Un cas de myxome synovial chez un chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 323 du 01/03/2012
Le Point Vétérinaire expert canin n° 323 du 01/03/2012

ORTHOPÉDIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Amandine Savet*, Juliette Sonet**, Fabien Collard***, Claude Carozzo****

Fonctions :
*42, chemin du Pavé, 74290 Talloires
amandinesavet@gmail.com
**VetAgro Sup, service d’imagerie médicale
***VetAgro Sup, service de chirurgie
Avenue Bourgelat, 69290 Marcy-L’Étoile
****VetAgro Sup, service de chirurgie
Avenue Bourgelat, 69290 Marcy-L’Étoile

Les myxomes sont des tumeurs mésenchymateuses bénignes rares qu’il convient d’envisager dans le diagnostic différentiel des œdèmes articulaires.

Les tumeurs articulaires primitives sont des affections peu fréquentes chez le chien. Elles sont le plus souvent malignes et majoritairement représentées par les synoviosarcomes. Leur diagnostic repose sur des techniques d’imagerie, mais un examen anatomopathologique est indispensable pour déterminer leur nature exacte, donc établir un pronostic ainsi qu’un plan thérapeutique. Parmi elles, il est possible d’observer également les myxomes localisés aux articulations qui sont des tumeurs rares à caractère bénin mais à fort taux de récidive local.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs, anamnèse

Un chien labrador mâle entier âgé de 8 ans est présenté à la consultation pour un œdème de taille fluctuante mais persistant du membre pelvien gauche depuis 2 mois. La propriétaire rapporte une discrète boiterie lors de “crises d’œdème”. Un traitement à base de corticoïdes (prednisolone, 1 mg/kg, par voie orale, pendant 5 jours) instauré par le vétérinaire traitant a permis d’obtenir une amélioration transitoire des symptômes. Lors d’une récidive, un traitement de 10 jours à base de diurétique (furosémide à la dose de 0,5 mg/kg, par voie orale) n’a apporté aucune amélioration. Une radiographie du tibia réalisée par le vétérinaire traitant n’a pas révélé d’anomalie.

En l’absence de réponse aux différents traitements médicaux, le chien est référé.

2. Examen clinique

L’examen clinique général ne présente pas d’anomalie. La température rectale est de 39,1 °C.

L’examen orthopédique à distance révèle une discrète boiterie de soutien du membre pelvien gauche. Une déformation fluctuante, de taille importante en face latérale du tibia gauche et s’étendant de la moitié proximaledu tibia jusqu’aux métatarses est observée lors de l’examen rapproché. Un œdème est mis en évidence en région déclive par la présence d’un signe du godet. La palpation du tendon proximal du muscle extenseur long des doigts est douloureuse. Après la tonte de cette zone, la peau paraît extrêmement modifiée : elle est épaissie et hyperpigmentée (photo 1). Une discrète amyotrophie de la cuisse est remarquée. Aucune douleur ni instabilité n’est notée lors de l’examen dynamique du grasset. Aucun déficit n’est observé lors de l’examen neurologique du membre.

3. Examens complémentaires

Des examens radiographiques du grasset sont réalisés. Un gonflement articulaire associé à un remaniement important des tissus mous en face latérale du tibia est noté. L’œdème est présent sur l’ensemble de la face latérale du tibia gauche jusqu’aux métatarses. Une discrète arthrose du grasset est également visible (photo 2).

Une échographie de la zone œdématiée est ensuite envisagée. Elle met en évidence une cavité anéchogène au sein du corps charnu du muscle long extenseur des doigts dans son tiers proximal associée à une hétérogénéité de ce muscle en région distale. Un épanchement synovial de l’articulation du grasset est également objectivé (photos 3a, 3b et 3c).

Une cytoponction du contenu de cette cavité révèle la présence d’une collection kystique sans caractère inflammatoire ni tumoral.

À ce stade, différentes hypothèses sont envisagées en ce qui concerne l’apparition de ces signes cliniques :

– une origine traumatique avec un épanchement synovial associé, et la présence d’un hématome musculaire ;

– une origine néoplasique ;

– une origine infectieuse (abcès intramusculaire) est très peu probable en raison du caractère cytologique du liquide prélevé.

Face à la chronicité des symptômes et l’absence de réponse au traitement médical instauré auparavant, une exploration chirurgicale est entreprise dans un objectif diagnostique et thérapeutique.

4. Intervention chirurgicale

Un abord latéral du grasset et du tibia est réalisé, s’étendant du tiers proximal de la diaphyse fémorale au tiers proximal de la diaphyse tibiale, en longeant caudalement la rotule et le ligament tibio-patellaire. Un œdème sous-cutané important est mis en évidence (photos 4a et 4b).

Un kyste est isolé au sein du corps charnu du muscle long extenseur des doigts (photo 5). Celui-ci ne présente pas de communication avec la cavité articulaire. Il contient une grande quantité de liquide filant de consistance comparable au liquide synovial inflammatoire. Une exérèse partielle du muscle long extenseur des doigts est réalisée, représentant environ un tiers de la longueur du muscle.

Une arthrotomie permet de visualiser une ostéophytose discrète de l’articulation du grasset (photo 6).

Une hyperplasie synoviale avec la formation de “nodules” synoviaux est également notée. Le liquide synovial est abondant et turbide. Des biopsies osseuses, en regard de la crête tibiale, musculaires, sur la pièce d’exérèse, et synoviales sont réalisées.

5. Analyse histologique

L’examen histologique des biopsies osseuses ne révèle pas d’anomalie.

L’examen de la capsule articulaire montre des nodules hypocellulaires et pauvrement vascularisés (photos 7a et 7b). Lors de biopsies musculaires, au sein des tissus conjonctifs lâche et fibreux, des cellules fusiformes et étoilées sans atypies cytonucléaires baignent dans une matrice myxoïde gélatineuse. La capsule articulaire est légèrement hyperplasiée par endroit et un foyer de fibroses anciennes au sein de la couche fibreuse est observé (photos 8a et 8b). Elle peut évoquer notamment un traumatisme ancien. Une origine articulaire primitive avec extension musculaire secondaire peut ainsi être suspectée.

L’examen cytologique du liquide synovial met en évidence une inflammation sans origine définie.

Un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien est prescrit pendant 10 jours (firocoxib, 5 mg/kg/j, per os) à la suite de l’intervention chirurgicale.

6. Diagnostic

Ces images sont compatibles avec un myxome articulaire dans un contexte d’ancien traumatisme probable, en raison de la présence d’un foyer de fibrose. Face à ce diagnostic, une exérèse large est conseillée. Étant donnée la localisation, une amputation du membre est proposée et refusée par les propriétaires qui ne souhaitent pas de nouvelle intervention chirurgicale.

7. Suivi

Un contrôle est réalisé un an et demi après l’intervention. Une hypothétique récidive est notée localement et visualisée, le chien présentant les mêmes signes cliniques que lors du premier épisode (gonflement de taille fluctuante en regard du grasset et du tibia cranial). Un examen échographique est alors réalisé et permet de mettre en évidence des images similaires à savoir la présence d’une collection liquidienne intra- et extra-articulaire.

Une nouvelle intervention avec prélèvement histologique est proposée après la réalisation d’un examen tomodensitométrique permettant de pratiquer un bilan d’extension, mais est refusée par les propriétaires pour des raisons financières. Un traitement anti-inflammatoire palliatif est donc instauré (firocoxib, 5 mg/kg/j, per os) pendant des périodes de 15 jours en cas de récidive.

DISCUSSION

1. Définition du myxome

Les myxomes sont des tumeurs bénignes très rarement décrites chez l’homme et l’animal. Les premières descriptions de ce type de tumeur ont été réalisées chez l’homme au xixe siècle par Virchow. Une définition a ensuite été proposée par Stout en 1948 : « Il s’agit d’une tumeur mésenchymateuse bénigne composée de cellules étoilées et fusiformes contenues dans un stroma mucoïde œdémateux ressemblant au mésenchyme primitif » [6]. Plus récemment, l’Organisation mondiale de la santé les a définies comme des « tumeurs formées par du tissu muqueux ». Elles ont été nommées d’abord « tumeurs colloïdes ou gélaténiformes par suite de leur aspect ». Les caractéristiques biochimiques et histologiques de ce type de tumeur présentent des similitudes avec celles du cordon ombilical du fœtus mature [3]. Les cellules mésenchymateuses pluripotentes dont elles dérivent produisent une substance mucilagineuse qui peut s’accumuler, entraînant la formation de kyste, comme dans le cas décrit précédemment [5]. Il ne semble pas exister de prédisposition raciale ou sexuelle.

2. Aspect histologique

Microscopiquement, le myxome est constitué de nodules paucicellulaires. Des cellules étoilées et fusiformes baignent dans une matrice gélatineuse myxoïde [1, 5]. Ces tumeurs sont faiblement vascularisées, sauf lorsqu’elles présentent une localisation cardiaque [3].

Les myxomes doivent être distingués (en raison de leur ressemblance histologique) des myxosarcomes et des dégénérescences myxomateuses de certaines tumeurs mésenchymateuses telles que les chondrosarcomes, les synoviosarcomes, les neurofibromes, les schwannomes [1, 3, 5]. En médecine humaine, ils sont souvent associés à des dysplasies fibreuses, sous la dénomination de syndrome de Mazabraud, ou peuvent être secondaires à des anciens traumatismes [5]. Dans le cas présent, un foyer de fibroses anciennes a été observé au sein de la capsule articulaire. Un traumatisme ancien de l’articulation du genou pourrait donc être à l’origine d’une dégénérescence myxoïde des parties capsulaires et extracapsulaires.

3. Localisation

Ces tumeurs peuvent survenir dans toutes les localisations contenant du tissu conjonctif. Cependant, elles sont souvent sous-cutanées, myocardiques et intramusculaires [7, 8, 10]. Des myxomes gingivaux sont également décrits chez l’homme, même si leur origine est différente des autres myxomes puisqu’ils proviennent du tissu mésenchymateux des racines dentaires [11]. Deux cas de myxome cornéal ont également été récemment décrits chez l’homme [4, 12]. Des localisations intramusculaires et juxta-articulaires sont reconnues chez l’homme où des lésions kystiques importantes sont fréquemment rapportées [9]. La plupart des cas de myxomes intramusculaires concernent la cuisse tandis que les myxomes synoviaux touchent le plus souvent l’articulation du genou [5, 9]. Les localisations articulaires, comme c’est le cas ici, sont extrêmement rares chez l’animal et n’ont été décrites que chez le chien [1, 2, 3].

4. Manifestation clinique

Cliniquement, une tuméfaction en zone péri-articulaire ainsi que la présence de masses kystiques sont observées. Chez l’homme, ce type de tumeur est à croissance lente et non douloureuse [3]. Chez le chien, le plus souvent, une douleur se manifeste à la palpation de la tumeur et une boiterie est associée. Ces manifestations cliniques sont retrouvées dans notre cas.

Des lésions osseuses se manifestent parfois lors de myxome articulaire par pression du liquide articulaire. Chez l’homme, lors de myxome synovial localisé au genou, des atteintes des ménisques sont rapportées. Dans le cas présent, seules quelques lésions ostéophytiques sont mises en évidence sur le grasset sans signe d’instabilité articulaire. Aucune lésion neurologique n’est présente à l’examen.

5. Pronostic

Le pronostic de ce type d’affection est bon lorsqu’une exérèse complète peut être envisagée. Cependant, le risque de récidive est important. Dans une série de 29 cas de myxome juxta-articulaire chez l’homme, Meis annonce un taux de récidive de 34 %. En général, l’exérèse seule ne peut être radicale [9].

Il est probable que la localisation influence le pronostic puisqu’une exérèse radicale lors de myxome juxta-articulaire nécessite une amputation.

Dans le cas présent, une exérèse large du kyste et des tissus musculaires a été envisagée en première intention. Une amputation du membre pelvien a été proposée lors de la récidive supposée, mais refusée par les propriétaires.

Conclusion

Ce cas illustre une localisation originale d’une tumeur bénigne mais à récidive locale fréquente relativement rare chez le chien. L’origine exacte de ce type de tumeur n’est pas connue. Dans le cas présent, en raison de la présence de foyers de fibrose, il est probable qu’un ancien traumatisme soit à l’origine d’une dégénérescence myxoïde de l’articulation du grasset, même si l’anamnèse n’a pas permis d’en élucider l’origine.

Références

1. Berrocal A, Millan Y, Ordas J et coll. A joint myxoma in a dog. J. Comp. Pathol. 2001;124:223-226. 2. Craig LE, Julian ME, Ferracone JD. The diagnosis and prognosis of synovial tumors in dogs: 35 cases.Vet. Pathol. 2002;39:66-73. 3. Griffon DJ, Wallace L, Barnes D, Johnson G. Myxoma arinsing from the radiocarpal joint capsule in a dog. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1994;40:257-260. 4. Hansen LH, Prause JU, Ehlers N, Heegards S. Primary corneal myxoma. Acta Ophthalmol. Scand. 2004;82(2):224-227. 5. Hayes AM, Dennis R, Smith KC, Brearley MJ. Synovial myxoma: magnetic resonance imaging in the assessment of an usual canine soft tissue tumor. J. Small Anim. Pract. 1999;40:489-494. 6. Kamoun N, Zouari M, Siala M et coll. Intramuscular myxoma. Apropos of two cases. Rev. Chir. Orthop. Reparatrice Appar. Mot. 1997;83(3):278-282. 7. Machida N, Hoshi K, Kobayashi M et coll. Cardiac myxoma of the tricuspid valve in a dog. J. Comp. Pathol. 2003;129:320-324. 8. Lévy MS, Kaptkin AS, Panaik AK et coll. Spinal tumors in 37 dogs: clinical outcome and long term survival (1987-1994). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1997;33(4):307-312. 9. Meis JM, Enzinger FM. Juxta-articular myxoma: a clinical and pathologic study of 65 cases. Human Pathol. 1992;23(6):639-646. 10. Mashhady RS, Derakhshanfar A. A case report of a skin myxoma in a terrier from Iran. Proceedings of the 20th annual congress of the ESVD-ECVS. Chalkidiki, Grèce. 2005:203. 11. Perrotti V, Rubini C, Fiorini M, Piatelli A. Soft tissue myxoma: report of an unusual case located on the gingiva. J. Clinic Periodontol. 2006;33(1):76-78. 12. Wollensak G, Green WR, Seeler T. Corneal myxoma. Jpn. J. Ophtalmol. 2002;46(2):193-197.
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