Le bolus de monensin : une prévention ciblée contre la cétose - Le Point Vétérinaire n° 338 du 01/09/2013
Le Point Vétérinaire n° 338 du 01/09/2013

ANALYSE BÉNÉFICES/RISQUES

Thérapeutique

Auteur(s) : Éric Vandaële

Fonctions : Le Fougerais
44850
Saint-Mars-du-Désert

Le bolus Kexxtone(r) (Elanco) libère dans le rumen un antibiotique ionophore, le monensin, pendant 95 jours pour réorienter la flore ruminale vers la production d’acide propionique.

Elanco a présenté un médicament vétérinaire inédit en Europe pour la filière laitière : Kexxtone(r), un bolus composé de 12 comprimés de 2,7 g de monensin, soit 32,4 g de cet antibiotique ionophore (figure). Il est conditionné à l’unité ou par sachet de 5 pour un prix aux alentours de 25 € HT/bolus (prix centrale). Son temps d’attente est nul pour le lait et la viande.

À peine présenté, ce bolus a créé une polémique entre ceux qui y sont favorables, soulignant les bénéfices potentiels dans la prévention de la cétose, et ceux qui y sont opposés, y voyant des risques : pour la santé publique, l’environnement, les éleveurs, voire les vétérinaires. Les plus nombreux sont sans doute dans le camp des observateurs dubitatifs.

Kexxtone(r) est-il un médicament innovant ?

Jusque-là, aucun médicament vétérinaire n’était indiqué contre la cétose. Kexxtone(r) élargit donc l’arsenal thérapeutique en filière lait en proposant cette spécialité sur prescription dont l’efficacité en prévention de la cétose chez les vaches à risque est démontrée.

Toutefois, le monensin n’est pas un principe actif nouveau. Dans l’alimentation animale, cet antibiotique ionophore est autorisé chez les volailles depuis plus de 40 ans (Elancoban(r)). Cet usage des ionophores comme coccidiostatiques n’est pas remis en cause, même dans les pays scandinaves qui s’efforcent à restreindre l’emploi des antibiotiques.

Comme additif, le monensin a aussi été autorisé dans les aliments des bovins à l’engrais comme “promoteur de croissance”. Depuis le 1er janvier 2006, il est interdit en Europe dans cet usage, comme tous les autres antibiotiques promoteurs de croissance. Le bolus Kexxtone(r) ne doit pas être employé à cet effet.

Enfin, ce bolus est aussi utilisé depuis 15 ans au Canada. Le bolus européen bénéficie donc de l’expérience canadienne.

Quelle est la prévalence de la cétose ?

La cétose clinique est devenue rare. La prévalence de la cétose subclinique reste, en revanche, assez élevée : entre 15 à 30 %, selon le seuil de détection retenu : 1 mmol/l, 1,2 mmol/l ou 1,4 mmol/l de Β-hydroxybutyrate (BHB) dans le sang, 0,1 mmol/l ou 0,2 mmol/l dans le lait, avec les bandelettes KetoTest(r) par exemple. L’Agence nationale du médicament vétérinaire a validé une prévalence de 25 % pour la communication d’Elanco auprès des vétérinaires.

La cétose subclinique à un impact à la fois sanitaire (déplacements de caillette, non-délivrances, métrites, kystes ovariens) et économique : entre 250 et 600 € par vache affectée, en y incluant une diminution de l’ordre de 300 kg de lait par lactation.

La cétose est une affection nutritionnelle. Aucun médicament, fût-il préventif, ne pourra se substituer à une bonne conduite alimentaire. L’acétonémie résulte, en effet, du déficit énergétique qui se creuse en fin de gestation, pendant le tarissement, et qui s’aggrave brutalement en début de gestation au démarrage de la production laitière.

La vache puise alors dans ces réserves adipeuses pour combler ce déficit. L’excès d’acides gras conduit à la formation de corps cétoniques : l’acétate et le BHB.

Comment le monensin agit-il pour prévenir la cétose ?

Le monensin a une activité sur le métabolisme à travers la flore ruminale. Il réoriente la production des bactéries du rumen vers l’acide propionique (un précurseur du glucose) et inhibe la formation d’acides gras volatils, l’acétate et le butyrate, précurseurs des corps cétoniques.

Le bolus est donc administré en fin de gestation : 3 à 4 semaines avant la date prévue du vêlage. Il libère en moyenne 335 mg/j pendant 95 jours depuis son orifice. L’action dure donc environ 3 mois, ce qui couvre tout le début de lactation, la période à risque de cétose (encadré).

Est-il efficace ?

Dans l’essai clinique européen randomisé contre un bolus placebo, l’incidence de la cétose est divisée par trois ou quatre : par exemple 8,2 % dans le lot Kexxtone(r) versus 32,1 % dans le lot traité par le bolus placebo pour une cétose subclinique associée à un taux de BHB supérieur à 1 mmol/l (tableau).

Cet essai réalisé dans 29 exploitations sur 1 312 vaches au total ne met pas en évidence d’effet sur les déplacements de caillette. Toutefois, une méta-analyse de 2008 sur 18 essais (plus de 5 500 vaches au total) révèle un impact faible mais significatif en faveur d’une diminution de l’incidence des déplacements de caillette (5,1 % versus 6,9 %, p < 0,01) ainsi que des mammites (28 % versus 33,3 %, p < 0,02).

En revanche, aucun effet significatif n’est observé sur la fièvre vitulaire, ni sur les taux de non-délivrances ou de métrites.

Quel est le risque d’antibiorésistance ?

Le monensin fait partie des antibiotiques ionophores car il est issu de la fermentation d’un Streptomyces (Str. cinnamonensis). Il agit sur des protozoaires (les coccidies) et vis-à-vis de certaines bactéries à Gram positif comme les entérocoques.

L’antibiorésistance a fait l’objet de nombreuses études et d’une évaluation attentive par l’Agence européenne du médicament (EMA), d’autant que la durée d’action est longue (95 jours au moins) au sein d’une flore commensale abondante (le rumen). Les conclusions de cette institution sont rassurantes.

Tout d’abord, les antibiotiques ionophores ne sont pas utilisés comme anti-infectieux ni chez l’homme, ni chez l’animal. Et, en raison de leur spectre d’action, aucun développement clinique n’est envisagé en médecine humaine à l’avenir.

Le mode d’action des antibiotiques ionophores sur les membranes cellulaires bactériennes n’est partagé par aucune famille d’anti-infectieux. La résistance au monensin est particulière : il s’agit d’une « résistance phénotypique réversible et transitoire », sans support par un gène de résistance diffusable. En présence de monensin, les bactéries sensibles, comme les entérocoques, possèdent déjà dans leurs gènes une capacité naturelle à s’y adapter et à résister. Leurs parois s’épaississent rapidement. Elles se dotent d’une sorte de carapace pour se protéger de l’action du médicament. Et il suffit d’arrêter l’exposition au monensin pour que les mêmes bactéries retrouvent tout aussi rapidement leur morphologie habituelle. Il ne s’agit ici ni d’une mutation, ni de l’acquisition d’un plasmide de résistance, mais d’une « tolérance phénotypique réversible », explique le rapport public de l’EMA. De plus, voilà plus de 40 ans que le monensin est utilisé comme coccidiostatique chez les volailles, sans qu’aucune émergence de résistance bactérienne n’ait été signalée comme préoccupante en santé animale ou humaine.

Le monensin n’agit pas sur les entérobactéries (E. coli et salmonelles), ni sur les Campylobacter qui sont, avec les entérocoques, les quatre espèces bactériennes zoonotiques ou commensales surveillées pour leur résistance. La résistance des entérocoques est absente chez l’homme, ou faible : inférieure à 4 % chez les bovins.

Enfin, les phénomènes de corésistance ou de résistance croisée ont été recherchés, mais non observés avec les Β-lactamines, les tétracyclines, les macrolides et apparentés (lincosamides), les phénicolés, etc.

Tous ces éléments conduisent les autorités à ne pas classer les ionophores parmi les antibiotiques. Ce médicament n’est donc pas visé ni par la problématique de santé publique sur l’antibiorésistance, ni par les mesures de réduction des usages des antibiotiques, en France le plan ÉcoAntibio 2017.

Quel risque pour l’environnement ?

Chez les bovins, le monensin rapidement absorbé gagne le foie. Il y est intensément métabolisé dès son premier passage en de multiples métabolites inactifs (déméthylation, décarboxylation, hydroxylation). La quasi-totalité est éliminée par les fèces et moins de 10 % le sont sous une forme active inchangée.

Dans l’environnement, la demi-vie de dégradation est comprise entre 13 et 18 jours, ce qui n’en fait pas un composé persistant.

Pour l’EMA, le pire des scénarios d’exposition de l’environnement ne conduit pas à une concentration dans le sol (PECsol) supérieure à 100 µg/kg dans l’hypothèse où 26 % des vaches laitières seraient traitées avec le bolus. En dessous de ce seuil de 100 µg/kg, les études d’écotoxicité ne sont pas exigées par l’EMA.

Quel est le risque d’un détournement d’usage ?

La forme bolus qui libère 335 mg/j ne favorise pas un usage détourné chez les taurillons. Chez les bovins, la dose toxique est, en effet, de 1 à 2 mg/j. Ne serait-ce que pour des questions de tolérance, le bolus est donc contre-indiqué chez les animaux de moins de 300 kg et a fortiori l’administration de deux bolus au même animal.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Comment cibler les animaux à risque de cétose ?

→ Le bolus n’est pas un traitement curatif, mais, à l’inverse, préventif. Néanmoins, il n’est pas utile de traiter préventivement les troupeaux qui ne sont pas à risque de cétose, ni, dans les troupeaux à risque, les animaux qui ne le sont pas. Des essais montrent l’absence d’impact sur la production laitière de troupeaux qui ne sont pas à risque, alors que le gain est supérieur à 600 kg/vache dans les cheptels qui le sont.

→ La première étape consiste donc à cibler les troupeaux sur quatre critères principaux :

– le taux de déplacements de caillette (> 3 %) ;

– une mauvaise note d’état corporel en début de lactation chez plus de 10 % des animaux ;

– le taux de cétoses subcliniques dépistées dans le lait par la bandelette KetoTest(r) (> 25 % au-dessus de 100 µmol/l) ;

– ou un rapport taux butyreux/taux protéique (TB/TP) élevé (> 1,5) en début de lactation chez au moins 10 % des animaux.

→ Dans le troupeau à risque, le bolus présente un bénéfice chez les seuls animaux à risque. Ces derniers sont ciblés sur les mêmes critères en y ajoutant comme facteur de risque :

– les génisses primipares ;

– les antécédents de cétose ou de signes cliniques associés (non-délivrance, déplacement de caillette, métrite, etc.) ;

– les vaches les plus âgées (plus de trois lactations) ;

– une vache trop grasse au tarissement ;

– une gestation gémellaire ;

– un rapport TB/TP élevé durant la lactation précédente ;

– etc.

En savoir plus

– Agence européenne du médicament. Rapport public d’évaluation Kexxtone(r).

– Duffield TF et coll. A meta-analysis of the impact of monensin in lactating dairy cattle. J. Dairy Sci. 2008;91:1334-1346, 1347-1360, 2328-2341.

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