Mort subite chez le chien : place des affections génétiques et cardiovasculaires - Le Point Vétérinaire expert canin n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 342 du 01/01/2014

MÉDECINE INTERNE

Article de synthèse

Auteur(s) : Séverine Vancaeneghem*, Jean-Luc Cadoré**

Fonctions :
*165, rue Henri-Barbusse 80130 Friville-Escarbotin
severine.vancaeneghem@gmail.com
**VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile

Face à une mort brutale et inattendue chez un chien, le praticien doit mener une enquête subtile afin de tenter d’en déterminer la cause.

Chez le chien, la mort subite peut se définir par une mort survenue chez un animal en apparente bonne santé, de façon presque immédiate ou après l’apparition de symptômes dans les 12 heures précédant cet événement (encadré 1). L’individu est donc sain ou porteur d’une affection qui ne peut entraîner une mort subite. Cet article recense les causes de mort subite qui découlent de cette définition et présente la démarche diagnostique à adopter face à une anamnèse le plus souvent restreinte. Les principales mesures de prévention sont ensuite évoquées.

ÉTIOLOGIE

Les causes de mort subite chez le chien sont nombreuses, comme en témoigne l’étude rétrospective menée par Olsen et Allen entre 1989 et 1999 (tableau 1) [19]. Cependant, quatre grands groupes étiologiques se distinguent par leur fréquence :

– les causes cardiaques, qui sont les plus souvent incriminées (21,9 % dans cette étude), avec surtout les cardiomyopathies dilatées et les sténoses sous-aortiques ;

– les intoxications (16,6 %) ;

– les affections gastro-intestinales (13,2 %), avec de nombreux cas de syndrome de dilatation-torsion de l’estomac (photo 1) ;

– les traumatismes (12,6 %) : accidents de la voie publique, plaies par balle et morsures.

Les autres catégories étiologiques représentent chacune moins de 10 % des cas de mort subite.

APPROCHE DIAGNOSTIQUE

Face à la diversité des causes de mort subite, une démarche raisonnée s’impose. Elle doit être menée à la manière d’une enquête : les propriétaires sont interrogés précisément afin de récolter des informations qui pourraient être en lien avec l’origine de la mort. Un recueil de l’anamnèse et des commémoratifs est requis, suivi d’un examen nécropsique, selon la décision des propriétaires ou par demande de l’assureur de l’animal [19].

ÉLÉMENTS À CONSIDÉRER DANS L’ANAMNÈSE

Lors de mort subite, l’anamnèse est le plus souvent restreinte, mais certains éléments importants sont à demander aux propriétaires.

La description des signes cliniques est tout d’abord requise, qui mentionne leur apparition, leur évolution et leur intensité. Ensuite, les circonstances de la mort sont importantes. Le lieu où l’animal a été retrouvé sans vie et des conditions environnementales particulières peuvent orienter le vétérinaire. Cela est par exemple le cas lors de traumatisme, de coup de chaleur ou d’intoxication [10].

Le propriétaire est interrogé sur la présence d’autres animaux à son domicile et sur l’éventuelle survenue d’une mort subite chez plusieurs individus. Cela peut avoir une importance dans la démarche diagnostique et permet aussi d’envisager des mesures de prévention, notamment dans le domaine de l’élevage.

ÉLÉMENTS À PRENDRE EN COMPTE DANS LES COMMÉMORATIFS

Lorsque le sujet de la mort subite est abordé, le vétérinaire évoque souvent certaines races, comme le boxer ou le doberman, pour lesquelles une prédisposition a été mise en évidence (photo 2). Cette notion existe également dans de nombreuses autres races, et des prédispositions liées au sexe ou à l’âge ont été démontrées (tableaux 2 et 3, encadré 2 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr) [4].

Les éléments issus des commémoratifs sont donc utiles à connaître puisqu’ils sont susceptibles d’écarter ou de privilégier certaines hypothèses.

Face à la mort subite d’un jeune chien sont privilégiés, par exemple, des affections cardiaques congénitales, des traumatismes ou encore des occlusions digestives [4, 9, 20].

Des prédispositions liées à l’âge ont été identifiées pour des affections à l’origine de mort subite (tableau 4).

Des facteurs de risque ont également été retrouvés, parmi lesquels une activité physique intense, certains comportements comme une excitation ou un état de peur intense, une nourriture riche en sodium ou des habitudes alimentaires (comme l’ingestion rapide d’un seul repas par jour, la pratique d’un exercice après le repas ou l’ingestion d’os), un surpoids, un environnement particulier (une région ou une vie en extérieur pour les affections parasitaires) ou encore des maladies concomitantes (diabète, hypothyroïdie, épilepsie, infection, etc.) [1, 6, 9, 13].

IMPORTANCE DE L’EXAMEN NÉCROPSIQUE

L’ensemble des éléments réunis précédemment amène le vétérinaire à une forte suspicion de la cause de la mort subite, mais seul l’examen nécropsique peut établir un diagnostic (photos 3 et 4). Ce dernier doit être réalisé le plus tôt possible après la mort afin de prévenir des phénomènes délétères comme l’autolyse et la putréfaction, qui surviennent très rapidement si le cadavre n’est pas conservé au froid, notamment chez des animaux morts de maladies digestives comme une torsion, une occlusion ou une gastro-entérite aiguës sévères. Une démarche rigoureuse est requise car, à chaque étape, des données diagnostiques peuvent apparaître (figures 1 et 2). Cependant, l’examen nécropsique n’est pas toujours réalisé dans la mesure où il nécessite l’accord des propriétaires. Dans le cadre de la prévention, il est important de les convaincre. Néanmoins, il arrive que l’autopsie ne révèle aucune lésion significative, comme c’est le cas lors de mort subite à la suite d’un status epilepticus ou d’arythmies d’origine primaire ou dus à un choc thermique, à une hypoglycémie sévère ou encore à une hypocalcémie [14, 19].

PRÉVENTION DES AFFECTIONS GÉNÉTIQUES ET DE LA MORT SUBITE CARDIAQUE

La prévention de la mort subite est tout aussi difficile que l’établissement de son diagnostic.

Elle fait appel à différentes mesures, comme la sélection des reproducteurs, pour les affections d’origine génétique, ou le développement de l’information aux propriétaires.

1. Prévention des maladies d’origine génétique

Une identification des individus porteurs de l’allèle délétère est essentielle, et nécessite de connaître le déterminisme génétique et la mutation en cause, pour effectuer une recherche chez les individus porteurs asymptomatiques. Au cours de ces dernières années, des outils comme les tests génétiques ont permis peu à peu d’identifier et de dépister les anomalies génétiques susceptibles de provoquer des morts subites dans l’espèce canine. Chez le doberman atteint de cardiomyopathie dilatée, un test génétique est disponible aux États-Unis, qui met en évidence la délétion du gène codant la pyruvate déshydrogénase kinase 4, démontrée par Meurs [16]. Il permet ainsi de détecter un animal en phase 1, alors que les autres examens de dépistage comme l’échocardiographie ou l’examen Holter sont inopérants [11]. Cependant, ces tests ne dépistent pas l’ensemble des animaux porteurs dans la mesure où plusieurs mutations sont souvent impliquées ou alors diffèrent selon les lignées. L’identification des chiens à risque de mort subite peut aussi faire appel à des biomarqueurs, comme la troponine I lors de myocardite ou le facteur natriurétique atrial en cas de cardiomyopathie dilatée. Cependant, la mise en œuvre de ces moyens de dépistage demeure souvent difficile dans notre pratique quotidienne car les outils disponibles sont peu nombreux, parfois peu spécifiques, souvent coûteux et requièrent le recours à des laboratoires très spécialisés, également en petit nombre. Cependant, à l’avenir, la découverte de nouvelles mutations ou d’autres biomarqueurs permettra peut-être une meilleure identification des individus à risque.

2. Sensibilisation et information des propriétaires

L’information des propriétaires est ainsi primordiale, et une centralisation de l’ensemble des données sur la mort subite et les prédispositions est capitale, à la fois pour ces derniers et les éleveurs ou les vétérinaires [11, 18]. Une sensibilisation des propriétaires, voire un apprentissage de certains gestes d’examen clinique facilement réalisables, afin d’obtenir un indicateur de la gravité de l’affection en cours, pourraient être envisagés (tableau 5 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).

3. Prise en charge thérapeutique

Enfin, grâce à un dépistage précoce, une prise en charge thérapeutique, médicale ou chirurgicale, est parfois possible et permet d’allonger l’espérance de vie. Par exemple, chez le doberman atteint de cardiomyopathie dilatée, l’utilisation du pimobendane (0,5 mg/kg/j en deux prises par voie orale) en phase préclinique aurait un effet bénéfique sur la médiane de survie [21]. Lors de certaines arythmies comme un bloc atrioventriculaire de haut grade, la pose d’un pacemaker peut être requise et permet d’augmenter significativement la survie de l’animal [3].

Cependant, la mort subite reste une issue souvent inévitable. Il est alors légitime de s’interroger sur l’intérêt de l’identification des individus à risque, au niveau individuel, puisque les mesures de prévention sont restreintes.

Néanmoins, à une échelle beaucoup plus large, le dépistage lutte contre les affections héréditaires en sélectionnant davantage les reproducteurs et en participant à des programmes d’amélioration génétique. Ces mesures permettent de mieux “anticiper” la mort subite, grâce à une prise de conscience des propriétaires qui peuvent alors mieux s’y préparer.

Conclusion

Les causes de mort subite sont nombreuses chez le chien, mais, actuellement, il existe encore peu d’études rétrospectives sur le sujet.

Afin d’établir le diagnostic, l’examen nécropsique doit être mené de manière rigoureuse, en suivant une démarche méthodique, et réalisé dans les plus brefs délais. Il est alors possible d’exclure ou de privilégier certaines hypothèses. Cependant, la pratique d’une autopsie reste encore trop peu fréquente lors de mort subite.

La prévention est donc indispensable, bien que souvent délicate à mettre en œuvre. Il convient que le vétérinaire sensibilise les propriétaires, dans sa pratique quotidienne, tout en développant une collaboration avec les éleveurs, les clubs de race ou encore les généticiens pour regrouper les données.

Références

  • 1. Bartolo A. La spirocercose canine à Spirocerca lupi. Point Vét. 2006;269:20-26.
  • 2. Brissot H. Persistance du canal artériel chez le chien et chez le chat. Point Vét. 2002;33(n°spécial “Actualités thérapeutiques en cardiologie du chien et du chat”):46-50.
  • 3. Carr AP, Tilley LP, Miller MS. Treatment of cardiac arrhythmias and conduction disturbances. In: Tilley LP, Goodwin J. Manual of canine and feline cardiology. 3rd ed. Eds. Saunders WB Co., Philadelphia. 2001:371-392.
  • 4. Egenvall A, Bonnett BN, Hedhammar A et coll. Mortality in over 350 000 insured Swedish dogs from 1995-2000: II. Breed-specific age and survival patterns and relative risk for causes of death. Acta Vet. Scand. 2005;46:121-136.
  • 5. Ettinger SJ, Suter PF. Acquired and congenital heart disease. In: Ettinger SJ, Suter PF. Canine cardiology. Eds. Saunders WB Co., Philadelphia. 1970:314-329.
  • 6. Falk T, Jonsson L. Ischemic heart disease in the dog: a review of 65 cases. J. Small Anim. Pract. 2000;41:97-103.
  • 7. Goodwin JK. Congenital heart disease. In: Tilley LP, Goodwin J. Manual of canine and feline cardiology. 3rd ed. Eds. Saunders WB Co., Philadelphia. 2001:275-292.
  • 8. Gough A, Thomas A. Prédispositions raciales et maladies héréditaires du chien et du chat. Éd. Med’com., Paris. 2009:256p.
  • 9. Goy-Thollot I, Decosne-Junot C, Junot S. Urgences, réanimation et soins intensifs du chien et du chat. Éd. Point Vét., Rueil-Malmaison. 2006:299p.
  • 10. Hebert F. Guide pratique des urgences canines et félines. Éd. Med’com, Paris. 2005:256p.
  • 11. Hedhammar AA, Malms S, Bonnett B. International and collaborative strategies to enhance genetic health in purebred dogs. Vet. J. 2011;189:189-196.
  • 12. Hervé D. Les cardiomyopathies primitives chez le chien. Point Vét. 2002;33(n°spécial “Actualités thérapeutiques en cardiologie du chien et du chat”):66-70.
  • 13. Hyun C, Filippich LJ. Molecular genetics of sudden cardiac death in small animals. A review. Vet. J. 2006;171:39-50.
  • 14. Le Net JL, George C, Longeart L et coll. Geste de base. L’examen histopathologique : l’autopsie des carnivores domestiques. Point Vét. 1994;26(163):713-714.
  • 15. Loire R. La mort subite : données anatomo-pathologiques. Sang Thrombose Vaisseaux. 1997;9(2):120-126.
  • 16. Meurs KMEA. A splice site mutation in a gene encoding for PDK4, a mitochondrial protein, is associated with the development of dilated cardiomyopathy in the doberman pinscher. Hum. Genet. 2012;131(8):1319-1325.
  • 17. Moïse NS, Riccio ML, Kornreich B et coll. Age dependence of the development of ventricular arrhythmias in a canine model of sudden cardiac death. Cardiovasc. Res. 1997;34:483-492.
  • 18. Nicholas FW, Crook A, Sargan DR. Internet resources cataloguing inherited disorders in dogs. Vet. J. 2011;189:132-135.
  • 19. Olsen TF, Allen AL. Causes of sudden and unexpected death in dogs: a 10-year retrospective study. Can. Vet. J. 2000;41:873-875.
  • 20. Smith FWK, Schrope DP, Sammarco CD. Cardiovascular disorders in systemic diseases. In: Tilley LP, Goodwin J, eds. Manual of canine and feline cardiology. 3rd ed. Eds Saunders WB Co., Philadelphia. 2001:294-335.
  • 21. Summerfield NJ, Boswood A, O’Grady MR et coll. Efficacy of pimobendan in the prevention of congestive heart failure or sudden death in doberman pinschers with preclinical dilated cardiomyopathy (the Protect Study). J. Vet. Intern. Med. 2012;26:1337-1349.
  • 22. Wess G, Schulze A, Butz V et coll. Prevalence of dilated cardiomyopathy in doberman pinschers in various age groups. J. Vet. Intern. Med. 2012;24:533-538.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Quelle définition choisir pour la mort subite ?

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la mort subite se définit dans l’espèce humaine par la « Mort naturelle d’un individu pour lequel le delai entre le premier symptome alarmant et la mort est inferieur a 24 heures, que ce sujet n’ait jamais eu aucun symptome de la maladie qui va l’emporter ou bien qu’il ait presente les symptomes d’une maladie, aiguë ou chronique, n’ayant pas entraine de confinement au lit ». Chez le chien, la mort subite est plus difficile à déterminer car l’intervalle de temps entre le début des signes cliniques et la mort est moins précis. Le propriétaire n’est pas toujours en présence de son animal et les premiers symptômes peuvent passer inaperçus. Les auteurs ne s’accordent donc pas tous, et peuvent utiliser un intervalle de 1 heure, de 12 heures ou encore de 24 heures pour caractériser le terme de “subite”. Il convient donc d’être vigilant quant à cette définition car l’étiologie sera alors plus ou moins restreinte [15].

Points forts

→ La mort subite est difficile à définir chez le chien. Selon l’intervalle considéré entre le début des signes cliniques et la mort, plusieurs définitions sont possibles.

→ Les causes de la mort subite sont multiples, parmi lesquelles l’origine cardiovasculaire est majoritaire.

→ Le diagnostic est difficile à établir et tous les éléments susceptibles de l’orienter doivent être précisément recensés. L’examen nécropsique présente ici un intérêt majeur.

→ Les prédispositions et les facteurs de risque sont à prendre en compte lors du diagnostic, mais aussi pour la prévention.

POUR EN SAVOIR PLUS :

– Faculty of veterinary science, University of Sydney, LIDA. http://sydney.edu.au/vetscience/lida/dogs/

– Faculty of veterinary science, University of Sydney, OMIA. http://omia.angis.org.au/

– University of Cambridge, IDID. http://www.vet.cam.ac.uk/idid

– University of Prince Edward Island, CIDD Database. http://www.upei.ca/cidd.

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