Approche thérapeutique des leucémies aiguës chez le chien - Le Point Vétérinaire n° 339 du 01/10/2013
Le Point Vétérinaire n° 339 du 01/10/2013

CANCÉROLOGIE DU CHIEN

Dossier

Auteur(s) : David Sayag*, Laetitia Piane**, Julie Lermuzeaux***, Mélanie Pastor****

Fonctions :
*Consultation de cancérologie
Unité de médecine
**Laboratoire central de biologie médicale
INP, École nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse
***Laboratoire central de biologie médicale
INP, École nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse
****Consultation de cancérologie
Unité de médecine

Face au tableau clinique souvent sévère des chiens atteints de leucémie aiguë, la chimiothérapie anticancéreuse a pour objectif une amélioration notable de la qualité de vie.

En médecine humaine, le standard de traitement de nombreuses leucémies aiguës consiste en une irradiation du corps entier et en une greffe de moelle osseuse, techniques actuellement peu disponibles en oncologie vétérinaire à l’exception de quelques centres spécialisés en Amérique du Nord.

Un protocole de polychimiothérapie associé à la mise en place de traitements de soutien et à une surveillance rapprochée est indispensable afin de prendre en charge les conséquences de la maladie et de prévenir les effets indésirables du traitement. Néanmoins, la polychimiothérapie n’a qu’une visée palliative car le pronostic est classiquement sombre.

ÉTAPE 1 Déterminer le protocole de chimiothérapie le plus adapté

→ Le traitement de chimiothérapie a pour objectif de détruire les cellules tumorales à l’origine du tableau clinique (pancytopénie, troubles digestifs, abattement, etc.), permettant ainsi le retour à un hémogramme dans les valeurs usuelles et à une qualité de vie optimale. Le traitement est à visée palliative. Il ne permet pas la guérison, mais seulement une rémission clinique.

→ La toxicité des agents anticancéreux peut être augmentée par les insuffisances organiques souvent rencontrées au moment du diagnostic, telle une insuffisance rénale ou hépatique. Des traitements de soutien ou une réduction des dosages administrés sont alors indispensables afin de limiter les effets indésirables du traitement.

→ Les molécules anticancéreuses utilisées dans le traitement des leucémies aiguës lymphoïdes sont identiques à celles indiquées pour les lymphomes multicentriques. En première intention, un protocole L-CHOP, associant vincristine (Oncovin®(1) et génériques Hospira®(1), Faulding®(1), Teva®(1), Pierre Fabre®(1)), doxorubicine (Adriblastine®(1), et nombreux génériques Ebewe®(1), Dakota®(1), Teva®(1), G-Gam®(1), Asta Medica®(1), Accord®(1), Actavis®(1)), cyclophosphamide (Endoxan®(1)), prednisolone et L-asparaginase (Kidrolase®(1)), est recommandé (tableau 1) [11-13]. Une solution alternative envisageable serait l’utilisation de vincristine associée à de la prednisolone (taux de réponses complètes de 19 %, taux de rémissions totales de 38 %, survie jusqu’à 241 jours selon une série de cas [7]).

→ Le traitement des leucémies aiguës myéloïdes est encore peu standardisé en médecine vétérinaire. L’utilisation d’analogues des bases puriques, telle la cytarabine (Aracytine®(1) et nombreux génériques), associés à la doxorubicine et à la prednisolone reste une approche couramment acceptée (tableau 2) [7, 14]. Dans le cas de leucémies mégacaryoblastiques, aucun traitement n’a été rapporté comme étant significativement efficace [2].

→ Le protocole de chimiothérapie se poursuit, en théorie, jusqu’au retour des paramètres hématologiques dans les valeurs usuelles et tant que des cellules blastiques circulantes sont détectées. Les traitements sont le plus fréquemment à vie [8, 11, 15].

→ Très récemment, le niveau élevé d’expression du récepteur à la tyrosine kinase c-KIT identifié lors de leucémie aiguë lymphoïde ou de leucémie indifférenciée ouvre la voie à une nouvelle perspective thérapeutique, via l’utilisation des inhibiteurs des récepteurs à activité tyrosine-kinase [3].

→ La mise en place d’un traitement de chimiothérapie anticancéreuse impose le respect de bonnes pratiques et de la législation en vigueur, notamment concernant la déclaration du vétérinaire auprès de l’Ordre, la protection du personnel par des tenues de protection et des systèmes clos permettant une préparation et une administration sans danger de l’agent de chimiothérapie (encadré, photos 1a, 1b et 2a à 2e2).

ÉTAPE 2 Prévenir l’apparition des effets indésirables du traitement

Syndrome de lyse tumorale aiguë

→ Le syndrome de lyse tumorale aiguë (SLTA) représente l’ensemble des complications secondaires à la destruction massive, spontanée ou provoquée, d’une grande quantité de cellules néoplasiques, entraînant la libération rapide et massive du contenu intracellulaire (phosphore, potassium, acide nucléique). Il s’agit d’un effet indésirable redoutable, bien que très rare, en oncologie vétérinaire [1, 5, 9, 10, 14]. Les animaux atteints de leucémie aiguë constituent une population particulièrement à risque de développer ce type de complication, étant donné le contingent blastique très important, la grande chimiosensibilité de ces cellules et l’état clinique de ces individus au moment de leur présentation.

→ Les signes cliniques du SLTA sont la conséquence des changements biologiques majeurs (hyperkaliémie, hyperphosphatémie, hypocalcémie, hyperuricémie), et comportent des vomissements, une diarrhée, une léthargie, des arythmies cardiaques, des crises convulsives, une insuffisance rénale aiguë, etc. [1, 5].

→ La détection précoce passe nécessairement par la réalisation, chez les animaux à risque, d’un ionogramme au moment de l’induction de la chimiothérapie, puis toutes les 12 heures pendant 48 heures. Une fluidothérapie à titre préventif (NaCl 0,9 %, deux fois le débit d’entretien minimal) peut être, dans certains cas, requise quelques heures avant l’initiation du traitement. En médecine humaine, le protocole est parfois induit de manière progressive, avec l’utilisation d’une chimiothérapie par phases (par exemple de la prednisolone ou des agents alkylants pendant quelques jours, avant de commencer la chimiothérapie injectable). Une diminution des doses standard pour les premiers traitements peut également être réalisée [4].

→ Le traitement de cette complication au pronostic réservé inclut une fluidothérapie agressive (NaCl 0,9 %, trois fois le débit d’entretien minimal), un suivi des électrolytes plasmatiques et, éventuellement, l’utilisation d’allopurinol (Zyloric®(1) et nombreux génériques) [6]. L’allopurinol est un inhibiteur d’une enzyme, la xanthine oxydase, intervenant dans la cascade catabolique de la dégradation des bases puriques en allantoïne, via l’acide urique. Dans certaines races de chien, notamment le dalmatien, le bulldog anglais et le terrier noir de Russie, cette cascade peut se terminer au niveau de l’acide urique, à la suite d’une déficience en uricase, enzyme terminale transformant l’acide urique en allantoïne. Cette particularité pourrait donc aggraver les signes du SLTA. De plus, il est possible que la transformation de l’acide urique en allantoïne par l’uricase soit moins efficace lors d’apport massif d’acide urique au cours du SLTA [1, 11, 15].

L’allopurinol a surtout un rôle prophylactique, son délai d’action étant généralement de 1 à 3 jours, et ne permettant pas la dégradation de l’acide urique déjà formé. Il peut aussi induire une accumulation d’hypoxanthine et de xanthine, et la formation de cristaux entraînant, dans de rares cas, des nécroses tubulaires rénales. La dose recommandée est de 7 à 10 mg/kg trois fois par jour.

Cytopénies

La myélophtisie, c’est-à-dire le développement au sein de la moelle osseuse du tissu néoplasique étouffant les cellules hématopoïétiques, est parfois sévère et à l’origine des cytopénies cliniquement observées. Elle représente un obstacle certain à l’utilisation de certains agents hautement myélosuppresseurs, comme les molécules de chimiothérapie anticancéreuse. Une évaluation rigoureuse permet de déterminer la balance risques/bénéfices afin de choisir la spécialité thérapeutique la plus adaptée. Un traitement de soutien, telle une transfusion de concentrés plaquettaires et/ou une antibiothérapie large spectre (associant des β-lactamines et des fluoroquinolones), peut être requis avant toute chimiothérapie dans les cas sévères.

ÉTAPE 3 Évaluer le pronostic

Le pronostic reste réservé à sombre dans les deux grandes formes de leucémies aiguës.

Malgré des traitements lourds, les succès thérapeutiques sont souvent modestes lors de leucémie aiguë. Les difficultés à obtenir une rémission clinique, les défaillances multi-organiques, le sepsis et autres coagulopathies expliquent ce peu de réussite [11, 13, 15].

La réponse au traitement reste imprédictible au moment du diagnostic et des durées de vie honorables sont rapportées chez quelques chiens (jusqu’à 14 mois) [11].

Cependant, les médianes de survie dépassent rarement les 3 mois [8, 11, 13, 15].

La perspective d’une généralisation des radiothérapies et des techniques de greffe de moelle osseuse pourrait apporter un renouveau dans la prise en charge de ces animaux. Cependant, si ces traitements permettaient une approche plus efficace, notamment via l’utilisation de doses plus fortes d’agents de chimiothérapie, ils sont potentiellement plus délétères sur la qualité de vie de l’animal (effets secondaires plus importants, hospitalisation de longue durée, etc.). De plus, leur application en routine est relativement récente, et des données plus précises quant à l’efficacité et aux modalités de leur mise en œuvre sont donc nécessaires. Ils restent également extrêmement coûteux (de l’ordre de 15 000 à 25 000 € par traitement aux États-Unis).

Conclusion

La prise en charge des leucémies aiguës chez le chien reste encore un défi aux résultats souvent décevants. L’utilisation de protocoles de polychimiothérapie associés à des traitements de soutien permet dans certains cas le retour à une qualité de vie acceptable.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Abrams-Ogg A. Oncologic emergencies. In: Mathews KA. Veterinary emergency and critical care manual. Lifelearn Inc., Guelph, Ontario, Canada. 2006;70:443-450.
  • 2. Comazzi S, Gelain ME, Bonfanti U, Roccabianca P. Acute megakaryoblastic leukemia in dogs: a report of three cases and review of the literature. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2010;46:327-335.
  • 3. Giantin M, Aresu L, Aricò A et coll. Evaluation of tyrosine-kinase receptor c-KIT (c-KIT) mutations, mRNA and protein expression in canine leukemia: might c-KIT represent a therapeutic target ? Vet. Immunol. Immunopathol. 2013;152(3-4):325-332.
  • 4. Liang R, Bai QX, Zhang YQ et coll. Reduced tumor lysis syndrome with low dose chemotherapy for hyperleukocytic acute leukemia prior to induction therapy. Asian Pac. J. Cancer Prev. 2011;12(7):1807-1811.
  • 5. Lyles SE, Kow K, Milner RJ et coll. Acute hyperammonemia after L-asparaginase administration in a dog. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2011;21:673-678.
  • 6. Martin A, Acierno MJ. Continuous renal replacement therapy in the treatment of acute kidney injury and electrolyte disturbances associated with acute tumor lysis syndrome. J. Vet. Intern. Med. 2010;24:986-989.
  • 7. Matus RE, Leifer CE, MacEwen EG. Acute lymphoblastic leukemia in the dog: a review of 30 cases. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983;183(8):859-862.
  • 8. Morris JS, Dunn JK, Dobson JM. Canine lymphoid leukaemia and lymphoma with bone marrow involvement: a review of 24 cases. J. Small Anim. Pract. 1993;34:72-79.
  • 9. Mylonakis ME, Koutinas AF, Papaioannou N, Lekkas S. Acute tumor lysis syndrome in a dog with B-Cell multicentric lymphoma. Aust. Vet. J. 2007;85(5):206-208.
  • 10. Piek CJ, Teske E. Tumour lysis syndrome in a dog. Tijdshrift voor diergeneeskunde. 1996;121(3):64-66.
  • 11. Presley RH, Mackin A, Vernau W. Lymphoid leukemia in dogs. Compend. Contin. Educ. Pract. Vet. 2006:831-849.
  • 12. Rebhun RB, Kent MS, Borrofka SA et coll. CHOP chemotherapy for the treatment of canine multicentric T-cell lymphoma. Vet. Comp. Oncol. 2011;9(1):38-44.
  • 13. Vail DM, Pinkerton ME, Young KM. Canine lymphoma and lymphoid leukemia. Hematopoietic tumors, Small animal clinical oncology. 5th ed. WB Saunders, Philadelphia. 2012;32:627-631.
  • 14. Vickery KR, Thamm DH. Successful treatment of acute tumor lysis syndrome in a dog with multicentric lymphoma. J. Vet. Intern. Med. 2007;21:1401-1404.
  • 15. Young KM, Vail DM. Canine acute myeloid leukemia, myeloproliferative neoplasms and myelodysplasia. Hematopoietic tumors, Small animal clinical oncology. 5th ed. WB Saunders, Philadelphia. 2012;32:653-662.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Étapes essentielles

ÉTAPE 1 Déterminer le protocole de chimiothérapie le plus adapté

– Leucémies aiguës lymphoïdes : en première intention, protocole L-CHOP ou OP.

– Leucémies aiguës myéloïdes : traitement peu standardisé. Un protocole associant la cytarabine, la doxorubicine et la prednisolone peut être mis en œuvre.

– Poursuivre le traitement jusqu’au retour des paramètres hématologiques dans les valeurs usuelles et tant que des cellules blastiques circulantes sont détectées.

– La mise en place d’un traitement de chimiothérapie anticancéreuse impose le respect de bonnes pratiques et de la législation en vigueur.

ÉTAPE 2 Prévenir l’apparition des effets indésirables du traitement

– Syndrome de lyse tumorale aiguë : animaux leucémiques prédisposés lors de l’induction du traitement. Reste rare. Mesures prophylactiques recommandées (fluidothérapie, surveillance du potassium et du phosphore plasmatiques)

– Cytopénies : conséquence de la maladie pouvant freiner l’utilisation d’agents cytotoxiques.

ÉTAPE 3 Évaluer le pronostic

Le pronostic dépend de la réponse au traitement, mais reste réservé à sombre. Les médianes de survie varient selon les formes de leucémies, mais sont généralement inférieures à 3 mois.

ENCADRÉ
Règles à respecter pour l’administration d’une chimiothérapie

→ Le vétérinaire doit conserver sa tenue de protection jusqu’à l’administration complète du médicament. Pour le retour de l’animal dans son box correctement identifié, le port de gants et de la blouse est obligatoire. Le chien est hospitalisé dans une cage éloignée de celles des autres animaux pendant au moins 24 heures. Des alèses sont disposées afin de récolter les excreta. Tout incident (vomissements, diarrhée, signes cliniques inhabituels) doit être consigné dans le dossier médical de l’animal.

→ La gestion des déchets liés à la préparation et à l’administration d’une chimiothérapie, ainsi qu’aux soins des animaux traités fait l’objet de modalités strictes (conteneur répondant à la norme NF X30-500 pour les produits piquants et tranchants, conteneurs spécifiques destinés à l’incinération pour tout autre déchet).

Les surfaces sont nettoyées selon des modalités précises. Les propriétaires doivent être dument informés par écrit et signer une fiche de consentement des soins afin de prévenir tout risque d’exposition des personnes et de contamination de l’environnement.

Essential steps

Therapeutic approach to acute leukaemia in dogs

STEP 1 Determine the most suitable chemotherapeutic protocol

– Acute lymphoid leukaemia : first-line protocol L-CHOP or OP.

– Acute myeloid leukaemia : there is no standardised treatment. A protocol combining cytarabine, doxorubicin and prednisolone can be implemented.

– Continue treatment until the haematological parameters are within normal range and while circulating blasts are detected.

– Cancer chemotherapy requires compliance with good practice and legislation.

STEP 2 Prevent the occurrence of adverse effects due to the treatment

– Acute tumour lysis syndrome : leukaemic animals are susceptible during the induction of treatment. Remains rare. Recommended prophylactic measures (fluid therapy, monitoring of plasma potassium and phosphorus)

– Cytopenias : consequence of the disease that can hinder the use of

cytotoxic agents.

STEP 3 Assess the prognosis

The prognosis depends on the response to treatment, but remains guarded to poor. The median survival time varies depending on the form of leukaemia, but is generally less than 3 months.

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