Insulinome traité par pancréatectomie partielle chez un golden retriever - Le Point Vétérinaire expert canin n° 339 du 01/10/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 339 du 01/10/2013

ENDOCRINOLOGIE ET CHIRURGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Claire Deroy*, Anthony Barthelemy**, Thibaut Cachon***

Fonctions :
*VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
claire.deroy@vetagro-sup.fr

Les troubles locomoteurs ou les convulsions ne sont pas toujours d’origine nerveuse. Parmi les causes métaboliques, l’insulinome, révélé par un examen sanguin, doit être recherché par un examen échographique et traité, le plus souvent, par la chirurgie.

Certaines affections provoquent des troubles neurologiques sans atteinte directe du système nerveux. Les maladies métaboliques en font partie, et un bilan sanguin doit toujours être effectué dans le cadre du diagnostic différentiel. Cela permet de révéler un insulinome chez un chien référé pour explorer des troubles locomoteurs a priori liés à une neuropathie.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Depuis quelques jours, un golden retriever mâle non castré âgé de 10 ans sans aucun antécédent pathologique présente de brefs épisodes de crises convulsives partielles (“spasmes” au niveau de la tête et des membres) d’une durée moyenne de 5 minutes et qui cessent spontanément.

L’animal est de plus en plus prostré, et l’apparition de pertes d’équilibre associées à une augmentation des épisodes spastiques motive la visite chez le vétérinaire traitant. Devant ce tableau clinique, le praticien suspecte une polyneuropathie et préfère référer directement le cas au service d’urgences, sans avoir réalisé d’examens complémentaires.

2. Examen clinique

→ À l’arrivée aux urgences, le chien est en décubitus permanent et présente de brefs épisodes spastiques, principalement de la tête. Sa note d’état corporel est évaluée à 2,5 sur une échelle allant de 1 à 5 (tableau 1). Une légère amyotrophie bilatérale des muscles fessiers est remarquée. L’animal ne présente pas de déshydratation et est normotherme. L’auscultation cardiaque révèle un souffle systolique basal gauche de grade III/VI. Bien que le chien soit en polypnée, l’auscultation pulmonaire ne montre aucune autre anomalie.

→ À l’examen neurologique, aucune diminution de la sensibilité de la face n’est notée. Les réflexes palpébraux et de clignement à la menace sont diminués bilatéralement. Une faiblesse locomotrice généralisée, ainsi qu’une légère ataxie des membres pelviens sont notées. Les placers proprioceptifs sont diminués, voire absents, sur les quatre membres. Les réflexes médullaires des quatre membres sont diminués, tandis que les réflexes de flexion sont présents, laissant suspecter une atteinte multifocale de type motoneurone périphérique (MNP).

3. Éléments du diagnostic différentiel

Devant ce tableau clinique de faiblesse locomotrice généralisée (parésie de type MNP des quatre membres) associée à des crises convulsives partielles, une affection cérébrale ou une polyneuropathie sont suspectées.

→ Une neuropathie périphérique est la première hypothèse, d’origine métabolique (diabète sucré, hypothyroïdie, hypoglycémie ou anomalies du ionogramme) ou, moins probablement, d’origine tumorale. Il convient de confirmer ce diagnostic en réalisant un électromyogramme et des biopsies musculaire et nerveuse.

→ Une affection cérébrale d’origine lésionnelle (accident vasculaire cérébral, tumeur intracrânienne) ou réactionnelle (inflammatoire de type méningo-encéphalo-myélite ou métabolique) fait également partie des hypothèses diagnostiques bien que moins probable. En effet, une telle affection se traduirait plutôt par une parésie de type motoneurone central (MNC). Un examen d’imagerie tel qu’une imagerie par résonance magnétique (IRM), ainsi qu’un bilan biologique complet permettraient d’exclure ces causes.

4. Examens complémentaires

Paramètres sanguins

Le bilan hématologique, ainsi que les résultats de la mesure des gaz sanguins ne présentent aucune anomalie remarquable. L’ionogramme révèle une légère hypokaliémie à 3,3 mmol/l (norme se situant entre 3,5 et 5 mmol/l). Le bilan biochimique met en évidence une hypoglycémie majeure (0,29 g/l, la norme se situant entre 0,7 et 1,3 g/l). Le dosage de l’insuline est alors réalisé afin de cibler la cause de cette hypoglycémie. Des valeurs fortement supérieures à la normale (70 mUI/l, les valeurs usuelles variant en fonction de la glycémie et se situant entre 10 et 40 mUI/l) sont observées.

Imagerie

Une échographie abdominale est réalisée pour rechercher une lésion macroscopique engendrant, le cas échéant, cette hypoglycémie permanente. Elle met en évidence un nodule hypoéchogène dans le lobe gauche du pancréas, mesurant 2 x 2,3 cm, fortement compatible avec un processus néoplasique ou, moins probablement, avec un abcès ou un kyste (photo 1).

Un scanner de l’abdomen et du thorax est réalisé pour préciser la localisation de cette masse et réaliser un bilan d’extension. Les métastases sont surtout recherchées en regard des nœuds lymphatiques, du foie, du duodénum et de la rate. Le scanner confirme la présence d’un seul nodule d’environ 2 cm de diamètre, mais dans le lobe droit du pancréas (photo 2). De plus, aucune métastase n’est visible le jour des examens d’imagerie.

5. Diagnostic définitif

Le bilan biochimique a mis en évidence une hypoglycémie sévère associée à une hyperinsulinémie, très en faveur d’un insulinome sécrétant. L’échographie et le scanner confirment cette hypothèse par la visualisation d’une masse pancréatique avec une ambiguïté sur l’emplacement.

6. Traitement

Le traitement d’un insulinome peut être médical et/ou chirurgical. Le traitement chirurgical n’est pas dénué de risques et des récidives peuvent survenir. Il est réservé aux insulinomes individualisés car les formes infiltrantes ne permettent pas de réaliser une pancréatectomie partielle. Si l’acte chirurgical et la période postopératoire se déroulent sans incident, la durée de survie est supérieure à celle espérée avec un traitement médical. Cependant, ce dernier est indispensable pour préparer la chirurgie dans les meilleures conditions.

7. Traitement préopératoire

L’objectif du traitement préopératoire est de compenser momentanément la perturbation métabolique due à l’hyperinsulinémie.

Traitement de l’hypoglycémie

Une corticothérapie à base de prednisolone injectable est instaurée dès le début de l’hospitalisation. La dose est de 1 mg/kg deux fois par jour les 3 premiers jours, puis elle est réduite à 0,5 mg/kg deux fois par jour les 2 jours suivants. L’utilisation des stéroïdes s’explique par certains de leurs effets antagonistes de ceux de l’insuline, qui concourent à limiter la sévérité de l’hypoglycémie. Ils stimulent la néoglucogenèse et la glycogénolyse hépatiques.

Enfin, le chien reçoit une alimentation adaptée (Hill’s W/D) et fractionnée toutes les 2 heures, dans l’objectif de maintenir la glycémie dans les valeurs normales. Une nourriture riche en matières grasses et en fibres ralentit la vidange gastrique et diminue l’absorption intestinale du glucose. Les sucres simples (à fort indice glycémique) sont contre-indiqués car ils sont rapidement absorbés et potentialisent la sécrétion d’insuline par les cellules β néoplasiques.

Durant la première nuit d’hospitalisation, une crise convulsive complète est observée, probablement secondaire à un manque d’apport de glucose au niveau du système nerveux central ou à une hypokaliémie. La crise est arrêtée par une injection de diazépam (0,5 mg/kg) par voie intraveineuse. Aucune autre crise n’est décrite par la suite. Cet épisode est certainement secondaire à un pic d’hypoglycémie car le dosage du glucose, réalisé une fois l’épisode passé, était de 0,3 g/l. C’est un traitement standard d’urgence avant les résultats (un bolus de glucose hypertonique 30 % aurait, idéalement, dû être administré).

Une fluidothérapie minutieuse fondée sur la glycémie est mise en place. Pendant les 3 premiers jours d’hospitalisation, une alternance de glucose 2,5 %-NaCl 0,45 % et de glucose 5 % à un débit de 2 ml/kg/h est instaurée en fonction du degré d’hypoglycémie.

Une hypoglycémie permanente est mise en évidence, mais avec une courbe à croissance régulière (figure 1). Les valeurs normales sont atteintes au troisième jour de l’hospitalisation. Cette cinétique s’explique par la complémentation de la perfusion en glucose, ainsi que par les traitements adjuvants explicités ci-dessus.

Traitement à domicile

Le chien est rendu à ses propriétaires après 5 jours d’hospitalisation. Le traitement à domicile comprend de la prednisolone per os à la dose de 0,5 mg/kg deux fois par jour et une alimentation exclusive Hill’s W/D avec un suivi de glycémie régulier jusqu’à l’intervention chirurgicale programmée la semaine suivante.

8. Traitement chirurgical

Sept jours après sa sortie, le chien n’a pas présenté de nouvelle crise.

Phase peropératoire

La glycémie est mesurée toutes les 15 minutes car l’insulinome est une tumeur réactive, fonctionnelle et sécrétante dont la manipulation, et a fortiori l’exérèse, peuvent engendrer une hypoglycémie sévère et brutale secondaire à une libération massive d’insuline dans le sang. Une solution contenant du glucose 5 % est donc administrée par voie intraveineuse pour maintenir une glycémie normale.

Intervention chirurgicale

→ Une laparotomie xypho-ombilicale est réalisée afin d’explorer la cavité abdominale. Sans conformité avec l’examen échographique, un nodule (3 x 2 cm) bien délimité est visualisé sur le bord libre du corps du pancréas, dans l’angle duodéno-pylorique, et non dans les lobes pancréatiques, ce qui rend la chirurgie plus délicate (photo 3). Le pancréas est examiné dans son intégralité, à la fois par examen visuel (principalement) et par palpation digitale minutieuse et précautionneuse (il convient d’éviter au maximum de palper le pancréas). Aucune autre anomalie n’est révélée. Les nœuds lymphatiques (hépatiques, mésentériques, pancréatico-duodénaux et spléniques) ne sont pas hypertrophiés, et aucune métastase hépatique ou splénique n’est mise en évidence.

→ L’exérèse de la masse s’effectue par pancréatectomie partielle incluant des marges saines de 1 cm, selon la solution recommandée pour une tumeur circonscrite. Il convient de respecter la vascularisation du pancréas (l’artère pancréatico-duodénale craniale draine son corps pour se diriger vers son lobe droit), ainsi que son système excréteur (le canal pancréatique principal, ou canal de Wirsung, se situe aussi au niveau du corps). Dans le même secteur se trouve également le canal cholédoque, à ne pas léser.

→ L’exérèse se réalise minutieusement à l’aide de petits ciseaux de Metzenbaum, permettant de s’assurer que l’artère pancréatico-duodénale ne vascularise pas l’insulinome. Ensuite, la technique de ligature-fracture est utilisée : la ligature en masse (fil de polypropylène décimale 2), englobant la tumeur et la marge saine, est serrée afin de “fracturer” le parenchyme, qui est alors incisé distalement à cette ligature (photos 4a et 4b). Le mésoduodénum est ensuite fermé à l’aide d’un surjet simple (fil de polypropylène décimale 2) afin de prévenir toute hernie consécutive au passage d’organes.

→ Un lavage de la cavité abdominale, puis un contrôle de l’hémostase sont effectués. Enfin, l’abdomen est refermé de façon conventionnelle.

9. Suivi postopératoire

Un contrôle glycémique et une fluidothérapie adaptée sont réalisés en phase postopératoire, jusqu’à la normalisation des valeurs glycémiques. Le suivi de la glycémie permet de mettre en évidence des valeurs proches de 1 g/l. Un pic d’hyperglycémie, ainsi qu’un épisode d’hypoglycémie légère sont observés en phase postopératoire immédiate (figure 2). La fluidothérapie se compose de l’association de Ringer lactate à 2 ml/kg/h et de glucose 5 %. Le chien est réalimenté une fois qu’il est correctement réveillé, avec des repas fractionnés distribués toutes les 2 heures.

Le chien est rendu à ses propriétaires 3 jours après l’intervention, sa glycémie restant stable autour des valeurs usuelles. Il doit continuer à recevoir une alimentation fractionnée toutes les deux heures.

10. Suivi à court terme

Un contrôle à 2 semaines montre un bon état général. La glycémie est dans les valeurs usuelles (1,13 g/l), ainsi que la fructosaminémie évaluant l’équilibre glycémique passé à court terme (317 µmol/l, classiquement entre 220 et 340 µmol/l) et l’insulinémie (35 mUI/l).

11. Suivi à moyen terme

Plusieurs contrôles sont réalisés par la suite. À 5 mois postopératoires, la glycémie se situe à une valeur de 0,9 g/l, les fructosamines à 281 µmol/l et l’insuline à 22 mUI/l. L’évolution postopératoire est satisfaisante, sans récidive de troubles nerveux ni d’épisodes de faiblesse. Un traitement médical adjuvant n’est pas nécessaire pour l’instant, mais doit être envisagé si une hypoglycémie réapparaît lors du suivi régulier de sa glycémie.

12. Diagnostic de certitude

L’analyse histopathologique permet d’établir le diagnostic d’insulinome avec certitude. L’ablation est totale, avec des marges saines (photo 5).

DISCUSSION

1. Épidémiologie

L’insulinome apparaît généralement chez les chiens d’âge moyen à âgés avec une moyenne de 10 ans [17]. Certaines races sont plus souvent touchées, tels les chiens de chasse, le labrador, le golden retriever (comme dans ce cas clinique) et le boxer [7].

2. Étiopathogénie

L’insulinome est une tumeur endocrine insulinosécrétante maligne des cellules β des îlots de Langerhans du pancréas. L’insuline, produite physiologiquement en réponse au glucose et aux acides aminés, est sécrétée de manière anarchique. Elle accroît la pénétration cellulaire du glucose, des acides gras et des acides aminés, ainsi que leurs synthèses, ce qui permet la conservation d’un bon état général, malgré l’hypoglycémie et les crises nerveuses [13].

3. Sémiologie

Les signes cliniques sont secondaires à l’hypoglycémie et peuvent être intermittents sur plusieurs mois. En effet, après une rémission plus ou moins longue, la résurgence des signes cliniques peut survenir (tableau 2). Ces symptômes apparaissent généralement lors d’exercices, de phases d’excitation ou de périodes de jeûne, et découlent du degré d’hypoglycémie, mais aussi de la rapidité de diminution de la glycémie [4]. Malgré une hypoglycémie sévère, certains chiens ne montrent aucun signe clinique car leur organisme s’est adapté à une hypoglycémie persistante.

Un syndrome paranéoplasique peut être observé lors d’insulinome, déclenchant une polyneuropathie périphérique (comme dans notre cas), dont les principaux signes sont une absence ou une diminution des réflexes médullaires, une para-tétraparésie, une paralysie faciale, une dysphonie, une paralysie laryngée et/ou un mégaœsophage [6, 21].

4. Examens complémentaires

Comme il est décrit dans ce cas, une hypoglycémie et une hyperinsulinémie associées sont les éléments diagnostiques de l’insulinome. Il est aussi intéressant de contrôler la kaliémie, qui est le plus souvent abaissée car l’insuline libérée par la tumeur engendre un mouvement du potassium vers le milieu intracellulaire.

Par la suite, plusieurs examens d’imagerie sont décrits pour visualiser la masse (échographie, scanner, IRM). Ils permettent également de détecter la présence éventuelle de métastases. Une hypertrophie des nœuds lymphatiques ou des métastases dans d’autres organes, principalement le foie, sont le plus souvent rencontrées, les autres localisations métastatiques incluant le duodénum, le mésentère, l’omentum, la rate, les reins et les os [5, 7, 15, 17]. L’ensemble de ces examens permet d’évaluer le risque chirurgical et son intérêt par rapport au traitement médical. Le diagnostic de certitude requiert cependant une analyse histopathologique.

5. Traitement

Stabilisation préopératoire

→ Comme décrit dans ce cas clinique, une stabilisation médicale est nécessaire avant l’intervention chirurgicale. Les objectifs du traitement sont, successivement, de rétablir la volémie et de corriger les désordres électrolytiques (hypokaliémie) (tableau 3) ainsi que la glycémie. Le traitement de l’hypoglycémie doit être progressif et lent car un changement rapide de l’osmolarité plasmatique engendrerait un mouvement d’eau du milieu extracellulaire vers le compartiment intracellulaire, pouvant entraîner un œdème cérébral [12]. En effet, la stabilisation d’un animal atteint d’un insulinome requiert une fluidothérapie minutieuse pour minimiser les changements de concentration soudains en glucose, qui affectent l’osmolarité effective.

→ De plus, l’utilisation de solutions plus concentrées en glucose engendre parfois une sécrétion d’insuline par la tumeur. En effet, le pancréas malade garde une sensibilité à la concentration plasmatique en glucose. Et une perfusion de glucose concentré pourrait stimuler les cellules tumorales qui sécréteraient encore plus d’insuline, provoquant une fluctuation dangereuse de la glycémie [7, 10].

→ Ainsi, l’hypoglycémie peut être gérée médicalement par une alimentation fractionnée pauvre en glucides simples et riche en protéines, associée à l’administration de corticoïdes ou de diazoxide. Les glucocorticoïdes (0,5 mg/kg/j) stimulent la néogluconéogenèse hépatique. Le diazoxide (Proglycem®, à la dose de 5 à 10 mg/kg per os jusqu’à un maximum de 60 mg/kg/j) est un diurétique, activateur des canaux potassium (bloquant alors la libération d’insuline), inhibiteur de l’utilisation du glucose par les cellules et stimulateur de la néoglucogenèse hépatique [7, 17, 21]. Le traitement au diazoxide, très efficace, comporte cependant quelques limites, comme son coût très élevé (la dose de 20 mg/kg n’est généralement pas dépassée) et la difficulté à se le procurer (la législation impose que la commande et l’injection soient réalisées seulement par un vétérinaire.). Les effets secondaires les plus communs sont une anorexie, une diarrhée et des vomissements [19]. Ceux-ci peuvent être évités en donnant le médicament en même temps que le repas.

→ Si l’animal ne s’alimente pas seul, une sonde naso-œsophagienne doit être mise en place afin de continuer une alimentation entérale [7].

Intervention chirurgicale

→ La chirurgie du pancréas est l’option de choix dans le traitement de l’insulinome, tout en sachant que le taux de mortalité peropératoire est élevé. La résection de cette masse a un objectif thérapeutique et permet un examen histopathologique, qui, en plus d’établir le diagnostic, précise le pronostic.

→ Selon diverses études rétrospectives, le temps de survie médian chez des chiens ne recevant qu’un traitement médical est de 124 jours, contre de 486 à 785 jours pour ceux qui ont subi une intervention chirurgicale, associée ou non à un traitement médical [17, 21].

→ Une pancréatectomie doit toujours être partielle. Une exérèse totale supprimerait toute sécrétion pancréatique, rendant l’animal diabétique et insuffisant pancréatique exocrine (IPE). En revanche, 75 à 90 % du pancréas peuvent être retirés sans conséquence majeure sur les fonctions tant endocrine qu’exocrine, grâce à son importante capacité régénérative [20]. Une étude montre que, 6 semaines après une pancréatectomie de 95 %, le pancréas a doublé son volume résiduel [11].

Cependant, il est important de respecter l’anatomie du pancréas. En effet, son système excréteur, comprenant les canaux accessoire et principal, ne doit pas être lésé, ni le canal cholédoque. La vascularisation du pancréas est également à préserver (figure 3).

→ Plusieurs techniques chirurgicales ont été décrites dans l’exérèse de l’insulinome, qui se rencontre plus fré-quemment sur les lobes pancréatiques (86 %) que sur le corps du pancréas (14 %) (tableau 4) [5].

Dans le cas décrit, la technique utilisée est la suture-fracture, la plus courante en médecine vétérinaire (figure 4). Elle permet une résection rapide avec des marges saines, contrairement à la nodulectomie, indiquée pour des nodules de petite taille, très bien délimités, et situés sur le corps du pancréas ou dans la partie proximale du lobe droit. Cette dernière évite une résection large et délabrante du tissu pancréatique environnant, mais elle ne garantit aucune marge saine [19].

→ La pancréatectomie peut également être réalisée par la méthode de dissection-ligature (figure 5). Cette procédure a été comparée avec celle de la suture-fracture dans une étude rétrospective, ne montrant aucune différence significative dans les signes cliniques et les mesures postopératoires de l’activité des enzymes pancréatiques [1].

→ La pancréatectomie partielle peut aussi être effectuée à l’aide d’une agrafeuse automatique de type TA (thoraco-abdominal) qui permet une obstruction certaine des tubules pancréatiques (photo 6) [3]. Une étude en médecine humaine comparant cette technique à la suture-fracture révèle peu de différences significatives, avec néanmoins une tendance à la diminution des risques de fistule lorsque l’agrafeuse est utilisée [22].

→ Toutes ces techniques chirurgicales imposent la visualisation ou la palpation de la masse tumorale. Si aucune excroissance n’est visible, il est possible d’avoir recours au bleu de méthylène pour différencier le tissu tumoral du tissu sain (encadré 1). Ce produit se concentre dans les glandes parathyroïdes et le pancréas endocrine, et plus particulièrement dans les régions hyperfonctionnelles, adénomateuses ou carcinomateuses. Le tissu pancréatique endocrine sain se colore en bleu foncé tandis que le tissu hyperfonctionnel prend une teinte virant vers le rouge. Le bleu de méthylène doit être utilisé avec précision, car il peut engendrer des anémies hémolytiques (régénératives avec corps de Heinz), des insuffisances rénales aiguës et une pancréatite [14].

→ Bien qu’étant l’option thérapeutique de choix de l’insulinome, la pancréatectomie présente un certain nombre de complications.

→ L’hypoglycémie postopératoire est la complication la plus fréquente : 30 % des cas selon plusieurs études, avec un taux de mortalité avoisinant les 12 % [17, 21]. La persistance d’une hypoglycémie transitoire peut être gérée médicalement par une alimentation fractionnée pauvre en glucides simples et riche en protéines, associée à l’administration de corticoïdes ou de diazoxide [9].

→ Des crises convulsives sont décrites, qui sont di-rec-tement liées à l’hypoglycémie et à l’hypokaliémie, ou à un changement trop brusque de la glycémie pouvant induire un œdème cérébral. Néanmoins, elles peuvent persister même après correction de l’hypoglycémie en raison des lésions cérébrales (l’hypoglycémie cérébrale peut mener à une nécrose neuronale) [9].

→ Les animaux doivent faire l’objet d’un suivi minutieux après l’intervention pour détecter une résurgence des signes cliniques. Des mesures périodiques de la glycémie à jeun (tous les 1 à 3 mois) sont conseillées. Si l’une d’elles est inférieure à 0,6 g/l, la réapparition d’un insulinome est fortement suspectée [15, 17, 21].

→ La pancréatite représente 20 % des complications [17, 21]. La préhension du pancréas doit s’effectuer avec précaution. Il est très sensible à la manipulation en raison de ses stocks pro-enzymatiques digestifs, en faisant un organe à sécrétions exocrines essentiel à la digestion. Ainsi, l’inflammation engendrée par la manipulation peut provoquer une pancréatite aiguë, une duodénite, une péritonite, et même la mort de l’animal [18]. Une fluidothérapie préopératoire et postopératoire de glucose 2,5 à 5 % maintient la perfusion du pancréas et réduit le risque de pancréatite [10, 17, 21].

→ L’hyperglycémie postopératoire, secondaire à une sécrétion inadéquate d’insuline par les cellules b atrophiées, représente 15 % des cas. Une hyperglycémie temporaire se déclenche jusqu’à 2 à 3 jours postopératoires dans 28 % des cas d’insulinome, mais seulement 7 % requièrent une insulinothérapie [9, 17, 21]. L’exérèse des cellules néoplasiques hypersécrétantes prive l’animal d’insuline jusqu’à ce que les cellules saines atrophiées récupèrent leur capacité sécrétoire normale. Tant que l’hyperglycémie est légère, il est recommandé d’attendre 2 ou 3 jours avant de mettre en place une insulinothérapie [9]. Lorsque celle-ci doit être instaurée (hyperglycémie persistant au-delà de 3 jours), la dose initiale est de 0,25 UI/kg d’insuline. Elle est généralement nécessaire pour une durée inférieure à 1 mois (délai de résolution du diabète sucré transitoire) [9].

Traitement médical

→ Un traitement médical mis en place parallèlement à la chirurgie est fortement conseillé (ce qui n’est pas décrit dans ce cas clinique) car il augmente considérablement la médiane de survie (1 316 jours), ou bien dans les cas où l’opération n’est pas réalisée [21]. Il est identique à celui utilisé lors de la stabilisation préopératoire : un régime alimentaire strict, complété par un traitement médicamenteux composé de glucocorticoïdes et/ou de diazoxide. Une chimiothérapie peut être mise en œuvre, incluant la streptozocine (qui détruit sélectivement les cellules pancréatiques β). Son emploi a été fortement limité en raison de ses effets néphrotoxiques engendrant une nécrose des tubules rénaux proximaux [10]. Cependant, Moore et coll. ont décrit un protocole de diurèse qui permet l’administration de streptozocine avec un minimum d’effets secondaires (encadré 2) [16]. Parmi ceux-ci, l’effet émétisant est important et il convient d’administrer un traitement antiémétisant en parallèle. Les chiens peuvent développer une hypoglycémie aiguë résultant de la destruction des cellules tumorales, qui libèrent alors leur stock d’insuline intracellulaire [16]. Un diabète sucré secondaire à la détérioration des cellules pancréatiques β normales est également possible [2].

Conclusion

Le succès du traitement d’un insulinome dépend de la précocité du diagnostic, de l’administration d’une fluidothérapie adéquate et d’une pancréatectomie partielle comprenant des marges saines réalisée par un chirurgien assez expérimenté. Afin de réduire au minimum les complications postopératoires, la manipulation peropératoire du pancréas doit être limitée et précautionneuse. Cependant, la chirurgie n’a qu’un intérêt palliatif dans la grande majorité des cas. La moitié des chiens atteints présentent déjà des métastases au moment du diagnostic (souvent ignorées) et des récidives sont susceptibles de survenir. Lorsque des métastases sont mises en évidence et accesssibles, des métastectomies sont réalisables.

Références

  • 1. Allen SW, Cornelius LM, Mahafey EA. A comparison of two methods of partial pancreatectomy in the dog. J. Vet. Surg. 1989;18:274-278.
  • 2. Bell R, Mooney CT, Mansfield CS et coll. Treatment of insulinoma in a springer spaniel with streptozocin. J. Small Anim. Pract. 2005;46(5):247-250.
  • 3. Bellah J. Surgical stapling of the spleen, pancreas, liver, and urogenital tract. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1994;24:375.
  • 4. Dunn JK, Bostock DE, Herrtage ME et coll. Insulin secreting tumors of the canine pancreas: clinical and pathological features of 11 cases. J. Small Anim. Pract. 1993;34:325-331.
  • 5. Elie MS, Zerbe CA. Insulinoma in dogs, cats and ferrets. Compend. Contin. Educ. Vet. 1995;17(1):51-59.
  • 6. Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of Veterinary Internal Medicine. 7th ed. vol. 2. Ed. WB Saunders. 2009:1462-1467.
  • 7. Feldman EC, Nelson RW. Beta-cell neoplasia: insulinoma. Canine and feline endocrinology and reproduction. 3rd ed. Ed. WB Saunders. 2004.
  • 8. Fossum T. Small Animal Surgery. 3rd ed. Ed. Mosby/Elsevier, St Louis, 2002.
  • 9. Galvao JF, CHew DJ. Metabolic complications of endocrine surgery in companion animals. Vet. Clin. Small Anim. 2011;41:847-868.
  • 10. Goutal CM, Brugmann BL, Ryan KA. Insulinoma in dogs: a review, J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2012;48(3):151-163.
  • 11. Hayakawa H, Kawarada Y, Mizumoto R et coll. Induction and involvement of endogenous IGF-1 in pancreas regeneration after partial pancreatectomy in the dog. J. Endocrinol. 1996;149(2):259-267.
  • 12. Hoorn EJ, Carlotti AP, Costa LAA et coll. Preventing a drop in effective plasma osmolality to minimize the likelihood of cerebral edema during treatment of children with diabetic ketoacidosis. J. Pediatric. 2007;150:467-473.
  • 13. Huth SP, Relford R, Steiner JM et coll. Analytical validation of an Elisa for measurement of canine pancreas-specific lipase. Vet. Clin. Pathol. 2010;39:346-353.
  • 14. Lurye JC, Behrend EN. Endocrine tumors. Vet. Clin. North Am. 2001;31:1083-1110.
  • 15. Madarame H, Kayanuma H, Shida T et coll. Retrospective study of canine insulinomas: Eight cases (2005-2008). J. Vet. Med. Sci. 2009;71(7):905-911.
  • 16. Moore AS, Nelson RW, Henry Cl et coll. Streptozocin for treatment of pancreatic islet cell tumors in dogs: 17 cases (1989-1999). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002;221(6):811-818.
  • 17. Polton GA, White RN, Brearley MJ et coll. Improved survival in a rétrospective cohort of 28 dogs with insulinoma. J. Small Anim. Pract. 2007;48(3):151-156.
  • 18. Seiner JM. Diagnosis of pancreatitis. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2003;33:1181-1195.
  • 19. Steiner JM, Bruyette DS. Canine insulinoma. Compend. Contin. Educ. Vet. 1996;18:13-16.
  • 20. Tobias KM, Johnston SP. Pancreas. Vet. Surg. Small Anim. Vol. 2. Ed. WB Saunders. 2012:1659-1672.
  • 21. Tobin RL, Nelson RW, Lucroy MD et coll. Outcome of surgical versus medical treatment of dogs with beta cell neoplasia: 39 cases (1990-1997). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;215(2):226-230.
  • 22. Zhou W, Ran LV, Wang X et coll. Stapler versus suture closure of pancreatic remnant after distal pancreatectomy: a meta-analysis. Am. J. Surg. 2010;200:529-536.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’insulinome est une tumeur neuro-endocrine maligne du pancréas, rare, principalement rencontrée chez le chien d’âge moyen à âgé.

→ Le diagnostic de l’insulinome repose sur une prise de sang qui révèle une hypoglycémie, une hyperinsulinémie et une fructosamine basse. Une hypokaliémie est souvent constatée.

→ Le diagnostic de certitude est établi par un examen histopathologique de la tumeur (à condition que le prélèvement ne mette pas en jeu le pronostic vital).

→ Si l’animal est encore jeune, en bonne forme et que la tumeur est bien individualisée, le traitement de choix est une pancréatectomie partielle, même si le risque de complications est important (pancréatite, diabète et/ou insuffisance pancréatique exocrine).

ENCADRÉ 1
Coloration du pancréas au bleu de méthylène

Le bleu de méthylène (BM) est administré par voie intraveineuse, en le mélangeant à une solution isotonique saline pour obtenir une dose totale de 3 mg/kg de BM. La solution entière est administrée sur 30 à 40 minutes. La coloration maximale est atteinte approximativement 30 minutes après l’initiation de la perfusion.

ENCADRÉ 2
Protocole de chimiothérapie avec la streptozocine

→ Fluidothérapie de NaCl 0,9 % à 18,3 ml/kg/h. Durée : 3 heures.

→ Puis de la streptozocine (500 mg/m2) diluée dans un volume approprié de solution de NaCl 0,9 %, au même débit. Durée : 2 heures.

→ Puis une fluidothérapie de NaCl 0,9 % à 18,3 ml/kg/h. Durée : 3 heures.

→ Ce protocole est répété à 3 semaines d’intervalle.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr