L’enjeu est d’améliorer l’efficacité digestive, et non plus seulement métabolique - Le Point Vétérinaire expert rural n° 331 du 01/12/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 331 du 01/12/2012

ALIMENTATION DES VACHES LAITIÈRES HAUTES PRODUCTRICES

Questions-Réponses

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Améliorer l’efficacité digestive et métabolique des vaches laitières hautes productrices va permettre de diminuer parallèlement la production de méthane, sujet de préoccupation environnemental croissant.

Si les progrès de la génétique ont permis de gagner une centaine de kilogrammes de lait produit par vache laitière, aujourd’hui, c’est un recul de 20 à 40 kg qui est observé, dû à la stagnation des progrès en alimentation. « On ne s’est pas assez posé de questions sur les effets défavorables des progrès sur la digestibilité, par exemple », commente Daniel Sauvant d’AgroParisTech-Inra, à la dernière session de formation des techniciens en alimentation [2]. Sa réflexion sur la digestibilité et la production de méthane par les vaches laitières hautes productrices s’appuie sur des bases de données développées depuis une quinzaine d’années, en particulier Bovidig, et des méta-analyses publiées [5, 7].

L’époque du “tout métabolique” est révolue. Il convient de travailler sur la digestibilité, une voie qui a tout pour satisfaire l’éleveur dont les gains de productivité s’érodent alors que le potentiel de ses vaches augmente. L’enjeu est aussi de diminuer les rejets de méthane.

L’image de la filière “lait” pointe en filigrane derrière ces évolutions dans la conception du rationnement.

POURQUOI UNE EFFICACITÉ ALIMENTAIRE EN BERNE ?

Quand le niveau de production de la vache laitière haute productrice (VLHP) s’accroît, son efficacité métabolique s’améliore, mais son efficacité digestive se dégrade. Quasi « catastrophique » selon Daniel Sauvant [2].

Le ruminant est, à ce titre, moins bien loti que le porc par exemple : la truie valorise mieux l’énergie potentielle ingérée au niveau du tube digestif que la vache.

QUELS SONT LES FACTEURS LIMITANTS POUR LA PRODUCTION DE LA VACHE LAITIÈRE ?

Certainement pas l’ingestion : aucun phénomène d’atténuation de ce critère n’existe avec la production. Il est tout à fait possible d’atteindre, sans observer d’infléchissement de la courbe, des rations à 30 kg de matière sèche (MS) ingérée (sur tout un lot en moyenne, ce qui laisse penser que certaines vaches sont au-dessus). Le transit, lui, “suit le mouvement”. Sa vitesse augmente au fur et à mesure que l’ingestion augmente (à noter toutefois que les fourrages n’atteignent jamais une vitesse de transit de 6 % alors que cela a été spécifié précédemment dans le système de rationnement proposé par l’Institut national de la recherche agronomique [Inra]).

La digestibilité, elle, s’infléchit avec les niveaux de production. La question du niveau d’apport de concentrés est centrale. Les taux de fibres de type NDF (neutral detergent fiber) diminuent avec l’augmentation de ces apports de concentrés, comme cela est visible dans la base de données Inra-Bovidig. Cet aplanissement des courbes a été insuffisamment pris en compte dans les tables précédemment éditées par l’Inra. Les constats vont dans le sens d’une surestimation par les tables à hauteur de 4 à 5 points d’écart. Le phénomène va être mieux intégré dans les prochaines tables révisées, attendues en milieu d’année prochaine.

Le coefficient de substitution augmente au fur et à mesure que la proportion de concentrés augmente dans la ration (le coefficient est le chiffre par lequel la valeur d’encombrement du fourrage est multipliée pour donner sa valeur pratique d’encombrement au concentré). Cela est un enjeu pour la production de demain. Pour l’avenir, il convient d’affiner les méthodes de calcul de cette substitution en s’adaptant, notamment, aux différents types de fourrage.

En définitive, la variation de la valeur de digestibilité organique de la ration est conditionnée d’une façon déterminante par la digestibilité du fourrage (photo).

En reformulant différemment ce qui a été évoqué précédemment, en ce qui concerne le kilogramme d’apport de concentrés supplémentaire, la réponse de la vache en termes d’ingestion est plutôt bonne, comparée à sa réponse en digestibilité, qui peut friser des valeurs nulles.

« L’apport de concentrés permet d’obtenir plus de lait par le truchement de l’ingestion, mais pas par celui de la digestibilité. Il y a 10 ans, pareil constat était inimaginable. »

QUELS SONT LES EFFETS CUMULÉS DE LA HAUSSE D’INGESTION ET DES TAUX DE CONCENTRÉ ?

Pour répondre à cette question, la capacité du rumen peut être examinée en fonction de la production de lait. Le volume de cet organe diminue d’un tiers quand de forts niveaux de production sont atteints (passage de 90 à 65 litres dans des systèmes de rationnement à très fort taux de concentrés).

À l’avenir, l’enjeu est de faire “tourner” plus vite ce rumen qui rapetisse. Daniel Sauvant propose ici la métaphore du moteur de mobylette qui doit faire avancer une grosse voiture (figure 1).

Aux forts niveaux de production, les “soucis” (sanitaires) apparaissent. L’indice de mastication diminue avec la production de lait, non sans conséquences sur le pH de la panse. (La valeur de 6 peut être citée, atteinte au seuil de mastication critique de 40 minutes par kg de MS). Le rapport acétate sur propionate est alors détérioré. Or la partition de l’énergie en dépend. Le taux butyreux s’écroule : c’est l’acidose.

Les chercheurs de l’Inra ont récapitulé sur une même échelle les principaux critères actuellement déterminants pour la VLHP : indice de mastication, taux de fibres de type NDF, taille des particules de la ration en millimètres, proportion de particules retenues par le tamis, taux de concentrés par rapport à la MS totale de la ration, taux d’amidon, ou encore bilan électrolytique [3] (figure 2).

QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DES VARIATIONS DE L’EFFICACITÉ DIGESTIVE ?

Si le bilan énergétique de la VLHP est examiné, il apparaît que celui-ci est davantage lié à la teneur en énergie du régime qu’au niveau de production laitière. « La clé de la haute production laitière pour “demain”, c’est donc toujours la qualité du fourrage » insiste Daniel Sauvant [2].

QUEL LIEN ENTRE L’EFFICACITÉ ALIMENTAIRE ET LA PRODUCTION DE MÉTHANE ?

Historiquement, la part du méthane produit dans l’énergie brute de la ration suscitait l’intérêt des chercheurs en tant que source de perte énergétique. Désormais, il s’agit du sujet de travail de nombreuses équipes de recherche dans le monde pour des raisons environnementales. L’échelle n’est plus le producteur, mais l’écosystème planétaire.

Parmi tous les autres types de bovins, les vaches laitières sont les principales productrices de méthane, qui contribue à “l’effet de serre”, mis en cause dans le réchauffement climatique (tableau).

Le mode d’expression de la production de méthane importe. Ce choix fait varier l’image obtenue, jusqu’à aller vers des situations qui « frisent le contresens », d’après Daniel Sauvant.

Ainsi, en se contentant d’exprimer la production de méthane par les vaches laitières en litre par jour, la relation obtenue avec la production de lait n’est pas bonne. Il est apparu plus intéressant de travailler sur un rapport litres de méthane par kilogramme de lait produit. La relation est alors plus satisfaisante. C’est elle qui est abondamment reprise sous forme de courbes comparées à l’échelle des pays dans les médias (et dans les documents officiels des instances internationales de l’agriculture, type FAO [Food and Agricultural Organization]. Une surinterprétation de cette donnée nuit aux pays défavorisés. Une vache d’un pays défavorisé produit davantage de litres de méthane par kilogramme de lait produit qu’une vache de pays à haute productivité, alors que les pays défavorisés produisent très peu de lait par vache, donc très peu de méthane aussi. Il convient de bien choisir le mode d’expression de la production de méthane par les vaches laitières pour ne pas pointer du doigt des systèmes de production qui sont peu pénalisants pour l’environnement.

Dans le rumen, certaines réactions produisent de l’hydrogène, donc du méthane, d’autres récupèrent l’hydrogène, donc diminuent les rejets de méthane. En définitive, le rapport du taux d’acétate +? butyrate sur celui du propionate est déterminant pour la production de méthane.

Plus la vache ingère, plus la quantité de méthane produit baisse car le rapport acétate (+ butyrate) sur propionate diminue.

Une bonne façon de visualiser ces phénomènes est la cartographie des réponses de la production de méthane à la variation du niveau alimentaire et à la proportion de concentrés dans la ration. Des figures en forme de courbes de niveau sont obtenues (figure 3).

D’autres paramètres peuvent influer sur la production de méthane, dont les apports en acides gras [1]. L’apport de certains acides gras dans la ration peut permettre de réduire la production de méthane par le ruminant laitier.

Conclusion

Pareils constats sur l’efficacité digestive des VLHP pourraient être dressés pour les petits ruminants producteurs de lait.

Tous ces aspects ont été traduits dans de nouveaux systèmes d’unités d’alimentation, que l’Inra va rendre publics l’an prochain (encadré). Ils ont pour objectif de correspondre davantage aux modes d’élevage très intensifs, mais aussi extensifs, sachant que les pays en développement vont devoir contribuer à répondre à une demande mondiale exponentielle en lait.

Références

  • 1. Doreau M, Martin C, Eugène M et coll. Leviers d’action pour réduire la production de méthane entérique par les ruminants. Inra Prod. Anim. 2011 ; 24(5): 461-474.
  • 2. Sauvant D. Conférence efficacité alimentaire et production de méthane. Aftaa, Paris 7 novembre 2012. Proceeding consultable en ligne pour les seuls présents.
  • 3. Sauvant D, Peyraud JL. Calculs de ration et évaluation du risque d’acidose. Inra Prod. Anim. 2010 ; 23(4): 333-342.
  • 4. Sauvant D, Giger-Reverdin S. Modélisation des interactions digestives et de la production de méthane chez les ruminants. Inra Prod. Anim. 2009 ; 22(5): 375-384.
  • 5. Sauvant D, Schmidely P, Daudin JJ, St-Pierre NR. Meta-analyses of experimental data in animal nutrition. Animal. http://journals.cambridge.org/action/displayJournal?jid=ANM 2008 ; 2(08): 1203-1214.
  • 6. Sauvant D. La production de méthane dans la biosphère : le rôle des animaux d’élevage. Courrier de la cellule Environnement. Inra. 1993 ; 18 : 67-70.
  • 7. St-Pierre NR. Invited Review : Integrating quantitative findings from multiple. Studies using mixed model methodology. J. Dairy Sci. 2001 ; 84 : 741-755.

Points forts

→ Les méthodes de calcul de la substitution du fourrage par le concentré ont été affinées pour s’adapter à la diversité des types de fourrage.

→ L’apport de certains acides gras dans la ration peut permettre de réduire la production de méthane par le ruminant laitier.

ENCADRÉ
De nouvelles unités “alimentation des bovins” pour 2013

→ Le projet Systali vise à proposer une révision des systèmes d’unités d’alimentation utilisés en France. La publication des données est promise pour août prochain, à la réunion annuelle de la Fédération européenne de zootechnie.

Les besoins ont aussi été revus et une synthèse de modélisation des réponses aux pratiques alimentaires est proposée.

→ Cette révision a impliqué une trentaine de chercheurs, sous la houlette de P. Nozière assisté de J.-L. Peyraud et D. Sauvant. Quatre laboratoires de l’Inra sont impliqués (Theix, Rennes, Paris et La Guadeloupe, sachant que les enjeux sont de mieux coller aux systèmes de production “extrêmes”).

→ Dans la “nouvelle donne”, la valeur en unités fourragères (UF) d’un aliment diffère selon la ration, annonce D. Sauvant. Cette variation peut dépasser 0,1 UF, ce qui est considérable dans une ration qui en compte 0,8 en moyenne.

Les corrections pour interactions digestives sont en voie de refonte. Pour les plus élevées, les propositions de l’Inra se rapprochent du modèle finlandais (données en cours d’établissement).

→ Pour l’extrême extensif, les chercheurs ont modifié les critères de rationnement auxquels ils n’avaient jamais touché jusqu’alors : le critère de correction par manque d’azote dans le rumen va disparaître. Pour l’animal moyen, aucun grand changement n’est prévu. C’est sur les extrêmes que la précision de rationnement va s’améliorer, explique Daniel Sauvant.

→ Pour la tendance des évolutions “de base” des valeurs de protéines digestibles dans l’intestin (PDI), aucun changement n’est attendu pour celles du tourteau de soja pour les VLHP, par exemple. En revanche, les valeurs des PDI pour les formes protégées vont diminuer chez les animaux qui produisent moins. Le soja se dégrade davantage dans une ration valorisée “lentement” (à moins de 6 ?% de transit par heure). Ces évolutions viennent nuancer sans la remettre en cause la notion de proteines bypass.

→ Les données sur les acides aminés sont aussi remaniées (système dit “AADI”, pour les acides aminés limitants, type méthionine, lysine, choline).

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr