40 ans après : la cardiologie canine et féline du troisième millénaire, un point de vue d’interniste - Le Point Vétérinaire expert canin n° 340 du 01/11/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 340 du 01/11/2013

CARDIOLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Jeanluc Cadoré

Fonctions : Médecine interne équidés-carnivores
VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

La cardiologie vétérinaire a nettement profi té de l’amélioration des techniques d’examen et de l’évolution de la pharmacopée vétérinaire. Cela a permis une meilleure appréhension des affections cardiaques chez les animaux et une meilleure prise en charge.

L’attribution du prix Nobel de médecine de 1924 à Einthoween pour ses travaux sur l’électrocardiographie chez le chien permet d’évaluer l’intérêt porté à la cardiologie du chien et du chat tant en pathologie comparée qu’en médecine vétérinaire. Jusque dans les années 1970, l’essentiel des connaissances était acquis sur des données anatomo-pathologiques et l’approche diagnostique reposait sur l’examen clinique des animaux. Comment ne pas citer ainsi la description princeps de Collet des thromboembolies aortiques chez le chat reprises in extenso pour ses aspects cliniques par Holzworth quelques années plus tard.

Vient ensuite la période de compréhension et de revalorisation de l’auscultation, des apports de la phonocardiographie, l’enregistrement et l’analyse des troubles du rythme et surtout la radiographie du thorax, qui autorise une première approche morphologique des cardiopathies et de leurs répercussions pulmonaires (photo 1). De magnifiques ouvrages font toujours référence, comme celui de Tilley et de Suter.

Les dégénérescences valvulaires du chien, les affections valvulaires du cheval, les cardiopathies congénitales sont alors mieux connues grâce aux observations de Buchanan, Detweiler, Holmes, notamment. Leur physiopathologie est comprise et, à l’instar de ce qui se fait chez l’homme, le traitement digitalo-diurétique commence à être utilisé.

AVANT LES ANNÉES 1990

La fin des années 1970 et le début des années 1980 voient apparaître une nouvelle technique d’examen cardiovasculaire : l’échographie. La révolution consiste en la visualisation des cavités jusque-là visibles uniquement par angiocardiographie, mais aussi la visualisation des parois myocardiques et des appareils valvulaires et de leur fonctionnement (photo 2). L’approche morphologique ainsi autorisée est rapidement chiffrée, mais nécessite une méthodologie et une grande rigueur dans l’établissement des valeurs usuelles.

C’est dans la même période qu’apparaissent les premiers inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) utilisés chez l’homme pour les hypertensions artérielles réfractaires et d’emblée utilisés chez le chien, à des doses très élevées, au cours de l’insuffisance cardiaque, et que la spironolactone vient renforcer l’arsenal thérapeutique en justifiant son utilisation par l’inhibition du cercle vicieux de la constitution d’oedèmes.

La fin des années 1980 est marquée par la description de la cardiothyréose et de la myocardiopathie tauriprive chez le chat et du début de l’utilisation de l’effet Doppler dans l’examen échographique, rendant ainsi possibles la visualisation des turbulences, des régurgitations et de leur intensité, la mesure des gradients de pression permettant de mieux statuer sur l’importance des shunts vasculaires et autres communications intercavitaires (photo 3). Elle est aussi marquée par l’édition du premier traité de cardiologie canine et féline de Fox. Il rejoint les deux ouvrages de référence, le Current therapy et le traité de médecine interne, dans lesquels des actualisations permanentes sur la cardiologie vont de paire avec la constitution du Collège américain de spécialistes cardiologues (American college of veterinary cardiology). Le Collège européen de cardiologie sera constitué une dizaine d’années plus tard, après la création et l’animation de la Société européenne sous la houlette de Jean-Louis Pouchelon, sans oublier le Groupe d’études en cardiologie et pneumologie (Geca) avec ses mousquetaires bien connus et aujourd’hui encore plus actif.

ARRIVÉE DES IE CA ET DES INOTROPES

Le milieu des années 1990 est marqué par l’apparition de l’énalapril dans la pharmacopée vétérinaire, rejoint au fil du temps par d’autres représentants de cette famille. Le niveau de preuve de son efficacité était à l’époque suffisant pour que son utilisation se généralise assez rapidement, ainsi que les molécules équivalentes.

Depuis, plusieurs études multicentriques ont été menées pour en établir les indications plus précises et surtout pour connaître le pronostic attendu dans la prise en charge de la maladie valvulaire dégénérative, par exemple, avec les particularités raciales connues aujourd’hui. L’avènement des IECA a contribué à une autre vision et à une meilleurecompréhension des mécanismes de l’insuffisance cardiaque en les mettant à l’échelle neuro-endocrinienne, par conséquent en identifiant plus précisément leurs éventuelles cibles thérapeutiques, mais aussi en abordant l’insuffisance systolique et/ou diastolique.

Le temps de l’inexistence de l’hypertension artérielle du chien et du chat, grâce au développement d’outils de mesure adaptés, est définitivement révolu.

Les altérations de l’inotropisme ayant toujours été une préoccupation majeure, tant pour sa reconnaissance que pour son traitement, la pharmacopée voit se développer de nouveaux inotropes et même des inodilatateurs, qui trouvent aujourd’hui de bonnes indications dans la prise en charge des myodardiopathies et des maladies valvulaires dégénératives décompensées.

APPORTS INCONTOURNABLES DE L’ÉCHOGRAPHIE ET DU HOLTER

Le cadre nosologique des myocardiopathies et de leurs spécificités est de mieux en mieux établi. Chez le chien, les premières descriptions de la myocardiopathie du doberman pinscher, puis celle de grandes races (lévrier irlandais, leonberg, etc.), avec des particularités toutefois identifiées chez le cocker et le boxer, laissent imaginer des prédispositions non seulement raciales mais aussi familiales (photo 4).

Parallèlement, le développement de l’exploration échographique cardiaque du chat permet d’identifier la prépondérance incontestable de la myocardiopathie hypertrophique, mais aussi de nombreux autres types encore incompris aujourd’hui. Le déterminisme génétique de certaines hypertrophies myocardiques est aujourd’hui établi dans certaines races, sans que la prédictivité de la mise en évidence d’anomalies géniques soit connue.

Conjointement, des travaux sur la myocardiopathie arythmogène chez le boxer et chez le chat sont venus élucider les aspects anatomo-pathologiques, électrophysiologiques et génétiques, même si les données ne sont pas consensuelles.

Grâce à l’échographie, une meilleure approche de l’hypertension pulmonaire est réalisée et son existence est maintenant prouvée au cours de l’évolution de la maladie mitrale dégénérative chez de nombreuses races. C’est également l’échographie qui rend possible la reconnaissance précise des cardiopathies congénitales.

L’équipe de travail menée par Jean-Louis Pouchelon puis Valérie Chetboul a occupé une place importante et même pionnière dans la recherche sur le Doppler tissulaire. Longtemps resté un rêve pour de nombreux cliniciens, le recours à l’examen Holter permet aujourd’hui d’identifier des troubles du rythme responsables de syncopes, et d’autres qui peuvent précéder ou accompagner certaines affections myocardiques (photo 5).

TROISIÈME MILLÉNAIRE

Depuis le début des années 2000, les avancées majeures en cardiologie ont porté sur :

– des analyses à plus grande échelle de protocoles de prise en charge thérapeutique des cardiopathies acquises du chien, un peu moins du chat, avec la réalisation d’études de plus en plus fiables, donc des préconisations fondées sur des preuves de bon niveau ;

– le développement de l’échographie Doppler tissulaire, permettant un dépistage précoce d’altération myocardique et un suivi ;

– la compréhension de la cartographie électrophysiologique du myocarde et les traitements chirurgicaux de certaines dysrythmies ainsi que la pose de pacemakers et de défibrillateurs ;

– une utilisation raisonnée des anti-arythmiques ;

– le traitement chirurgical de cardiopathies congénitales parfois complexes pouvant nécessiter une circulation extracorporelle ne pouvant être réalisé qu’en structure spécialisée, tout comme les soins en radiologie interventionnelle pour le traitement chirurgical des shunts ou des sténoses par dilatation avec ballonnets ou prothèses endoluminales ;

– le développement de nouvelles techniques échographiques comme l’échographie speckle autorisant d’autres approches du fonctionnement dans l’espace du myocarde ;

– la recherche de biomarqueurs à visées diagnostique mais aussi pronostique, certes prometteuse, mais dont les retombées en pratique clinicienne aujourd’hui doivent être utilisées avec une grande prudence et une approche statistique raisonnée ;

– l’identification de cibles thérapeutiques à la lueur de la meilleure compréhension de la pathogenèse intime des mécanismes de compensation et de la survenue de la décompensation du coeur et le développement de nouvelles molécules.

Ainsi, les progrès réalisés ces 40 dernières années justifient parfaitement que la cardiologie soit une spécialité, qui a d’ailleurs tendance à être déclinée dans divers domaines, ce qui devra être une des préoccupations des Collèges et des cardiologues. Il est en effet possible d’imaginer des “spécialisations” au sein de l’électrophysiologie en recherche sur les troubles du rythme supraventriculaires, si différents des troubles ventriculaires. Ces derniers sont encore peu compris.

Il n’est pas déraisonnable, dans les limites d’une éthique professionnelle acceptable, d’imaginer bénéficier, dans le futur, de l’optimisation des potentialités techniques des appareils actuellement disponibles, ainsi que :

– de nouvelles techniques d’exploration morphologique et fonctionnelle cardiovasculaire ;

– de nouvelles approches thérapeutiques médicales avec de nouvelles molécules ou en précisant encore plus l’utilisation de celles disponibles aujourd’hui ;

– d’une nosologie plus fine encore avec un phénotypage très précis des innombrables cardiopathies, autorisant alors un diagnostic possiblement génétique de certaines d’entre elles (la dégénérescence valvulaire n’est peut être pas la même maladie dans toutes les races, les myocardiopathies dilatées sont souvent bien différentes selon les races et tout n’est probablement pas encore connu. Quant au chat, cette diversité semble également bien réelle) ;

– de la possibilité d’agir sur la dégénérescence valvulaire elle-même, voire de remplacer des appareils valvulaires altérés ;

– d’opérer plus systématiquement certaines dysrythmies ;

– d’appareiller les animaux présentant un risque important de mort subite due à des dysrythmies majeures. D’autres travaux seront sûrement menés sur les relations entre le coeur et les maladies de système ou générales, infectieuses ou non, sur la réelle incidence des myocardites infectieuses ou non chez le chat, mais aussi chez le chien, sur le syndrome cardio-rénal désormais bien documenté en médecine humaine et sur la pathologie iatrogénique cardiovasculaire.

Conclusion

Ces progrès et perspectives ne peuvent résulter que de travaux de recherche menés par les spécialistes qui doivent également former l’omnipraticien pour une prise en charge optimale des chiens et des chats cardiopathes, en s’appuyant sur les données actuelles de la science, les connaissances précises des modalités idéales du diagnostic, les indications précises et raisonnées, ainsi que sur l’efficacité de tel ou tel traitement en pleine connaissance de sa cible et des mécanismes d’action, et le pronostic en matière de survie et de qualité de vie. Ce dernier point doit imposer des études prospectives à beaucoup plus large échelle que celles dont nous disposons aujourd’hui. Il est probablement raisonnable d’imaginer d’autres révolutions encore dans la connaissance des affections cardiovasculaires et de leur prise en charge diagnostique et thérapeutique, en n’oubliant jamais que les idées d’aujourd’hui ne seront peut-être pas celles de demain…

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’échographie constitue une des principales révolutions de la cardiologie vétérinaire, en permettant une meilleure appréhension du fonctionnement des structures cardiaques, et des mesures précises de celles-ci.

→ L’évolution des techniques d’examen permet de mieux appréhender les affections cardiaques et de mettre en évidence des dominantes pathologiques par espèce et par race.

→ L’utilisation et l’étude des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ont contribué à une autre vision et à une meilleure compréhension des mécanismes de l’insuffisance cardiaque

POUR EN SAVOIR PLUS

– Amberger C, Chetboul V, Bomassi E et coll. First (First imidapril randomized study) group. Comparison of the effects of imidapril and enalapril in a prospective, multicentric randomized trial in dogs with naturally acquired heart failure. J. Vet. Cardiol. 2004;6(2):9-16.

– Atkins CE, Keene BW, Brown WA et coll. Results of the veterinary enalapril trial to prove reduction in onset of heart failure in dogs chronically treated with enalapril alone for compensated, naturally occurring mitral valve insufficiency. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2007;231(7):1061-1069.

– Atkins C, Bonagura J, Ettinger S et coll. Guidelines for the diagnosis and treatment of canine chronic valvular heart disease. J. Vet. Intern. Med. 2009;23(6):1142-1150.

– Bench (Benazepril in canine heart disease) study group. The effect of benazepril on survival times and clinical signs of dogs with congestive heart failure: results of a multicenter, prospective, randomized, double-blinded, placebo-controlled, long-term clinical trial. J. Vet. Cardiol. 1999;1(1):7-18.

– Bernay F, Bland JM, Häggström J et coll. Efficacy of spironolactone on survival in dogs with naturally occurring mitral regurgitation caused by myxomatous mitral valve disease. J. Vet. Intern. Med. 2010;24 (2):331-341.

– Bonagura JD, Twedt DC. Kirk’s current veterinary therapy XIV. 14th ed. Saunders, Philadelphia. 2008:1440p.

– Ettinger SJ, Benitz AM, Ericsson GF et coll. Effects of enalapril maleate on survival of dogs with naturally acquired heart failure. The long-term investigation of veterinary enalapril (Live) study group. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1998;213(11):1573-1577.

– Ettinger S, Feldman E. Textbook of veterinary internal medicine, 7th ed. Saunders, Philadelphia. 2010:2208p.

– Fox PR, Sisson D, Moise NS. Textbook of canine and feline cardiology, 2nd ed.

– Kvart C, Häggström J, Pedersen HD et coll. Efficacy of enalapril for prevention of congestive heart failure in dogs with myxomatous valve disease and asymptomatic mitral regurgitation. J. Vet. Intern. Med. 2002;16(1):80-88.

– Lefebvre HP, Ollivier E, Atkins CE et coll. Safety of spironolactone in dogs with chronic heart failure because of degenerative valvular disease: a population-based, longitudinal study. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:1083-1091.

– Pouchelon JL, Jamet N, Gouni V et coll. Effect of benazepril on survival and cardiac events in dogs with asymptomatic mitral valve disease: a retrospective study of 141 cases. J. Vet. Intern. Med. 2008;22(4):905-914.

– The Cove study group. Controlled clinical evaluation of enalapril in dogs with heart failure: results of the Cooperative veterinary enalapril study group. J. Vet. Intern. Med. 1995;9(4):243-252.

– The Improve study group. Acute and short-term hemodynamic, echocardiographic, and clinical effects of enalapril maleate in dogs with naturally acquired heart failure: results of the Invasive multicenter prospective veterinary evaluation of enalapril study. J. Vet. Intern. Med. 1995;9 (4):234-242.

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