CARDIOLOGIE CANINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Pierre Lemaître
Fonctions : Interne en clinique des animaux
de compagnie, CHUV Oniris Atlanpôle,
La Chantrerie
Route de Gachet
BP 40706 44307 Nantes
Lors de suspicion d’un épanchement péricardique, plusieurs examens complémentaires existent pour en trouver la cause et établir un pronostic.
Chez le chien, les épanchements péricardiques peuvent mettre en jeu le pronostic vital à court terme. Ils ont des effets néfastes sur la dynamique cardiovasculaire. Des éléments de l’anamnèse et certains signes cliniques orientent rapidement les suspicions. L’examen de choix pour le diagnostic d’un épanchement péricardique est l’échocardiographie. Celle-ci permet de mettre en évidence le liquide d’épanchement et d’en apprécier l’impact hémodynamique. Les autres examens complémentaires orientent le diagnostic étiologique, essentiel pour émettre un pronostic.
Les épanchement péricardiques concernent particulièrement les chiens de grand format, avec une médiane pondérale de 31,5 kg à 34,8 kg et un âge moyen de 7,8 ans à 9 ans [6, 17, 22]. Cependant, chez le saint-bernard, l’affection semble apparaître plus précocement, à un âge moyen de 2,3 ans [26].
Les signes cliniques rapportés par les propriétaires sont très variés : faiblesse, léthargie, perte d’appétit, distension abdominale, intolérance à l’effort, dyspnée, malaise, toux, perte de poids, vomissement et/ou diarrhée, polyuro-polydipsie (tableau 1) [22, 26].
À l’examen clinique de l’animal, les principaux signes des épanchements péricardiques sont des bruits cardiaques étouffés, voire inaudibles, une ascite, un abattement, un pouls faible ou paradoxal (diminution de la pression artérielle à l’inspiration par rapport à l’expiration), une dyspnée, des muqueuses pâles, une tachycardie [10, 17, 22, 25, 26]. Ils peuvent être associés de manière variable selon les cas (tableau 2).
La tamponnade est le plus souvent caractérisée par des signes d’insuffisance cardiaque droite avec une diminution des bruits du cœur chez un chien de grand format et d’âge moyen [17]. Un épanchement péricardique de faible volume peut être difficile à déceler. Lorsqu’il est important, le collapsus des cavités cardiaques droites aboutit à une insuffisance circulatoire.
Les hémangiosarcomes représentent la cause la plus fréquente d’épanchement péricardique : 88 % des masses identifiées sur l’oreillette droite lors d’épanchement et 69 % des tumeurs cardiaques [17, 31]. Ils sont suivis par les péricardites idiopathiques, les mésothéliomes, les carcinomes et les chémodectomes (tableau 3). Ces derniers constituent 39,1 % des tumeurs de la base du cœur lors d’épanchement péricardique et 8 % des tumeurs cardiaques [17, 31]. Les adénocarcinomes thymiques représentent 26,1 % des tumeurs de la base du cœur et 1 % des tumeurs cardiaques, et les lymphomes 4 % des tumeurs cardiaques [17, 31]. La littérature fait état d’autres causes rares d’épanchement péricardique : intoxication aux anticoagulants, rhabdomyome et péricardites constrictives, qui sont la complication de péricardites infectieuses [12, 14, 20, 23]. Alors que la péricardite urémique a été bien décrite chez l’homme, elle a été rapportée dans une seule étude en 1975 chez le chien, à notre connaissance [19, 33].
La radiographie thoracique met en évidence un cœur globalement élargi, d’aspect “globuleux” à bords nets dans 52,3 à 87 % des cas (photo 1). Un épanchement pleural et/ou une ascite sont aussi visibles en bordure de champ [17, 26]. Cet examen permet également de visualiser une masse cardiaque ou pulmonaire (cela peut être difficile en cas d’épanchement pleural) [26].
L’analyse de l’électrocardiogramme (ECG) peut orienter fortement le diagnostic. Des complexes QRS de voltage réduit et une alternance électrique sont fortement évocateurs d’un épanchement péricardique [17, 26, 27]. L’alternance électrique est une modification de l’amplitude des complexes QRS qui apparaît alternativement d’un battement à l’autre (figure 1). Cette alternance est due au mouvement du cœur qui “flotte” dans le sac péricardique (swinging heart) et qui modifie l’axe électrique cardiaque d’un battement à l’autre [21]. D’autres anomalies du tracé, non spécifiques, sont plus rarement observées : tachycardie sinusale, supraventriculaire ou ventriculaire, extrasystole auriculaire, supraventriculaire ou ventriculaire, fibrillation atriale [17, 26].
L’échocardiographie est la méthode la plus sensible et la plus spécifique pour la détection d’un épanchement péricardique. Celui-ci apparaît comme un espace anéchogène autour du cœur (photo 2). Selon la rapidité d’accumulation du liquide d’épanchement, quel qu’en soit le volume, une tamponnade cardiaque peut survenir. Un collapsus de l’oreillette droite en diastole apparaît alors, allant d’une simple concavité localisée à un collapsus complet de l’oreillette puis du ventricule [29]. Le collapsus survient lorsque la pression intrapéricardique égale la pression intracardiaque de l’oreillette et du ventricule [10].
Avec l’augmentation de la pression intrapéricardique, des variations de la pression aortique systolique apparaissent selon la phase respiratoire (à l’origine d’un pouls paradoxal). Comme ces variations se produisent avant la pression nécessaire au collapsus du cœur droit, leur évaluation permet de détecter précocement une augmentation de la pression intrapéricardique [10].
Cette appréciation peut se faire à l’aide de l’échocardiographie Doppler. Une élévation du pic de vitesse du flux transpulmonaire et une diminution de celui du flux transaortique pendant la phase inspiratoire peuvent être mises en évidence en mode Doppler pulsé. Le pourcentage de variation de ces flux évolue de façon linéaire avec l’augmentation de la pression intrapéricardique [25]. Lors de l’analyse du flux transmitral, la vitesse moyenne du flux mitral en début de diastole (onde E) diminue en phase inspiratoire (figure 2). Cette baisse s’intensifie avec l’augmentation de la pression intrapéricardique, tandis que la vitesse moyenne au moment de la systole auriculaire (onde A) ne change pas. Néanmoins, l’intensité de la variation du flux transmitral n’étant pas linéaire, elle ne permet pas de prédire la pression intrapéricardique [10].
L’examen échocardiographique présente des faux positifs et des faux négatifs bien connus en médecine humaine (encadré 1).
Chez le chien, des cas similaires de faux négatifs associés à une hypertension artérielle pulmonaire, à une hypertrophie du ventricule droit ou à la mise sous ventilation assistée sont décrits [8, 15]. Les faux positifs dus à la présence d’un hématome ou d’un épanchement pleural peuvent aussi se rencontrer [16, 24]. Le pneumothorax, lui, ne semble pas engendrer de résultats faussement positifs chez le chien [2]. À notre connaissance, aucun cas de collapsus du cœur droit par dilatation de structures digestives n’a été décrit chez le chien.
Lorsqu’il s’agit de déterminer l’origine d’un épanchement, l’échocardiographie se trouve être, ici encore, un outil performant.
Selon l’étude de MacDonald et coll., la sensibilité de l’échocardiographie pour la détection d’une masse cardiaque est de 80 % (88 % si l’examen est renouvelé) pour une spécificité de 100 % lorsque l’échographie est réalisée par un diplômé d’un collège de cardiologie. Lorsqu’il s’agit de distinguer une masse sur l’oreillette droite des autres causes d’épanchement péricardique, la sensibilité est de 84 % et la spécificité de 99 %. Pour une masse de la base du cœur, la sensibilité est de 74 % et la spécificité de 98 % [17].
Un certain nombre d’anomalies non spécifiques peuvent apparaître sur les numération et formule sanguines : une anémie modérée (hématocrite inférieure à 37 %), faiblement à non régénérative dans 25,6 % à 40 % des cas et une thrombocytopénie (< 200 000 plaquettes/µl) dans 13,3 % des cas [17, 26].
L’analyse biochimique sanguine peut aussi mettre en évidence des anomalies non spécifiques (tableau 4).
Une comparaison entre le liquide d’épanchement péricardique idiopathique et celui dû à un processus tumoral, pour le statut acido-basique, les concentrations en électrolytes, en glucose, en urée et en lactate, et l’hématocrite, a mis en évidence des différences significatives. Néanmoins, les valeurs des deux groupes se chevauchent, et des seuils permettant d’utiliser ces paramètres à des fins diagnostiques n’ont pu être fixés [5]. Il convient de prendre en compte les risques de complications associés à la récolte du liquide péricardique (troubles du rythme, arrêt cardiaque, saignements continus), se produisant dans 15,2 % des cas [13].
La caractérisation de l’épanchement, la cytologie et les cultures bactérienne et mycologique permettent d’éliminer l’origine infectieuse du diagnostic différentiel. Cependant, les principales causes d’épanchement péricardique (tumorales, idiopathiques) sont rarement diagnostiquées par ces méthodes d’analyse. Les résultats négatifs sont donc nombreux.
Le liquide d’épanchement peut être classé en plusieurs catégories, selon qu’il s’agit d’un transsudat riche ou pauvre en protéines, d’un exsudat septique ou non, d’un épanchement hémorragique, d’un épanchement “lymphorragique” (épanchement chyleux, lymphatique non chyleux, pseudochyleux) ou d’un épanchement par rupture d’un organe [28].
Dans une étude portant sur 107 cas, la fréquence de chaque sorte d’épanchement a été calculée (tableau 5) [17]. Dans ce travail, un diagnostic étiologique a été obtenu dans seulement 12,8 % des cas grâce à la cytologie. Ainsi, la cytologie semble ne pas être utile pour le diagnostic des hémangiosarcomes et des mésothéliomes [32]. Des cellules mésothéliales réactives sont observées dans 60 % des épanchements péricardiques idiopathiques et dans 100 % des mésothéliomes, et peuvent être confondues avec des cellules mésothéliales tumorales [27]. À l’opposé, lors d’un épanchement péricardique dû à un lymphome cardiaque, la cytologie se révèle être un examen de choix [18].
L’histopathologie est considérée comme un examen diagnostique. Le prélèvement de tissu est effectué durant la péricardectomie car les méthodes de prélèvement non chirurgicales sont jugées dangereuses [30]. Lorsque aucune masse n’est visible sur le cœur, un prélèvement du péricarde permet, notamment, de différencier un épanchement péricardique idiopathique et un mésothéliome. En cas d’épanchement péricardique idiopathique, les prélèvements se révèlent diagnostiques dans 86 % des cas [27]. La même étude relève une révision du diagnostic vers un mésothéliome après la réalisation de nouvelles biopsies chirurgicales ou post-mortem dans 43 % des cas [27]. Lors de visualisation d’une masse, l’exérèse partielle ou complète permet d’obtenir un diagnostic étiologique définitif. Pour l’heure, aucun essai n’a encore évalué la sensibilité et la spécificité de l’examen histopathologique des masses cardiaques chez le chien.
La troponine est une protéine myofibrillaire dont l’isoforme I cardiaque (cTnI) est un marqueur sensible et spécifique d’une atteinte myocardique. Une étude récente a montré qu’une concentration plasmatique en cTnI supérieure à 0,25 ng/ml indiquait la présence probable d’un hémangiosarcome cardiaque chez les chiens atteints d’un épanchement péricardique. Une concentration plasmatique en cTnI supérieure à 2,45 ng/ml suggérerait une atteinte cardiaque chez des chiens présentant un hémangiosarcome autre que cardiaque [4].
En médecine humaine, l’imagerie cardiaque par résonance magnétique est devenue la méthode de choix pour l’évaluation des maladies péricardiques et des masses cardiaques (encadré 2).
Une étude a récemment évalué cette méthode chez le chien. La résonance magnétique cardiaque (CMR, pour cardiovascular magnetic resonance) n’a pas démontré sa supériorité face à l’échocardiographie. Cet essai a néanmoins révélé qu’une grande expérience, voire une formation spécifique en CMR sont nécessaires pour mettre en évidence les masses cardiaques. En effet, certaines n’ont pas été détectées à la première lecture, mais seulement après plusieurs années d’entraînement [1]. Les autres limites de cette méthode chez le chien sont la disponibilité de l’appareil d’imagerie par résonance magnétique de haut champ et la nécessité de réaliser une anesthésie générale.
Identifier la cause de l’épanchement péricardique est impératif pour émettre un pronostic. La survie en cas d’épanchement péricardique idiopathique est significativement plus longue que la survie lors de mésothéliome, elle-même prolongée par rapport à celle rapportée pour un hémangiosarcome (tableaux 6 et 7) [6, 27].
Lors du diagnostic échocardiographique, la détection d’une masse cardiaque associée à l’épanchement péricardique a une influence significative sur le pronostic. Les chiens atteints d’un épanchement péricardique chez lesquels aucune masse n’a pu être mise en évidence ont une médiane de survie de 303 jours à 1 068 jours [17, 26]. Ceux pour lesquels une masse cardiaque a été détectée ont une médiane de survie de 16 à 26 jours [17, 26]. Cependant, en raison du mauvais pronostic associé, un certain nombre de propriétaires ont choisi d’emblée l’euthanasie de leur animal.
La localisation de cette masse influe également sur le pronostic : l a médiane de survie est de 57 à 155 jours lorsqu’elle est située à la base du cœur et de 24 heures pour une masse sur l’oreillette droite [17, 30].
La médiane de survie est de 745 jours pour les chiens avec un épanchement péricardique d’origine non tumorale et de 19 jours lorsqu’il s’agit d’une tumeur [17]. La médiane de survie est de 459 jours si l’épanchement péricardique est idiopathique, de 60 à 408 jours en cas de mésothéliome, de 41 jours lors de lymphome et de 2 à 16 jours pour un hémangiosarcome [6, 17, 18, 27].
Le choix thérapeutique influence également le pronostic. Les chiens sans masse cardiaque détectée ont une médiane de survie de 532 jours sans péricardectomie subtotale, contre 1 218 jours pour ceux qui sont opérés (avec un taux de mortalité peropératoire de 13 %) [26]. Ceux qui montrent une masse de la base du cœur survivent en moyenne 129 +/– 51 jours lorsqu’ils sont traités médicalement, contre 661 +/– 170 jours lors de péricardectomie [30]. Les chiens atteints d’un chémodectome ont une médiane de survie de 42 jours sans chirurgie, contre 730 jours avec une péricardectomie [7]. Lors d’épanchement péricardique dû à un lymphome cardiaque, la médiane de survie sans chimiothérapie est de 22 jours, contre 157 jours en cas de chimiothérapie associée [18].
Lors d’hémangiosarcome cardiaque, la médiane de survie après l’excision chirurgicale de la masse (avec péricardectomie associée dans 91 % des cas) est de 56 jours. Lorsque la chirurgie n’est pas complétée d’une chimiothérapie, la médiane de survie est de 42 jours, contre 175 jours lors de chimiothérapie associée [32].
L’épanchement péricardique touche principalement des chiens de grande taille et d’âge moyen. La dysfonction cardiaque, dont découlent les signes cliniques, en fait des animaux à risque. Le pronostic est amélioré lorsqu’une thérapeutique adaptée est mise en place. La recherche de la cause peut être une aide dans cette prise de décision. L’échocardiographie fournit de précieuses informations possiblement affinées par la mise au point et une meilleure disponibilité de l’imagerie cardiaque par résonance magnétique chez le chien.
Aucun.
En cas de patient sous ventilation assistée, la modification des flux valvulaires avec les phases respiratoires n’est pas toujours présente. De même, lors de tamponnade cardiaque localisée, d’hypertension artérielle pulmonaire ou d’hypertrophie du ventricule droit, le collapsus diastolique du cœur droit peut ne pas survenir. À l’inverse, en cas d’épanchement pleural important, d’hématomes médiastinaux, de pneumothorax ou de dilatation de structures digestives, la pression exercée sur le cœur entraîne parfois un collapsus du cœur droit sans qu’un épanchement péricardique ne soit présent [3].
→ Les signes cliniques d’un épanchement péricardique sont ceux d’une insuffisance cardiaque droite.
→ L’échocardiographie est l’examen de choix pour détecter un épanchement péricardique. Elle permet aussi d’étudier les répercussions hémodynamiques et de rechercher l’étiologie.
→ L’hémangiosarcome et la péricardite idiopathique représentent chacun un tiers des cas.
→ Le pronostic dépend de l’étiologie et du traitement.
La résonance magnétique cardiaque (CMR) offre une meilleure différenciation en résolution et en contraste des tissus, par rapport à l’échographie. Dans une étude chez l’homme, elle a permis la détection d’anomalies non décelées à l’échographie transthoracique ou transœsophagienne dans 46 % des cas. De même, ces deux méthodes échographiques ont établi le bon diagnostic étiologique dans 29 % des cas, contre 75 % des cas pour la CMR [11].
Aux docteurs Jack-Yves Deschamps, Marion Fusellier et Olivier Gauthier pour leur relecture attentive et leurs conseils avisés.
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