Dermatite plasmocytaire du nez et des coussinets chez un chat - Le Point Vétérinaire expert canin n° 326 du 01/06/2012
Le Point Vétérinaire expert canin n° 326 du 01/06/2012

DERMATOLOGIE FÉLINE

Cas clinique

Auteur(s) : Michael Boussellier*, Christel Delprat**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de la Rivière
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch
**Clinique vétérinaire de la Rivière
1, rue Pierre-Loti
31830 Plaisance-du-Touch

L’atteinte concomitante du nez et des coussinets est très rare lors de dermatite plasmocytaire. Elle n’a fait l’objet que de peu de descriptions.

Un chat mâle stérilisé de 6 ans est présenté en consultation pour une déformation progressive du nez et des coussinets évoluant depuis plusieurs mois.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

Le chat présente un gonflement progressif du nez depuis plusieurs mois, sans prurit ni douleur associés. Aucun traitement n’a été mis en place. Depuis 1 semaine, des signes de douleur lors de la mastication sont rapportés. L’animal est nourri avec des croquettes. Il n’a jamais été vacciné.

2. Examen clinique

Le chat présente un nez bombé, tuméfié uniformément, de consistance molle, non douloureux à la palpation et sans lésion cutanée associée (photo 1). Aucun jetage nasal n’est visible. Une atteinte quadripodale des coussinets centraux et digités, qui sont de volume augmenté, craquelés, de consistance molle, non douloureux et de teinte violacée, est également observée. La gravité du dommage est variable, les coussinets centraux étant particulièrement touchés (photo 2). L’animal ne manifeste aucune douleur ni aucune gêne podale. Découverte fortuitement lors de l’examen clinique, cette atteinte des coussinets n’avait pas été remarquée par la propriétaire. L’examen de la cavité buccale met en évidence une gingivite localisée en regard de la dernière molaire inférieure gauche, sans aucune autre anomalie. Le reste de l’examen clinique est normal, notamment les yeux.

3. Hypothèses diagnostiques

Une pododermatite plasmocytaire est fortement suspectée. Une dermatite de contact et une dermatose auto-immune (pemphigus foliacé) ne peuvent pas être exclues. En revanche, l’atteinte quadripodale n’est pas en faveur d’un processus néoplasique ou de granulomes éosinophiliques.

Pour la déformation nasale, les hypothèses évoquées sont une infiltration plasmocytaire, un processus tumoral et une mycose profonde sans ulcération.

L’atteinte concomitante du nez et des coussinets pourrait évoquer une dermatose virale due à une calicivirose. Cependant, l’évolution chronique, l’absence d’atteinte générale et celle de lésions ulcératives ne sont pas en faveur de cette hypothèse.

4. Examens complémentaires

Afin de détecter une éventuelle atteinte osseuse associée à la déformation nasale, une radiographie de profil de la tête est réalisée. Celle-ci ne montre qu’un gonflement des tissus mous du nez (photo 3).

La principale hypothèse étant une infiltration plasmocytaire, des biopsies cutanées sont effectuées sous anesthésie générale, sur les coussinets les plus atteints et le nez. Les tissus prélevés sont fixés dans du formol 10 % et envoyés à un laboratoire vétérinaire de diagnostic histopathologique. Une recherche de Calicivirus par PCR (polymerase chain reaction) sur un écouvillon buccal est mise en œuvre, qui se révèle positive.

L’examen histopathologique des biopsies des coussinets met en évidence une hyperplasie et une hyperkératose de l’épiderme. Le derme montre une infiltration dense et diffuse à dominante de plasmocytes matures accompagnés de quelques lymphocytes, macrophages et polynucléaires neutrophiles (photo 4). L’examen histopathologique de la biopsie nasale révèle également une infiltration cellulaire inflammatoire profonde à dominante de plasmocytes matures.

5. Diagnostic

L’examen histopathologique confirme donc l’hypothèse de dermatite plasmocytaire à localisations podale et nasale.

6. Examens complémentaires supplémentaires

Afin de mieux explorer cette pododermatite plasmocytaire, un test de dépistage rapide du virus de la leucose féline (FeLV) et de celui de l’immunodéficience féline (FIV) (Snap® Combo Plus FeLV/FIV) est réalisé. Il se révèle positif pour le FeLV.

Une hyperglobulinémie étant fréquemment rencontrée lors de pododermatite plasmocytaire, un dosage de l’albumine et des protéines totales est pratiqué. Celles-ci se situent dans les valeurs usuelles, les globulines étant néanmoins dans les limites supérieures de la normale.

7. Traitement

Un traitement à base de doxycycline (Ronaxan®) à 5 mg/kg per os, une fois par jour, est initié. Après 2 semaines, une régression des lésions des coussinets et de la truffe est notée, sans être néanmoins complètement satisfaisante. La doxycycline est augmentée à 20 mg/kg une fois par jour. Après 3 semaines supplémentaires, les coussinets ont recouvré un aspect normal (photo 5). L’atteinte nasale est toujours présente, mais la tuméfaction a diminué. Comme l’animal ne présente aucune gêne et que la prise du médicament est de plus en plus difficile, le traitement est interrompu. Huit mois plus tard, aucune récidive n’est à signaler sur les coussinets et l’atteinte nasale est stable.

DISCUSSION

1. Atteinte nasale : une localisation de cette dermatose peu décrite

Bien qu’étant une dermatose rare, l’infiltration plasmocytaire des coussinets chez le chat a été le sujet de plusieurs études et descriptions de cas cliniques [2, 3, 8, 11]. En revanche, l’atteinte concomitante du nez, présente dans notre cas, n’a fait l’objet, à notre connaissance, que de quatre descriptions, dont une sans diagnostic histologique de certitude [6, 7, 11]. Deux cas pour lesquels seule l’infiltration nasale était présente ont également été rapportés [1, 5].

Chez ce chat, le nez n’est atteint que d’un gonflement homogène sans lésions cutanées, en revanche présentes sur les coussinets. Cette absence de lésion cutanée sur le nez est retrouvée dans la majorité des cas : dans cinq cas sur les six qui décrivent une atteinte nasale, seul un gonflement nasal est visible.

Certains auteurs ont aussi suspecté qu’une stomatite plasmocytaire puisse être associée à des pododermatites plasmocytaires. Dans notre cas, le chat ne présente qu’une discrète gingivite localisée, mais une biopsie de cette lésion pour rechercher une éventuelle infiltration plasmocytaire aurait été nécessaire pour écarter cette possibilité.

2. Une étiologie encore inconnue

Plusieurs études et descriptions de cas cliniques ont montré l’efficacité d’une corticothérapie à dose immunodépressive dans le traitement de la dermatite plasmocytaire [4, 10, 11]. De plus, une hypergammaglobulinémie est très souvent rencontrée lors de cette affection [11]. Bien que ces deux derniers éléments suggèrent une origine immunitaire, ni l’étiologie ni la pathogénie de cette affection ne sont élucidées actuellement.

Parmi les différentes hypothèses proposées, les rétrovirus félins, et particulièrement le FIV, pourraient être impliqués. Certains auteurs classent cette pododermatite dans le groupe des dermatoses virales. Dans notre cas, le chat est négatif pour le FIV mais positif pour le FeLV. Le snap test utilisé ici recherche l’antigène viral p27 par la technique Elisa (immunomigration et enzyme linked immunosorbent assay). Une positivité de ce test ne permet pas d’affirmer avec certitude que le chat est infecté par le FeLV. Il peut s’agir d’un faux positif ou d’une virémie transitoire. Dans notre cas, une confirmation par immunofluorescence indirecte aurait dû être réalisée [9].

La prévalence de ce virus sur la population de chats à pododermatite plasmocytaire n’est que de 6 % (résultat uniquement fondé sur 33 sérologies) [11]. Bien que cette donnée doive être relativisée, il est difficile de parler de réelle influence de ce virus sur cette maladie.Il prédispose toutefois à une immunodéficience [11].

La présence de Calicivirus félin dans le nez et/ou les coussinets a été recherchée dans trois cas sur les six qui décrivent une dermatite plasmocytaire nasal, aboutissant systématiquement à un résultat négatif. Dans notre cas, le Calicivirus a été mis en évidence dans l’écouvillon oropharyngé. Toutefois, aucun lien ne peut être établi entre ce virus et la dermatite plasmocytaire nasale et podale. Il aurait fallu, pour cela, détecter directement ce virus au sein des lésions nasales et podales. Cette recherche n’a pas été effectuée.

3. Traitement

Souvent asymptomatique les premiers temps, les pododermatites plasmocytaires peuvent évoluer vers une rémission spontanée ou une aggravation, avec une ulcération et l’apparition d’une douleur. Bien que l’animal ne présente aucune gêne, la décision a été prise de le traiter afin d’éviter une possible aggravation, et ce après discussion avec le propriétaire (explication des risques de la thérapeutique) qui souhaite faire disparaître le gonflement nasal.

Doxycycline

Actuellement, la doxycycline est le traitement de choix des pododermatites plasmocytaires. L’efficacité de cette molécule reposerait sur ses propriétés immunomodulatrices, et non pas antibiotiques. En effet, selon une étude récente, aucun agent infectieux sensible à la doxycycline n’a été retrouvé dans les lésions [2]. La doxycycline agirait donc en inhibant le chimiotactisme des neutrophiles, la prolifération des lymphocytes, l’activation du complément et la synthèse de prostaglandines. D’après la première étude portant sur la doxycycline dans le traitement de cette affection, son utilisation à la dose de 25 mg par animal une fois par jour a permis une rémission complète en 3 à 8 semaines dans 35 % des cas [3]. Ces résultats ont motivé le choix de la posologie initiale dans notre cas. D’après des données plus récentes, une dose de 10 à 20 mg/kg/j permettrait une rémission complète, même si parfois le traitement doit être prolongé plusieurs mois (2 mois en moyenne) [7]. C’est sur ces résultats que nous avons fondé notre second dosage. La prise des comprimés devenant très difficile, le traitement a été interrompu au bout de 40 jours.

Il convient de garder à l’esprit que cette amélioration n’est pas nécessairement due au traitement, étant donné qu’une rémission spontanée est parfois possible.

Chez le chat comme chez l’homme, la doxycycline peut avoir des effets secondaires sur l’œsophage, comme une œsophagite, une altération de la motilité œsophagienne et une sténose œsophagienne secondaire. L’administration de cette molécule avec de la nourriture ou la prise de 5 ml d’eau avec le comprimé permettent de réduire ces risques. La dissolution de celui-ci dans de l’eau peut également être envisagée [8].

Corticothérapie

Avant la doxycycline, la corticothérapie à des doses immunosuppressives (2 à 3,6 mg/kg/j de prednisolone) a été largement utilisée. Bien qu’ayant montré de bons résultats, ce traitement n’est pas dénué d’effets secondaires. Contrairement à la doxycycline, avec laquelle le risque de sténose peut être contrôlé par une administration adaptée, les effets secondaires de la corticothérapie sont difficilement évitables. Ils comportent une polyphagie, une polydipsie, des troubles digestifs, voire un syndrome de Cushing iatrogène, un diabète, une infection urinaire ou le réveil d’une infection latente.

Ainsi, en cas d’échec de la doxycycline utilisée seule, une corticothérapie peut être initiée en seconde intention.

Dans notre cas, malgré la rémission partielle des symptômes à l’arrêt de la doxycycline, les corticoïdes n’ont pas été proposés pour trois raisons : leurs effets secondaires, l’absence de gêne fonctionnelle pour l’animal et la possibilité de rémission spontanée déjà décrite. Enfin, l’exérèse chirurgicale des lésions peut être utile, essentiellement lors d’atteinte sévère et unipodale.

Conclusion

Bien que les traitements actuellement disponibles soient relativement efficaces contre les dermatites plasmocytaires, ni l’étiologie ni la pathogénie de cette maladie ne sont élucidées. D’autres études et descriptions sont donc nécessaires pour développer des thérapeutiques plus ciblées et encore plus efficaces.

Références

  • 1. Bensignor E. Infiltration plasmocytaire cutanée, pas toujours les coussinets. L’essentiel. 2011;199:9-10.
  • 2. Bettenay SV, Lappin MR, Mueller RS. An immuno-histochemical and polymerase chain reaction evaluation of feline plasmacytic pododermatitis. Vet. Pathol. 2007;44(1):80-83.
  • 3. Bettenay SV, Mueller RS, Dow K, Friend S. Prospective study of treatment of feline plasmacytic pododermatitis with doxycycline. Vet. Rec. 2003;152(18):564-566.
  • 4. Cadiergues MC, Delverdier M, Franc M. Feline plasma cell pododermatitis: a clinical case and literature review. Rev. Med. Vet. 2002;153(5):311-313.
  • 5. Declercq J, De Bosschere H. Nasal swelling due to plasma cell infiltrate in a cat without plasma cell pododermatitis. Vet. Dermatol. 2010;21(4):412-414.
  • 6. Declercq J, De Man M. Swelling of the nose in three cats with plasmacytic pododermatitis. Vlaams Diergen. Tijds. 2002;71:277-281.
  • 7. Deveze M. Traitement par la doxycycline d’un cas de dermatite plasmocytaire chez un chat. Prat. Med. Chir. Anim. Comp. 2004;39(1):47-50.
  • 8. German AJ, Cannon MJ et coll. Œsophageal strictures in cats associated with doxycycline therapy. J. Feline Med. Surg. 2005;7(1):33-41.
  • 9. Levy J, Crawford C, Hartmann K et coll. American Association of feline practitioner’s feline retrovirus management guidelines. J. Feline Med. Surg. 2008;10(3):300-316.
  • 10. Pareira PD, Faustino AMR. Feline plasma cell pododermatitis: a study of 8 cases. Vet. Dermatol. 2003;14(6):333-337.
  • 11. Stenta C. La pododermatite plasmocytaire du chat: connaissances actuelles. Thèse de doctorat vétérinaire, université Claude-Bernard Lyon 1. 2006:151.

Points forts

→ Rarement décrite, une infiltration plasmocytaire nasale peut être associée à une pododermatite plasmocytaire classique.

→ Une analyse histolopathogique permet le diagnostic de certitude.

→ Une recherche des rétrovirus, et particulièrement du virus de l’immunodéficience féline, doit être systématique lors de confirmation du diagnostic.

→ Actuellement, la doxycycline reste le traitement de choix de la dermatite plasmocytaire en première intention.

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