PARASITOLOGIE ET CANCÉROLOGIE DES NAC
Cas clinique
Auteur(s) : Véronique Mentré*, Christophe Bulliot**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire de la Patte-d’Oie
155, bd Victor-Bordier
95370 Montigny-les-Cormeilles
**Clinique vétérinaire Exotic Clinic
38, rue Robert-Cousin
77176 Nandy
Chez les rongeurs adultes, la démodécie est en général secondaire à une affection responsable d’une immunodépression. Le lymphome cutané est le plus fréquemment en cause.
La démodécie est une affection parasitaire rare chez les petits mammifères. Il s’agit d’une maladie opportuniste se développant chez les jeunes animaux immunologiquement immatures ou chez les adultes immunodéprimés.
Un chien de prairie (Cynomys ludovicianus) femelle non stérilisé âgé de 7 ans est présenté en consultation pour des plaies secondaires à une bagarre avec un congénère quelques jours auparavant. Ses conditions de vie (alimentation, environnement) sont correctes. L’animal n’a aucun antécédent.
L’animal est en bon état général. Il présente des plaies multiples sur tout le corps. Les lésions sont nummulaires, d’environ 1 cm de diamètre, avec des signes de surinfection (suintement purulent) pour certaines d’entre elles (photos 1a et 1b). Le contour des plaies ne montre ni rougeur ni gonflement particuliers. Aucun prurit n’est décrit. L’animal est normotherme.
Un traitement per os à base d’enrofloxacine (Baytril® 5 % injectable, 10 mg/kg, deux fois par jour) et de méloxicam (Meloxidyl® solution buvable, 0,4 mg/kg, une fois par jour), et des soins locaux (désinfection à la chlorhexidine et application d’une crème apaisante à base d’Aloe Vera et de monolaurin [Healx Soother Plus Cream®, trois fois par jour]) sont instaurés pendant 15 jours.
L’animal revient en contrôle 15 jours plus tard. Il a perdu beaucoup de poids (il est passé de 720 g à 620 g, soit environ 14 % de perte pondérale). Il est abattu et présente une déshydratation modérée (évaluation à 2 à 5 % au vu de la persistance du pli de peau). Il ne s’alimente plus seul, mais est gavé à l’aide d’un aliment adapté (Critical Care Oxbow®). Il se tient voussé dans une posture évocatrice de douleur. L’examen cutané montre des lésions en cours de cicatrisation sur le dos, mais aussi l’apparition de nouvelles plaies, notamment sur le ventre (photo 2).
Une nouvelle discussion plus approfondie avec les propriétaires sur les commémoratifs révèle que le conflit n’a pas été observé mais supposé en raison de la survenue des plaies. L’absence de réel commémoratif de traumatisme et l’évolution des lésions modifient le diagnostic différentiel. Celui-ci inclut désormais des hypothèses parasitaires (gale sarcoptique, pulicose, démodécie), infectieuses (bactériennes ou fongiques, notamment Trichophyton mentagrophytes et Microsporum canis) et néoplasiques (lymphome cutané).
Le chien de prairie est anesthésié au masque (isoflurane induction 4 %, puis entretien 2 % dans 1 l d’oxygène).
Un raclage et un calque cutanés ne mettent pas de parasites en évidence, mais de nombreux cocci sont retrouvés démontrant une implication bactérienne primaire ou secondaire (surinfection). Un écouvillonnage des lésions est réalisé en vue d’un examen bactériologique.
Des biopsies sont également effectuées pour un examen histologique. Une prise de sang à la veine cave craniale est pratiquée afin d’évaluer l’état général de l’animal et de rechercher d’éventuelles complications, notamment rénales et hépatiques, de l’infection bactérienne.
L’analyse biochimique, et la numération et la formule sanguines révèlent la présence d’une insuffisance rénale modérée ainsi qu’une discrète anémie et une leucocytose importante, avec une neutrophilie et une lymphopénie (tableau). Ces résultats confirment l’existence d’une composante infectieuse. L’insuffisance rénale peut être primitive et liée directement à l’affection causale, ou secondaire à la dégradation de l’état général de l’animal et à la déshydratation.
L’examen bactériologique révèle la présence de nombreuses colonies de Staphylococcus epidermidis résistant à tous les antibiotiques testés. Ce résultat montre une surinfection, mais les lésions et l’état général ne peuvent lui être attribués primitivement car Staphylococcus épidermidis est un agent pathogène opportuniste de la flore cutanée normale.
Les propriétaires ne souhaitent pas hospitaliser l’animal.
Le traitement consiste en une alimentation forcée avec un aliment adapté (Critical Care Oxbow®), en une administration d’ibafloxacine (Ibaflin 3 % gel oral®, 0,4 ml per os, une fois par jour), en une perfusion sous-cutanée de chlorure de sodium 0,9 % à raison de 25 ml, deux fois par jour (à l’aide d’un épijet, en un seul point), en une désinfection locale avec de la chlorhexidine et en une application de pommade à l’Aloe Vera et au monolaurin (Healx Soother Plus Cream®, trois fois par jour).
L’animal meurt 3 jours plus tard.
L’analyse histologique révèle une tumeur cutanée à cellules rondes compatible avec un lymphome cutané épithéliotrope, associée à la présence de Demodex sp. intralésionnels (photo 3). Le caractère partiel des Demodex vus sur les lames n’a pas permis d’identifier l’espèce. L’analyse immunohistochimique confirme un lymphome T épithéliotrope (photo 4).
La mort du chien de prairie est liée à la présence d’un lymphome T épithéliotrope associé à une démodécie.
La démodécie est une parasitose cutanée due à des agents du genre Demodex. Elle est décrite chez de nombreuses espèces de mammifères, et notamment chez les rongeurs (photo 5) [5, 6, 14-16]. Une démodécie a été décrite chez 9 chiens de prairie [9].
Les signes cliniques incluent l’alopécie, l’inflammation des follicules pileux et des glandes sébacées, des croûtes et parfois un prurit. Les Demodex vivent dans les follicules pileux, mais prolifèrent à la faveur d’une immunodépression. Il semble exister chez le chien un contexte génétique [4]. Chez un animal adulte, il convient donc de rechercher une affection sous-jacente à la prolifération des Demodex, comme unsyndrome de Cushing, une hypothyroïdie, un diabète, une thérapie immunosuppressive, notamment à base d’anti-inflammatoires stéroïdiens, une néoplasie, etc. Le diagnostic se réalise par raclage ou par biopsies. Dans certains cas comme dans celui qui est présenté, les Demodex sont profonds dans le derme et ne sont pas facilement visibles au raclage. Les Demodex sont, en général, spécifiques d’espèce, mais celui du chien de prairie, très peu décrit, n’a pas encore été nommé.
Le traitement recommandé chez les rongeurs est identique à celui du chien. L’amitraz est utilisable en bains à 0,025 %, une fois par semaine, mais de nombreux rongeurs n’apprécient pas ce procédé. L’ivermectine peut également être administrée per os à la dose de 0,4 à 0,6 mg/kg/j ou par voie sous-cutanée à celle de 0,4 à 0,6 mg/kg tous les 10 à 15 jours. La moxidectine et la milbémycine oxime sont également utilisées [4, 9].
Le lymphome cutané est décrit dans plusieurs espèces de rongeurs (hamster, cochon d’Inde, chien de prairie, etc.). Peu de données épidémiologiques existent chez les rongeurs, les cas rapportés étant en très petit nombre [7, 13, 17, 19, 21].
L’étiologie est en général inconnue. Une origine virale a néanmoins été décrite chez le hamster et est suspectée chez le furet [3, 7, 19].
Les signes cliniques sont généraux et cutanés : perte de poids (notamment en fin d’évolution), anorexie, alopécie, prurit, présence de plaques et de nodules cutanés évoluant vers l’ulcération et la surinfection [18].
Dans quelques cas, la progression de l’affection est très rapide, comme ici, sans qu’une explication ait pu être donnée [21].
Le lymphome cutané est plus fréquent chez le hamster, chez lequel il doit systématiquement être recherché lors de diagnostic de démodécie. Il s’agit le plus souvent de lymphome T épithéliotrope. L’évolution est le plus souvent rapide (environ 9 semaines dans une série), mais en adéquation avec la faible espérance de vie de cette espèce [6]. La durée de vie moyenne décrite chez le chien et l’homme est proportionnellement assez semblable (6 à 9 % de la durée de vie totale) [7].
Le diagnostic se fonde, quelle que soit l’espèce, sur l’anamnèse, l’examen clinique et l’analyse histologique de biopsies cutanées. Une analyse immunohistochimique permet ensuite de démontrer la présence d’antigènes spécifiques des lymphocytes T.
Dans ce cas, il n’a pas été possible de réaliser une autopsie. Cela aurait permis d’évaluer l’extension ou non du lymphome à d’autres organes que la peau. La rapidité d’évolution est probablement liée à l’insuffisance rénale, mais le lien direct avec le lymphome n’a pas été établi. Cette vitesse d’évolution est décrite pour d’autres espèces [21].
Peu de données existent concernant la prise en charge du lymphome cutané chez les rongeurs [8, 10]. Les traitements sont le plus souvent extrapolés de ceux utilisés chez le furet ou chez le chien (chimiothérapie, cortisone, etc.). Un essai thérapeutique à la cytarabine a été décrit chez un hamster [18]. Le mastinib est également une piste à envisager pour le traitement du lymphome T chez les rongeurs. Les rétinoïdes ont aussi été employés chez l’homme, le chien et le chat, avec une régression clinique décrite, mais sans guérison [11, 12, 20].
L’association entre le lymphome et la démodécie est démontrée dans de nombreuses espèces et particulièrement chez les petits mammifères comme le hamster [1]. Ce cas illustre qu’une cause d’immunodépression, et notamment un lymphome, doit toujours être recherchée lors de démodécie chez un petit mammifère adulte.
→ La démodécie est une affection parasitaire rare chez le chien de prairie.
→ Lors de démodécie chez un rongeur adulte, une cause d’immunodépression doit être recherchée.
→ Le lymphome cutané peut être associé à la démodécie chez le chien de prairie.
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