Avulsion partielle traumatique du tendon du triceps brachial chez un chat - Le Point Vétérinaire expert canin n° 351 du 01/12/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 351 du 01/12/2014

ORTHOPÉDIE FÉLINE

Cas clinique

Auteur(s) : Vincent Delfosse*, Dimitri Leperlier**

Fonctions :
*Centre hospitalier vétérinaire Pommery
226, bd Pommery
51100 Reims
chirurgie@chvpommery.fr
**Centre hospitalier vétérinaire Pommery
226, bd Pommery
51100 Reims
chirurgie@chvpommery.fr

L’avulsion du triceps brachial est une affection rare, traitée par chirurgie tendineuse reconstructrice. La cicatrisation est lente et nécessite une contention externe.

Les avulsions tendineuses sont peu fréquentes chez les animaux domestiques. La plupart du temps, elles résultent d’un traumatisme important. Certaines de ces affections tendineuses sont plus fréquentes. C’est le cas de l’avulsion du tendon d’Achille et, plus spécifiquement, de celle du tendon du muscle gastrocnémien chez le chien [9]. Les autres avulsions tendineuses rapportées concernent le tendon du muscle infra-épineux, les tendons des fléchisseurs des doigts, le tendon du biceps brachial, le tendon du quadriceps et celui du triceps brachial chez le chien [1, 10, 11]. À notre connaissance, seulement deux cas d’avulsion du triceps brachial ont déjà été rapportés [3, 6]. Pour l’un d’entre eux, une origine dégénérative plutôt que traumatique est suspectée [3].

Cet article a pour objectif de documenter la prise en charge d’une avulsion traumatique du chef long du muscle triceps brachial.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chat mâle castré européen de 2 ans pesant 5,2 kg est présenté quelques heures après sa chute du toit d’une maison de deux étages. À la suite de cet accident, l’animal présente une boiterie marquée, avec un appui conservé du membre antérieur gauche. D’après ses propriétaires, il n’a pas d’antécédent médical significatif, en particulier aucune boiterie n’a été observée avant cet événement.

2. Examens clinique et orthopédique

L’examen clinique général de l’animal ne révèle aucune anomalie. L’examen orthopédique à distance montre une boiterie de grade 4 du membre thoracique gauche. Lors de la phase d’appui sur ce membre, un affaissement est constaté avec une flexion complète du coude. Une absence complète de résistance à la flexion est notée lors de la mobilisation du coude. La palpation du membre ne décèle pas d’amyotrophie significative. En revanche, un gonflement tissulaire en regard du tiers distal et caudal de la diaphyse humérale, ainsi qu’une dépression de 1 cm proximalement à l’olécrane, en lieu et place du tendon tricipital, sont notés. Aucune douleur significative n’est mise en évidence à la mobilisation segmentaire du membre.

3. Examens complémentaires

Radiographies

En raison du contexte traumatique, des radiographies thoraciques sont effectuées. Elles ne révèlent aucune anomalie.

Après réalisation d’un examen biochimique préanesthésique, qui est normal, des radiographies du membre affecté sont réalisées sous anesthésie générale. L’animal est prémédiqué par voie intramusculaire avec de la morphine (à la dose de 0,2 mg/kg, Morphine® Lavoisier, 20 mg/ml) et du midazolam (Hypnovel®, Roche, à la dose de 0,2 mg/kg), puis induit avec du propofol (Propovet®, Axience, à 4 mg/kg). Un relai gazeux à l’isoflurane sous 100 % d’oxygène est ensuite mis en place.

Des radiographies cranio-caudale et médio-latérale du coude gauche montrent une tuméfaction dans la zone de projection de l’insertion du muscle triceps brachial, des fragments osseux libres et une discrète irrégularité du bord caudo-proximal de l’olécrane (photos 1a et 1b).

Scanner

Afin d’établir un diagnostic de certitude et de préciser la sévérité de l’atteinte tricipitale, un examen tomodensitométrique en reconstructions osseuse et tissulaire est réalisé (Scanner Siemens® Somaton 16 Emotion). Les images montrent des avulsions complètes du chef long du triceps brachial (discontinuité complète visible dans le plan sagittal) et partielles sur les chefs médial et latéral (remaniement visible dans les plans parasagittaux) (photos2a, 2b, 2c et 2d).

4. Intervention chirurgicale

Après préparation aseptique du membre thoracique gauche, une approche latérale du coude est effectuée. Le tendon du chef long du triceps est isolé. En accord avec l’examen tomodensitométrique, les chefs latéral et médial du triceps se révèlent partiellement avulsés.

Les abouts sont débridés sur 3 mm. Deux tunnels de forage de 1 mm de diamètre sont créés dans l’olécrane. Des sutures de Kessler avec un fil monobrin à résorption lente (Maxon 2/0) sont placées dans les chefs latéral et médial, passées dans le trou le plus proximal, puis mises en tension. Deux autres sutures du même type sont positionnées respectivement sur les faces latérale et médiale du chef long du triceps, puis passées dans le deuxième tunnel de forage de l’olécrane pour être également mises en tension jusqu’à ce que les extrémités du tendon soient en contact (figure 1).

Le tissu paratendineux est reconstruit précautionneusement par une rangée de points simples placés perpendiculairement à l’axe long du tendon (Maxon 2/0). Après irrigation avec du NaCl à 0,9 %, la voie d’abord est refermée de manière conventionnelle en trois plans.

Un pansement contentif de type Robert-Jones modifié est mis en place pendant 3 semaines. Il est renouvelé toutes les semaines sous sédation afin de s’assurer de l’absence de lésion cutanée.

Un repos complet avec un confinement strict dans une petite pièce est imposé au chat pendant 6 semaines.

5. Suivi

Lors de la réévaluation à 6 semaines postopératoires, une amyotrophie modérée est présente, ainsi qu’une discrète boiterie de grade 1 sur 5.

Une légère induration de l’insertion olécranienne du tendon du triceps est palpable mais l’amplitude articulaire du coude est entière et sans douleur pour le chat. Un retour à une activité restreinte et progressive à la maison est alors autorisé. Lors du contrôle final effectué 10 semaines après l’intervention chirurgicale, le chat ne présente pas de boiterie et a repris une activité normale.

DISCUSSION

1. Étiologie

Chez le chat, l’avulsion du triceps brachial est une maladie rarement décrite. À notre connaissance, seulement deux cas sont rapportés : l’un concerne une avulsion partielle à la suite d’un processus dégénératif chronique, l’autre correspond à une avulsion traumatique chez un jeune chat [3, 6]. Dans le cas décrit, l’hypothèse traumatique est retenue car les propriétaires rapportent une chute du chat et l’apparition brutale d’une boiterie après cet épisode. De plus, le jeune âge de l’animal et l’absence d’éléments radiographiques concordants (calcifications du tendon, réactions périostées, entésiopathies) sont en défaveur d’une tendinopathie préexistante chez celui-ci.

2. Diagnostic

Clinique

L’avulsion du triceps brachial est suspectée en premier lieu lors de l’examen clinique. L’animal ne peut supporter son poids sur le membre atteint et s’affaisse lors de la phase d’appui. La palpation de la zone met en évidence un gonflement proximalement à l’olécrane et une dépression à proximité immédiate de celui-ci. Cela correspond au vide laissé par le tendon avulsé, d’une part, et à la tuméfaction de l’extrémité libre, d’autre part. Lors de la mobilisation du coude, aucune résistance n’est présente. Lors de rupture partielle, la présentation clinique est parfois légèrement différente. L’animal peut conserver un appui partiel sur le membre. De ce fait, le diagnostic en est rendu plus compliqué. Une rupture partielle peut rapidement conduire à une rupture complète, en particulier lors d’une tendinopathie préexistante [3].

Imagerie médicale

La radiographie permet de mettre en évidence certaines lésions osseuses comme des fragments avulsés de l’olécrane, ainsi qu’une tuméfaction locale des tissus mous. Cela permet d’orienter le diagnostic. L’examen tomodensitométrique apporte des précisions en raison de sa meilleure résolution en contraste sur les différents éléments lésés et grâce à la « désuperposition » autorisée par ce type d’examen. Ainsi, sont clairement identifiés le fragment avulsé, la collection liquidienne et la rupture complète du chef long.

Bien que non réalisés dans notre cas, un examen échographique ou une imagerie par résonance magnétique de la région lésée sont des solutions alternatives de choix dans l’exploration de ce type de lésion.

3. Traitement chirurgical

Principe de la reconstruction

La cicatrisation tendineuse est un processus lent (56 % de résistance à 6 semaines, 79 % à 1 an) et la chirurgie reconstructrice tendineuse doit répondre à certaines caractéristiques.

La reconstruction doit permettre un excellent alignement et une parfaite apposition du tendon avulsé à son insertion sur la surface osseuse.

La persistance d’un espace supérieur à 3 mm entre les deux abouts tendineux est un facteur de cicatrisation négatif et doit absolument être évitée [5].

La cicatrisation tendineuse se fait essentiellement par l’afflux de nouveaux fibroblastes produisant du collagène. L’arrivée de ces cellules est dépendante d’une bonne vascularisation. Deux types de tendons sont distingués (vasculaire et avasculaire), selon qu’ils possèdent ou non un paratendon.

Les tendons vasculaires sont ceux qui présentent un paratendon (gastrocnémien et triceps). Leurs capacités de cicatrisation sont meilleures que celles d’un tendon avasculaire. Dans le cas rapporté, la parfaite apposition du tissu paratendineux constitue une source importante de vascularisation et de nouveaux fibroblastes. Sa reconstruction méticuleuse en un plan individuel est intéressante car elle facilite la formation d’une néovascularisation, donc la cicatrisation.

Types de sutures

Différents types de sutures peuvent être utilisés dans les reconstructions tendineuses. La cicatrisation du tendon étant un processus lent, l’apposition des abouts est entièrement sous la dépendance des sutures pendant les 3 premières semaines [2]. Les fils de suture peuvent être résorbables ou non. Le choix s’est, ici, orienté sur un fil à résorption lente, de façon à assurer une longue solidité des sutures sans pour autant favoriser un effet “corps étranger”. Il s’agit du fil Maxon 2/0. D’autres fils, comme le PDS II, sont également utilisables.

Différents motifs de suture peuvent être employés dans le cadre des sutures tendineuses. Néanmoins, étant donné l’orientation linéaire des fibres de collagène au sein des tendons, les points simples ne sont pas recommandés car ils offrent une trop faible résistance à l’arrachement [2]. Les sutures en anse bloquée et de type “three-loop pulley” (suture en triple poulie) procurent une résistance accrue à l’arrachement et assurent une bonne apposition des extrémités tendineuses (figure 2figure 2) [2]. Elles sont indiquées en particulier pour la reconstruction des tendons de section ronde [2]. La suture en triple poulie a été utilisée dans les deux autres cas présentés dans les publications scientifiques et est généralement aussi employée lors de rupture du tendon du muscle gastrocnémien chez le chien [9]. Une étude récente a démontré la supériorité de ce type de suture comparativement à une suture en anse bloquée pour la fixation d’un tendon (gastronémien) à un os (calcanéum) [8]. Ce type de suture limiterait également la formation d’un espace entre les abouts tendineux, qui est un facteur pronostique négatif dans la cicatrisation du tendon lorsque celui-ci mesure plus de 3 mm [5].

Dans le cas rapporté, deux sutures en anse bloquée (médiale et latérale) ont été appliquées car l’apposition obtenue après la réalisation d’une suture en triple poulie n’était pas satisfaisante.

4. Contention externe du membre

Après reconstruction tendineuse, une contention externe est nécessaire.

Différents types d’immobilisation du membre ont été rapportés.

Des bandages avec attelle ou des résines sont couramment utilisés, mais sont associés à des complications locales potentielles non négligeables (63 % des cas selon une étude) [7].

L’utilisation d’un fixateur externe transarticulaire permet d’obtenir de bons résultats, mais requiert des soins post­opératoires importants et une seconde anesthésie pour son retrait. De plus, dans le cadre de l’articulation du coude, le montage est compliqué en raison de la nécessité d’une hémi-fixation sur l’humérus. En l’absence d’une étape de dynamisation du montage, aucune tension n’est autorisée sur le tendon du triceps [3, 6].

Un pansement de type Robert-Jones modifié a été choisi dans le cas décrit. En effet, les légers mouvements qu’autorise ce pansement permettent une légère mise en tension du tendon du triceps brachial. Cela favorise le développement d’un alignement correct des fibres de collagène du tendon et, ainsi, sa cicatrisation [4]. Trois semaines de contention externe sont généralement recommandées afin de limiter le risque de récidive. Comme toute contention externe, des lésions cutanées peuvent se développer en particulier si le pansement glisse ou absorbe de l’eau. L’activité doit ensuite être reprise très progressivement, par des mouvements de flexion et d’extension passifs, puis un retour à un appui progressif. De la physiothérapie peut être également proposée afin de parfaire la récupération.

Conclusion

Chez le chat, l’avulsion complète ou partielle du tendon du triceps est une affection rare. Cette hypothèse diagnostique doit être retenue lors de boiterie d’un membre antérieur avec un affaissement complet de celui-ci lors de sa mise en charge. Un examen clinique rapproché, complété par des radiographies, permet d’établir le diagnostic. Des examens d’imagerie avancée affinent le bilan lésionnel. Une intervention chirurgicale est requise afin d’obtenir une récupération optimale de l’animal. Différentes techniques de reconstruction sont réalisables, l’objectif étant la réapposition la plus parfaite possible du tendon sur son site d’insertion osseuse.

Ce cas clinique a abouti à un bon résultat fonctionnel en associant une tendinorraphie et une contention externe. La contention externe a l’avantage, par rapport aux autres options classiquement utilisées (fixateur externe transarticulaire ou résine), de réduire les coûts d’intervention, de limiter les lésions cutanées secondaires, et de faciliter le suivi et les changements de pansement. De plus, les légers mouvements autorisés par cette contention permettent une mise en tension du tendon, facteur favorisant la cicatrisant tendineuse.

Références

  • 1. Arnault F, Dembour T, Gallois-Bride H, Chancrin JL. Rupture of the quadriceps tendon: A case report in a young dog. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2009;22 (1):74-80.
  • 2. Carmichael S, Marshall W. Muscle and tendon disorders. Veterinary Surgery Small Animals, St Louis, Elsevier. 2012:1131-1134.
  • 3. Clarke Sp, Jermyn K, Carmichael?S. Avulsion of the triceps tendon in a cat. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2007;3:245-247.
  • 4. Dueland R, Quenin J. Triceps tenotomy: biomechanical assessment oh healing strength. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1980;16:507-512.
  • 5. Gelberman R, Boyer M, Brodt M et coll. The effect of gap formation at the repair site on the strength and excursion intrasynovial flexor tendons. J. Bone Joint Surg. Am. 1999;81:975-982.
  • 6. Liehmann L, Lorinson D. Traumatic triceps avulsion in a cat. J. Small Anim. Pract. 2006;47:94-97.
  • 7. Messon R, Davidson C, Arthurs G. Soft-tissue injuries associated with cast application for distal limb orthopaedic conditions. A retrospective study of sixty dogs and cats. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2011;24 (2):126-31.
  • 8. Moores Ap, Comerford Ej, Tarlton JF et coll. Biomechanical and clinical evaluation of a modified 3-loop pulley suture pattern for reattachment of canine tendons to Bone. Vet. Surg. 2004;33:391-397.
  • 9. Reinke Jd, Mughannam Aj, Owens JM. Avulsion of the gastrocnemius tendon in 11 dogs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1993;29:410-418.
  • 10. Schaaf Ro, Eaton-Wells R, Mitchell RA. Biceps brachii and brachialis tendon of insertion injuries in eleven racing greyhounds. Vet. Surg. 2009;38 (7):825-833.
  • 11. Thompson D, Leitch B, Hartman A et coll. Probable avulsion of the infraspinatus tendon of insertion in a Rottweiler. N. Z. Vet. J. 2011;59 (5):235-237.
  • 12. TOBIAS M, JOHNSTON SA, Veterinary Surgery Small Animal, St Louis, Elsevier 2012 : 1132.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’avulsion du triceps est une affection rare, mais qui doit faire partie du diagnostic différentiel lors de l’exploration d’une boiterie d’un membre antérieur chez un chat.

→ L’examen clinique permet d’établir une forte suspicion diagnostique, et les examens d’imagerie confirment et définissent l’étendue de l’atteinte tricipitale.

→ Une chirurgie tendineuse reconstructrice et une contention externe conduisent, dans le cas présent, à une récupération fonctionnelle totale.

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