Physiopathologie et étiologie des douleurs neuropathiques - Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014
Le Point Vétérinaire n° 346 du 01/06/2014

DOULEUR CHEZ LE CHIEN ET LE CHAT

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire, 8, rue des Culquoilès,
La Croix-Michaud, 17630 La Flotte-en-Ré
Clinique vétérinaire, 9, avenue du Général-de-
Gaulle, 17410 Saint-Martin-de-Ré

De très nombreuses situations pathologiques ou interventionnelles provoquent des douleurs neuropathiques. Les mécanismes physiopathologiques complexes de ces dernières justifient la recherche de leur origine pour traiter l’animal avec succès.

Méconnues, sous-estimées, non évaluées, donc soustraité es, les douleurs neuropathiques (DN) posent un double défidiagnostique et thérapeutique pour le vétérinaire. La connaissance des mécanismes physiopathologiques et des causes à envisager est un prérequis nécessaire à leur prise en charge.

1 Définition

La douleur neuropathique est définie par l’International Association for the Study of Pain (IASP) comme « la douleur initiée ou causée par une lésion primitive ou un dysfonctionnement du système nerveux central [SNC] (moelle épinière, tronc cérébral, hémisphères cérébraux) ou périphérique » (encadré) [11].

En médecine humaine, les DN affectent 7 % de la population française adulte, soit 25 % des patients douloureux chroniques.

2 Mécanismes physiopathologiques

Contrairement aux douleurs nociceptives et inflammatoires, c’est le support même de la transmission de l’information qui présente un dysfonctionnement, de telle façon que la sensation se trouve perturbée dans sa genèse, son transport, son intégration et sa modulation.

Les lésions neuropathiques relèvent de mécanismes périphériques ou centraux (figure 1).

Mécanismes périphériques

SENSIBILISATION ET SUREXPRESSION DES NOCICEPTEURS

Localisés à l’extrémité des nocicepteurs, les canaux ioniques assument la conversion des stimuli mécaniques, thermiques ou chimiques en réponses électriques. Parmi cette large famille de canaux transducteurs, le récepteur de la capsaïcine, nommé TRPV1 (récepteur à potentiel transitoire, sensible aux vanilloïdes), joue un rôle prépondérant dans la détection de la chaleur douloureuse, mais aussi dans la genèse de la douleur neuropathique. Certains modèles de douleurs neuropathiques ont montré une surexpression des canaux TRPV1, se traduisant par des sensations de brûlure spontanée [5]. La mise en cause de ce récepteur ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques (patch à la capsaïcine).

L’utilisation d’agonistes ou d’antagonistes spécifiques de ces canaux surexprimés permet de cibler davantage le mécanisme physiopathologique incriminé et de limiter les effets délétères des antagonistes non sélectifs. Les anesthésiques locaux, puissants antagonistes des canaux sodiques, sont efficaces, mais aussi dangereux en cas d’administration systémique en raison de la distribution ubiquitaire de ces derniers (cœur et SNC).

Au-delà d’un contexte strictement neurologique, l’inflammation précède très souvent la douleur neuropathique et contribue à son développement. En effet, la sensibilisation périphérique des nocicepteurs est obtenue par une libération de médiateurs de l’inflammation : substance P, neurokinine A, CGRP (calcitonin gene related peptide), qui recrutent des cellules inflammatoires comme les neutrophiles, les mastocytes, les macrophages et les lymphocytes.

Un milieu inflammatoire complexe, formé de multiples ingrédients (soupe inflammatoire) agissant en synergie (ions H+ et K+, histamine, cyclo-oxygénases, sérotonine, prostaglandines, cytokines, etc.), diminue alors significativement le seuil de réponse des nocicepteurs pour provoquer une hyperalgésie primaire sur le site de la lésion.

EXCITABILITÉ ECTOPIQUE DES FIBRES AFFÉRENTES NOCICEPTIVES (Aδ, C) ET TACTILES (Aβ)

Des activités électriques aberrantes surviennent au cours de lésions nerveuses. Elles sont qualifiées d’ectopiques car elles ne sont pas uniquement générées au niveau des terminaisons nerveuses, et peuvent naître dans les corps cellulaires, les troncs nerveux ou dans des bourgeons de régénération.

Les décharges spontanées des fibres tactiles sont responsables de paresthésies et de dysesthésies. Les altérations de l’excitabilité des fibres nociceptives produisent des douleurs lancinantes et brûlantes.

Ces symptômes sont générés par une activité accrue des canaux sodiques dont l’expression et la distribution sont modifiées en cas de douleurs neuropathiques [10].

La famille des canaux sodiques voltage-dépendants est particulièrement incriminée car des études de fluorescence ont montré un remodelage des membranes neuronales, avec une synthèse, un transport et une accumulation de ces canaux près des terminaisons nerveuses. Il existe notamment, comme pour les douleurs inflammatoires, une surexpression de certains sous-types de canaux sodiques (les canaux Nav 1.8, 1.9, 1.3) en regard de la lésion, qui pourrait entraîner un abaissement du seuil d’activation des fibres.

Enfin, le blocage préemptif des canaux inhibe le développement d’hyperalgésies neuropathiques et contribue ainsi à l’hypothèse de la participation de ces canaux aux phénomènes d’excitabilité ectopique [8].

La famille des canaux calciques est également impliquée dans l’excitabilité ectopique : chez l’animal, Yaari et Devor ont montré que les anticonvulsivants réduisaient la décharge de potentiels d’action ectopiques dans les nerfs lésés [21]. Ces travaux pourraient expliquer l’action antalgique prépondérante de la gabapentine sur les douleurs lancinantes associées à des lésions nerveuses.

ÉPHAPSES : EXCITATION CROISÉE

L’interaction physiologique entre deux neurones s’effectue par l’intermédiaire d’une synapse, le lieu de passage d’un influx nerveux électrique grâce à un message chimique (neuromédiateur).

Des interactions non synaptiques, qualifiées d’éphapses, peuvent se produire latéralement entre des fibres tactiles et nociceptives, agissant tels des court-circuits, perturbant la discrimination entre les informations tactiles et douloureuses.

Ces connexions éphatiques seraient impliquées dans le phénomène de douleur neuropathique, comme dans le cas de la névralgie du trijumeau : les zones démyélinisées du nerf trijumeau seraient des sites de connexions éphatiques et la douleur serait due aux stimulations mécaniques, induites par les pulsations des vaisseaux [16]

Après dégénérescence nerveuse, des synapses vacantes de fibres nociceptives C peuvent être colonisées par des fibres tactiles. Les neuromédiateurs excitateurs (substance P et CGRP) peuvent alors être exprimés, contribuant au changement phénotypique des fibres Aβ et à la sensation douloureuse inédite d’une information purement tactile.

CHANGEMENTS PHÉNOTYPIQUES

Les lésions nerveuses induisent de profondes modifications métaboliques au niveau des corps cellulaires situés dans les ganglions rachidiens. Ces changements se traduisent par une réduction des récepteurs morphiniques et/ou une augmentation de l’expression de centaines de gènes, dont ceux impliqués dans la synthèse et la libération de divers neuropeptides excitateurs (substance P, CGRP, etc.).

De véritables transformations (switch) phénotypiques ont également été décrites : les fibres de gros calibres véhiculant normalement les messages non nociceptifs se comportent comme des nocicepteurs et synthétisent des neuropeptides pronociceptifs (substance P, Brain Derived Neurotrophic Factor [BDNF]).

DOULEURS ENTRETENUES PAR LE TONUS SYMPATHIQUE

Le système sympathique influence peu la nociception, sauf en présence de terminaisons nerveuses endommagées, à l’origine d’interactions multiples avec le système sensoriel. Le ganglion rachidien lésé devient le siège de décharges spontanées, d’éphapses et d’un remodelage induit par le facteur de croissance nerveux (NGF).

Les études effectuées chez l’animal montrent que les fibres primaires afférentes sont couplées à des fibres du système sympathique. Ce couplage est augmenté dans les ganglions de la racine dorsale en cas de lésion nerveuse. L’activation des récepteurs α2-adrénergiques exprimés par la fibre somatique lésée réalise un “couplage fonctionnel sympatho-afférent”, augmente la fréquence des décharges ectopiques et conduit à l’hyperesthésie tactile (premier degré de l’allodynie) [4].

L’activation du flot sympathique stimule les récepteurs β2-adrénergiques des vaisseaux sanguins et augmente en périphérie la vasodilatation, donc l’extravasion de bradykinine, substance fortement algogène.

Le système sympathique peut, en circuit réflexe, aider à recruter des neurones non excités directement par le stimulus douloureux et ainsi activer des “nocicepteurs silencieux”.

Mécanismes centraux

Alors que les mécanismes cités précédemment produisent des sensations douloureuses spontanées, les hyperalgésies et les allodynies semblent être le résultat de phénomènes de sensibilisation centrale [20]. L’activation des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) est l’élément clé expliquant l’hyperexcitabilité des neurones de la corne dorsale de la moelle épinière (allodynie, hyperalgésie) et la réorganisation des aires somatosensorielles (douleur fantôme).

SENSIBILISATION DE LA CORNE DORSALE DE LA MOELLE

Les modifications périphériques induites par les lésions nerveuses entraînent une augmentation importante de la libération du glutamate, source d’activation des récepteurs NMDA (figure 2).

Sous l’action prolongée de la substance P et du glutamate, leurs récepteurs respectifs NK1 et AMPA s’activent pour dépolariser de plus en plus la membrane des neurones et éjecter l’ion Mg bloquant le récepteur NMDA. Libéré, ce dernier s’ouvre et permet une entrée massive de calcium dans la cellule. La forte concentration cellulaire de calcium produit alors une grande variété de seconds messagers et active de plus de nombreuses enzymes intracellulaires : protéine kinase C (PKC), phospholipase A2, etc. Un système complexe de boucles rétroactives positives et auto-entretenues libère de nouveaux facteurs excitateurs, amplifiant la réponse des neurones de la corne dorsale qui deviennent hypersensibles à des stimuli nociceptifs ou non.

RÉORGANISATION CENTRALE

La réorganisation centrale concerne la moelle épinière et les hémisphères cérébraux.

Les fibres afférentes se projettent dans différentes couches de la substance grise de la moelle épinière appelées lames de Rexed.

Les fibres Aδ et C se projettent essentiellement dans les couches I, II (dites nociceptives spécifiques) et V. Les fibres tactiles Aβ, localisées dans les couches III et IV, peuvent, après section nerveuse périphérique, envoyer des collatérales dans les couches I et II, et établir un contact synaptique avec les neurones de cette zone. L’information provenant des mécanorécepteurs des fibres Aβ est alors à l’origine d’un message douloureux (allodynie) (figure 3).

Chez l’animal, l’application de stimuli douloureux en périphérie induit des modifications de plasticité neuronale cérébrale. Ainsi, après ligature du nerf sciatique chez le rat, une réorganisation du réseau thalamique et des aires somato-sensorielles est observée. Des études d’imagerie fonctionnelle ont également montré que les individus atteints de douleurs du membre fantôme présentaient une réorganisation des aires somato-sensorielles primaire S1 [7]. Ces changements décrits au niveau cortical ont été retrouvés également en regard du thalamus et dans les noyaux du tronc cérébral [18].

En cas de succès thérapeutique, ces modifications semblent réversibles, traduisant une neuroplasticité remarquable, orientée favorablement ou négativement par l’évolution de la maladie.

ALTÉRATION DES CONTRÔLES INHIBITEURS DESCENDANTS

La transmission de l’information douloureuse ascendante au niveau de la corne dorsale est modulée par des mécanismes qui peuvent être facilitateurs ou inhibiteurs. L’activité inhibitrice descendante est principalement exercée par les systèmes mono-aminergiques issus des centres supraspinaux (substance grise péri-aqueducale [SGPA], locus coeruleus [LC], noyau raphé médian [NRM]), les récepteurs opioïdes fortement exprimés dans la corne dorsale et des synapses GABAergiques et glycinergiques. De nombreuses données issues de modèles animaux montrent que l’activité et l’efficacité de ces contrôles sont diminuées en conditions de douleurs neuropathiques [22].

La destruction ou le dysfonctionnement des interneurones inhibiteurs pourraient être en relation avec une cytotoxicité neuronale provoquée par la stimulation excessive des récepteurs NMDA [17].

Il a été proposé que l’association des phénomènes de sensibilisation et de désinhibition pouvait modifier le “phénotype” des synapses, changeant des synapses “silencieuses” en synapses “fonctionnelles” [9].

RÔLE DE LA GLIE

Les cellules gliales participent à l’environnement des neurones en produisant la myéline, en leur fournissant l’énergie, en récupérant les neuromédiateurs libérés et en contribuant à leur réparation (facteurs de croissance). Dans des circonstances de douleurs neuropathiques, les cellules gliales peuvent aussi produire des facteurs gliaux délétères (adénosine triphosphate, glutamate, monoxyde d’azote) et des cytokines pourvoyeuses d’inflammation et d’hypersensibilisation des nocicepteurs.

Les cellules gliales deviennent ainsi de nouvelles cibles thérapeutiques. Chez l’animal d’expérimentation, la propentofylline supprime l’activation des astrocytes et réduit les signes de douleur chronique [19].

L’augmentation du nombre des récepteurs aux endocannabinoïdes CB2 sur les cellules microgliales au cours des processus douloureux chroniques suggère la forte implication de la glie et conforte l’action antalgique du cannabis [8 bis].

Contrecarrer l’action des cytokines gliales pro-inflammatoires par l’utilisation de molécules (pentoxyfilline) stimulant la production d’interleukines anti-inflammatoires (IL-10) est une autre voie de recherche, en cours d’essais cliniques.

3 Étiologie

Chez les animaux de compagnie, il existe très peu de données concernant la prévalence des douleurs neuropathiques périphériques et centrales, en relation avec les difficultés d’évaluation et de diagnostic.

Par référence aux situations rencontrées en médecine humaine, il est très probable qu’elles coexistent dans certains contextes traumatiques, infectieux, dégénératifs, chirurgicaux, métaboliques (diabète), cancéreux, toxiques (vincristine et cisplatine), vasculaires, viscéraux, dermatologiques et héréditaires (syringomyélie).

Contexte traumatique, infectieux ou dégénératif

La radiculopathie est provoquée par la compression ou l’irritation des nerfs à leur sortie de la colonne vertébrale (racine nerveuse). Cela peut être dû à la compression mécanique du nerf par une hernie discale, un éperon osseux (ostéophytes) d’arthrose ou à partir de l’épaississement des ligaments qui l’entourent.

Les hernies discales cervicales sont moins fréquentes que les hernies thoraco-lombaires : leur symptomatologie est orientée vers des signes plus algiques que parétiques en raison d’un ratio diamètre de la moelle épinière/diamètre du canal vertébral plus faible en région cervicale, donc moins soumis à la gravité de phénomènes compressifs. L’extrusion discale ventrale est source, par compression des racines nerveuses, de cervicalgie avec raideur et port baissé de la tête. L’extrusion dorso-latérale en C4-C7 conduit à une plexite brachiale avec des troubles fonctionnels (boiterie). L’extrusion dorsale avec compression de la moelle épinière est suivie de tétraparésie ou tétraplégie (photo 1) [15].

Le syndrome “queue de cheval” est lié à une atteinte compressive des nerfs sciatiques, honteux, pelviens et caudaux (L7-Cd5). Le tableau clinique est dominé par des déficits proprioceptifs, des difficultés fonctionnelles (marche, course, saut), une parésie évoluant vers une paralysie flasque et une incontinence. La douleur se traduit par des postures algiques, des paresthésies de l’arrièretrain et une automutilation de la région lombo-sacrée. Elle est facilement déclenchée par la palpation-pression de la charnière L7-S1 (photos 2a et 2b).

Les luxations sacro-coccygiennes (arrachement de la queue chez le chat), les fractures du bassin, les phlegmons induits par des morsures à la base de la queue et les spondylodiscites occasionnent des douleurs mixtes par excès de nociception (inflammatoire) et par désafférentation (lésion neurogène) (photo 3).

Les spondylodiscites sont des infections du disque intervertébral et des corps vertébraux adjacents, dominées par des douleurs osseuses et neuropathiques. Les signes neurologiques déficitaires sont dépendants du degré de compression extradurale de la moelle épinière.

La maladie d’Aujeszky est une encéphalite virale mortelle contractée par l’ingestion de viande ou d’abats de porcs ou de sangliers contaminés. La multiplication de l’herpèsvirus dans les nerfs du bulbe rachidien et de l’encéphale provoque une neuropathie centrale associant un prurit démentiel et une automutilation.

Concernant les douleurs ostéo-articulaires, une étude prospective récente (2013) de 103 patients humains présentant une arthrose du genou a recherché la prévalence de douleurs neuropathiques en utilisant le questionnaire DN4 (ou douleur neuropathique en quatre questions). Elle a permis d’identifier 31 % de malades montrant des caractéristiques de douleurs neuropathiques, qui étaient alors associées à une intensité de souffrance plus élevée et à une forte altération de la qualité de vie. La présence de DN résistant aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et aux opioïdes pourrait ainsi expliquer en partie les échecs thérapeutiques rencontrés dans certaines affections chroniques douloureuses.

Contexte chirurgical

La chirurgie constitue la seconde cause de DN chronique chez l’homme en France, suscitant une prise en charge spécialisée dans les centres antidouleur [12].

30 à 50 % des mastectomies et des sternotomies sont suivies de douleurs neuropathiques résiduelles après 3 mois.

Les thoracotomies sont suivies de DN dans 50 à 83 % des cas à 6 mois et dans 61 % des cas à 12 mois. Les douleurs chroniques après un accès de hernie inguinale ne sont pas rares, mais trop souvent négligées en raison de la banalité de ce type d’intervention. Leur prévalence est de 63 % à 1 an et de 54 % à 2 ans [3, 6].

La prévalence des douleurs fantômes après une amputation de membre est de 60 à 80 %.

En pratique vétérinaire, l’incidence des douleurs chroniques postopératoires n’est pas connue et probablement sous-estimée. Une physiopathologie commune et des facteurs prédictifs comparables (anxiété préopératoire, technique chirurgicale, intensité des douleurs postopératoires immédiates, etc.) sont en faveur de leur réalité.

Les lésions neurologiques sont responsables de DN de diagnostic difficile car elles apparaissant décalées dans le temps et déconnectées de stimuli algogènes.

Les gestes chirurgicaux peuvent occasionner des sections de branche terminale de petite taille, générant des névromes ou bien des étirements provoqués par des dissections ou des délabrements tissulaires (hernie périnéale et nerf honteux, ablation totale du conduit auditif et nerf facial). La pose d’écarteurs orthostatiques peut écraser et léser durablement des paquets vasculo-nerveux, notamment en cours de chirurgie thoracique (photo 4).

Des fibres nerveuses peuvent être accidentellement ligaturées par les fils de suture. Enfin, la cicatrisation de plaies étendues (ablation d’une chaîne mammaire, fibrosarcome) peut entraîner un piégeage (“entrapment”) des nerfs au sein d’une fibrose réactionnelle.

Il existe deux types de douleurs après une amputation de membre :

– les douleurs d’origine périphérique du moignon (moignons pathologiques, lésions cutanées, troubles vasculaires, névromes, etc.) ;

– les douleurs du membre fantôme qui sont propres à l’amputation et pour lesquelles il existe des arguments en faveur d’une origine centrale (réorganisation somato-sensorielle).

Les douleurs du membre fantôme sont ressenties par au moins deux tiers des nouveaux amputés et, au-delà d’un an, près d’un tiers s’en plaint encore. Il existe une très grande variabilité dans les douleurs du membre fantôme, mais elles sont peu décrites chez le chien et le chat. Elles sont complexes et souvent résistantes aux traitements antalgiques usuels.

Contexte métabolique

Chez l’homme, le diabète est la cause la plus importante de DN, avec 7 % des patients développant des neuropathies variables après 1 an d’évolution et 50 % après 25 ans. La neuropathie diabétique du chat s’accompagne de déficits proprioceptifs, d’une atrophie musculaire, d’une parésie progressive et, parfois, d’une plantigradie caractéristique. Les douleurs, très communes chez l’homme, ne sont pas décrites chez le chat, probablement en raison d’une sous-évaluation, mais aussi à cause d’une longévité moindre puisqu’une corrélation existe entre la durée d’évolution de la maladie diabétique et la survenue des DN (photo 5).

Contexte cancéreux

Chez l’homme, les DN sont la troisième cause de douleurs cancéreuses (après les douleurs osseuses et viscérales). Les DN en cancérologie vétérinaire sont liées à l’envahissement tumoral, à la compression des nerfs périphériques ou des structures cérébrales par des métastases, au trépied thérapeutique : fibrose postchirurgicale, plexites postradiques (plexite brachiale après irradiation de l’humérus), neurotoxicité de la vincristine (neuropathie sensitivomotrice) ou du cisplatine (neuropathie sensitive).

Contexte vasculaire

Chez l’homme, l’accident vasculaire cérébral représente la cause la plus fréquente de douleur neuropathique centrale [1].

L’accident est de type ischémique (80 % des cas) par obstruction artérielle due à un caillot ou hémorragique (20 % des cas) par rupture vasculaire intracérébrale ou sous-arachnoïdienne.

L’hypothyroïdie, l’hypercorticisme, les affections cardiaques, l’hypertension et les néoplasies sont des causes majeures de survenue d’accidents vasculaires.

L’accident vasculaire cérébral se rencontre également chez le chien et le chat, mais il est souvent confondu avec le syndrome vestibulaire, beaucoup plus fréquent et aux signes cliniques comparables : port dévié de la tête, marche en cercle, ataxie, roulade, etc. [13].

La prévalence des douleurs associées n’est pas connue, mais devrait être suspectée chez ces animaux présentant parfois des séquelles comportementales sévères. Une évaluation des troubles de l’humeur (anxiété, dépression) postaccidentels doit faire partie d’un bilan de qualité de vie.

La migraine affecte 13 % de la population française (400 000 personnes). La douleur de la migraine résulte de l’activation des afférences trigéminovasculaires de la méninge, qui sont sensibilisées de façon similaire à ce qui est observé dans des douleurs neuropathiques [2].

Au niveau moléculaire, de même que dans l’épilepsie, un déséquilibre entre la transmission glutamatergique excitatrice et l’inhibition GABAergique, ainsi que l’activation anormale des canaux sodiques et calciques pourraient être impliqués dans la physiopathologie de la migraine.

Les descriptions de symptômes migraine-like sont très rares chez le chien [14].

Nous présentons le cas d’un dogue de bordeaux. Le diagnostic de migraine est fortement envisagé à la suite de l’exclusion par l’imagerie (myélographie, imagerie par résonance magnétique, scintigraphie) d’affections plus communément rencontrées et en raison de la régression des symptômes douloureux par l’administration de topiramate (Epitomax®(1)), et de flunarizine (Sibelium®(1)) et d’almotriptan (Almogran®(1)).

Contexte viscéral

L’étiologie des cystites interstitielles félines est complexe. Les altérations de la couche de glycosaminoglycanes exposent les fibres nerveuses terminales de l’urothélium vésical aux substances irritantes de l’urine. La douleur est en relation avec un relargage accru de substance P, une excitabilité supérieure des fibres Aδ et C induite par l’inflammation et le recrutement de nocicepteurs silencieux. Le syndrome du côlon irritable relève de ces mêmes mécanismes physiopathologiques (inflammation neurogène).

La douleur pancréatique aiguë est exacerbée par l’action enzymatique agressant l’innervation intrinsèque du pancréas. L’envahissement de ce tissu nerveux par des cellules immunitaires participe à l’installation durable de la douleur chronique (pancréatites chroniques et cancers).

Contexte dermatologique et/ou héréditaire

Le prurit chez le chien et le chat (grattage, mordillement, léchage) se distingue de la douleur par la spécificité de ses fibres pruriceptives, de son principal médiateur (histamine), de ses voies ascendantes spino-thalamiques antérieures et des aires cérébrales activées.

Les récepteurs sont situés dans la peau, les muqueuses et les conjonctives. Ils sont absents des organes thoraciques et abdominaux, expliquant l’absence de prurit viscéral. Prurit et douleur partagent leur localisation somatique, quelques neurotransmetteurs (substance P), certaines cytokines pro-inflammatoires et les récepteurs cannabinoïdes.

Un prurit intense à l’origine de lésions auto-entretenues peut conduire à la douleur par des mécanismes inflammatoires ou neuropathiques.

Les plaies de léchage et l’autophagie sont parfois d’origine neuropathique, mais doivent être différenciées des affections dermatologiques allergiques et des activités substitutives survenant dans un contexte conflictuel lié à l’anxiété ou à la dépression. Dans ce dernier cas, l’origine des activités motrices est totalement déconnectée du site mordu ou léché, et celles-ci entraînent un apaisement de la tension émotionnelle (dermatose psychogène).

Le prurit neuropathique correspond à une lésion organique du SNC, comme la syringomyélie.

Le cavalier king charles est une race prédisposée à la malformation de Chiari qui s’accompagne souvent de syringomyélie. L’engagement du cervelet et du tronc cérébral au niveau de l’occiput gêne l’écoulement physiologique du liquide cérébrospinal et provoque l’apparition de cavités au sein de la moelle épinière. Ces lésions sont à l’origine d’un tableau clinique dominé par des signes nerveux (parésie, ataxie), des postures antalgiques et des douleurs caractéristiques (prurit cervico-facial sans contact cutané, cris spontanés, allodynie au frottement d’un collier) (photo 6).

Le prurit neurogène vient d’une stimulation nerveuse sans lésion associée.

Le syndrome d’hyperesthésie féline est un exemple de prurit neurogène affectant préférentiellement les jeunes chats et la race siamoise. La douleur se traduit par des vocalisations intenses, une hyperexcitabilité et des automutilations violentes des flancs, du dos, de la région inguinale et de la queue. Le rolling skin syndrom (ondulations et frissons de la région dorsale par contraction des muscles peauciers) est un signe fréquent, mais non spécifique. La persistance et l’aggravation des mutilations peuvent conduire l’animal à des séquences d’agression redirigées vers l’homme, les animaux de voisinage ou encore des objets familiers.

Le prurit doit être distingué de la paresthésie, sensation anormale spontanée ou provoquée, rencontrée fréquemment dans les DN, mais ne provoquant pas le grattage.

L’automutilation peut enfin survenir dans des portées de chiens de chasse, dans un contexte héréditaire de perte de la sensibilité douloureuse des extrémités par défaut de développement ou dégénérescence des neurones sensitifs. Les nécroses et ulcérations podales sont en relation avec le développement de lésions non douloureuses mais très prurigineuses, aggravées par l’absence de réflexes algogènes protecteurs (appui des membres, courses, sauts à l’origine de nouvelles blessures).

Conclusion

Les mécanismes physiopathologiques complexes et variés justifient la recherche de cibles thérapeutiques précises en amont de l’expression clinique.

De très nombreuses situations pathologiques ou interventionnelles (chirurgie) font le lit des DN. Le praticien confronté à des échecs dans la prise en charge de la douleur doit resituer l’animal dans ces contextes favorisants.

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  • 20. Woolf CJ, Mannion RJ. Neuropathic pain: aetiology, symptoms, mechanisms, and management. Lancet. 1999;353:1959-1964.
  • 21. Yaari Y, Devor M. Phenytoin suppresses spontaneous ectopic discharge in rat sciatic nerve neuromas. Neurosci. Lett. 1985;58:117-122.
  • 22. Zimmermann M. Pathobiology of neuropathic pain. Eur. J. Pharmacol. 2001:429 (1-3):23-37.
  • (1) Médicament humain.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Lexique selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP, International Association for the Study of Pain)

Allodynie

Douleur provoquée par un stimulus qui normalement ne produit pas de douleur.

Analgésie

Absence de douleur en réponse à une stimulation normalement douloureuse.

Anesthésie douloureuse

Douleur dans une aire ou une région anesthésiée.

Douleur centrale

Douleur initiée ou causée par une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux central.

Douleur neuropathique

Douleur initiée ou causée par une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux.

Dysesthésie

Sensation anormale et désagréable qui peut être spontanée ou provoquée : engourdissements, picotements, fourmillements, brûlures.

Hyperalgésie

Réponse exagérée à une stimulation qui normalement est douloureuse.

Hyperesthésie

Sensibilité exagérée à une stimulation, à l’exception des systèmes sensoriels spécifiques.

Hyperpathie

Réponse retardée, souvent explosive, à un stimulus plus souvent répétitif et dont le seuil est augmenté.

Hypoalgésie

Diminution de la douleur évoquée par un stimulus normalement douloureux.

Hypoesthésie

Diminution de la sensibilité à une stimulation, exception faite des systèmes sensoriels spécifiques.

IRSN

Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline.

ISRN

Inhibiteurs spécifiques de la recapture de la noradrénaline.

ISRS

Inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine.

Paresthésies

Troubles de la sensibilité non désagréables, se traduisant par la perception anormale et incomplète de sensations.

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