coude de type 1.

6. Traitement

Étant donné la sévérité de la luxation, une réduction chirurgicale est entreprise.

Une incision caudo-latérale est réalisée (photo 3a). L’articulation huméro-radiale est abordée latéralement et la partie proximale du radius isolée (photo 3b). La surface articulaire de la tête du radius n’est pas de conformation normale. Une remise en position de celle-ci est tentée, mais se révèle non réalisable. Une ostéotomie bi-oblique ulnaire en regard du tiers proximal diaphysaire est alors effectuée, afin de corriger l’incongruence articulaire et de faciliter la réduction de la tête du radius (photo 3c). Le radius est ensuite remis en position physiologique en regard de la partie latérale du condyle huméral (photo 3d). La réduction est maintenue dans cette position grâce à un brochage radio-huméral à l’aide d’une broche de 1,5 mm de diamètre (photo 3e). Le site opératoire est refermé de façon conventionnelle, plan par plan. Des radiographies de contrôle sont effectuées pour s’assurer de la précision de la réduction (photos 4a et 4b). Celle-ci est jugée satisfaisante.

La douleur est prise en charge pendant les premières 24 heures avec des bolus de morphine à 0,2 mg/kg par voie intraveineuse (IV) toutes les 4 heures et une injection de méloxicam à 0,1 mg/kg IV. Du froid est appliqué sur le coude opéré pendant 10 minutes toutes les 4 heures grâce à des poches de gel cryogène.

La chienne est rendue à ses propriétaires 24 heures après l’intervention chirurgicale. Une mise au repos strict pendant 8 semaines est préconisée et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (méloxicam à 0,1 mg/kg per os) sont administrés pendant 5 jours.

7. Suivi

À 15 jours

Lors du suivi clinique et radiographique réalisé 2 semaines après l’intervention chirurgicale, une boiterie d’appui marquée est constatée en regard du membre opéré et un déplacement proximal anormal de la broche est mis en évidence. Celle-ci est sortie du plan articulaire (photos 5a et 5b). Cependant, aucune récidive de luxation n’est notée, ce qui laisse penser que la broche a tenu plus longtemps que 24 heures. L’ostéotomie ulnaire a probablement joué un rôle non négligeable. De plus, des signes de cicatrisation sont visualisés en regard de l’ostéotomie ulnaire. Une bonne évolution est ainsi constatée, mais, en raison de la migration de l’implant, un retrait prématuré est nécessaire.

La broche est alors retirée 2 semaines après sa mise en place et une reprise progressive de l’activité est programmée sur 3 à 4 semaines.

À 1 mois

Un mois après le retrait de la broche, une boiterie d’appui est toujours présente, associée à une inflammation et à une tuméfaction importante en regard du coude droit. Une diminution de l’amplitude à la flexion et à l’extension du coude est toujours notée. Les radiographies montrent une cicatrisation complète de l’ostéotomie ulnaire. Une subluxation latérale anormale du radius est constatée sur l’incidence cranio-caudale (photos 6a et 6b). En raison de l’ankylose articulaire et du handicap fonctionnel constaté, une rééducation fonctionnelle est préconisée afin d’accélérer et d’optimiser la phase de récupération. Des séances de mobilisation passive du coude en flexion et en extension, associées à des exercices de mobilisation active en piscine sur tapis roulant immergé sont effectuées de façon progressive, à raison de deux ou trois séances par semaine. Parallèlement, une électrostimulation est pratiquée afin de renforcer la contention musculaire.

À 6 mois

Un contrôle est effectué par le vétérinaire traitant 6 mois après l’intervention chirurgicale. Celui-ci n’a pas jugé utile de réaliser une radiographie, estimant que la réponse clinique était bonne. Une reprise complète de l’activité est observée depuis 2 mois et des séances de rééducation sont encore prescrites à raison d’une fois par semaine. Une évolution satisfaisante est rapportée, avec une disparition de la boiterie justifiant l’arrêt définitif de la rééducation. La récupération fonctionnelle est satisfaisante, même si une déformation du coude reste perceptible, associée à une fibrose péri-articulaire modérée et non douloureuse.

En ce qui concerne la subluxation radio-humérale et l’incongruence articulaire (et notamment la dysplasie de l’incisure ulnaire), l’installation éventuelle d’une arthropathie dégénérative est à surveiller.

DISCUSSION

La luxation congénitale du coude se manifeste dès la naissance, ou dans les semaines qui suivent, par une déviation latérale de l’avant-bras et une diminution de l’amplitude en extension et en flexion.

1. Épidémiologie

Ce trouble est une affection ostéo-articulaire peu fréquente, représentant environ 15 % des anomalies non traumatiques du coude chez le jeune [3, 8]. Les races de petites tailles sont les plus fréquemment touchées, en particulier pour le type 2, puisque l’affection a été décrite chez le shetland, le pékinois, le cocker, le yorkshire terrier, le boston terrier, le caniche miniature, le chihuahua et le bulldog anglais [1, 3, 4, 6, 9, 10]. Les mâles semblent être atteints en plus grand nombre [7]. Les animaux sont présentés le plus souvent à un âge de 3 à 6 semaines pour des difficultés locomotrices sévères [7].

2. Classification

Trois types de luxation sont décrits, qui reposent sur une classification radiographique proposée en 1982 [4]. Le type 1 est défini par une luxation latérale ou caudo-latérale de la tête du radius, avec un ulna en position physiologique. Le type 2, le plus fréquent, correspond à une luxation et à une rotation externe de l’ulna. Le type 3 se traduit par une luxation du radius et de l’ulna, et serait associé à une laxité articulaire généralisée (polyarthrodysplasia), ainsi qu’à de multiples déformations ostéo-articulaires congénitales, telles que l’ectrodactylie [4].

3. Physiopathologie

L’origine exacte de la luxation congénitale du coude reste inconnue, mais une composante héréditaire est suspectée [1, 4]. De plus, des auteurs suggèrent qu’une hypoplasie ou une agénésie de certaines structures de contention du coude, en particulier du ligament collatéral médial, mais également de l’incisure ulnaire, du processus anconé et des processus coronoïdes, pourraient prédisposer à une luxation congénitale du coude [1]. Aucune de ces anomalies n’est notée dans le cas décrit.

4. Éléments du diagnostic

Classiquement, l’examen locomoteur révèle une déformation du coude avec un déplacement latéral de l’olécrane, une atrophie musculaire et une diminution de l’amplitude articulaire. Un examen radiographique permet de confirmer le diagnostic, de préciser le type de luxation, d’évaluer d’éventuelles anomalies articulaires pouvant prédisposer à la luxation et de réaliser un bilan des éventuels remaniements articulaires (arthrose, remodelage des condyles huméraux, de la fosse olécranienne et de l’incisure trochléaire) [3].

5. Traitement

Une réduction manuelle est la plupart du temps impossible. Le traitement est uniquement chirurgical et doit être réalisé le plus précocement possible [3, 5]. Il consiste à replacer l’articulation dans la position la plus physiologique possible et à l’immobiliser temporairement dans cette posture. Une ostéotomie est parfois nécessaire pour faciliter la réduction, soit radiale soit ulnaire. Une ostéotomie bi-oblique ulnaire telle que décrite récemment a été pratiquée ici, afin de corriger l’incongruence articulaire en regard du coude et de faciliter la réduction du radius [2]. L’objectif du traitement chirurgical n’est pas de retrouver une articulation sans anomalie, mais de rétablir la fonction du membre [5, 9]. Cela a été le cas pour ce chiot bouledogue, sans qu’il soit possible de préciser l’action respective des mesures mises en place. Il est probable que l’efficacité de l’enclouage ait été diminuée par le déplacement. Dans tous les cas, un suivi à plus long terme est important pour objectiver l’efficacité dans le temps.

Plusieurs techniques de stabilisation alternatives ont été décrites, soit par brochage transarticulaire, soit à l’aide d’un fixateur externe [7, 10].

Bien que ce traitement aille à l’encontre de nombreux principes de la chirurgie orthopédique du jeune (immobilisation d’une articulation, broche transarticulaire, lésion des cartilages de croissance et des cartilages articulaires), l’expérience montre que les bénéfices à en tirer restent supérieurs aux inconvénients. La plus grande série de cas décrite porte sur 8 chiens traités par brochage trans­articulaire seul, après réduction chirurgicale [8]. Malgré une récidive de luxation chez 5 chiens (nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale), une reprise fonctionnelle du membre jugée satisfaisante et sans boiterie a été observée chez 6 chiens, au terme d’un suivi variant de 1 à 19 mois.

6. Complications possibles

La complication la plus fréquemment décrite est une récidive de luxation dans plus de 50 % des cas, probablement liée à l’instabilité de l’articulation et, potentiellement, à des anomalies de conformation de l’articulation [9, 10]. Cependant, la plupart du temps, le bénéfice chirurgical semble manifeste et une amélioration considérable de la démarche est rapportée après l’opération, en dépit d’une récidive de luxation et de déformations ostéo-articulaires parfois persistantes [9, 10].

Conclusion

Le jeune bouledogue anglais traité chirurgicalement pour une luxation congénitale du coude de type 1 a bénéficié d’une récupération satisfaisante puisque la boiterie a disparu. C’est presque toujours le cas, même si, anatomiquement, certaines anomalies persistent ou reviennent. Le rapport bénéfices/risques est donc largement en faveur de l’opération, qui est le seul moyen de prévenir l’installation d’un handicap permanent.

Références

  • 1. Bingel et coll. Congenital elbow luxations in the dog. J. Small Anim. Pract. 1977;18:445-456.
  • 2. Fitzpatrick N et coll. Bi-oblique dynamic proximal ulnar osteotomy in dogs: reconstructed computed tomographic assessment of radioulnar congruence over 12 weeks. Vet. Surg. 2013;42:727-738.
  • 3. Griffon DJ. Surgical diseases of the elbow. In: Tobias KM, ed. Veterinary surgery, small animal. 1st ed. Saunders Co, Philadelphia. 2013:730–732
  • 4. Kene ROC et coll. The radiological features of congenital elbow luxation/subluxation in the dog. J. Small Anim. Pract. 1982;23:621-630.
  • 5. McDonell HL. Unilateral congenital elbow luxation in a Cavalier King Charles Spaniel. Can. Vet. J. 2004;45 (11):941-943.
  • 6. Milton IL et coll. Congenital elbow luxation in the dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1979;175:572.
  • 7. Milton JL, Montgomery RD. Congenital elbow dislocation. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1987;17 (4):873-888.
  • 8. Peirone B et coll. Early treatment of elbow luxation. Proceedings 12th European Society of Veterinary Orthopaedics and Traumatology Congress, September 12, 2004, Munich, Germany.
  • 9. Rahal SC et coll. Reduction of humeroulnar congenital elbow luxation in 8 dogs by using the transarticular pin. Can. Vet. J. 2000;41:849-853.
  • 10. Withrow SJ. Management of congenital elbow luxation by temporary transarticualr pining. Vet. Med. Small Anim. Clin. 1977;72 (10):1597-1602.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Une luxation congénitale du coude de type 1 chez un chiot bouledogue anglais est corrigée chirurgicalement avec succès.

→ Le traitement classique consiste à réduire le plus tôt possible la luxation, à effectuer un brochage radio-huméral, puis à immobiliser le coude en position physiologique pendant 2 semaines.

→ Trois types de luxation congénitale du coude existent, selon qu’elle est huméro-radiale, huméro-ulnaire ou huméro-radio-ulnaire.

→ En règle générale, la fonctionnalité du membre est nettement améliorée. La complication la plus fréquente est une récidive de la luxation.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr